lundi 30 novembre 2009

Le jour des poubelles, chapitre 14


Je rattrapais les retards comme l’employé que je n’avais jamais été. Mes interventions à Jean se limitaient au strict minimum, les seuls bruits qui occupaient l’espace étant ceux de nos outils, celui de la radio et Jean qui réagissait aux lignes ouvertes, seul de son côté.

J’en étais encore à avaler la pilule. Après notre danse de la veille, après le baiser raté, après l’avertissement de la co-équipière de Sandra, j’étais retourné à ce qui restait de ma bière que j’avais vidée d’un trait, décidé à foutre le camp au plus vite. Sandra était réapparue en plein milieu d’une gorgée un peu ambitieuse. Ça aurait bien pu passer de travers si elle n’avait été interceptée en chemin, ce qui me permit d’ingérer adéquatement avant de prendre la fuite. «Coudonc, me dit Jean, prends-donc le temps de respirer un peu, là…
⎯ C’est toi qui me dit ça? Monsieur on-a-tellement-de-job-qu’y-faudrait-travailler-la-nuit-pis-pas-prendre-de-breaks?
⎯ Pogne pas le nerfs, Manu, j’veux yinque te dire que tu bardasse pas mal pis que tu sables comme un défoncé. Si tu continues de sabler pis souffler de même, tu vas tomber sans connaissance, pis tu vas avoir une tendinite en plus.
⎯ Pis toi tu vas te retrouver pas de helper, je gage?
⎯ Ben là, j’ai pas dit ça…
⎯ Mais tu l’as pensé.
⎯ Coudonc, toé, kessé que t’as mangé à matin? T’as-tu eu une mauvaise baise, quek’chose?
⎯ Viens voir, pour le fun, si la job est mal faite!
⎯ C’pas ça que je dis, crisse! Je fais yinque te dire de prendre ça relax un peu, pis deux secondes après tu me cries par la tête…
⎯ Ben pour toutes les fois que t’es pas du monde, Jean Lemieux, je peux-tu être pas du monde tranquille moissi pis avoir la paix?»

En trois ans, c’était la première fois que je levais le ton à son endroit. Bien entendu, à un nombre incalculable de reprises, je me serais volontiers emparé d’un tournevis plat pour le lui planter dans la gorge, les yeux, ou tout simplement dans le gras. Genre de chose qui me faisait rêver et qui m’apaisait. Je m’imaginais lui enfoncer l’objet loin, loin dans l’adipeux et calculer son temps de réaction avant de comprendre que quelque chose ne tournait pas rond. Mais, en bon employé, je m’étais toujours retenu à temps.
Jean resta interdit à ma dernière réplique. Il n’avait pas l’habitude de se la faire fermer. Le silence qui régnait maintenant laissait la porte ouverte à deux options. Ou bien il se rétracterait, ou bien exploserait.
Je continuai mes affaires sans lui porter attention. Je mis de côté mon travail en cours pour m’attaquer à la guitare de Jack Turbine. Le genre de chose que Jean n’arrivait pas à comprendre, mais j’avais ma méthode.
Je commençai par passer un linge sur l’étui couvert de poussière. Je l’ouvris et une odeur d’humidité me monta au nez. Je coupai les cordes rouillées à l’aide d’une pince et jetai le tout à la poubelle. J’avais maintenant peur de jeter un œil par la porte. J’étais parti en sauvage et à moins d’un miracle, j’aurais des explications à fournir. J’étais conscient que j’aurais pu agir plus intelligemment, mais ça avait été plus fort que moi. Un vrai pissou. «Tu commences la guitte à Turbine?
⎯ Oui.
⎯ Mais t’as pas fini l’autre.
⎯ Non.
⎯ Pourquoi tu fais ça?
⎯ Je t’écoeure-tu sur tes méthodes, moé?
⎯ Non, pis une crisse de chance, mon gars, parce que je t’aurais clairé ben assez vite.»

