mercredi 29 avril 2009

Mise en bouche, de Philippe Djian



Gallimard, Folio, 2008, 80 p

Ça faisait longtemps que je m’étais tapé un Djian. J’avais entâmé la série Doggy Bag dès la sortie et j’ai bêtement arrêté après le troisième tome pour des causes monétaires. Hey, ça fait des années que je lis des livres gratuits ou usagés. Alors partir dans une série, c’est bien beau quand t’as de l’argent, mais à grand coups de trente piasses pour un livre dévoré en deux jours, ça revient cher.

Voilà que je vous sors l’argument bidon qui mesure la valeur d’un livre au nombre de pages. Je suis rendu bas, mesdames et messieurs. Vous voulez pire? Les autres tomes sont maintenant, depuis le temps, sortis en poche, et je ne les achète pas plus. Pourquoi? Parce que j’ai commencé la collection en grand format et que j’aime mieux l’avoir ainsi, pour que ça looke dans ma bibliothèque.

Je suis devenu bourgeois, je lis des livres en grand format.

Vous m’achèterez un disque de Barry Manilow à ma fête.

Alors Djian, ça faisait longtemps. Je me suis envoyé celui-là derrière la cravate de bourgeois en l’espace de deux trajets d’autobus. À l’origine, Mise en Bouche a servi de scénario pour une BD illustrée par Jean-Philippe Peyraud, parue aux éditions Futuropolis la même année.

Une histoire où le personnage principal, un père monoparental plutôt aisé (avant que Djian ne mette en scène des pauvres… La misère des riches est trop belle pour éviter de l’écorcher) développe une relation avec sa voisine. Mais tranquille, la relation. Ils emmènent ensemble leurs enfants à l’école, et prennent un café après. La pauvre s’est fait larguer et entretient maintenant une haine inébranlable envers les hommes. Alors l’autre reste mollo. Poli.

Et un beau matin, ils arrivent un peu en retard à l’école et découvrent toute la classe et les professeurs à genoux, les mains sur la tête. Derrière eux, un homme avec un fusil et des explosifs menace de se faire sauter s’il n’obtient pas blah blah blah…

N’ayant d’autre choix que de se joindre au groupe, ils entrent dans la classe et débute alors un huis-clos déroutant où le père bon-chic bon-genre prend le contrôle du mieux qu’il peut.

Prendre le contrôle, c’est une façon de parler. Il gère la situation. Mais si ce n’était que cela. Djian étant ce qu’il est, plus qu’une histoire d’otage, c’est une histoire torride qui se développe avec sa voisine frigide soudainement épanouie, au beau milieu des enfants à qui on fait croire que tout est correct et devant le silence imposé par le maniaque.

Djian n’est pas lui-même s’il n’est pas tiré un peu par les cheveux. Juste assez pour virer pervers. Et une fois que c’est fait, que le pervers est rentré, je veux dire, ben là, ça peur glisser solide. Ma blonde le trouve chiant au maximum. Moi je l’aime, il me fait rire les dents serrées. Et pas toujours avec des affaires drôles. Très certainement que Djian est un écrivain masculin. Ça en prend des comme ça, aussi.

vendredi 17 avril 2009

Namera!

En face de la Place Montréal Trust
Le trio de musiciens des Andes prend un break
et tente d'ignorer juste devant
ce vieux bonhomme gros
comme un enfant de douze ans
qui leur crie en pleine face
GUANTANAMEEEERAAAA!!!

Il s'approche et laisse tomber
25 cennes dans l'étui à guitare
et continue à crier sa chanson
à quelques pouces de leurs cigarettes
GUAN-TA-NA-MEEEEEE-RRRRAAAA!!!

