samedi 22 novembre 2008

Le Kid de l'Oklahoma, de Elmore Leonard


(The hot kid, 2005)
Rivages/Noir, 2008, 321 p.

Il y a quelques auteurs comme ça, des auteurs que je classe parmis mes favoris et dont je repousse la lecture sans autre but que de faire l’agace avec moi-même. Et quand je prend finalement le livre, je me dis Maudit que ça va être bon, et voyez-vous, je suis rarement déçu. D’où la qualification d’auteur favori.

Elmore Leonard a maintenant plus de 80 ans, et ce livre-là, il l’a écrit à 79 ans. C’est ce qui est beau des artistes, plus ils vieillissent, plus l’idée de la retraite devient impertinente. Leonard a débuté sa carrière dans les années cinquante en écrivant des Westerns, dont le très prenant Hombre, incarné au cinéma par Paul Newman. Plus récemment, une nouvelle adaptation de 3 :10 to Yuma, avec Russell Crowe et Christian Bale, ramenait une fois de plus Leonard à Hollywood. Ce n’est pas trop parler que d’entrer directement dans le cinema en parlant de Leonard. Nombreux sont ses livres adaptés en film, pensez seulement à Jackie Brown, Get Shorty, Be Cool, et plein d’autres dont je ne suis pas encore au courant. C’est que Leonard écrit en images, en personnages. L’auteur des très efficaces 10 rules of writing (voir plus bas dans ce blog) ne s’intéresse pas aux acrobaties d’écrivain et autres prouesses sur papier. Leonard est un auteur efficace qui n’a d’autre intérêt que de rendre vivants ses personnages. Ce qui devient problématique pour le lecteur lorsqu’est venu le temps de les faire mourir.

Avec le Kid de l’Oklahoma, Leonard renoue avec ses racines western. L’histoire débute dans les années 20 et raconte la vie de Carlos Webster qui dès ses quinze ans est remarqué par les assistants du Marshall des Etats-Unis et qui attendent avidement sa majorité pour pouvoir le compter parmi leurs rangs. À la fin de la décénnie, le jeune Carlos est devenu le Marshall Carl Webster, un homme de loi fier de sa personne, justicier à la gâchette infaillible, charmeur infatigable et plus populaire que les bandits qu’il poursuit.

De son côté, Jack Belmont devient tout autant populaire. Fils d’un grand magnat du pétrole, Belmont tente par tous les moyens de s’approprier l’argent de son père. Envoyé en prison par ce dernier après avoir fait exploser un de ses entrepôts et tenté de kidnapper sa maîtresse, Jack multiplie les combines pour gravir les échelons jusqu’au titre d’ennemi public numéro 1. Et ce roman raconte, de façon tout ce qu’il y a de plus classique, une vie entière employée à pourchasser le mal, ou à fuir le bien, c’est selon.

Ajoutons à cela une impressionnante gallerie de personnages secondaires qui mériteraient tous un roman complet leur étant consacré. Toutes les filles, ces « Poules de Truands » qui prennent la fuite avec l’homme qui abat leur mari, Teddy, Lou Tessa et tous les gangsters de Kansas City, la ville sans règles, Virgil Webster, le père de Carl, héro de guerre qui a survécu à l’explosion de son cuirassé, et Tony Antonelli, écrivain pour le True Detective, qui appréhende les fusillades en ayant déjà son titre en tête, et qui y assiste carnet et crayon en main.

Un histoire parfaite de braqueurs de banques, de fines gâchettes, de justiciers intraitables et de filles faciles, dans une époque parfaitement recréée et avec une langue qui laisse toute la place aux personnages et à l’histoire. Elmore Leonard, à 80 ans, frappe une fois de plus. Et une seule balle aura suffi.

samedi 15 novembre 2008

Des Nouvelles de Pickton Vale, de Benoit Trottier


Québec Amérique, 2008, 152 p.

Benoît Trottier est publicitaire et présente, avec Des nouvelles de PicktonVale, son tout premier livre. Le concept de base est tout à fait intéressant. Le livre comporte sept nouvelles qui peuvent être prises séparément, mais qui forment un tout fort uni. Chaque nouvelle porte le nom d’une couleur et évoque l’histoire, très souvent la dérive, d’un personnage que nous retrouveront comme figurant ou personnage secondaire dans les autres nouvelles.

Ça commence par Agathe Alary, une femme obsédée de propreté qui est à la veille de l’ouverture de son bed and breakfast. Une tempête de neige qui sévit la fait acueillir avant le temps un couple de passage dans le coin. Vous dire ce qui se passe ensuite serait fort malhonnête. Mais les histoires qui suivent nous parleront de cet homme qu’elle reçoit, du jeune garçon qui l’accompagne, de son mari à elle, de sa fille, de son fils, etc. Si bien que l’ensemble de ces récits se lit comme un roman. Un court roman qui ne passe que dans un souffle, porté par la narration continue de Trottier, une narration qui ne prend jamais une pause et qui déboule dans de longues phrases qui, heureusement, sont absolument fluides et proposent au lecteur un débit des plus naturels et entraînants.

Les personnages se retrouvent dans des situations souvent désespérées, acculés au pied du mur et poseront des actions qu’ils n’auraient jamais soupçonnées, pour le meilleur ou pour le pire. Des destins malheureux, des dénouements de gens qui n’ont rien à perdre. Hantées par le spectre de l’homosexualité, latente ou confirmée, ces nouvelles nous présentent un auteur qui, nous l’espérons, n’a pas dit son dernier mot.

jeudi 6 novembre 2008

Paper Trails, de Pete Dexter


Ecco, 2007, 289 p.



Avant de devenir le grand auteur de romans noirs qu’il est maintenant, Pete Dexter fut journaliste durant les années 70-80 pour le Philadelphia Daily News et le Sacramento Bee. Durant de nombreuses années, il a tenu des éditoriaux sur des sujets variés et ce livre (sous-titré « True stories of confusion, mindless violence, and forbidden desires, a surprising number of wich are not about marriage » faut le faire ) regroupe le meilleur de ces textes, publiés sans réel ordre chronologique ni autorisation des différentes publications concernées, lesquelles auraient, de tout façon, certainement donné leur accord. 82 textes de deux à quatre pages (quelques uns sont plus longs) que j’ai lus sur une longue période de temps, à coups de un ou deux le matin en déjeunant, comme si j’ouvrais le journal pour me précipiter sur le nouveau texte de mon écrivain préféré.

Dexter, à l’époque, était une vedette. Jamais, dit-il en introduction, n’aura-t-il été si peu reconnu, se sera-t-il si peu fait payer un verre ou un repas au restaurant que depuis qu’il est devenu romancier. C’est que Dexter parlait au monde ouvrier. Il évoquait leurs problèmes, leurs situations, leur environnement. Il faisait des portraits de gens ordinaires et évoquait des causes injustes sans jamais être larmoyant. Ceux qui auront lu « God’s Pocket » reconnaitront en lui le Richard Shellburn du roman.

Mais les meilleurs textes de Dexter, ce sont ceux où il parle de sa fille, de ses chats, ses chiens, des animaux sauvages qui traînent autour de sa cour, de son tracteur, et surtout de sa femme (toujours nommée Miss Dexter) que nous comparerons sans aucune peine à la fiancée de Pierre Foglia. Une femme qui n’hésite jamais à replacer son mari sur la bonne voie par un commentaire assassin bien placé. Et l’auteur de se laisser descendre par sa bien-aimée à même les pages de son gagne-pain. Si c’est pas de l’amour…

C’est plus fort que moi, chaque fois que j’écris sur Dexter, je deviens gaga et j’écris tout croche. Mes pires textes pour mon auteur favori. Je redoute le moment où j’aurai lu tous ses livres. Je me demande bien ce que je ferai après.

Troublants de vérité, drôles à mourir et définitivement trop peu nombreux, ces textes de Dexter sont des morceau d’anthologie qui étalent le talent immense de l’écrivain. Avec une concision renversante, Dexter nous emmène en voyage à grands coups de trois pages. Des textes comme ça j’en aurais pris tous les matins de ma vie.

Alligator Strip, de Chris Haslam


(Alligator Strip, 2005)
Du Masque, 2008, 324 p.

Le titre et la présentation visuelle on fait ressortir ce titre du lot des nouveautés de l’été, du moins en ce qui me concerne. On annonçait en quatrième de couverture une histoire écrite dans un « style dévastateur », avec une « fantaisie fort peu correcte » et un « humour féroce ». Bien que ce soient là des commentaires dont on commence à abuser pour vendre, il n’en reste pas moins qu’à chaque fois, je me dis que ça pourrait être vrai et qu’il serait fâcheux de passer à côté.

J’avais d’autant plus envie de lire ce roman qu’il se passe dans la Floride swompeuse des ploucs pour qui un fusil et un camion sont aussi essentiels qu’à un joueur de base-ball sa chique de gomme et ses stéroïdes. J’espérais retrouver, bien que dans une autre forme, la Floride que je venais de lire précédemment dans le très prenant « Paperboy » de Pete Dexter.

Je suis encore jeune. J’ai toujours un certain droit à l’erreur.

Je me suis rendu compte que les histoires de ploucs en camisole sale qui écoutent du George Jones dans le tapis, c’est un style en soi et qu’on aurait tort de déroger des classiques, afin de ne pas tomber dans le cliché. Quand Harry Crews, qui a été élevé en Georgie par un beau-père violent, mets en scène de tels personnages, on y croit à fond. Mais quand c’est un auteur anglais qui s’en mêle, auteur qui sera peut-être allé passer un deux-trois mois en Floride pour le repérage, qu’on me permette de douter de la pertinence de l’entreprise.

En gros, Alligator strip raconte l’histoire de Martin Brock, un arnaqueur anglais qui se retrouve en Floride pour collaborer à une entreprise de trafic de pièces de monnaie de collection. Sur son chemin, il rencontre Brad, le redneck cliché parfait (du moins, vu par un anglais) qui s’en va tout droit tuer son ex-fiancée. Brock se retrouve mêlé à l’histoire, et tombe amoureux de la fille en question, Sherry-Lee. Et ça tournera mal, bien entendu, et tout le monde se jouera dans le dos, et même que la nature se mettra de la partie.

Ça me tue, parce que le livre a somme toute bien fini. J’aurais presque aimé que la fin soit pourrie pour justifier mon propos, mais c’était moins pire que je ne l’appréhendais. Quoiqu’il en soit, pas assez quand même pour valider le reste du livre, qui se perd en anecdotes et parenthèses impertinentes qui ralentissent considérablement le rythme de l’histoire. De sévères coupures auraient pu rendre ce roman entraînant, coupures tant dans l’action que dans le langage soit-disant dévastateur de Haslam. Merde. Qu’on arrête de me dire que tel nouvel auteur est redoutable de cynisme, que son humour noir fait grincer des dents, ou pire encore, qu’il est tellement politiquement incorrect. C’est pas si difficile d’être drôle, cynique, baveux, ou quoi encore. Le faire dans les limites d’une histoire qui se tient devrait être un sérieux minimum requis. Haslam donne l’impression d’avoir des sueurs si cinq lignes se sont passées sans punch, figure de style éclatée ou réplique cinglante. Respire. Coupe dans le gras. Et relis ton histoire, voire si c’est encore intéressant.
Je ne suis pas particulièrement fan d’humour anglais. Pas dans le sens que je n’aime pas ce genre d’humour, mais plutôt que je ne m’y attarde pas tant. Mais j’ai quand même assez souvent ri british pour savoir que l’humour de ce roman fait bien piètre figure à côté des Monty Python. Et j’ai assez lu d’auteurs américains pour savoir que les histoires de swompe, vaut mieux les laisser aux swompards.

dimanche 2 novembre 2008

Dubé à la belle étoile














Gilbert Dubé constata qu’il n’avait jamais réellement pris le temps de regarder le ciel nocturne. Pour la première fois de sa vie ce soir, à quarante-sept ans, il allait passer la nuit à la belle étoile. Le fait qu’il repose dans un conteneur à déchets avec les articulations broyées devait cependant rompre quelque peu le charme de cette première expérience.