J’avais maintenant la main à l’intérieur de la guitare pour en vérifier l’état. Tout semblait en ordre, mais je fus surpris lorsque mes doigts tâtèrent quelque chose de mou. «Hein?
⎯ De quoi?
⎯ Ben, je le sais pas, y’a comme quelque chose de mou dans le body.
⎯ Du mou? Genre du pourri?»
Jean s’était extrait de sa chaise pour venir voir, avec sa respiration bruyante juste au-dessus de mon épaule et son ventre énorme qui poussait dans mon dos. Au toucher, ça semblait être du plastique. Après quelques essais, je parvins à saisir et tirai délicatement. Nos réactions furent les mêmes à la vue de ma main passant la rosace avec entre les doigts un sachet de cocaïne. Puis Jean devint tout excité. «Ah ben tabarnak! J’te jure qu’y les a les cachettes, c’te Jack!
⎯ Qu’y les avait, Jean, ça doit faire quoi, dix-quinze ans que ça traîne là?
⎯ Bah, chu certain qu’y en a encore, des cachettes pareil.
⎯ Pas sûr qu’y se cache encore ben ben, moi…
⎯ Bon ben crisse! C’t’un beau p’tit extra, ça…
⎯ Ben voyons, Jean, ça doit pus être bon.
⎯ Tu penses q ue ça passe date, d’la coke, toé?
⎯ Ben là, je sais pas…
⎯ Si ça se trouve, à va être encore meilleure.
⎯ Comme le vin, genre? Yeah right.
⎯ Ostine moi pas pis fait de la place sur ta table, là…
⎯ Pourquoi? Tu veux faire ça, là?
⎯ Y’est où le problème?
⎯ Ben je sais pas, genre «être à la job avec son boss», c’en est un pas pire, de problème.
⎯ Tu vois-tu des clients? Il tournait sur lui-même en cherchant des clients. Il n’en voyais pas et pour une fois, il était content. J’vas aller barrer la porte en avant pis mettre la pancarte, si tu veux.
⎯ Ça serait la précaution minimum. Je le regardais, un peu ébahi.
⎯ Coudonc, t’as-tu la chienne? T’en as-tu déjà faite?
⎯ Ben oui, là, c’pas ça le problème.
⎯ Fait que c’est quoi le problème?
⎯ Pfffff… Va barrer la porte, d’abord, j’vas nettoyer un peu, qu’on se ramasse pas à couper ça avec du bran de scie.»


Jean revenait dans l’atelier en fredonnant et en claquant des doigts. Au lieu d’avoir fait le ménage sur mon établi, j’avais sorti une retaille d’érable piqué verni qui ferait bien l’affaire. «BON! De quoi? Ç’pas encore prêt?
⎯ Je me suis dit que ça te ferait plaisir que je te laisse préparer tout ça.
⎯ OK, c’est bon. Pendant ce temps là, va ouvrir le safe pis ramasse-nous un bill de cent, ou ben de cinquante, au pire.
⎯ Ben là, Jean, j’ai un cinq icitte, là, ça va faire la même job.
⎯ Manu, crisse, je te demande une affaire, pas compliquée, pis je suis resté poli…
⎯ OK boss…»

Accroupi devant le coffre-fort dans l’attente du déclenchement, j’entendais Jean respirer fort. Mais pour être franc, pour la première fois je l’entendais respirer heureux. J’y comprenais vraiment rien. Et surtout, j’arrivais pas à me dire que c’était une bonne chose.
Jean était probablement dans la meilleure condition que je ne l’avais jamais vu. Seulement, j’appréhendais ce qui suivrait. Sans aucun doute, je m’enlignais sur une expérience qui redéfinirait à jamais notre relation. Pour le meilleur ou pour le pire, ça, c’était encore impossible à dire. Mais si une chose était claire dans ma tête, c’est qu’il y aurait un avant et un après ce qui allait se passer dans les prochaines minutes. Peut-être dans le désir de prolonger l’avant, je passai tout droit au déclenchement du coffre. Il m’a fallu recommencer, et Jean commençait à s’impatienter.