Le mieux à faire, pensent les trois autres
serait de recommencer à jouer
histoire de se donner une contenance
quelque chose à faire
GUANTANAMEEEERRAA!!!
à la place de lui enfoncer une flûte
dans l'oeil
ou dans le cul

Alors ils écrasent leur cigarette
et reprennent la musique
alors que le vieux s'agite
les nerfs du cou tendu
GUANTANAMEEERRRRAAA!!!
les petites jambes nerveuses
NAMEEERAAA!
et tente au possible d'insérer
où il le peut
son refrain douteux

samedi 11 avril 2009

The captain is out to lunch and the sailors have taken over the ship, de Charles Bukowski


Ecco, 2002, 144 p.

J’ai un peu arrêté de lire Bukowski avant d’avoir passé au travers de tous ses livres. C’est quand même rare que je me rende à ce point avec un auteur. De lire tous ses livres, je veux dire. J’ai arrêté Bukowski au moment où j’ai constaté que les pistes qu’il m’avait données étaient nombreuses, et que je pourrais me lancer par moi-même, tant dans la lecture d’autres auteurs que dans l’écriture.

Bukowski a été pour moi une rampe de lancement. Sans pour autant tomber dans l’idolâterie (je suis loin d’être toujours d’accord avec lui, mais il faut respecter le bonhomme), Bukowski m’a appris que c’était possible. Bukowski m’a appris qu’on pouvait laisser aller, qu’on pouvait ne pas tenir compte des règles établies, faire comme ça nous tente et que ça mène à quelque chose quand même. Que ça PEUT mener à quelque chose.

Ce que je dis là, c’est exactement ce sur quoi chie Bukowski. S’agit pas d’être saoul, d’avoir un foulard et crayon. Faut aussi avoir une certaine rigueur et les idées en place. Quand j’ai lu Bukowski les premières fois, il y avait bien sûr la surprise devant la vulgarité et l’impossibilité des histoires. Mais il y avait surtout un relâchement. Les petites épaules qui slaquent enfin devant un livre qui n’a rien à prouver, qui ne fait qu’être ce qu’il est et pas rien qu’à peu près.

Et y’a aussi que, bien qu’il prétende haut et fort que très peu d’auteurs arrivent à susciter son intérêt, Bukowski nomme des auteurs et donne envie de lire, un peu comme Laferrière, qui m’a présenté Bukowski. Et Bukowski qui m’a présenté Fante. En trois étapes, on a fait beaucoup, beaucoup de chemin.

Vincent a dû m’appeler une douzaine de fois alors qu’il lisait ce livre, il y a un mois ou deux. Chaque fois pour me lire un extrait, ou bien pour me demander qui c’est un tel ou un tel autre. Un tout petit livre de même pas 150 pages, que j’ai lu plutôt lentement (qui m’aurait pris encore plus de temps si j’avais pas fait cinq fois de la salle d’attente cette semaine), mais surtout, un livre qui se lit lentement parce qu’il donne envie d’écrire.

Parlant de salle d’attente. Je suis en train d’y lire Bukowski qui me fait part de son incapacité à interagir. Quelqu’un arrive devant lui, tout excité et lui demande s’il est Charles Bukowski et il répond «Charles Darwin» et le contourne pour continuer son chemin. Je lis là-dessus quand arrive un monsieur italien qui a une patte trop courte et une solide panse. Il s’arrête aux premiers bancs devant une femme de son âge qui a le visage entouré d’un voile, accompagnée de sa fille, beaucoup plus moderne. «Algérienne? Qu’il demande. Marocaine? Tunisienne?
⎯ Turques, répond la fille.
⎯ Turques?
⎯ Oui, la Turquie. Mais on vit ici, on est de Montréal.»

Et le bonhomme qui enchaîne sur la position de la Turquie sur la peine de mort et blah blah blah. Les deux femmes sont embarassées, mais l’écoutent quand même. Elles finissent par être sauvées par la cloche et se lèvent lorsqu’on entend leur nom à l’interphone. Je retombe dans Bukowski et lève le livre à la hauteur de mon visage. Le gars s’approche et s’arrête près du vieux couple devant moi, et continue son histoire. Pauvre Buk, t’aurais foutu le bordel dans la place s’il était venu te voir. Un vieux paumé, ça va vers un autre. Et déjà que ça te prend tout ton change pour passer du temps dans une salle d’attente.