Dubé était un professionnel de la viande, il avait la vocation. Jamais n’avait-il rêvé dans sa jeunesse d’être pompier, joueur de hockey, et encore moins vétérinaire. Il avait grandi en voyant son grand-père dépecer des bêtes, et le métier s’était installé en lui avec un naturel qu’il ne pouvait raisonner. Il en était arrivé à comprendre et respecter chaque morceau qu’il découpait ou emballait. Un jour, il aurait sa boucherie à lui, mais pour l’instant, il officiait au comptoir viande du Super C de la Place Belvédère. Pas l’idéal, mais il arrivait quand même à y trouver son compte. Tant qu’il se concentrait sur la viande.

Depuis un certain temps, Dubé avait remarqué que des actes de vandalisme étaient commis sur son territoire. Rien de bien grave, mais juste assez pour entraîner un gaspillage considérable. Les vandales semblaient avoir une préférence pour la viande hachée, les steaks épais, et les poitrines de poulet. Il ne lui était jamais arrivé de les prendre sur le fait, mais il avait déduit que les malfaiteurs s’amusaient à enfoncer leurs poings dans la viande. On décelait clairement des traces de doigts dans le steak haché. Tout cela aurait presque été drôle si l’un des deux ne portait pas un genre de bague gigantesque, assez pour déchirer le plastique et imprimer sur la viande le mot ROCK, à l’envers.

Bien sûr, une épicerie si mal foutue, dans le centre d’achats déprimant d’un quartier mal fâmé de la ville, ça collectionnait son lot de vandalisme, même que ça venait parfois des employés. Sans compter les nombreux vols, on retrouvait régulièrement des bouteilles de shampooing vidées par-terre, de la viande cachée loin derrière des boîtes de céréales, des étalages complets de boissons gazeuses auxquelles on avait simplement dévissé le bouchon d’un tour, même qu’on avait déjà retrouvé de la merde dans une allée. Dubé avait toujours considéré ces actes avec une certaine distance, mais dans la situation présente, c’était comme si on s’adressait directement à lui. Voilà qu’il travaillait maintenant sur le qui-vive.


Alors qu’il s’apprêtait à balancer dans le conteneur à déchets une dizaine de paquets rendus invendables, il s’était risqué à y enfoncer son poing. Un superbe bifteck de surlonge d’un pouce et demi d’épaisseur qui valait plus de dix dollars. Juste pour voir. On peut dire que cet excès de curiosité marqua un point tournant dans la vie de Dubé. Il ne s’était pas attendu à tant de chaleur, bien que la viande soit encore froide. Il avait gardé son poing enfoui dans le steak en fermant les yeux, avant de l’en retirer. Puis de recommencer. Encore et encore. Bien que, d’un point de vue professionnel, il désapprouvât ardemment cette pratique, il pouvait maintenant dire, le poing enfoncé dans la viande, qu’il voyait où les vandales voulaient en venir. Il avait lançé le steak dans le conteneur pour recommencer avec chaque morceau. Il comprenait la satisfaction que procurait cette pratique douteuse. De toute sa vie, il n’avait jamais frappé quelqu’un pour la peine, mais il était convaincu que l’effet réconfortant de la viande équivalait un peu celui d’enfoncer son poing sur la gueule d’un adversaire. Et le fait que la viande ne risquait pas de risposter était non-négligeable.

Dubé restait vigilant, surveillait les mains de chacun de ses clients, à la recherche de la bague ROCK. Bien qu’une telle décoration se remarque plutôt facilement, Dubé sentait qu’il n’arriverait à rien en restant confiné derrière son comptoir. Il étendit son périmètre en allant traîner dans les allées. Son acharnement fut payant après peu de temps, et c’est son oreille qui le mit sur la piste. Grâce à un claquement de mains sonore propre à deux jeunes garçons qui se croisent par hasard, Dubé devinât qu’il avait son homme. Le smack hermétique était serti d’une pointe métallique – deux bagues qui s’entrechoquent – et le boucher se retrourna aussitôt, ayant tout compris avant même d’avoir vu. Eût-il été dans un film, on aurait eu son regard frondeur en gros plan. Le porteur de la bague était un grand mince habillé de noir, avec le crâne rasé. Et son ami, lui, tout petit, était vêtu aux couleur de l’épicerie. C’était l’un de ces jeunes commis comme il en passe tant et qui gardent rarement leur boulot plus de quelques mois. Dubé pensait qu’il était prêt pour l’affrontement, mais il fût assailli d’une incommodante bouffée de chaleur, et tenta de contrôler les tremblements qui envahissaient ses membres. Il retourna aussitôt derrière son comptoir en se traitant de tous les noms.

Après qu’il eût découvert les nouvelles vertus de la viande, les pratiques de Dubé s’étaient raffinées. Il avait d’abord commencé par arriver une vingtaine de minutes plus tôt au travail. Il était responsable, tous les matins, de l’ouverture de la boucherie. On ne venait le relayer que vers dix heures. Tôt le matin, tout le monde était occupé à ses affaires, et Dubé s’enfermait dans la chambre froide pour boxer les quartiers de viande suspendus. La sensation était plutôt différente. Une viande plus ferme, certes, mais qui offrait la possibilité d’avoir les mains libres. Il était même allé jusqu’à trouver sur internet des vidéos de boxeurs, et il apprenait chez lui le soir des mouvements qu’il répétait le lendemain matin. Cependant, la température de la chambre froide prenait inmanquablement le dessus et Dubé en ressortait frigorifié à chaque fois.

Il avait entreprit de rapporter chez lui de la viande sur le point de périr. Bien qu’il aurait hésité à la manger, même bien cuite, ses poings, eux, ne faisaient pas la différence. Il se défoulait le soir, et rapportait la viande le lendemain, incognito, pour la balancer dans le conteneur à déchets. Puis il se mit à manger les meilleurs steaks de sa vie alors qu’il prit l’habitude de voler de la viande fraîche du jour, qu’il pétrissait une bonne demi-heure avant de la faire cuire.

Dubé en était arrivé à faire le raisonnement suivant : si la viande évoquait si bien la chair humaine alors qu’il la frappait, n’en irait-il pas de même s’il la caressait? Vieux-garçon confirmé, il avait depuis longtemps fait une croix définitive sur ses besoins de tendresse, croyant bien pouvoir s’en passer. Bien qu’il ait été perplexe et qu’il se soit senti observé les premières fois, il en vint rapidement à désirer sa viande et à se mettre de côté durant la journée des morceaux qu’il jugeait idéaux pour ses activités masturbatoires. Au début, sa préférence allait à la viande hachée, dans laquelle il s’introduisait chaque fois avec un soupir de satisfaction, malgré le coup de froid qui l’envahissait. Puis ce furent les steaks, qu’il maltraitait d’abord pour ensuite se faire pardonner en les faisant glisser partout sur son corps. Il terminait en beauté avec le barbecue, où il faisait griller les pièces qu’il avait assaisonnés de façon bien personnelle. Un soir, épuisé, il était tombé endormi avant même d’en arriver à la cuisson. Il avait retrouvé la viande le lendemain matin sur la table, à température pièce, et s’était aussitôt relancé dans une séance torride. Il avait atteint de nouveaux sommets et en était resté tout chose durant une bonne partie de l’avant-midi, au travail. C’était plus tard dans la journée, après avoir repris ses esprits, qu’il avait enfin identifié le ROCK et le commis, en étant incapable de leur faire face.


Il entreprit de coller le train au petit commis dont il ignorait le nom. Ce dernier lui jetait maintenant d’étranges regards. Il n’en fallait pas plus pour confirmer à Dubé qu’il tenait son homme. Un soir, il attendit que le petit soit sorti de la salle des employés pour revêtir manteau noir, casquette et lunettes de soleil. Il se dépêcha pour le rejoindre.

Plutôt que de prendre la sortie qui menait directement à l’extérieur, le petit passa par le centre d’achats et bifurqua vers l’accès au stationnement sous-terrain. Dubé se maudit de ne pas avoir évoqué l’éventualité d’une poursuite automobile. Arrivé au bas des marches, il ralentit le pas. Bien que la Place Belvédère bénéficiât d’un stationnement extérieur et d’un sous-terrain, il n’en restait pas moins que ces deux espaces étaient davantage le résultat d’un excès d’optimisme des promoteurs qu’une réelle nécessité. C’était la Place Belvédère, merde, pas le Carrefour de l’Estrie, et l’achalandage et les voitures étaient trop peu nombreux pour qu’il puisse se dissimuler aisément. Dubé se dirigea vers une Civic et se cacha derrière.

Il entendit des voix, puis le claquement de main avec la pointe métallique. Les mots lui parvenaient de façon indistincte et après peu de temps, des effluves de marijuana flottèrent jusqu’à lui

Assis par terre, adossé à la voiture, Dubé se répétait les mouvements qu’il avait pratiqués sur les quartiers de viande. Tout semblait si simple. Il entendait la discussion des deux vandales sans vraiment pouvoir déceler d’indice. Il devait les approcher. Trouver un moyen. Il retira ses lunettes fumées, qui ne lui étaient d’aucune aide dans l’obscurité du stationnement. Il les fourra dans la poche intérieure de sa veste et se leva. Une main se posa sur son épaule.

⎯ Besoin d’aide, monsieur le boucher? fit le commis en restant derrière lui.
⎯ Eh? Ben non, ben non. Je cherchais mes clés.
⎯ T’as un char? Je t’ai toujours vu marcher, me semble.
Le plus grand avait fait le tour du véhicule et lui faisait maintenant face.
⎯ C’est pas gentil d’espionner les gens, continua le petit commis.

Il avait toujours la main sur son épaule, et Dubé le sentait respirer dans son cou. Son regard se dirigeait sans le vouloir sur le ROCK qui brillait devant lui. La main qui le portait couvrait l’autre refermée en poing. S’il s’était pratiqué à frapper la viande, Dubé avait omis l’aspect discussion de son entraînement. Et force lui était de constater que la répartie n’était pas son point fort.

⎯ Je passais par icitte. Juste de même.

La main sur son épaule se resserra, et le ROCK s’imprima aussitôt dans le gras de son ventre, puis sur son visage alors qu’il se penchait en accusant le coup. On lui laissa le temps de souffler, mais pas assez à son goût. Juste le temps nécessaire pour cracher une dent devenue agent libre. On lui avait retiré sa casquette. Toujours plié en deux, sa tête était maintenue vers l’arrière par le petit qui lui tirait les cheveux. Un genoux sur la gueule lui fit perdre tout espoir d’une dentition saine. Un autre genoux dans le dos le fit s’accroupir par terre, comme s’il implorait le pardon, mais la parole était maintenant vaine. Même s’il avait été capable de parler, il n’aurait su quoi dire en restant digne.

Dubé attendait de s’évanouir. En fait, il aurait aimé porter au moins un coup, histoire de confirmer ou non son impression, par rapport à la viande et la chair humaine. Il ne distinguait plus rien des coups de pied et de poing qu’on lui assénait et la douleur vive se transforma en état second. Les deux vandales faisaient leur travail en silence, et Dubé pensa qu’il aurait préféré se faire insulter en même temps. Un coup parti…

Il trouva enfin un répit bien mérité. Ses agresseurs semblaient discuter, mais lui n’entendait qu’un bruit sourd de son oreille libre, l’autre reposant par terre, prise en succion dans une flaque de sang qu’il devina être le sien.

