samedi 27 juin 2009

Coeurs d'emprunt, de Rick DeMarinis
























(excusez-moi la piètre image...)
(Borrowed Hearts, 1986)
Albin Michel, Terres d’Amérique, 2004, 343 p.

Si je n’avais pas été en charge d’étiquetter les livres en liquidation du temps où j’étais libraire, jamais je ne serais tombé sur ce livre venu faire son temps sur les tablettes avant de se faire foutre au bac de soldes parce qu’il avait passé droit la date des retours. Vous le connaissez, vous, Rick DeMarinis? En avez-vous seulement déjà entendu parler?

C’est aujourd’hui qu’on règle le cas.

Ça devait faire trois ans qu’il germait maintenant sur mes tablettes à moi. Je l’avais ramassé en me disant que ça avait l’air bien, mais pas de là à le lire dans l’immédiat. Et voilà qu’il y a pas longtemps, ma blonde se plaignait qu’il n’y avait PLUS RIEN À LIRE, plainte que j’ai prise personnelle en y remédiant sur le champs. Dans l’impressionnante sélection que j’avais extraite de mes tablettes figurait donc ce recueil de Rick DeMarinis. « Ah ouin? Pis c’est quoi, ce livre-là?
⎯ Des nouvelles. Pas mal certain que c’est bon.
⎯ Tu l’as pas lu? Tu me conseilles un livre que t’as pas lu?
⎯ Bébé, j’ai été payé pendant presque dix ans pour faire ça. Pis je me suis pas fourré souvent. »

En bout de compte, ma blonde a trippé et m’a suggéré de m’y lancer au plus vite. « Ah ouin? C’est si bon que ça?
⎯ Mo. Je comprends pas que tu l’aies pas lu encore. Ce livre-là a été écrit pour toi. Tu. Vas. Aimer. Ça. En. Crisse. »

En effet, Rick DeMarinis avait bel et bien écrit ce livre pour moi, et je lui en suis des plus reconnaissants. Il m’a fait un peu le même effet que Raymond Carver, en frais de nouvelles réalistes pas de punch. Les histoires de DeMarinis illustrent la plupart du temps des relations d’incompréhension entre deux personnes. Père-fils, Fils-beau-père, Vieillard-jeune fille, couples à la dérive, couples d’amis qui s’entendent mal, etc.

Tout ça pourrait bien avoir l’air déprimant, mais curieusement, il n’en est rien. Il y a du lumineux dans ces histoires qui vient enrober toute la tristesse qui s’y dégage. Y’a pas à dire, DeMarinis sait y faire. Des histoires qui sont, plus souvent qu’autrement, des bouts de vie plutôt que des aventures, à part une ou deux histoires qui sortent de l’ordinaire. Sinon, les différences d’âge prennent une part importante de ces récits. DeMarinis montre une compréhension impressionnante de la jeunesse, que ce soient les histoires de jeunesse en tant que telles (qui se passent pour la plupart dans les années cinquante) ou encore celles où sont évoquées les relations parent-enfant.

Mais bon, ce qui m’énerve un peu dans tout ça, c’est que j’ai mis trois semaines à lire ce livre à temps perdu et que les premières histoires sont un peu floues dans ma mémoire. J’y reviendrai peut-être. Mais comme je me connais, j’y reviendrai pas et je lirai d’autre chose à la place. C’est comme ça.

DeMarinis est un maître de la nouvelle,issu de l'école littéraire du Montana, qui regroupe des écrivains pour qui j'ai le plus grand respect (James Welch, James Crumley, Richard Hugo). Une très importante découverte, en ce qui me concerne. Vous êtes maintenant au courant.

lundi 8 juin 2009

Légume


Je ne sais plus d'où c'est que j'arrivais, mais je roulais, tranquille, dans l'est vallonneux de la splendide Sherbrooke.

La ville, pas la rue.


Je roulais lentement, le toit ouvrant, les lunettes de soleil et la cassette de mix qui crachait mes demandes spéciales. J'étais en Jetta 88 en 99, c'étaient mes années fastes.


J'étais pas pressé, toute accélération me semblait inutile. Je montais la 13ième au coin King et je n'ai même pas appuyé sur la pédale en voyant l'handicapé en fauteuil motorisé faire une sale chute en bas du trottoir.