Ce livre a été écrit en 91 et 92. Bukowski avait 71, 72 ans. Son avant dernier-livre, je crois. Les textes qu’on y retrouve sont ceux qu’il écrit, tard le soir, dans son bureau, sur son ordinateur (une invention qui révolutionne sa vie, sa conception de l’écriture), quand il ne travaille pas sur ses poèmes ou sur «Pulp» son dernier roman qui paraît en 1994. C’est donc un Bukowski plus songeur qu’anecdotique qui se livre. Un Bukowski qui se rend bien compte qu’il est rendu vieux et, contre toute attente, célèbre, ce qui n’est pas sans le troubler. Mais y’a pas à dire qu’il se plaît, dans sa belle maison, avec son spa et sa voiture et sa Linda et les neuf chats.

La mort est le sujet principal du livre. Mais l’auteur n’en a pas pas peur. Au contraire. Après avoir passé cinquante ans à brasser de la merde, les vieux jours de Bukowski auront été ses meilleurs. Et pas seulement à cause de la célébrité et de l’aisance financière.

« Being near death is energizing. I have all the advantages. I can see and feel things that are hidden from the young. I have gone from the power of youth to the power of age. There will be no decline. Uh uh. Now, pardon me, I must go to bed, it’s 12 :55 a.m. Talking the night off. Have your laugh while you can…»

S’il ne parle pas de la mort, de l’écriture, des autres qui sont cons ou du courrier qu’il reçoit (ce qui revient aux autres qui sont cons), il nous parle des courses de chevaux. C’est pas la première fois. Mais c’est la première fois que ça ne m’énerve pas. Moins technique, Bukowski parle des courses de chevaux sans réelle passion. Un peu par obligation. Il reçoit des cadeaux de fans, des livres sur les courses, des choses comme ça. Comme s’il était passionné. Les courses de chevaux ne sont que son échappatoire pour la journée. Sinon, il ferat quoi, aller aux jardins municipaux? Come on. Bukowski va aux chevaux, gagne perd, boit et rencontre une grande quantité d’imbéciles. Il attend que passe la journée, c’est le mieux qu’il ait trouvé, avant d’aller s’asseoir devant son Macintosh.

« I go there to sacrifice myself, to mutilate the hours, to murder them. The hours must be killed. While you are waiting. The perfect hours are the ones at this machine. But you must have imperfect hours to get perfect hours. You must kill ten hours to make two hours live. What you must be careful of is not to kill ALL the hours, ALL the years.»

Bukowski est fidèle à lui-même. Il chiâle, bougonne et trouve le monde con, la musique mauvaise. Mais il ne vous fera chier avec ça que si vous allez vers lui, en vrai ou par écrit. Sinon, il le rumine pour se rappeler qu’il est en vie. Et c’est un peu pour ça qu’on va vers lui et qu’on y retourne.

jeudi 9 avril 2009

Suite et fin du chat


(première partie plus bas)


Il fallait bien que ça se fasse un moment donné. Ce matin, après avoir fait tout ce que j'avais à faire et bien plus, j'ai fourré Jimmy dans la cage pour emporter. J'ai essayé de couper court sur les adieux. «Tu me laisseras nettoyer toutes ses affaires, ok?» a sangloté Mélie ce matin avant de partir pour l'école. Elle a dû changer dix fois d'idée, à savoir si elle m'accompagnait ou non chez le vétérinaire. J'aimais mieux m'en occuper tout seul. 

À quelques reprises hier soir, le chat a demandé pour la porte. On l'a laissé sortir. C'était plus le temps de lui refuser quoi que ce soit. Et Mélie et moi d'espérer secrètement qu'il prenne la fuite et gère son destin par lui-même. Mais il ne fallait pas se faire d'idées, le chat était un pissou, incapable d'aller plus loin que la cour du voisin. Encore qu'il fallait aller le chercher par la suite, miaulant parce qu'il avait oublié comment il s'était rendu là.