Il se crut sauvé alors qu’on le souleva de terre. Probablement le plus grand qui le prenait sur ses épaules. Dubé se sentit tanguer, puis accusa un sévère coup alors qu’on le relâchait sur le sol. « J’peux pas le traîner tout seul de même, crisse, aide-moi donc. » entendit-il. Puis il sentit ses bras et ses jambes tirer, comme si ses membres voulaient quitter son corps. À son dos qui frottait l’asphalte rugueuse, Dubé comprit qu’on l’emmenait ailleurs. Ils avaient au moins la décence de ne pas le laisser croupir au fond d’un stationnement sous-terrain. Touché par le geste, il s’abandonna, mais la lumière du jour le ramena à sa triste réalité. Les yeux vers le ciel, il se laissa traîner le long du centre d’achats, du côté qui donnait sur le parc. Le trajet ne se fit pas sans heurts. Le chemin cahoteux et les branches qui lui fouettaient le visage lui confirmèrent que les vandales n’empruntaient pas un passage usuel.

Dix minutes, deux heures ou trois jours, Dubé n’avait pas la moindre idée du temps qu’il avait passé jusqu’à maintenant dans cet état. Pas plus qu’il n’avait conscience de ce qui se passait avec son corps, mises à part les cigarettes qu’on lui écrasait à divers endroits, le front, les mains, sous le menton. Celle qu’on lui mit dans l’oreille le fit hurler quelques secondes, le temps qu’une main se pose brutalement sur sa bouche, et qu’un coup de pied au flanc vienne faire diversion. L’un des deux agresseurs retira un bas de son pied et le lui enfonça dans la bouche en l’avertissant qu’il n’était pas bon de déranger ainsi le voisinage, qu’il y avait des enfants à proximité et que c’était là une conduite inadéquate, monsieur le boucher.

Dubé fût étendu sur un lit de branches. Il supposa qu’ils étaient dans le boisé du parc, dans ces repaires douteux où des jeunes venaient régulièrement et laissaient des corps morts de fêtards. Il se réjouit en sentant poindre la noirceur. Il pensa au sang qu’il avait perdu, aux dommages qu’on lui avait infligés, et se demanda pourquoi il était toujours en vie, ou du moins pourquoi il était toujours conscient. Les cigarettes se succédaient et ne lui faisaient désormais plus aucun effet. Il essaya de pleurer, mais n’y parvint pas. Il fut laissé seul avec l’un des deux pendant un temps, et quand l’autre revint, Dubé entendit « C’est bon », puis se sentit à nouveau soulevé de terre.
⎯ Attend, entendit-il.
⎯ De quoi?
⎯ Juste pour faire sûr.

On le reposa face par terre, et Dubé sentit son poignet se poser sur un billot de bois. Davantage par le bruit que la douleur, il sut qu’on lui cassait le bras à l’articulation. Ces gars-là ne devaient pas s’en remettre qu’à la viande du supermarché pour leur entraînement, pensa-t-il. C’est dans un état de désolation totale qu’il constata que l’opération se répétait pour son autre bras, puis les jambes, pour lesquelles ils eurent plus de difficulté. Dubé aussi.

Alors qu’on le portait par ses membres désormais inutiles, Dubé, pourtant peu porté sur la religion, priait tous les saints de l’histoire qu’ils le fassent s’évanouir, s’ils étaient trop pourris pour venir le sauver.

L’odeur qu’il percevait lui était familière. Sans réellement arriver à la définir, considérant en plus que son odorat devait être sérieusement déréglé, Dubé éprouvait néanmoins un certain sentiment de terrain connu. Une fois acclimaté, il fut capable, sinon de la cibler, du moins de la qualifier. Une odeur rance et colorée, infecte, en fait.

Il se sentit à nouveau soulevé de terre, et c’est sans aucune délicatesse que Dubé fût hissé en hauteur. Il balança violemment par-dessus une rambarde, et c’est à l’amortissement coussiné de sa chute qu’il devina qu’il se trouvait à l’intérieur du conteneur à déchets, à l’arrière de l’épicerie. Il entendit des pas s’éloigner, puis d’autres, plus menus et sournois, s’approcher de lui. Ce furent d’abord des chatouillements qui le firent s’exciter. Puis des morsures, que Dubé commença à trouver fort inconvenantes. Au moins à une dizaine de reprises, il tenta d’éloigner les bestioles pour se rappeler qu’il ne valait guère mieux qu’un pantin sans ficelles.

Il constata qu’il n’avait jamais réellement pris le temps de regarder le ciel, la nuit. Il s’en voulut de ne pas s’y être attardé plus tôt dans sa vie. S’il devait s’en sortir, il aurait amplement le temps de le regarder, le ciel étoilé. Cette idée lui leva le cœur. Il tourna la tête de côté et fût incapable de projeter son vomissement comme il l’aurait voulu. Quelques bestioles affluèrent. Il ne lui restait maintenant plus qu’à attendre. Les secours, ou la collecte des déchets. À ce point, il lui était bien difficile de dire lequel des deux il préférait.


Michel-Olivier Gasse © 2008

Allergies


J’avais attendu le dernier voyage pour apporter Billie. À l’intérieur de l’appartement, Benoit me regardait d’un air surpris, au milieu du fouillis causé par les nombreuses boîtes qui encombraient le plancher du salon.

⎯ Tu m’as pas dit que t’avais un chat…
⎯ Ah? Ben voyons donc, j’suis certain de t’avoir dit ça.
⎯ Non.
⎯ Bon. Ben, t’es-tu allergique, quelque chose?
⎯ Non. Tu me l’avais pas dit, c’est toutte.

Et comme pour se venger, deux semaines plus tard, il était arrivé avec un bébé Schnauzer nain. Une vraie tornade, Billie en était restée cachée dans la chambre quelques jours. Je pris rapidement l’habitude de lui botter le cul, au chien. Rien de trop acharné, juste bien placé. Laïka, qu’elle s’appelait, du nom du premier chien qui était allé sur la Lune.

⎯ Pis toi, Billie, t’as pris ça où? La toune de Julie Masse?
⎯ Ta gueule, c’est pour Billie Holliday.
⎯ Maudit bel hommage. À va être contente.

L’appartement que Benoit avait tenté d’arranger zen durant les deux dernières années fut rapidement balayé de toute possibilité de recueillement. Le blanc immaculé des murs disparut derrière les bibliothèques et affiches que je posais par pur réflexe depuis trop longtemps. Une fois que les livres furent placés sur les tablettes et les disques rangés au bon endroit, Benoit dût concéder qu’au fond, le bordel était moins pire qu’il ne l’avait imaginé. Seulement, l’appartement était plus « rempli ».

⎯ Tu pensais pas que ça se viderait un peu en accueillant un coloc, j’espère…
⎯ C’correct, c’est juste… c’est ça, plus rempli. Et il regardait autour de lui, comme le chien et comme le chat, pour assimiler son nouvel environnement.

Nous allâmes dans sa voiture de location acheter quelques plantes, dont une assez grosse qui me plaisait bien, qui se renversa sur le siège arrière quand Benoit prit un virage dans lequel il avait jugé intelligent d’accélérer.

Revenus à la maison, nos deux enfants nous attendaient comme si nous avions été partis deux semaines sans donner de nouvelles. Du stationnement, on entendait le cri du cœur de Laïka depuis sa cage installée dans la salle de bain. Elle avait parti sa plainte au moment même où nous l’avions mise derrière les barreaux, et nous nous étions dit que ça passerait assez vite, qu’elle s’endormirait, quelque chose du genre.

⎯ Elle a pas arrêté. Pas une minute.

Madame Boucher, propriétaire. Nos sourcils s’arquèrent derrière les plantes que nous transportions. Benoit s’excusa et hâta le pas vers l’escalier. Il ouvrit la porte et les pleurs se firent plus intenses, pour ensuite céder la place à des gémissements de joie, de la part des deux intéressés. Madame Boucher avait suivi comme moi la scène d’une oreille attentive et soupira un bon coup en entendant Benoit faire « bennonbennonc’estcorrectpopaestlàbennonbennon… ». Le calvaire de tous s’achevait enfin. Madame Boucher me fit comprendre que sa sieste avait été sabotée. Et qu’en principe, les animaux étaient interdits dans l’immeuble. C’est le moment que Billie choisit pour grimper à la fenêtre ouverte de la salle de bain et miauler dans ma direction.

⎯ J’vas passer le message, lançais-je doucement à la propriétaire en amenant le feuillage à la hauteur de mon visage.

Le chien n’apprenait pas sa leçon. Benoit avait l’avantage le matin en quittant vers 7h30. Il évitait ainsi d’avoir à mettre le chien en cage et de virer émotif devant la bête qui s’arrache les larmes. Cette tâche me revenait donc, lorsque je quittais, et je l’accomplissais avec beaucoup plus de détachement. Je préférais grandement avoir à me battre dans la journée que de revenir à la maison le soir, entendre la bête chiâler au loin, dire « ouiouioui » à la propriétaire, « bennonbennonbennon » à Laïka et endurer l’inévitable flot d’affection qu’il fallait subir pour l’avoir ainsi délivrée.

En peu de temps, le vieux tapis gris du hall d’entrée fut constellé de cernes causés par la pisse du chien, trop heureux de sortir enfin de prison. Nous avions beau frotter – je dis « nous », mais je me fis un grand plaisir de me sentir moyennement impliqué dans l’affaire – les cernes restaient et incitaient le chien à continuer, une habitude qu’il finit par prendre à n’importe quelle heure du jour. De son côté, Billie s’était emparée de la grosse plante, profitant du vaste espace de terre et du tronc dégagé. J’avais gardé cette découverte pour moi. J’étais même allé jusqu’à changer une partie de la terre, mais il n’y avait rien à faire. Je masquais régulièrement l’odeur à grands coups de vaporisateur sent-bon directement sur la plante.


Ainsi, Benoit en vint à développer une sérieuse rigueur vis-à-vis le ménage. Il était rare que j’entreprenne ce genre d’activité par moi-même, mais lorsque la fièvre lui prenait, je l’aidais volontiers. Lors de ces corvées, nous foutions la musique à fond et frottions tout ce qui pouvait se trouver sous nos mains. Le problème, avec la musique, c’est que Benoit ne jurait que par l’électro-industriel et le métal, alors que j’étais un amateur de jazz, de rock et de country. J’avais rarement droit de cité comme DJ. Heureusement que l’électro-industriel fournissait un rythme constant et éffrené, en plus d’inciter à faire vite, histoire que ça finisse. Benoit était un amoureux de la technologie et s’était équipé, au fil des ans, d’un impresionnant système de son hi-fi, des marques dont je n’avais jamais entendu parler. Le lecteur cd était une toute petite boîte et, outre la commande on/off, aucun bouton n’y figurait. Une beauté toute simple que l’on opérait via la télécommande.

Je ne pus m’empêcher de me payer la gueule de Benoit lorsque je revins au salon après avoir nettoyé la cuisine. La pièce resplendissait, même si un mince filet d’urine nous parvenait toujours. Au milieu du salon impeccable trônait la longue table basse, généralement encombrée d’objets divers. Mais après le ménage, elle était complètement vide, mises à part les quatres télécommandes nécessaires au fonctionnement de la télé, du lecteur dvd, de l’amplificateur et du lecteur cd, chacune étant parfaitement enlignée sur les quatre lattes de bois qui formaient la table. Assis dans le fauteuil principal, l’usager n’avait qu’à étirer le bras de son choix pour avoir accès aux commandes du divertissement. Un sommet d’ordre et de symétrie.

⎯ Pourquoi tu ris?
⎯ Ben là, les télécommandes…
⎯ Qu’est-ce qu’y a?
⎯ C’est pas un peu freak, de les placer de même?
⎯ Sont ben correctes.
⎯ D’habitude tu les mets sur la tablette, à côté.
⎯ Mais pas quand je fais le ménage.
⎯ Ah. Pis combien de temps tu penses qu’elles vont rester enlignées là, tes télécommandes?
⎯ Je le sais pas. C’est comme un moyen de faire un reset, de repartir à zéro. Ça serait le fun que ça reste de même un boutte, en tout cas.
⎯ Compte pas sur moi pour ré-enligner tes télécommandes après usage. Tant qu’à mettre une affaire sur la table, je mettrais un beau livre, j’en ai plein.
⎯ T’es ben fatigant, coudonc? C’est mon système de son, pis c’est mes manettes qui vont être sur la table, c’est toutte.
⎯ C’est laitte, des manettes.
⎯ C’est ta mère, qui est laitte.