Il avait préparé des portions un peu ambitieuses, à ce qui me semblait. J’avais discrètement réduit les miennes de moitié, mais Jean avait pris d’entrée de jeu deux grosses lignes. La porte arrière et la fenêtre étaient grandes ouvertes, l’air était doux et les pupilles de Jean dilatées au maximum. Mustang fit son entrée en miaulant. Au lieu de me demander comme à l’habitude de sortir le maudit chat, Jean se pencha en lui parlant d’une petite voix que je n’avais jamais entendue. Je n’étais pas convaincu d’être à l’aise avec tout ça. J’aurais peut-être dû m’en réjouir, mais force m’était d’admettre que je préférais mon patron dans son état de désagrément habituel. «Queu qu’y fait le beau ti chat, han? Queu qu’y fait le chat?» Ce à quoi Mustang, probablement aussi surpris que moi, réagit en le griffant au visage. «Aaaaarrrrrghhh!!!! Tabarnak de chat de crisse! Sors-moi c’t’hostie de chat-là d’icitte, câlisse!»

Je ramassai Mustang alors qu’il se sauvait. J’avais envie de le garder avec moi. Il s’agitait un peu, mais je parvins à le calmer et il se mit à ronronner. Ce chat-là ne devait pas avoir un an. Je me demandais bien qu’est-ce qu’il pouvait faire à se balader dans le quartier comme ça.

Jean revenait de la salle de bain où il avait épongé sa blessure, assez minime, dois-je préciser. «Kess-tu fais? Je t’ai dit de le mettre dehors.
⎯ Je sais. Mais j’avais envie de le flatter un peu.
⎯ Chu allergique.
⎯ Pffff, n’importe quoi. T’haïs les chats, c’est toute.»

Il se mit à se gratter les avant-bras, mais clairement que c’était de la frime, Jean faisait de l’eczema de façon chronique. Je raffermis ma prise sur Mustang et lui donnai des becs à la base des oreilles, là où il y a peu de poil. Et maintenant, boss, on fait quoi?

Il s’était assis dans son fauteuil en tapant un beat sur ses cuisses. Il avait les yeux fermés. Je donnais tout ce que j’avais au chat.

«Hostie que c’est bon. Maudit crisse. Je pense que la dernière fois, c’tait v’là cinq ans, une réunion qu’on s’avait faite avec les gars de ma division, dans le temps de Val-Cartier. Les hosties, y’avaient tout’ pogné de quoi en crisse quand y m’avaient vu arriver. Tsé, j’étais quand même pas p’tit dans le temps, mais entre-temps, j’avais comme explosé. Y m’écoeuraient tout la gang, les crisse, y disaient que depuis que j’étais pus dans l’armée, que je m’étais mis à changer ma salade pour une poutine. Ça pis d’autres affaires, genre «Pizz extra-mayo!!!», des hosties de niaiseries. J’avais beau leur expliquer que c’était à cause de mes problèmes de santé, ils s’en crissaient ben, eux autres. Tout le monde était ben chaud. On avait commencé ça dans un resto, pis on avait fini chez un des gars, Gagné, qu’y s’appelait. On était allé là, pis là y’ont fait venir des filles, des hosties de pitounes, j’te jure. Pis après les pitounes, ça a été un des chums à Gagné qui est arrivé. Y’est pas resté longtemps. Juste assez pour aller à’ table pis déposer un paquet tout’ ben ficelé. Y’a ouvert ça en plantant un couteau dedans, pis d’un coup y’avait une load pas possible de poudre su’a table. Le gars y’a ouvert ça, y’a laissé quatre-cinq cartes d’affaire juste à côté du tas, pis y’est parti en nous souhaitant bonne soirée.»

Le téléphone sonna à ce moment-là. Mustang se raidit dans mes bras. Ça m’a ramené à l’ordre, parce que je commençais à tripper un peu fort dans son poil. Jean, lui, n’eut même pas le réflexe de réagir.

«Ça a pas été long que ça a dérapé, c’hostie de soirée-là. Ça dansait, ça sniffait, ça cruisait ferme pis moi, ben tsé, j’étais rendu pu ben ben à l’aise avec les filles, fait que je restais à’table, avec tout’ ce que ça impliquait. Au moins, y’avait Savard itou qui était laitte comme un pet, y restait à’ table aussi. On jasait un peu, on tcheckait les filles danser, on en écoutait quequs’uns fourrer, pis on faisait des lignes, kess-tu veux. Un moment donné, y’a une des filles qui était avec Gingras qu’à l’a lâché pis qu’à s’est en venue drette su moé. J’y croyais pas ben ben, mais crisse, c’était drette ça qui se passait! À s’est en venue pis à me lâchait pas des yeux, je capotais ben raide. Arrivée à’ table, à m’a poussé sur l’épaule pour que je me retourne vers elle. Elle est venue s’assire su moi direct. À s’est mise à me flatter la face, pis le torse, j’étais gelé raide, dans toute les sens du terme, j’te jure. Pis pas long après, à me frenchait à grand gueule pis à se bougait les hanches su moé, je commençais à bander ben raide.»