«Tout va bien aller, mon beau Jimmy, tu vas juste aller faire petit dodo, tu vas voir, tu sentiras rien.» C'est sous les recommandations de notre amie Carla que Mélie s'est mise à lui expliquer qu'est-ce qui allait se passer. Rendu-là, n'importe quelle technique est bonne pour faire du bien à l'un ou l'autre des partis.

Et c'est aussi ce qu'a dit le vétérinaire, que ça se ferait sans douleur, une toute petite piqûre et hop, au dodo. J'ai été assez con pour vouloir assister au processus de mise à mort. J'avais d'abord dit non à l'assistante au comptoir, que je préférais ne pas m'en mêler. Elle même semblait affectée par la raison de ma visite. Puis, alors que je passais un doigt au travers de la grille pour essayer de toucher mon chat, elle m'a dit «c'est quand vous voudrez», j'ai flanché et dit que je préférais y assister.

Mauvaise réponse.

Je me suis avancé dans la salle, où le vétérinaire et l'assistante m'attendaient. Juste une toute petite piqûre. Je contenais ma tristesse en caressant le chat alors que l'assistante le tenait en place et que le vétérinaire rasait sa  patte pour y faire la piqûre. «Tu le serres bien? Tu fais le garot?
- Oui oui, je serre fort.
- Il manque sérieusement d'hydratation, on voit pas la veine.»

Seringue dans la patte de mon chat. Léger juron du vétérinaire. Retrait de la seringue. «Va falloir aller sur l'autre patte, voir la veine.»

C'est pas sensé être simple, cette opération?

Le vétérinaire a repris le rasoir, l'a mis en marche et c'est là que Jimmy a pété sa coche, révélant du coup une énergie que je ne lui connaissait pas. Assez pour se défaire de l'emprise de l'assistante et venir planter ses dents dans mon doigt qui traînait par là. J'ai crié. Hurlé en empoignant la tête de mon chat qui n'en démordait pas. J'y suis parvenu en lançant à bout de bras. Mon petit chat.

Le sang s'est mis à couler dans ma main, j'avais peine à le croire. Le vétérinaire m'a désinfecté, fait un bandage puis suggéré d'aller à la clinique au plus vite. On niaise pas avec ça. L'assistante est revenue avec de gros gants et une muselière. Qui t'a dit que ça se ferait sans peine, mon Jimmy? Soudainement amorphe, il restait là en attendant son sort. La tête enfouie dans un machin qui lui donnait d'être dans le clip de «One» de Metallica.

Puis la dose fût administrée et c'est vrai, trente secondes plus tard il n'était plus qu'un souvenir endormi. J'ai braillé,  le nez enfoui dans le poil dru de mon chat maintenant tout mou. «Voulez-vous que je vous laisse seul?
- Non merci, ça va aller»
Je ne voulais m'étendre là. Avec l'idée malsaine qu'un virus était peut-être déjà en train de me ronger. Hey, le chat était malade, après tout.

Je suis sorti de là les yeux rouges en éternuant, à cause des allergies. Avec une voix frêle que je n'arrivais pas à contenir, j'ai demandé à l'assistante où était la clinique la plus proche. je suis sorti puis me suis effondré en pleurs sur le premier banc, avec la cage maintenant vide qui partait au vent.

L'indication la plus claire que j'ai eu, pour la clinique, c'était Papineau/de Lorimier. Allez comprendre. J'ai marché puis demandé à une passante pour me rendre compte que j'étais juste à côté. Je n'ai pas eu à attendre longtemps. Juste assez pour lire, dans la revue Alibis que je venais de recevoir ce matin même, ma toute première nouvelle publiée. Un grand moment, s'il en est, que j'attendais depuis longtemps. Un rêve, pour ainsi dire. Je l'ai lue, constaté qu'il n'y avait pas de faute, puis je l'ai refermée. Moi qui pensait passer ce moment-là noyé dans le champagne.