******

Cet été-là, je tombai en amour au cours d’un voyage en gaspésie avec des amis. Je rencontrai Catherine le soir de notre arrivée à Sainte-Anne-des-Monts. Nous passâmes la soirée ensemble avant que nos itinéraires nous obligent, le lendemain, à repartir en directions opposées. Une semaine plus tard, aussitôt arrivé, je l’avais appelée. En très peu de mots, nous nous étions confirmés ce que nous pensions déjà dès notre première heure. En revenant chez elle à Québec, elle avait appelé son copain pour le quitter. Avant de me parler. Cette nouvelle me renversa. Les coups de foudre n’étaient donc pas une légende urbaine. Et c’est à moi que ça arrivait. Nous restâmes confiants, malgré les quelques heures de route qui nous séparaient. Nous trouverions bien une façon de nous arranger.

Quelques jours après, je terminais tranquille un ménage de cuisine – Benoit avait fait sa part en vitesse avant de partir pour le week-end avec son frère au chalet – quand un soupir attira mon attention. Je me retournai et vis Catherine appuyée au cadre de porte.

⎯ Kess-tu fais, beau garçon?

Elle portait un foulard vert dans ses cheveux roux, de jolis pendentifs aux oreilles, un chemisier blanc sans manches d’où se dégageait une fine odeur de transpiration, une ample jupe brune qui venait toucher ses botillons, qu’elle avait enfilés avec des bas de laine. Nous nous tombâmes aussitôt dans les bras et je l’emmenai rapidement à ma chambre. Elle avait fait le trajet sur le pouce et, je le constatai de mes doigts curieux, sans culotte. Je ne pus tenir très longtemps.

⎯ Arrête de t’en faire de même, maudit. Vois ça du bon côté…
⎯ Ah! C’est quoi, ton bon côté?
⎯ Ben, si on a fini plus vite, on va pouvoir recommencer plus vite.

Nous avons recommencé. Dans la chambre. Puis au salon.

⎯ Ayoye, c’est toujours propre de même, votre appartement de garçons?
Elle sembla réfléchir un instant, maintenant que la tension était retombée.
⎯ Mais ça pue, par exemple. Ah! T’as un chien?
Laïka émergeait de sa sieste dans le halo de soleil derrière les plantes du salon.
⎯ C’est le chien de mon coloc. Moi j’ai un chat.
⎯ T’es sérieux?
⎯ Oui. T’aimes les animaux?
⎯ Pantoute. Je suis allergique.
⎯ Moi aussi, mais si je me lave les mains souvent, ça passe.
⎯ Non, tu me comprend mal, mon homme, je suis allergique en crisse.

******

⎯ Il va falloir prendre des mesures…
⎯ Des mesures? Du genre?
⎯ Elle était chez vous? C’est toi qui a des animaux?
⎯ Oui.
⎯ Elle pourra pas retourner chez vous.
⎯ Ben là… Jamais?
⎯ Sauf si tu déménages pis que tu te débarasse de tes animaux. Pis de ton linge. T’as plein de poil sur toi, là, merde, tu devrais même pas être à côté d’elle dans la chambre. On niaise pas avec ça, mon gars, ta blonde est allergique pis gravement asthmatique.

Je venais de le constater de force. Nous avions dû partir d’urgence pour l’hôpital à peine quinze minutes après notre dernier ébat. J’avais d’abord pris les choses à la légère. On pourrait prendre une marche et régler le problème. Mais Catherine avait commencé à blêmir, et sa respiration devenait de plus en plus mince. Par réflexe, je lui avais demandé si elle voulait aller à l’hôpital et elle avait fait oui d’un signe de tête. Surpris que le problème puisse être aussi grave, j’appelai un taxi et l’aidai à sortir. Elle avançait par petits pas et s’agrippait à mon bras jusqu’à me faire un peu mal. Au bord du chemin, Catherine fermait les yeux et se concentrait pour respirer, une main toujours accrochée à mon bras, et dans l’autre, tremblante, sa pompe dont elle tentait de ne pas abuser.

Dans la salle d’attente, nous étions assis, moi adossé à ma chaise, Catherine repliée sur ses genoux. Quand l’infirmière me fît signe, je chuchotai à Catherine de se lever, mais c’était devenu impossible. Elle pleurait et restait barrée dans cette position en cherchant son souffle dans de profonds râlements. L’infirmière revint avec un fauteuil roulant. Un homme la prit dans ses bras pour la déposer sur la chaise et on l’emmena rapidement à une chambre. Et moi désolé, abasourdi sur ma chaise, me demandant après combien de temps, suite à une première rencontre, il était convenable d’informer l’autre de ses allergies ou de ses animaux de compagnie.

Je restai dans la chambre de Catherine malgré les invectives du médecin. La pauvre. Clouée au lit, un masque respiratoire couvrant la moitié de son doux visage, elle reposait, les yeux tantôt ouverts, tantôt fermés. D’un signe de tête, elle m’avait fait comprendre que je n’y étais pour rien, et qu’elle préférait ménager ses forces. Le médecin passait régulièrement par la chambre pour voir son état, et chaque fois, me semblait-il, son regard me renvoyait du mépris. « ON SE CONNAÎT PAS ENCORE!! JE POUVAIS PAS SAVOIR!!» avais-je envie de lui crier. Par son attitude, il venait balayer la magie de notre début de journée, que dis-je, de relation.

Assis sur une chaise inconfortable, je tenais la main de Catherine, déposais des baisers sur son front, ou bien je me levais pour regarder distraitement à la fenêtre. Quand le médecin vint délivrer Catherine de son attirail de survie, il l’avertit de ne ja-mais remettre les pieds chez moi. S’il n’avait pas été en service, peut-être m’aurait-il craché dessus, l’animal.

Nous marchâmes le long trajet qui nous ramenait chez nous. Catherine me disait qu’il ne fallait pas trop s’en faire.

⎯ Mais tu viens presque de me mourir dans les bras…
⎯ Ben non, c’était pas si pire.
⎯ Ça t’es arrivé combien de fois, une affaire de même?
⎯ Deux, trois fois. Quand j’étais petite.
⎯ (…) Fait que, ça marchera pas finalement? Je veux dire, ça serait con que tu couches chez nous, hein?
Elle me regarda avec des petits yeux.
⎯ C’est poche…
⎯ Vers quelle heure tu veux partir?
⎯ On va aller ramasser mon sac pis on appèlera au terminus.
⎯ Je vais appeler pour toi. Tu resteras sur le balcon.
⎯ Les nerfs, le clown, je suis pas en quarantaine.
⎯ Ouin, mais le médecin…
⎯ Fuck le médecin.

Nous arrêtâmes au parc pour fumer un joint. Son amour du hashich était plus grand que son désir de santé. Nous y sommes restés un temps, étendus dans l’herbe, jusqu’à ce qu’un chien qui passait par là vienne lui lécher le visage. Elle se releva en criant. Je riais. J’avais déjà oublié.

Nous sommes retournés vers l’appartement. Je fus surpris de ne pas entendre Laïka se plaindre, en arrivant. Avait-elle soudainement appris à se comporter en adulte? Je constatai le bordel sur le plancher en insérant la clé. Le contenu des poubelles couvrait le prélart blanc. Nous sommes rentrés en trombe et j’étais prêt à botter le cul de cette saleté de chien. Je criai son nom. Des plantes renversées dans le salon. Des vinyles mâchés. Plus aucune télécommande sur la table basse. Je me penchai pour en ramasser une. Détruite à grands coups de petites dents. Et Laïka qui gisait, raidie, dans un reste de rayon de soleil, derrière les plantes du salon. Du revers de la main, je tassai Billie qui la léchait obstinément.

⎯ Laïka! Laïka toutou! Allez, beau chien, debout, allez!

J’en étais rendu à l’agripper par le poil, à la cogner contre le sol. Des morceaux de télécommande étaient parsemés autour du cadavre. Je pensai à me laver les mains en entendant Catherine derrière moi reprendre ses allergies. Mais elle pleurait. Je m’approchai pour la prendre dans mes bras, tout en les gardant étirés, pour ne pas la contaminer.

⎯ Qu’est-ce qu’on fait?
⎯ On va appeler le teminus, je vais aller te reconduire, pis je vais revenir torcher l’appart.
⎯ Pis le chien, tu vas le laisser là?
⎯ Ben là…
⎯ Faut l’enterrer.
⎯ (…)
⎯ Faire croire à ton coloc qu’à s’est sauvée.
⎯ Mais y va voir sa manette.
⎯ On lui en achète une autre.
⎯ Y va s’en rendre compte.
⎯ Tu dis que tu l’as perdue.
⎯ Pas de bon sens.
⎯ Mais on peut pas laisser un cadavre de chien dans ton salon. Je pars pas d’icitte tant qu’il est pas enterré. Si y faut, c’est moi qui m’en occupe.

Nous avons attendu qu’il fasse nuit en errant dans la ville. Nous sommes allé acheter une pelle, avons mangé au restaurant, sommes allés voir un film, pour finalement revenir à l’appartement vers onze heures.

Je sortis Laïka du congélateur, où elle reposait dans un sac à poubelle. Catherine revint de ma chambre après avoir enfilé un chandail de laine qu’elle avait trouvé dans mon garde-robe.

⎯ C’est peut-être un peu casse-cou, par exemple?
⎯ De quoi?
⎯ Mettre un de tes chandails pleins de poils…

Son petit air désoeuvré me fit craquer, et de la voir ainsi, emmitouflée dans un de mes chandails, j’en oubliai le cadavre de chien qui m’occupait les bras.

⎯ C’t’une vieille affaire. Y devrait être clean, j’avais pas de chat la dernière fois que j’ai dû le mettre…

Elle haussa les épaules et sourit. Puis elle ramassa la pelle.

⎯ Bon. On s’attelle?
⎯ Let’s go. Mais crisse, je traîne ça comment, moi, un chien mort?
⎯ T’as pas un sac à dos?
⎯ Trop petit, y’aurait fallu plier le chien avant de le mettre au congèle.
⎯ À bras, d’abord.
Elle vint m’embrasser.
⎯ Envoye, on a pas fini.

Le court chemin entre la maison et le parc ne se fît pas sans stress. En plus de la pelle et du paquet, nous traînions un sac de couchage et une caisse de bière. Rien pour passer inaperçu. Nous avons trouvé un endroit retiré, derrière les arbres. Catherine a insisté pour pelleter. Je fumais et buvais, nerveux pour deux. Une fois le trou terminé, j’y installai la dépouille de Laïka, qui n’était presque plus froide. Nous y jetâmes les restes de télécommande, laissant Laïka reposer à jamais avec sa fatalité. Nous avons versé chacun une lampée de bière dans le trou, comme si c’était une coutume, puis je m’appliquai à tout remettre en place, alors que Catherine roulait un joint dans le noir. Nous l’avons fumé collés dans le sac de couchage, sur la tombe de Laïka.

Demain, j’irais reconduire Catherine au terminus. Il me resterait deux jours pour faire le ménage et inventer une histoire.

Je trouvai vite sommeil dans les bras de Catherine. Je dormais seul depuis trop longtemps.

Michel-Olivier Gasse©2008

Paperboy, de Pete Dexter




(The Paperboy, 1995)
L’Olivier, Petite Bibliothèque Américaine, 1996, 336 p.

Je ne sais pas pourquoi j’attendais. J’avais trouvé ce nouveau Dexter en usagé (2$, mort de rire) et il était là, sur le dessus de la pile de livres à lire, et je me le gardais, attendant le grand jour. Le grand jour n’est jamais venu, mais j’ai quand même fini par me déniaiser et m’y lancer, renforçant du coup ma conviction que Dexter est un immense écrivain, un monstre.