Sale chute, faut le dire vite. Ça s'est fait tout doucement, une petite roue dans le vide, d'abord, et le reste a suivi tout naturellement. Plus de honte que de mal.


Mais j'étais là, pas pressé et rempli de bonne volonté. J'ai stationné la Jetta 88 juste derrière le petit motorisé dont les roues tournaient encore, avec son occupant resté coincé là dans la même position, en attente d'une intervention.


Ça aurait pu arriver dans vingt minutes, mais j'étais là, bien dans ma peau et pas pressé du tout.


Je suis sorti du véhicule et de mon pied, j'ai arrêté une orange qui roulait vers moi. J'étais déchiré entre sauver l'homme de la honte totale à deux pouces du sol ou plutôt récupérer sa commande d'épicerie étalée en plein milieu de la voie.


Y'en avait pour une soixantaine de piasses, facile. Je me suis dit qu'il devait pas être riche et que faire l'épicerie dans son état devait être tout un aria, alors je me suis jeté sur la marchandise en évitant les voitures qui slalomaient entre les fruits et légumes.


Parlant de légumes. Je suis retourné vers le trottoir les bras pleins et il était toujours en position. Ne semblait même pas chiâler sur son sort. J'ai redoublé d'ardeur afin de ne pas me lancer dans une réplique du genre «êtes-vous correct?», ou «avez-vous besoin d'aide?». J'ai tout remis dans les sacs puis aussitôt entrepris de redresser l'homme dans son fauteuil.


Dire que ça a été facile serait pousser la note.


C'est pas tous les jours qu'on a la chance de redresser un fauteuil roulant avec un handicapé dedans. On peut bien se douter que ça sera pas si facile, mais quoi qu'il en soit, sachez que c'est plus chiant que vous ne le pensez.


J'ai fini par y arriver, par remettre le fauteuil roulant sur pieds. J'ai pris les sacs d'épicerie, les ai foutu dans le petit panier puis secoué de quelques claques de la poussière sur son épaule.


«Bon! C'est fait monsieur! Tout est ramassé!»


Y'a pas à dire, je sentais que j'était tout qu'un bel être humain, attentif, soucieux, le coeur sur la main.


Le bonhomme ne m'a pas vraiment remercié. Il a seulement dit «merci» sans me regarder avant d'embrayer à lapin et de continuer son chemin.


Quoi? Tu me prend même pas dans tes bras, quek'chose? Tu m'invites même pas à souper?


Je suis retourné dans la Jetta 88 et j'ai mis peu de temps à rattraper mon sauvé, qui roulait pourtant au maximum de ses capacités.


«Ben là, kessé qu'y a?»

«Oh, rien, monsieur. Je veux juste m'assurer que vous vous rendiez sain et sauf.»

«J'capable tu-seul, c'est ben correct.»

«Visiblement, vous avez besoin d'aide des fois...»


Je respectai un feu rouge alors que lui passait tout droit, sans même regarder des deux côtés. Je le laissai profiter de cette avance inconfortable et arrivai peu après pour le rejoindre, mais il avait disparu. Je le retrouvai vite sur une rue perpendiculaire, roulant à même l'asphalte.


«Vous habitez pas loin d'ici?»

Il sursauta.

«Je vous ai posé une question...»

«J'm'en vas chez quelqu'un.»

«Oh! Vous avez fait l'épicerie pour lui! C'est ben fin, ça!»

«Coudonc, vous pouvez pas me laisser tranquille? J'vous ai dit que j'allais être correct!»

«Monsieur, je veux juste être gentil. Pis y fait beau et j'ai du temps à tuer.»

«Ben trouve-toi donc d'autre chose à faire, crisse!»

«C'est correct, monsieur, j'm'en vais dans cette direction-là, de toute façon. C'est ici qu'il habite, votre ami?»

«Non.»

«Là?»

«NOOOON!»


Il n'avait pas vu le nid de poule, tout occupé qu'il était à me crier après. Plutôt que de reprendre une chute comme la précédente, il resta pris bancal dans le trou, le reculon, le lapin ou la tortue n'y pouvant rien. J'ai étendu le bras pour attraper une orange et je suis parti. J'avais pas que ça à faire.