L'infirmière a retiré le pansement avec peine. Mon doigt était ridiculement enflé et quatre points mauves me rappelaient le dernier soubresaut de vie de mon chat. J'ai tenté de ne pas y interpréter de message. Comme j'ai préféré ne pas voir de message dans le fait que ce chat était un cadeau à mon amoureuse. Cadeau qui expirait avant la première année d'utilisation.

On m'a fait un vaccin contre le tétanos. Puis suggéré d'aller consulter un médecin. L'infirmière était bien en mal de me dire quoi que ce soit de précis, le nez enfoui dans son guide de premiers soins. Même pas foutue de bien plier une feuille en trois.

Je suis sorti de là avec un stock de bandages pour une semaine et le doigt comme un bâton de base-ball enrobé de ouate. Je suis reparti porter la cage vide à sa propriétaire, mon amie Aurélie qui habite juste à côté.

Avec cette journée de marde dans le corps, je gardais en tête mon projet d'aller me faire faire la totale chez le barbier. Barbier trop occupé, la totale rien qu'à moitié, je suis revenu chez nous avec une barbe faite au clipper, des cheveux maintenant présentable et des favoris beaucoup trop courts.

Mélie est revenue, m'a à peine reconnu, a vu mon bandage, a dit «ben voyons, kessé ça?», s'est agenouillée, m'a dit «raconte-moi tout».

Ce que j'ai fait.

J'aurais peut-être pas dû.

Non, j'aurais vraiment pas dû.

mercredi 8 avril 2009

En attendant la mort du chat



Clair qu'on aurait pu être plus pro-actifs. Du genre, se rendre chez le vétérinaire aux premiers signes de maladie. Mais la maladie, chez Jimmy Beaulieu (oui, c'est le nom du chat) s'est développée sournoisement, dans ce que l'on pourrait tristement appeler la moitié de sa vie. Beaulieu s'éteindra demain sous les mains du vétérinaire avant d'avoir passé au travers de sa première année.

Ça a commencé par cette attitude amorphe, ce clair refus de jouer, ne serait-ce que de se défendre lorsqu'on lui fout une dizaine de tapes de file derrière la tête, histoire de le faire réagir. On a mis ça sur la faute de l'hiver. Parce que comme des sauvages, on ne lui a permis de sortir dehors que vers la fin septembre. Un gros mois à tripper dans le gazon et la ruelle, puis cinq autres à regarder la porte sans rien comprendre.

Fin Juin passé, après un déjeuner au restaurant, un matin de solide chicane. Le déjeuner n'avait rien réglé en soi, ce n'était que la moindre des choses pour me faire pardonner, disait Mélie, d'aller passer le jour de sa fête (et la semaine qui va avec) avec deux groupes de musique pour faire des spectacles en Gaspésie. Aucun doute que si elle avait pu choisir, Mélie ne se serait pas jetée sur le 25 juin comme date de fête. Et il fallait qu'elle tombe sur un musicien, invariablement occupé la fin de semaine de la Saint-Jean. Excusez-moi, la fin de semaine de sa fête. Ce cas-là, il est pas encore réglé.

Quoiqu'il en soit, ce matin de juin passé, après le déjeuner, j'avais dirigé Mélie à son insu vers l'animalerie. Arrivée devant la porte que je tenais ouverte, elle s'était arrêtée, confuse. «Qu'est-ce qu'on fait là?
- Je sais ben pas. Entre, on verra.
- Mais là... mais là...»

Le petit gris avait été repêché en première ronde, avec personne d'autre pour se mettre dans son chemin et lui ravir sa position. Dans la demi-heure, il était dans notre salon et le bonheur était revenu à la maison.

Y'a pas à dire, j'avais scoré solide. Un beau but top-net pas d'ouverture, à la Kovalev quand il est en forme. Et le lendemain, j'étais parti pour la semaine en gaspésie, l'esprit un peu plus tranquille, me semblait-il, me disant qu'au moins, Mélie aurait loisir de passer du temps avec un être qui ne lui aurait pas encore causé de tort.