Les autres romans de Dexter que j’ai lu précédemment (God’s Pocket, Train, Deadwood) avaient tous quelque chose de prenant, quelque chose dans le ton, un cynisme violent mais sournois, une poésie de langage à la fois brute et sophistiquée. Dans tous les cas, c’était variable selon le ton que l’auteur donnait au roman, mais ici, je dois dire qu’au départ, je n’ai pas reconnu Dexter.
Il restait caché, attendant le bon moment pour le lancer la roche qu’il gardait entre ses mains, le salaud.

Les romans de Dexter sont tous de grands romans noirs. Des romans qui mettent en scène quelques personnages dont la vie va basculer, voire débouler, suite à tel ou tel événement. Suivent par après les péripéties et les concours de circonstance fâcheux, et les personnages se mettent à collectionner les cicatrices. Et comme je disais, alors que les autres romans annonçaient haut et fort le style de Dexter, Paperboy est abordé comme un roman noir de facture beaucoup plus classique. Du moins sur la forme. Pratiquement aucune émotion ne perce le jour de tout le long de ce roman relativement dense. Les personnages, pour la plupart avares de mots, communiquent plutôt mal entre eux. Les non-dits, les sujets laissés en suspens, les actions sur un coup de tête sont fort nombreux. Et le ton de Dexter dans tout ça reste impassible. Il peut bien raconter une scène de torture sur le même ton que s’il parle d’un homme seul qui se verse un verre de vin et se cale dans son fauteuil pour lire le journal.

L’histoire nous vient du point de vue de Jack James, un jeune de vingt ans assez réservé, qui fut nageur dans l’équipe de l’Université. Nous sommes en Floride, dans le comté vaseux de Moat, vers la fin des années soixante (du moins il me semble. Dexter campe toujours ses histoires dans un époque définie, mais sans vraiment le rappeler au lecteur à tout bout de champ. Je crois que c’est ce qu’on appelle Se concentrer sur ses personnages plutôt que de peindre le décor). Le père de Jack, W.W. James (World War, pour les intimes) est propriétaire de Moat County Tribune et ne vit que par et pour les journaux. Un homme froid et interdit, qui ne se rappelle même pas du nom de sa femme de ménage qui lui fait ses repas à chaque jour. Et le frère de Jack, Ward James, n’a pas encore la trentaine et est déjà un journaliste pressenti pour le Pulitzer. Son père en est grandement fier, même s’il travaille pour le Miami Times. James fait équipe avec Yardley Acheman, un journaliste aux grandes ambitions littéraires. Tous les deux forment une paire qui les mènera au Pulitzer. James enquête, Acheman écrit. James est réservé, préoccupé, Acheman est tête folle et boit de la bière pendant que son collègue enquête. Dexter, qui a été journaliste d’investigation avant de se lancer dans la fiction, se sert ouvertement d’Acheman comme bouc émissaire afin de taper sur le « nouveau journalisme », approche libre et peu rigoureuse du métier. Il avait déjà écorché le sujet dans God’s pocket.

Quoi qu’il en soit, l’équipe de journalistes se met à travailler sur le cas d’Hillary van Wetter, un péquenot de Moat County, qui purge son temps en prison après avoir été accusé du meurtre d’un shérif, lui-même responsable du meurtre du cousin de van Wetter. À l’aide d’une solide documentation fournie par Charlotte Bess, une femme dans la quarantaine qui s’est éprise du cas de van Wetter et qui est bien destinée à tout faire pour le sortir de prison et l’épouser, les deux journalistes se lancent dans un article qui présenterait un alibis pour van Wetter la soirée du meurtre, et tentent par le fait même de renverser un procès où les preuves ont été grandement négligées. Mais lorsque Acheman, las d’attendre la fin de l’enquête pour se mettre à écrire, décide de se lancer lui aussi en quête de faits et de preuves, ça commence à se gâcher. Chacun son métier.

Paperboy est un grand roman et comporte de nombreuses scènes mémorables. Mais ce qui frappe encore plus, ce sont les petits détails et les points que Dexter ne développe pas. Derrière un geste, une réplique ou une réaction, Dexter nous laisse nous même interpréter les émotions de ses personnages. Jamais n’aurait-il la prétention de vouloir prendre ses lecteurs par la main et leur dire quoi ressentir. Dexter est vif et intelligent et respecte ses clients. On finit de le lire, et on se sent un peu plus fort qu’avant.

Monsieur le Président, de Gabe Hudson




Mister President, 2002)
Gallimard, La Noire, 2004, 184 p.

Gabe Hudson a été réserviste dans le corps des Marines durant la guerre du Golfe. Tout porte donc à croire que les idées que l’on trouve dans ce recueil de nouvelles sur cette étrange guerre prennent assises sur des fondements tangibles. Admirablement écrits, ces textes révèlent davantage les effets secondaires du conflit sur les soldats plutôt que de nous donner des histoires de terrain. Problèmes psychologiques, problèmes de couple à l’heure du retour, problèmes liés aux expérimentations chimiques (ossature qui se désagrège pour l’un, une oreille qui pousse sur une côte pour l’autre), les nouvelles d’Hudson font un triste état des faits à l’issue d’une guerre qui n’aura pour ainsi dire servi à rien.

L’auteur vascille entre le réel et le fantasmagorique, si bien que nous ne savons pas toujours où nous situer par rapport à la réalité, entre la littérature et le récit de guerre. On espère à plusieurs reprises que certaines scènes soient le résultat de l’imagination débridée d’Hudson, tout en se gardant, quelque part, la conviction que tout ça serait arrivé pour vrai.

Les gros morceaux de ce recueil sont certainement la nouvelle titre, où un soldat vendu à la cause américaine (celui de l’oreille sur la côte) écrit au président lui demandant de raisonner sa femme, devenue hystérique depuis le retour de son mari et de sa nouvelle anatomie. Puis Notes Prises dans un Bunker le Long de l’Autoroute 8, la nouvelle la plus longue du recueil, et certainement la plus autobiographique. Le narrateur, féru de Yoga, a déserté sa troupe lors d’un combat, prenant la fuite avec un collègue ayant perdu un bras. Il tombe sur un bunker abandonné (mis à part les quelques chimpanzés qu’il y trouve dans des cages) dans le désert et s’y terre pour soigner son ami. Il se découvre une nouvelle vocation, et sort la nuit pour guérir les civils qui jonchent le chemin vers Bagdad. Le récit de cette aventure est entrecoupé de lettre que le soldat a reçu de son père, vétéran décoré de la guerre du Vietnam. Le père méprise la guerre dans laquelle son fils s’est embarqué et l’enjoint de quitter les rangs. En guise de protestation, il en fait une affaire publique et devient homosexuel et le restera tant et aussi longtemps que les troupes américaines occupreront l’Irak.

Sans contredit, un autre livre important qui est passé dans le beurre au moment de sa parution.

Le Chef-d'Oeuvre, de Sébastien Filiatrault


Stanké, 2008, 251 p.

Je suis pas peu fier de vous en parler, Le Chef-d’œuvre est le premier roman de mon ami, mais aussi le tout premier roman écrit par un de mes amis. J’avais eu la chance de lire une version manuscrite (manuscrite à l’ordi, si ça se dit) légèrement différente, mais ça fait assez longtemps que je ne m’en souviens plus. Mais là, de le lire entre deux couvertures cartonnées, ça change la dynamique de lecture pas à peu près, on peut le lire d’une main en mangeant à l’extérieur sans que tout parte au vent, ce qui, vous en conviendrez, est un bel avantage.

Le chef-d’œuvre en question, ce n’est pas le livre que vous tiendrez entre vos mains lorsque vous irez l’acheter chez votre libraire favori, mais bien celui que tente d’écrire le personnage-narrateur. Afin d’écrire un livre digne des plus grands titres de la littérature, il tente de faire en sorte d’être le plus malheureux possible, parce que c’est bien connu, on ne peut pas écrire un grand roman lorsqu’on a été bien élevé, bien nourri, aimé et logé toute sa vie. On ne peut pas remettre la condition humaine sur la sellette en ayant tout cuit dans la bouche. Ainsi, avec l’arrivée du printemps, il décide de se terrer dans son appartement et d’embarquer sur la grosse déprime sale.

Mais ne devient pas malheureux qui veut. Surtout si l’un des amis les plus proches est un bel étalon italien, fêtard et butineur, qui en vient à payer une prostituée à son ami, pour le désennuyer. Prostituée qui sera ensuite engagée pour briser le cœur du narrateur, peut-être serait-ce-là une tactique efficace au malheur. Mais bon, si tout fonctionnait du premier coup, il n’y aurait pas grand intérêt à écrire des livres.

Je m’arrêterai là pour ce qui est de vous décrire les actions, parce que Le Chef-d’œuvre est surtout un livre de langage. Pas de course folle dans une ruelle, pas de braquage de banque ou de road-trip qui fait découvrir le sens de la vie, les échappées et les dérapages se passent ici au niveau du langage qui est pour ainsi dire la soudure du roman, l’élément qui le rend pertinent et intéressant. On ne se cachera pas que le thème de l’écrivain en quête d’inspiration est à prendre avec délicatesse et peut facilement mener au désastre. Mais la langue de Filiatrault (signature personnelle ou essai de passage?) est imagée et enivrante. Heureusement, parce que traverser une quête de malheur dans un livre qui ne compte aucun dialogue aurait pû être décourageant. Mais les divagations colorées du narrateur, d’autant plus qu’elles s’insèrent dans de très courts chapitres, nous font naviguer d’une page à l’autre entre la surprise et la curiosité. L’auteur ne se gêne pas pour écorcher au passage ce qui lui semble plus joli avec des grafignes : les bourgeois, la consommation, les frais-chier du Plateau, l’environnement, name it, ils sont tous là, on peut pas sortir la contestation du gars, qui a étudié en sciences politiques et qui a très certainement déjà lancé quelques roches aux forces de l’ordre. Mais bon, on vieillit, et à défaut de casser des carreaux avec les pavés, on fait ouvrir les portes et les fenêtres à grands coups de mots.
Ce qui, vous en conviendrez, est un pouvoir qui ne s’acquiert qu’en travaillant.

Pastoralia, de George Saunders




(Pastoralia, 2000)
Gallimard, La Noire, 2004, 193p.

George Saunders est un auteur que je ne connaissais absolument pas. Je me suis fait donner le livre, j’ai été tenté parce que je trouvais la couverture jolie, et voilà, je ne connais pas vraiment plus George Saunders maintenant, mais j’ai au moins lu un de ses livres.

Pastoralia (je déteste les mots en –ia) est un recueil de nouvelles qui a beaucoup de potentiel. Seulement, il manque d’ardeur. De mon point de vue, le genre littéraire de la nouvelle se divise en deux parties distinctes. D’une part, la nouvelle réaliste. Celle qu’on se dit que c’est donc vrai ce qui se passe dans cette histoire-là et qui finit pas de punch, parce que c’est quand même rare qu’on va se coucher le soir et qu’il y a un punch. D’un autre côté, la nouvelle fantaisiste, celle où tout, mais absolument tout peut se passer. C’est souvent dans ce genre de texte que l’on retrouve une fin rentre dedans, une fin qui fait refermer le livre et accuser le coup.

Saunders se situe un peu entre les deux genres. Il nous sert des histoires qui se passent dans un monde tel qu’on le connaît, sans pour autant être régi par les mêmes règles morales. Ainsi, la nouvelle titre présente deux personnages qui travaillent dans un parc d’amusement qui représente les grandes étapes de l’humanité. Eux, ils sont à l’âge de pierre, ne doivent parler anglais sous aucun prétexte, et reçoivent par une fente entre les roches la chèvre du jour à faire griller, parfois un message endiâblé des patrons expliquant les nouvelles coupures, et souvent rien du tout. On a souvent envie de donner une claque derrière la tête du personnage, de faire quelque chose pour qu’il se réveille, mais ou bien il est idiot, ou bien il vit dans un autre monde. En soi, je n’ai aucun problème avec ça, mais j’espère au moins que l’histoire se termine avec grand fracas, ou quelque chose du genre. Mais non, ça finit comme rien, on tourne la page et on se dit ben coudonc.