Et moi je commençais à vouloir me trouver des choses à faire. Mais Jean était sur une lancée. Jamais encore il ne m’avait enfilé autant de mots de suite. Je me sentais un peu privilégié, mais j’avais peine à faire la part entre le privilège et le malaise. Mais Jean était ailleurs et ne se rendait compte de rien.

« La fille à l’a fini par se lever pis me demander de la suivre. Fait que je l’ai suivie. À m’a emmené dans’ chambre à Gagnon pis à m’a poussé sur le lit. Pis là, ben, à s’est mise direct à déboutonner mes culottes…
⎯ Jean…
⎯ Ça commençait à faire un boutte en crisse qu’y avait pas une fille qui était allée voir dans ce coin-là…
⎯ Jean…
⎯ Une qui était pas payée, en tout cas…
⎯ Jean, crisse…
⎯ Même si elle, elle était payée, mais bon, pas par moé…
⎯ Jean! Hostie! Skippe des bouttes!»

À ce moment-là, il riait tout seul. Ça me faisait un peu peur. Mustang dormait dans mes bras, à présent. Je ne savais pas trop qui, entre Jean et moi, l’avait réellement endormi. J’aurais bien aimé être un chat. Un chat, ça ne garde pas en tête l’image d’une pute qui tasse le gras de bide pour faire une pipe à ton gros tas de patron. « ‘Sra pas long, là, j’arrive au boutte le fun.
⎯ Ah, cool...
⎯ Fait que la fille était après me sucer, pis tsé, c’tait une pro pareil, a l’avait en crisse, l’affaire. Fait que, ben… tsé, ça l’a pas duré super longtemps. Pis juste comme que je venais, y’a Gingras qui est rentré dans’ chambre, pis y’était en beau tabarnak. Mais tsé, en beau câlisse. Y s’est mis à m’insulter pis à crier des niaiseries à la fille aussi, comme de quoi qu’à trippait sur les gros, que c’tait le gras qui la faisait mouiller. Pis c’est là que j’ai faite une hostie de niaiserie…»

À ce moment, il avait les deux mains plantées grandes ouvertes sur ses bras de chaise. Grands ouverts les yeux, aussi, fixant un point que lui seul était en mesure de voir. Je m’allumai une cigarette qui le laissa indifférent. Mustang aussi.

« De quoi?
⎯ Ben, je m’en rappelais pus vraiment, mais ça m’est revenu sur le coup, que Gagnon y se gardait toujours son gun à la tête de son lit. Y m’avait déjà dit ça, dans le temps. Je me suis même pas posé la question. Chu venu dans’bouche de la fille pis j’ai tu suite mis mon bras au bout du matelas pis chu tombé su’l gun. Un maudit beau Berretta, crérais-tu à ça? Je l’ai pointé sur lui, comme si c’était la seule affaire à faire. Ma main à shakait, pis j’avais le doigt qui avait le goût. J’avais le goût en crisse. Ça s’est passé super vite, toute ça. Vite de son bord aussi, parce que quand qu’y m’a vu avec le gun, lui, le réflexe qu’y a eu, ça l’a été de ramasser la fille par les cheveux pis de se la mettre en bouclier. Ça virait mal en crisse.»

Rendu là, Jean roula dans sa chaise jusqu’à mon établi et se leva pour refaire une ligne. Je n’avais pas bougé, si bien qu’il se redressa ensuite et qu’il était tout près de moi, avec sa face rougie, ses yeux écarquillés. Puis il renifla un bon coup. Fort. Mustang prit peur et se libéra de mon étreinte en crachant et en griffant. Surpris et apeuré, Jean cria et perdit l’équilibre vers l’arrière. Il tomba tout croche sur sa chaise et tenta de se rattraper en chemin. Mais ce qui était dans le chemin, c’était un manche de basse qui tenait dans l’étau. Le gars à qui ça appartenait se l’était fait craquer dans l’avion. Jean avait fait une belle job de recollage mais là, sortant de sa stupeur, étendu par-terre avec un morceau de manche de basse entre les mains, j’attendais la tempête, l’ouragan, la fin du monde, rien de moins. Il se toucha au front, constata le sang sur ses doigts et comme un enfant, il était dans cette zone-tampon où l’on se demande s’il faut rire ou pleurer. Il prit la première option. Avec un extra-sauce.