Pas de tort, jusqu'à ce qu'on se mette à prendre personnel le fait qu'il refuse de manger quoi que ce soit. D'abord la bouffe sèche qui avait jusqu'à maintenant constitué son unique régime. Puis le mou, qu'il s'est mis à ne même pas considérer. Et ensuite le thon, le fromage, le lait et toutes ces choses qu'on ne doit pas donner à un chat et qui fait habituellement son bonheur.

Clair qu'on aurait pu être plus pro-actifs. Mais on s'est dit que ça passerait, avec le soleil qui revient et les overdoses d'amour dont on l'affublait, malgré son inertie totale.

Mais il y avait aussi un autre point. Notre peur du bill du vétérinaire.

C'est ce matin que j'y ai fait face. Au bill, et au diagnostic. Ou bien c'est un corps étranger qui bloque la circulation intestinale, ou bien un virus attrapé à l'extérieur qu'on associera non sans remords au rappel de vaccin que nous avons préféré ignorer. D'une manière ou d'une autre, une jaunisse qui se développe, de l'anémie, sous-hydratation, fièvre. Sans compter le poids-santé, perdu dans la brume depuis longtemps.

Dans un premier cas, c'est l'opération pour rétablir la circulation dans les intestins. Entre 700 et 1000$. Sinon, l'hospitalisation, avec le chat branché sur les fluides regénérateurs sans pour autant avoir de confirmation que le problème serait réglé en bout de compte. 400 à 500$.

Avoir été un citoyen normal, j'aurais bien pu me dire qu'au pire, je paye ça avec le retour d'impôts. Mais, étant, comme stipulé plus tôt, musicien, je suis de ceux qui PAYENT des impôts, alors ça marche pas du tout.

Revenant de la consultation à pieds pour décanter, j'attendais un feu vert à l'intersection de la mort (Iberville, St-Joseph) et je me suis mis à penser à tout plein de façons pour tuer le chat. Des options qui s'avéraient toutes malsaines, sans exception. Et si je le laissais là, sur le trottoir? Et si je le lançais à l'eau (de l'eau? où ça?)? Et si je le prenais par la tête et que je lui faisais faire un petit tour? Et qu'est-ce que je ferais du corps après coup?

Et le chat qui miaule parce qu'il se fait brasser dans sa cage, parce qu'il fait froid, parce qu'il sait que j'ai la tête ailleurs. Et les gens que je croise sur la rue qui s'attendrissent devant le museau et les petites pattes qui dépassent de la grille. Merde. Et Mélie qui va arriver de l'école et qui n'était déjà pas d'humeur ce matin. J'ai envie de pleurer mais n'y arrive pas. Si, j'y arrive. Ou c'est peut-être juste le vent qui fait que j'essuie des larmes avec les manches de mon manteau. C'est pas très clair, tout ça.

Mélie est passée à travers divers stades de tristesse extrême et d'acceptation depuis la nouvelle, et il y en aura certainement d'autres d'ici demain matin.

Demain matin.

Je ne sais pas comment ça se passe, une euthanasie. Paraît que ça marche au poids. Merde, on y a pensé les deux, au fait que ça nous coûterait pas cher. 4, 6 livres de mort s'il-vous-plaît. Pour emporter? Non merci, pour consommation immédiate.

Demain matin, j'irai chez le vétérinaire et je reviendrai les mains vides. Et tant qu'à faire, je vais aller me consoler chez mon barbier, qui est juste à côté. Mes cheveux ont l'air d'un cul, et ma barbe d'hiver encombre mon clavier de plein de corps morts. Demain matin, j'éradiquerai de ma vie une forte quantité de poils.

Présentement, le chat est juste à mes côtés, bien calé dans le fauteuil. Ne se doutant de rien. Ou rêvant que ça finisse au plus vite.