J’ai été plutôt déçu d’être déçu de ces nouvelles. J’espérais gros. Je sais pas, moi, découvrir un nouvel auteur favori, un génie que le public aurait passé à côté. Mais rien de tout ça. En plus de finir tout croche, les nouvelles sont souvent verbeuses au point où on en perd le fil. Heureusement, il y en a au moins une très bonne, Sea Oak, où le gars est serveur sexy et travaille pour faire vivre ses deux sœurs abruties, les petits et leur tante Bernie qui travaille depuis toujours chez DrugTown et qui est pour ainsi dire l’optimisme en personne. Puis tante Bernie meurt, et revient à la vie, et à ce moment, il n’est plus question de faire les gentils. Elle est bien déterminée à vivre la vie sexuelle qu’elle n’a jamais eue, ordonne aux deux toutounes de se trouver un emploi et à l’autre tata de montrer sa queue, pour les extras. Et pendant ce temps, tante Bernie perd des morceaux et se décompose.
Elle était bonne, celle-là.
Mais bon, le reste l’était pas.

Deadwood, de Pete Dexter




(Deadwood, 1986)
Gallimard, 1994, Folio Policier, 2007, 608 p.

Deadwood est le troisième titre de Pete Dexter que je lis, et Dexter, lui, est mon nouvel auteur favori. Comme si j'avais douze ans. Il y a longtemps que j'ai eu un idole. Mais jusqu'à maintenant, tout ce que j'ai lu de Dexter m'a sérieusement renversé, et ses livres paraissent avec beaucoup trop de parcimonie pour qu'il puisse se permettre d'en sortir un mauvais. En fait, je crois qu'il n'est rien paru de nouveau depuis les années 2000, peut-être même avant.

Quoiqu'il en soit, Dexter a l'habitude de nous camper ses histoires dans le Philadelphie pauvre, le Philadelphie qu'il a décrit durant plus de quinze ans dans ses colonnes journalistiques, en donnant la belle part aux truands, aux laissés-pour-compte, et à tous ceux qui les entourent. Sans compter les journalistes.

Mais ici, il en va autrement. C'est avec une audace particulière que Dexter s'est attaqué à l'histoire de la ville de Deadwood, un bled perdu dans les Black Hills, en dehors de l'Union américaine à la fin du dix-neuvième siècle. Une ville où tout est à faire et où la loi n'est encore qu'un vague concept donnant-donnant. Deadwood compte quelques notables, des magasin, un théâtre, un bas-quartier avec un bon nombre de débits de boisson, un quartier chinois où l'on se pointe rarement sans raison précise, ainsi qu'un bain, tenu par un fou des tentatives de suicide qu'on appelle le maniaque des bouteilles.

Wild Bill Hickock est déjà une légende lorsqu'il arrive à Deadwood, accompagné de son ami Charley Utter, ainsi que de Malcolm Nash, appelé « le petit », le beau-frère de Utter. Même si Deadwood est occupée par de nombreux prospecteurs, Wild Bill et Utter s'y rendent principalement pour l'effet de nouveauté, et Dieu sait que l'attraction des aventuriers est grande pour les territoires encore inconnus.

Davantage qu'une simple intrigue, c'est l'histoire de la ville de Deadwood qui nous est contée, du moins son apogée, de l'arrivée de Wild Bill en 1876, de tout ce que la simple présence de cette légende a pu avoir comme influence, jusqu'à l'incendie qui la détruisit deux ans plus tard. Nous y rencontrons un grand nombre de personnages, que nous suivons inévitablement dans leur tragédie, l'une des plus marquantes étant, après Wild Bill, Calamity Jane Cannary, que je savais être une femme particulière, mais pas aussi désaxée.

Les évènements contenus dans ce livre, ainsi que les personnages (à part le petit) sont tous vrais. Dexter a dû se taper une recherche d'enfer, mais ça porte fruit. Avec un grand souci de réalisme (peut-être même trop, pour les cœurs sensibles), Dexter nous plonge au cœur de la conquête de l'Ouest en se tenant à des milles de tous clichés qu'on pourrait supposer. Parce que je vous voir venir avec vos sabot, bande d'insécurs. On est loin du bang-bang t'es mort entre cowboys et indiens. Je pense même qu'en 600 pages, le mot cowboy ici n'est jamais écrit. Aimer ou non les cowboys n'est pas la question, c'est beaucoup plus que ça. Le western a cette faculté de placer les hommes dans des situations qui nous sont totalement inconnues, à un temps où les lois et la rigidité de notre époque étaient encore à leurs premiers balbutiements, et autant pour les criminels, qui apprennent pour ainsi dire le métier. Je crois que le concept du crime prémédité est venu beaucoup plus tard. On a appris à devenir criminel en même temps qu'on a appris à combattre le crime. Le western présente donc des hommes plus souvent qu'autrement pris de solitude, même s'ils sont des légendes, même s'ils sont mariés. Des situations troublantes, déchirantes, et bien souvent d'une très grande violence. Monsieur Dexter, vous êtes un grand homme. Ou au moins, un grand écrivain.

Probablement à cause du succès obtenu par la série télé que ce roman a inspirée, Gallimard a réédité en poche ce roman paru en français en 1994, avec en couverture une image qui, elle, évoque tous les clichés de l'ouest, et qui sert même de couverture pour le Lonely Planet sur l'ouest américain. Je déteste voir la même image sur deux livres. C'est presque insultant, et inapproprié. À croire qu'ils n'ont pas lu le livre. Regardez bien les jeans du cowboy qu'on voit en avant-plan. On dirait qu'il sort directement de chez Jeans Plus, alors que dans le roman, la boue et la poussière sont tellement omniprésentes qu'elles en devienne presque un personnage. Pour une fois, on aurait préféré l'image de la série télé.

Bon, je m'en vais me la louer, maintenant, et je chiâlerai probablement sur tout ce qui n'est pas comme dans le livre.

(Originalement publié le 19 août 2008)

Le deuxième souffle, de José Giovanni




Gallimard, 1958, Folio Policier, 280 p.

D'origine corse, Giovanni est né à Paris en 1923 et mort à Lausanne en 2004. Condamné à mort pour délit de grand banditisme, puis libéré après onze années purgées, il a mis à profit sa connaissance de la pègre et des casses dans la littérature. On pourra pas dire qu'il sait pas de quoi il parle. Autant les anciens policiers qui se mettent à la littérature apportent une sérieuse dimension de réalité (par rapport à ceux qui, à défaut d'expérience, auront fait des recherches), un vrai bandit, un criminel qui se met à la littérature (et pas pour écrire un témoignage bidon, mais des romans de qualité), c'est drôlement plus intéressant.

Ainsi, lorsque Giovanni nous raconte l'évasion de Gustave Minda, ci-dessous appelé Gu, on a envie d'y croire. Autant pour le fait qu'il arrive tout juste à temps pour sauver son vieux pote Alban et la belle Manouche d'une agression certaine par deux sous-fifres en mal d'expérience. Gu leur règlera vite leur cas pour se mettre à la recherche de celui qui a donné l'ordre pour cette agression.

Si je continue dans cette voie, je vais me mettre à dire n'importe quoi, parce que le livre, il y a deux semaines que je l'ai lu, et même quand je le lisais, j'étais pas toujours sûr de comprendre tous les liens entre les personnages. Quoi qu'il en soit, on demande à Gu de participer au braquage d'un convoi de lingots d'or. Gu est de la vieille école, et même si, depuis le temps qu'il est en dedans, on fait désormais les choses autrement, la réputation de Gu n'est plus à faire, et c'est avec un certain respect qu'on prononce son nom.

Mais lorsqu'après le braquage, Gu, planqué incognito en attendant le partage du magot, se met à sortir pour aller jouer à la pétanque au parc le plus près, son imprudence le rattrape. Grâce à un malin stratège de l'inspecteur Blot, Gu se fait prendre et donne un nom. Jamais, de toute sa carrière, n'avait-il flanché aussi bêtement. De retour dans les mains de la police, avec les journaux qui clâment que le vieux Gu en est rendu à balancer ses collègues, la réputation de Gu en prend un sacré coup. Mais il usera de son expérience afin de se refaire un nom et de prouver qu'il n'a pas flanché.

Même si, comme je l'ai dit plus tôt, ce roman étourdit un peu à grands coups de liens pas toujours faciles à saisir, il n'en reste pas moins que Le Deuxième souffle se lit en un rien de temps, en grande partie grâce à la langue colorée, truffée d'expressions corses et de patois qui n'ont rien à voir avec le français hexagonal auquel on est habitué.

Le deuxième souffle a été porté à l'écran par Alain Corneau, avec Giovanni au scénario, avec entre autres Daniel Auteuil, Monica Bellucci, Jacques Dutronc et Michel Blanc. Sûr que ça doit être bon.

(Originalement publié le 19 juillet 2008)

Le roi du K.O., de Harry Crews




(The Knockout Artist, 1988)
Gallimard, 1999, Folio Policier, 2008

Ceux qui me connaissent ou qui du moins sont des habitués de ce blogue seront probablement au courant de mon admiration pour Harry Crews. Un écrivain atypique qui présente le sud des Etats-Unis avec des galeries de personnages aussi repoussants qu'attachants. Des péripéties renversantes, des situations dérageantes où le sexe et les freaks ont souvent la belle part, dans une écriture entraînante et colorée qui nous mène inévitablement à des finales glorieuses et sans maudit bon-sens.

En ouvrant Le Roi du K.O., j'étais convaincu d'avoir affaire avec le sommet de l'art de Crews. Je sais pas trop pourquoi. Et cette récente réédition chez Folio Policier m'a convaincu de m'y lancer enfin et voilà, j'ai attendu pendant près de quatre cent pages. Attendu que l'effet Crews se fasse sentir. Attendu le coup sur la gueule qui me ferait rire de douleur. C'est pas venu.

Il faut dire que lorsqu'on connaît Crews et qu'on lit les prémices du Roi du K.O. (dont le titre original, The Knockout Artist, est drôlement plus efficace et poétique), on se dit « Oh, crisse de marde, ça va être dé-bi-le… »

Eugene Biggs, on le surnomme K.O., ou Knockout, ou encore Cogneur. Lui préfère Eugène, tout simplement, mais c'est pas toujours lui qui décide. Biggs est boxeur, et pas n'importe lequel. Il roule avec avec une fiche aussi incroyable que 72 victoires par K.O., aucune défaite. Seulement, son seul adversaire est lui-même. Après un début de carrière prometteur en boxe professionnelle, la mâchoire de Biggs s'est mise à déconner, et il s'est mis à ne plus pouvoir prendre un coup sur la gueule. Et c'est en plein Madison Square Garden que ça s'est manifesté pour la première fois. Et depuis ce temps, Eugene Biggs gagne sa vie dans les soirées underground, où il est engagé pour se mettre K.O. lui-même, sous les yeux de nombreux spectateurs. Il n'a encore jamais perdu.

Alors quand on est au courant de tout ça et qu'on connaît Crews, on salive à l'idée de toutes les saloperies qu'il pourra nous sortir. Et pourtant. Crews nous donne, avec Le Roi du K.O., son livre le plus intérieur (du moins dans les cinq que j'aie pu lire jusqu'à maintenant) et, malheureusement, le moins intéressant.

Il se passe bien certaines choses intéressantes dans ce roman, mais l'idée de piétinement prédomine. Le plus long de l'histoire, nous le passons dans la tête de Biggs, un pauvre noir de la Géorgie du sud, qui envoie une grande partie de son argent à ses parents. Il n'a aucune éducation et vit avec Charity, une intrigante étudiante en psychologie (personnage plutôt faible, s'il en est) qui fera de lui son amant ainsi qu'un cas d'étude. Mais Biggs ne sera pas dupe longtemps et découvrira la vérité derrière ces prétendues recherches. Puis il découvrira d'autres vérités à propos de ceux qui l'entourent et il ne sera pas content du tout. C'est seulement qu'on est habitué que lorsqu'un personnage de Crews pète les plombs, il est capable d'acheter un plein camion d'explosifs et de faire sauter une ville entière en sucant le goulot de sa bouteille de whisky tout en se disant, « il me fera plus chier, c'te sale con. » On est habitués à ça. Alors de voir Biggs débarquer avec son fusil et tuer une personne avant de prendre la fuite, c'est loin d'assurer.