Je tentai de rire aussi, mais sans grand succès. Je cherchais le chat, mais j’allai aider Jean à se relever. C’était pas une mince tâche.




Il était debout et riait encore. Une fois que je fus assuré qu’il tenait bien, je me repenchai sur mon établi pour une nouvelle dose. J’avais besoin de forces. Et maintenant, j’étais curieux. «Fait que? C’est quoi qu’y s’est passé après?
⎯ Après ça, y’est sorti de la chambre en tenant la fille par le cou. Le monde se sont mis à capoter raide. Pis moi j’ai relevé mes culottes pis je suis sorti de la chambre. Avec le gun. Ça s’est fermé la gueule assez vite merci. Je savais pus trop ce que je faisais, mais j’étais comme trop avancé pour arrêter, on dirait. Fait que je me suis mis à faire des menaces. Que le prochain qui me traiterait de gros, y’en mangerait une câlisse. Une hostie de sale. La fille trippait pas ben ben.»

Il arrêta son récit pour aller au tiroir barré à clé de son établi. Il chercha ses clés, débarra et se retourna lentement, affichant un sourire béat avec le revolver dans ses mains. Je commençais à suer.

«Le monde se sont mis à dire à Gingras de lâcher la fille. Mais Gingras y’était high ben raide, comprenait comme pus rien. Y serrait la fille au cou encore, pis un moment donné, première affaire qu’on a su, c’est que la fille a flanché raide. Quand ses jambes ont lâché, on a entendu son cou craquer. C’t’une méchante pièce d’homme, le Gingras. Là, les filles, ça s’est mis à crier au martyre, y’étaient toutes à poil pis ça courait après son linge. Dans les gars, personne savait trop quoi faire. Tout le monde était ben trop pété. Moi je restais là avec le gun. Les filles ont tout’ sacré leur camp, pis y nous ont laissés avec le corps mort. Je dis nous, mais je suis parti moi aussi. C’est Savard le premier qui s’est levé de la table pour aller voir la fille. Les autres ont suivi. Pis moi chu sorti. Avec ça.»

Et là il me montra le Berretta. J’avais les genoux mous. «C’est ça, la dernière fois que j’ai faite de la poudre. La dernière fois qu’y a une fille qui m’a touchée, aussi. Toi, c’est quand, la dernière fois?
⎯ Jean… chu pas sûr que j’aime ça que tu pointes un gun sur moi… En fait, j’aime vraiment pas ça.
⎯ Ouin mais là, j’vas pas te tirer dessus!
⎯ Ça, c’est juste toi qui le sait.
⎯ Guidoune… Crisse, chu ton boss, je te tirerai pas dessus, maudit.
⎯ Ouin, mais dans l’armée, y vous disaient pas que ça se fait pas, de pointer un gun sur quelqu’un? Sur un employé, mettons?
⎯ Je l’sais ben. Mais chu pus dans l’armée.
⎯ Crisse, Jean, joue-donc pas au plus fin. Y’est-tu chargé, ton gun?
⎯ Veux-tu ben me dire à quoi ça sert un gun si y’est pas chargé?
⎯ Ok Jean, pose ça tu suite, si-te-plaît.
⎯ Coudonc, t’as-tu la chienne?
⎯ Si ça peut te faire plaisir, OUI, j’ai la chienne. J’ai la chienne en crisse.
⎯ Si tu savais ce qu’y nous faisaient faire, dans l’armée.
⎯ Je m’en crisse, de ton armée! Visiblement, vous êtes tous des hosties de caves! Fait que pose ton gun, sinon je crisse mon camp pis je reviens pas!»

Il eut un léger ricanement. «Tu sors pas d’icitte.»