J'aimerais bien te faire un dernier repas débile, mon Jimmy, quelque chose que tu pourrais emporter avec toi. Mais je sais que ça donnera rien. Mais bon, on a loué le dernier Woody Allen, j'espère que tu vas au moins rester dans le divan avec nous autres ce soir. 

Sinon, je peux comprendre aussi.

T'auras même pas eu le temps de te la couler douce. Juste de découvrir le monde, de virer malade et un peu débile et drette bang, ça finit là. Tu  nous excuseras pour tout ça.

On a merdé solide. 

Huit heures plus loin

on se les gelait pas pire
sur la grève à Saint-Anne-des-Monts
mais on restait pareil
comme pour laisser à la nature le temps
de prendre le dessus
sur huit heures de route en pannel

La Biche, comme à son habitude
s’est débouché la deuxième
quand Goulet et moi on n’était encore
qu’à la moitié de la première
il en a profité, La Biche, pour se retirer un peu du tableau
pour appeler sa blonde
Chérie, chus arrivé la route était bonne
mais la bière encore meilleure

il marchait en parlant
on ne voyait maintenant
dans le noir marin
que la lumière mauve de son téléphone
un soleil douteux sur sa joue

le vent et la marée rendaient accessoire
le fait de parler
fait qu’on écoutait rien
on écoutait tout

la mer comme caisse claire
accompagnait les flûtes de nos bouteilles
que le vent s’occupait
à faire chanter

des mélodies qui changeaient
au gré de nos gorgées

mercredi 1 avril 2009

La touffeur et la tête lourde

t’as laissé les portes ouvertes
pour le courant d’air
et tu t’es couchée tout rond
sans te défaire
du paréo dans lequel t’avais flottée
toute la journée

derrière le drap qui séparait la pièce double
ton coloc dormait d’un sommeil agité
et tu n’as pas tardé à le copier
me laissant là
avec ta tête lourde sur mon bras
le parfum aigre-doux de ton cou-canicule
et le goût transpiré de ton dernier baiser timide

j’essayais de m’habituer à tes ronflements saccadés
mais il y avait déjà trop de nouveauté pour moi
ton corps réticent jurait avec la qualité de tes baisers
et je te connaissais peu
je te catchais pas encore
je me retrouvais malgré moi
en train d’analyser ton cas

la soirée m’en a appris un peu plus sur toi
mais tu ne m’as pas renvoyé la balle
pas posé de questions
aucune idée que je sors aussi d’une relation
et peut-être même te tromperais-tu encore
en disant mon nom


tu ronflais en doublé
-un bruit de gorge
en plus d’un sifflement de nez -
et alors que j’explorais à nouveau
tes grosses fesses criardes
et humides
quelqu’un est venu vomir dans la ruelle
il passait un sale moment
toi tu ronflais de plus belle

et moi je me laissais bercer en swings raides
par ton grinçant ronron
mon gros chaton
je plantais mes ongles dans tes fesses
et mon bras droit vivait
un mauvais quart-d’heure
pogné
engourdi
sous ta grosse tête dans la touffeur

puis l’orage a éclaté
a débarassé la ruelle de ses saletés
j’aurais pu
j’aurais peut-être dû
partir à ce moment-là
me laisser glisser dans le torrent
mais je ne pouvais pas m’en sortir
ta tête me retenait
comme un sabot de Denver sur mon bras

alors j’ai pris mon mal en patience
et opté pour la paresse
⎯ pauvre petit sans défense ⎯
j’ai écouté tomber la pluie
et remis ma main libre sur tes fesses
jusqu’à ce qu’au matin
tu sortes du lit enfin
en disant

fait que c’est ça
c’était cool
on se rappellera

Ben ouin Julie j’ai dit
Ben ouin, on fera ça
Pourquoi pas


Et je suis parti chez nous
Sans t’embrasser

Parti chez nous me crosser
En pensant
À d’autres filles que toi




michel-olivier gasse © 2007