On voit bien poindre une note d'espoir vers la fin alors qu'arrive le personnage de Jacques Deverouge, un jeune Cajun nouvel espoir de la boxe, qui est de loin le personnage le plus intéressant de cette histoire. Malheureusement, ça ne mènera à rien. Rien qui ne soit écrit dans le livre, en tout cas.

L'arrivée de Deverouge apporte aussi une fraîcheur au niveau de l'écriture. La traduction est atrocement française, si vous voyez ce que je veux dire. Y'a beaucoup trop de mots qui font mal à lire dans la bouche de péquenots du sud sans éducation. Mais Deverouge, lui, parle Cajun, et ses dialogues sont très bien transcrits, et drôlement rafraîchissants. J'en aurais pris plus longtemps. En fait, j'aurais bien pris Jacques Deverouge comme personnage principal de ce livre, j'aurais commencé l'histoire deux cent pages plus loin, terminé deux cent pages plus tard et j'aurais envoyé Eugene Biggs aux douche, qu'il réfléchisse un peu à la place qu'il a à prendre dans un livre.

Je ne perds pas foi en Crews, mais crisse de crisse, il est mieux de pas me faire le coup deux fois de file.

(Originalement publié le 17 juin 2008)

Stark, de Edward Bunker




(Stark, 2005)
Rivages/Thriller, 2008, 192 p.

Edward Bunker s'est bâti une spécialité, peut-être bien malgré lui, dans la littérature du milieu carcéral. Auteur d'une trilogie où chaque titre comporte le mot « bête » et semble ne contenir rien de joli, il est mort en 2005, et Stark est son premier roman, que l'on a retrouvé peu après son décès.

Au moment d'écrire ce premier livre, Bunker, trente-trois ans, avait déjà séjourné quatre fois derrière les barreaux. Mais Stark n'est pas une histoire de prison, plutôt une histoire de ce qui y mène. Fasciné par les petits truands, Bunker y a consacré son premier essai en littérature.

Eddie Stark est un petit camé plutôt mal pris. Tenu de près en laisse par le sergent Crowley afin qu'il lui balance le nom de son fournisseur, Stark joue la comédie de tous les côtés, si bien qu'on ne sait jamais quelles sont ses réelles intentions. Il essaiera bien de trouver l'identité de ce mystérieux fournisseur qui trouve de l'héroïne de qualité supérieure à un prix plus bas que celui des dealers mexicains, mais serait-ce vraiment pour aller le dénoncer à la police? Il ne serait pas plus profitable de se débarasser des indésirables et se partir une petite bizzness? Ça reste à voir. Il faut suivre Stark dans cette histoire, le problème, c'est qu'on en vient assez vite à se foutre de ce petit arnaqueur bidon.

Bien sûr, Stark n'a rien d'un grand roman. À part la connaissance de la rue, presque rien n'est maîtrisé. Les personnages se shootent tellement souvent que ça en devient déprimant, d'autant plus qu'on nous explique le procédé en détail, et pas juste une fois. Écrit quelque part dans les années soixante, ce premier roman de Bunker fait écho aux histoire de durs à cuire des années cinquante par son sujet et son traitement. Dur, brut, et bâclé.

Mais en soi, cette lecture n'a rien de profondément déplaisant. Ça reste quand même un roman de presque deux cent pages qui parle d'un petit bad-ass cheap. J'ai déjà lu pire. C'est juste qu'il n'y a rien de transcendant, et à moins d'être un fan de Bunker (moi j'en ai jamais vu encore, manifestez-vous si c'est le cas), il vaut mieux attendre la parution en poche que de payer 30 dollars pour cette histoire.

(Originalement publié le 12 juin 2008)

The Road, de Cormac McCarthy




Vintage International, 2006, 287 p.

On en a entendu parler de tout bord tout côté (pour peu qu'on s'intéresse aux livres, soit), il a valu à son auteur le Pulitzer, et même de faire partie du prestigieux Oprah's Book Club, c'est pas rien. Y'a des auteurs moins sauvages que McCarthy qui ont refusé cet honneur, mais lui l'a accepté. Même qu'il a bien voulu s'asseoir avec elle pour accorder une entrevue, chose qu'il n'avait pas faite depuis très longtemps, et c'est pas parce qu'il n'a pas eu d'invitations.

Il fait bon, des fois, de voir des best-sellers qui sont de bons livres pour vrai.

Cormac McCarthy est sans aucun doute un écrivain mythique. Après avoir donné les classiques de l'ouest américain que sont De si jolis chevaux (titre très gai, j'en conviens, l'original est All The Pretty Horses) et Méridien de Sang, ou le rougeoiement du soir dans l'ouest (beaucoup mieux, le titre), où l'auteur assommait son lecteur de phrases interminables et lourdes, refusant toute ponctuation et préférant écrire « et » plutôt que de placer une virgule, McCarthy s'est mérité une réputation d'auteur difficile. Essentiel, mais difficile, et on a pas encore parlé de la dureté de ses sujets.

Nous l'avons vu revenir dans l'actualité littéraire dernièrement avec son roman No Country for Old Men, magistralement adapté au cinéma par les frères Cohen. Et presque en même temps (m'a-t-il semblé) paraissait The Road. Deux romans marquants par leur concision et leur économie de moyens. Le monsieur se fait vieux et a fini par se tanner des feux d'artifices.

Pour ceux qui n'en auraient pas encore entendu parler, l'histoire est très simple. Un homme et son fils qui suivent la route qui les mène vers le sud du pays, alors que la terre n'est plus qu'un vaste cendrier, le soleil un concept vague, et la fraternité définitivement chose du passé.

Nous ne savons rien de ce qui a pu causer ainsi la fin du monde tel que nous le connaissons. Dieu merci. Plutôt que de trouver une cause à l'apocalypse, ce qui nous intéresse ici, c'est le père et le fils en situation de survie. Le fils n'a jamais connu le monde d'avant. La mère, elle, est partie assez tôt. (Je ne me rappelle plus si elle s'est suicidée ou si elle a simplement quitté. Il me semble que c'était vague). Ainsi, père et fils avancent sur la route et reprennent le chemin chaque jour avec les mêmes idées en tête. Manger, trouver refuge, faire un feu, se protéger.

En soi, la trame du livre est assez répétitive. Quelques personnages secondaires surviennent, mais très peu. La même histoire revient sensiblement chaque jour, mais le lecteur reste tout de même collé au livre qui, sans divisions de chapitres, mais écrit en de très courts paragraphes, est pratiquement impossible à lâcher. Grand bien nous fasse, parce que lire un livre comme ça pendant deux semaines, ça commencerait à être un peu déprimant.

Toute cette histoire d'apocalypse est secondaire, n'est en fait qu'un prétexte pour décrire une relation des plus touchantes entre le père et le fils. Loin d'être une histoire larmoyante à haute teneur en émotion (comme si c'était un vrai best-seller), la relation nous est décrite avec une économie remarquable de moyens, au travers de dialogues simples et brefs.

Can we wait a while?
Okay. But it's getting dark.
I know.
Okay.
They sat on the steps and looked out over the country.
There's no one here, the man said.
Okay.
Are you still scared?
Yes.
We're okay.
Okay.

Aussi insignifiant ce dialogue puisse-t-il avoir l'air, c'est à la longue, au fil des pages que ces échanges viennent à nous posséder et nous envoûter. La patience du père et son instinct de protection, la vivacité du fils et son incompréhension de la violence, deux humains à qui l'autre est tout ce qui reste. Et malgré toute cette désolation, McCarthy nous montre que l'humain naît fondamentalement bon. Même s'il n'a jamais connu le monde d'avant, le fils ne peut se résoudre à des actes de violence ou de méfiance, éléments maintenant nécessaires à la survie. Ce sont là des réflexes du père, qui devra tuer d'autres humains devant son fils tout en lui rappelant que ce sont eux les gentils.

J'ai lu The Road en anglais, en me disant que je n'aurais pas de difficulté devant ce texte aéré et concis. Bon. J'en ai manqué quelques bouts (voire l'histoire de la mère, plus haut), surtout question de vocabulaire. Hélas, je ne suis pas du genre à fouiller dans le dictionnaire quand je ne comprend pas un mot. Si j'avais fait ça, ça m'aurait pris trois semaines à lire ce livre et j'en viendrais à croire que la fin du monde est bel et bien arrivée.

(Originalement publié le 21 mai 2008)

Train, de Pete Dexter




(Train, 2003)
de l'Olivier, 2005

J'avais déjà ce livre depuis quelques années, je l'avais acheté surtout pour sa couverture, que je trouvais inspirante. Je ne lisais même pas de romans noirs, à l'époque. Et c'est juste maintenant que je me réveille, merde, pour découvrir Pete Dexter. Tout ce temps passé à faire autre chose.

Je ne suis pas certain si Dexter est toujours en activité. En date, Train est le dernier roman de Dexter (mis à part God's Pocket, son premier, qui vient d'être édité en français pour la première fois.) Et en quatrième de couverture, on annonce « le retour de Pete Dexter », qui n'avait rien écrit depuis 1995. Mais bon, des romans comme ça, ça ne s'écrit pas sur un base annuelle. Peut-être aussi qu'il se la coule douce, avec les revenus de son roman Cotton Point, devenu Rage, au cinéma, ou encore pour la série Deadwood, qui a pris son inspiration dans son roman du même nom, réédité récemment chez Folio Policier.

L'histoire de Train prend place dans les années cinquante. Mais mis à part le comportement raciste (raciste, mais aussi souvent peureux) de plusieurs personnages blancs, nous n'avons que peu d'indications sur l'époque. On se concentre principalement sur les personnages, et c'est bien assez comme ça.

Train, c'est le surnom qu'on a donné à Lionel Walk, un jeune noir de dix-huit ans. Il travaille comme caddie au chic club de golf Brookline. Train est à son affaire, ne parle que lorsque nécessaire, et se tient généralement loin de l'action. Seulement, c'est l'action qui le rattrape. Ce n'est pas de sa faute à lui si le copain de sa mère est un homme violent et qu'il doive se protéger. Pas plus que ce n'est sa faute si son supérieur immédiat, Sweet qu'on l'appelle, est tué dans un braquage raté de bateau, et que par mesure de sécurité, son patron décide de virer tout le personnel noir l'équipe.

Nous allons le suivre alors qu'il essaie de survivre du mieux qu'il peut, avec un, et peut-être deux cadavres dans le placard. On sent que Train est fondamentalement bon, et n'eût été le fait qu'il soit noir dans les années cinquante, jamais il ne serait pris dans ce merdier.

Parallèlement à l'histoire de Train, nous suivons celle de Miller Packard, un des personnages de roman les plus insaisissables qu'il m'ait été donné de lire. Policier à la morale douteuse, Packard a le don de se mettre là où ça se passe et de faire attirer l'attention sur lui. Pourtant homme de bon caractère, il adore être surpris, étonné, le lecteur sera parfois renversé par la tournure des évènements lorsque c'est Packard qui tient les rennes.

Les chemins de Packard et Train se croiseront, d'abord au début du roman, alors que Train est le caddie de l'adversaire de Packard. Le respect que Packard a envers Train donne espoir, tant au lecteur qu'au jeune noir. Puis Packard tombe amoureux de la survivante du braquage de bateau raté. Il retombera plus tard sur Train et l'invitera, lui et Plural, son ami aveugle, à venir habiter dans le cabanon dans sa cour arrière, à Beverly Hills. Lorsque Packard annonce à sa nouvelle femme d'où viennent les deux logeurs, pas besoin de dire que les souvenirs font surface et qu'elle est loin de trouver que son Miller chéri a eu une idée de génie.