Je vais me faire cliché, ici, mais s’il y a une chose, avec les clichés, c’est qu’ils prennent racine dans le vrai. Et quand Jean m’a dit cette dernière phrase, c’est carrément le film de ma vie que j’ai vu passer. Mais merde, il passait à TVA un lundi soir et je suis tombé en plein sur une annonce. Puis j’ai explosé, avant même la fin de la publicité. Des bruits de verre éclaté sont venus couvrir le fait que je ne verrais jamais la fin de ce film. J’étais adossé au mur, accroupi avec les jambes qui tremblaient à en sortir de leur socle. Je portai instinctivement une main à mon épaule, main qui me revint couverte de sang. Puis mes yeux firent un focus et je vis Jean, étendu à nouveau sur le sol, inerte.

Il ne me semblait pas trop avoir envie de rire.

jeudi 19 novembre 2009

Le jour des poubelles, chapitre 13.


Sandra occupa mon esprit pour les deux jours qui suivirent. J’étais appliqué au boulot, j’avais trouvé moyen de travailler en gardant en tête une image mentale d’elle, comme une photo que j’aurais punaisée au babillard pour m’assister dans mes journées. Sandra regardant par-terre en réponse à mon avance maladroite. Et ce surnom dont elle m’avait affligé tout de go, Backdoor boy, n’était-ce pas là une marque d’intimité inébranlable? J’en frissonnais en sablant la touche de la Telecaster 1991 que je devais refretter.
Ceci étant dit, je jetais quand-même un œil par la porte arrière aux quinze secondes, en quête d’une image nouvelle.

Ce soir-là, je m’arrêtai au parc après m’être acheté une Guinness que je prévoyais boire adossé à un arbre en regardant passer les filles. Mais je la bus plutôt assis dans l’estrade du terrain de baseball en regardant jouer les filles, définitivement ravi.

J’avais peine à prendre parti entre les bleues ou les jaunes. Je les aimais toutes, c’était pas plus mal. La frappeuse des bleues cogna un coup sûr au champ centre qui lui permit de se rendre sans peine au premier but. Une fois le jeu arrêté, elle retira sa casquette et se passa une main dans les cheveux. Courts et roux, les cheveux. Sandra. Elle me vît au même moment. J’avais ma nouvelle image et le cœur me faisait des tours et je devais sourire comme un bel imbécile. Je la saluai d’une petite main dénuée de virilité, elle me répondit d’un coup de menton.

La frappeuse suivante fût retirée après un compte complet, laissant Sandra seule sur les sentiers. Étourdi par la magnificence de son cul alors qu’elle s’en retournait au banc au pas de course, je m’allumai une cigarette qui incommodait ma voisine d’estrade. Je me levai et me dirigeai nonchalamment derrière le marbre alors que les changements s’opéraient. Je regardais un peu partout en sifflotant dans le but de décompresser, mais j’étais excité comme un gamin le matin de sa fête.

L’arbitre annonça la reprise du jeu et je me retournai vers le terrain. Elle trônait en splendeur au sommet du monticule, d’où elle devait voir trois têtes superposées, deux masquées et une ébahie. Elle me resservit le coup de menton. Ni l’arbitre ni le receveur ne durent y comprendre quoi que ce soit.


Elle revint à elle et envoya aussitôt une balle rapide que la jaune tenta de frapper presque une seconde trop tard. Efficace. J’applaudis et l’arbitre se retourna. Je lui souris. Sandra était restée concentrée et lança une seconde prise, puis une troisième. Elle accepta sans broncher les encouragements de la foule et du reste de son équipe.
Cette fille était une guerrière, une mercenaire, une ninja, Jedi, illusionniste, une jardinière révolutionnaire et je serais sa cause, coûte que coûte. Je la regardais dans les yeux alors qu’elle ne faisait qu’une bouchée des deux autres frappeuses. En retournant au banc, elle m’envoya un doigt d’honneur et cracha par-terre, ce que je pris pour de l’affection pure. J’allumai une nouvelle cigarette.