Et durant leur cohabitation, Packard permettra à Train de s'entraîner au golf, chose qu'il faisait à l'époque, le matin, avant l'arrivée des clients. Il se trouve que Train est un sacré joueur et qu'ils visiterons de nombreux clubs, où Train insultera plusieurs blanc en les battants sur leur terrain, tout en gagnant des tas d'argent, chose qui lui était encore inconnue.

Écrit avec un style personnel et fort efficace, Train est un roman noir qui nous enfonce dans les psychologies de personnages troublés, qui sont mis en relation par des situations délicates et ambigües. Prenant, dur et angoissant, ce roman place Dexter sur la liste (toujours grandissante) des grands écrivains américains. Sans aucun doute un dossier à suivre.

(Originalement publié le 15 mai 2008)

Je suis un écrivain japonais, de Dany Laferrière




Boréal, 2008, 264 p.

Il y a quelques années, Dany Laferrière déclarait, au grand dam de ses lecteurs, qu'il était fatigué et arrêtait du coup d'écrire des romans, pour se lancer dans une étrange entreprise de réécriture de ses romans déjà existants. Nous l'avons ensuite vu devenir chroniqueur à La Presse, où il prenait position, avec verve et intelligence, sur des sujets de son choix. C'est avec un grand plaisir que nous le voyons mainenant revenir sur le terrain de la création avec ce nouveau roman.

En s'auto-proclâmant écrivain japonais, Laferrière revient en force avec un sujet qui lui a toujours été cher, celui de l'identité. Il est maintenant délicat de définir un écrivain selon sa nationalité, comme nous avons pu le faire depuis le début de l'histoire de la littérature. Ainsi, pourquoi un écrivain ne pourrait-il pas se définir selon la nationalité de celui qui le lit? Seulement, tous ne l'entendent pas de la même façon. Au Japon, où la question identitaire est toujours approchée avec délicatesse, la nouvelle de ce roman à paraître fait tout un tollé. Mais un léger détail doit être pris en considération. Le livre en question n'est pas encore écrit. L'auteur n'en a trouvé que le titre, initiative à laquelle l'éditeur a donné son approbation avec enthousiasme. Le livre s'ouvre d'ailleurs avec une réflexion sur l'importance du titre. Comme quoi ces seuls mots réflètent par eux-mêmes la totalité de ceux que l'on pourra retrouver à l'intérieur du livre. Sans compter que pour la majorité, ce seront là les seuls mots du livre qui seront lus. Le titreur le plus rapide d'Amérique. « C'est bien d'écrire un livre, mais c'est parfois mieux de ne pas l'écrire. » dit Laferrière. Et nous le suivrons, avec tout la paresse et le laisser-aller auquel il a pu nous habituer lors des précédentes lectures, un livre de poésie de Basho à la main, à errer dans le quartier avoisinant le Carré Saint-Louis, celui que Laferrière a habité à l'époque de Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer.

Des dignitaires japonais seront intéressés par le cas de Laferrière, laisseront traîner dans sa boîte aux lettres des magazines japonais et lui proposeront même de lui payer un voyage au Japon. Chose qu'il refuse ardemment. La seule démarche vers le Japon que fera Laferrière, ce sera de s'intégrer à un groupe d'intrigantes japonaises, toutes pendues au cou d'une chanteuse qui s'appelle Midori. Les médias se seront emparés rapidement du phénomène de cet écrivain noir qui se prend pour un japonais, et le Japon sera viré sans dessus dessous suite à un simple titre de roman que l'écrivain ne projète pas particulièrement d'écrire.

Laferrière est hautain et condescendant. Et il a le droit. Il a cette façon toute particulière d'être au-dessus de ses affaires, et le lecteur ne peut qu'en redemander. Mais il y a tout de même certaines limites. Je suis un écrivain japonais, qui s'annonce comme un roman, est en fait une collection de textes de réflexion entrecoupés d'une trame narrative certes très intéressante, mais profondément négligée. C'est un livre qui sent l'écriture au gré du hasard et qui suit une courbe paresseuse.

Bien sûr, Laferrière est toujours intéressant à lire, et vous lisez là les mots d'un lecteur qui a dévoré son œuvre entière avec appétit. Mais j'ai l'impression qu'il faut déjà connaître Laferrière pour aimer Je suis un écrivain japonais, connaître déjà ses divagations, sa propension pour la paresse et ce ton si unique qui ont fait sa renommée. J'ai lu ce livre avec le sentiment que Laferrière l'a écrit vite (c'est lui qui le dit), qu'il ne s'est pas relu outre mesure, et qu'il a été grandement soulagé lorsqu'il l'a terminé (ça, c'est moi qui le dit). Mais bon, n'est-ce pas là la qualité première d'un écrivain que de s'inventer une vie et que les autres y croient?

(Originalement publié le 9 mai 2008)

Un froid d'enfer, de Joe R. Lansdale


(Freezer Burn, 1999)
Murder inc, 2001, Folio Policier 2008, 308 p.

Bill est dans une impasse. Depuis que sa mère est morte, il vivote sur les provisions qu'il restait à la maison, des légumes en conserve, pour la plupart, et il a fait la gaffe de ne pas toucher aux betteraves, si bien que maintenant, c'est tout ce qu'il reste. Éprise d'un amour profond pour les chats, sa mère a décidé de léguer tout son argent à une société pour les chats atteints de cirrhose. Bill est sans le sou, essaie comme il peut d'imiter la signature de sa mère pour liquider les chèques qui restent. Il doit se grouiller, cependant, parce qu'après un certain temps, il est inévitable que le cadavre de la mère, toujours dans son lit, finira par puer et alerter les voisins.

Le 4 juillet approche, et Bill flaire le coup qui aidera à le renflouer. De l'autre côté de la nationale, en face de chez lui, se dresse l'un de ces nombreux stands à pétards. Dévaliser une petite cabine retirée, un jour que les ventes auront été bonnes, rien de plus simple. Bill met dans le coup ses amis Fat Boy et Chaplin. Ils utiliseront des fusils, mais juste pour faire peur. Mais quand l'élastique du masque de Bill éclate durant le braquage, et que le vendeur de pétards le reconnaît, Chaplin perd son sang froid et abat le pauvre vendeur.

Le trois imbéciles partiront en fuite dans leur voiture volée et finiront dans un marais après une embardée, suivis par la police. Chaplin, durant l'impact, mourra d'un pétard enfoncé dans l'œil, et Fat boy, lui, perdra la vie sous de nombreuses morsures de serpents. (« Ils m'ont mordu les couilles, Bill, tu dois sucer le venin » « Crois-moi Fat boy, c'est bien pire que tu ne le penses. »)

Ça, c'est l'introduction du livre.

Bill se réveillera ensuite, après s'être endormi dans les marais, avec le visage déformé par de trop nombreuses piqûres de moustiques. Il croisera la route d'un convoi qui se promène d'un bled du Texas à l'autre. Spécialité, les Freaks. Un homme chien, une femme à Barbe, des jumeaux noirs siamois et débiles, des hommes bizarres que l'on appelle têtes d'épingles, des nains, des bocaux de bébés malformés conservés dans le formol, et un frigidaire où repose un homme congelé. Bill est accueilli par le chef de la bande, Frost. Il semble normal, mais on finit par savoir qu'il a une petite main sur le torse. Frost accueille Bill avec chaleur et respect, lui propose de travailler avec eux. Tant qu'il aura l'air de ce qu'il a l'air, il pourra faire partie du spectacle, puis quand il guérira, il pourra faire de menus travaux.

Puis il y a Gidget. La femme de Frost. La seule personne du convoi à ne pas être freak. Mais Gidget sens le sexe à des mêtres à la ronde. Son air désabusé confirme qu'elle n'aime pas sa situation, et chaque fois que Bill essaie de l'approcher, c'est un cuisant échec. Jusqu'à ce qu'il guérisse, et que Gidget s'aperçoive qu'l ressemble à James Dean. C'est à ce moment que Bill sera jeté dans les tourments auxquels fait face celui qui baise la femme de son bienfaiteur.


Dans la tradition des écrits de Harry Crews, Lansdale, nous sert un roman noir et drôle où les ploucs ont la belle part. Rien n'est tabou dans ce roman où personne n'est normal, ou sain. Sous le couvert de l'excentricité, les pires choses peuvent arriver, et le lecteur ne peut s'empêcher de rire devant la mauvaise tournure des choses.

Mais s'il reste fort divertissant, un froid d'enfer manque cependant de rythme. On aurait aimé pouvoir passer le livre avec un rythme comme celui de l'introduction, mais la vie avec les freaks vient ralentir l'histoire. Cette déception est accentuée par l'étiquette « Thriller » que Gallimard ose maintenant apposer sur certains numéros de Folio Policier. À croire que la plus prestigieuse maison d'édition de la francophonie est elle aussi en train de tomber dans le panneau des étiquettes aguicheuses.

(Originalement publié le 29 avril 2008)

Les territoires du Nord-Ouest, de Laurent Chabin


Coups de tête 5, 2007, 81 p.

Comme quoi il ne faut pas toujours se fier à son instinct. Alors que le Coups de tête précédent me laissait d'abord indifférent pour finalement m'offrir un superbe moment de lecture, le cinquième numéro de la série m'inspirait au plus haut point. Ça, c'était principalement avant de le lire.

La quatrième de couverture, peu bavarde, laisse entendre qu'il sera question de combats d'ours avec des hommes. Puis, qu'à force de manquer d'ours, on se retrouve avec des chiens. Puis qu'on en vient à inventer un monde auto-suffisant dans ce territoire reculé, où tout devient possible. Et c'est bien ce qui se passe dans le livre. Le narrateur a été engagé pour régulariser cette société de travailleurs venus d'un peu partout. Ils avaient bien, pour se défouler, ces combats d'hommes avec les animaux, où le gagnant se méritait la chance inouïe de se représenter dans l'arène, jusqu'à ce qu'il y laisse sa peau. Mais il fallait plus.

Ainsi, en engageant un artiste issu de la télévision plutôt qu'un gros bonnet de la gestion, les patrons des compagnies ont pris une chance. Et l'artiste aussi. Qui a fait en sorte que le divertissement ne se limite pas qu'au samedi soir, et que son territoire ne se limite pas à une arène. Le terrain de jeu serait les Territoires au grand complet, et l'horaire 24 heures sur 24. Tout le monde participe, et change de rôle comme bon lui semble. Un jour tortionnaire, l'autre jour travailleur soumis. Et toujours aux aguets, car celui qui était votre ami peut bien se retourner contre vous le lendemain. En dressant chaque travailleur contre l'autre, on élimine les risques de révolte, d'associations, de syndicats, et, de façon surprenante, le rendement s'est accru de 60%. Quand divertissement et travail vont de pair…

L'idée est plutôt intéressante, mais étrangement menée. Comme j'ai dit plus tôt, je voulais l'aimer, ce roman, mais il m'en a empêché. Peut-être si je l'avais lu dans un autre contexte que celui des Coups de Tête, qui sont, rappelons-le, censés être des romans brefs, intenses, violents, vulgaires et entraînants. Mais dans ce roman, Laurent Chabin ne nous offre que très peu d'action, très peu de dialogue. Tout est dans l'installation du système utopique que le narrateur met en marche. Les tentatives précédentes des autres utopistes et agitateurs de foule (éradiquer la pauvreté et le problème de la f.. Tuons et mangeons les pauvres!) et leurs conséquences, le passé télé du narrateur comme concepteur d'un reality show plutôt malsain, et la lente installation du système en marche.

Jusqu'à maintenant, c'est le seul Coups de Tête que je n'aie pas dévoré. Je n'ai quand même pas pris quatre jours pour le lire, mais ça s'est fait lentement. Manque de rythme (quelques répétitions, en 80 pages…), langage lourd, peu d'action, trop de théorie, en plus d'une fin plutôt précipitée, tant d'éléments qui, à mon avis, ne font pas honneur au code de la série Coups de Tête.

Mais bon, on s'essuie et on recommence.

(Originalement publié le 20 avril 2008)