«Tu devrais venir à toutes les games, Backdoor boy.»
Je me retournai. Elle était là, souriante et mesquine, avec quelques couettes qui sortaient de sa casquette. Je n’avais pas remarqué, la première fois, cette tache de rousseur qui dessinait une zone ombragée sur sa lèvre supérieure. J’essayais de la détailler tout en restant subtil, mais je me connaissais assez pour savoir que c’était peine perdue. Il me fallait à tout prix me changer les idées, mais je n’en avais aucune envie. J’étais face à la plus belle fille de ma vie et des idées, j’en avais tout plein. «Pourquoi tu dis ça?
⎯ Parce que je m’imagine que la balle, je l’envoie sur ta face de pet pis on dirait ben que ça marche…
⎯ Si tu me l’envoyais dans’face, tu ferais pas des prises.
⎯ Sandra!
⎯ Ta mère t’appelle.
⎯ Bon, faut que j’y retourne… Restes-tu pour la fin de la game?
⎯ Je bouge pas. À moins que tu me pitches une balle par la tête.
⎯ T’a verrais même pas venir!» me dit-elle en s’éloignant.



La dernière fois que j’avais été mêlé à autant de filles, je devais avoir 6 ans et je chantais dans une chorale. Étant tout petit, on m’avait foutu en première rangée. Les deux seuls autres garçons, beaucoup plus vieux, étaient loin derrière. Je ne les voyais, pour ainsi dire, pratiquement jamais.
Mais l’ambiance ce soir était toute autre. J’étais au bar, au beau milieu de deux équipes de balle-molle féminine qui, une fois en civil, avaient mis de côté leurs partis-pris pour redevenir les amies qu’elles étaient dans la vraie vie. Alors que j’avais toujours vu Sandra dans le contexte calme et anonyme du jardinage-voyeur, son caractère se révélait maintenant à moi sous un angle nouveau. Sandra était un pilier, une force naturelle. Assister au match m’avait permis de constater qu’elle était sans contredit la joueuse étoile de l’équipe. Et des bribes de conversation glânées ça et là au cours de la soirée me firent comprendre que son statut s’étendait à la ligue au grand complet. Elle buvait avec assurance, avait de répartie, parlait à tout le monde et donnait des coups en même temps. Et malgré cette apparente bonasserie persistait une lueur de mystère qui était sur le point de me faire flipper. «Tu parles pas ben ben, Backdoor Boy…
⎯ Chu trop occupé à regarder.
⎯ C’est beau, han?
⎯ C’est belles, tu veux dire.
⎯ Ouan. Moi aussi ça me déconcentre souvent.
⎯ T’as un bon bras, en tout cas…
⎯ Ouin ben, j’ai comme qui dirait pas trop eu le choix. Avec un père crinqué pis trois frères sportifs, mettons que j’ai pas eu l’occasion de passer ben du temps avec les poupées.»

Sandra était une fille des bois. Elle avait grandi en Abitibi et elle était arrivée en ville il y a cinq ans pour occuper un poste d’infirmière, au grand dam du reste de sa famille qui jugeait impertinent d’aller combler un tel poste dans la jungle de la ville, alors que les régions avaient constamment besoin de toutes le ressources. «Mais crisse, chu pas Mère Thérésa, man, c’est ben beau, là, chu infirmière, mais j’ai une vie aussi, tsé? Je cré ben qu’y ont des postes à Lebel-sur-fuckin’-Quévillon, mais y’a des hostie de limites à s’occuper du monde. Déjà que je fais ça quasiment à temps plein dans mes temps libres depuis que je suis petite, calvaire…»

Ses frères lui en avaient fait voir de toutes les couleurs et il y avait maintenant bien peu de choses pour lui faire peur. Nous étions assis côte à côte au bar et elle avait cessé d’intervenir à gauche et à droite comme elle le faisait plus tôt. Nos regards étaient dirigés vers le bois usé, elle me racontait sa vie en pièces détachées en jouant avec le sous-verre. Je l’écoutais en hochant de la tête de temps à autre. Lorsque je manquais une parole, je m’approchais d’elle pour la faire répéter, mais j’étais à tout coup déconcentré par son parfum, genre de musc naturel aux effluves de cannelle. Peu s’en fallait pour que je me voie alors dans l’obligation de la faire répéter à nouveau. Mais je laissais aller, je disais oui à tout. «Pis toi? me lança-t-elle tout à coup.
⎯ Moi quoi?
⎯ Je sais pas, dis-moi des affaires, j’te connais même pas…»

Lui dire des affaires. J’en étais presque à me mettre à la poésie tellement j’en avais, des affaires. Mais moi, la poésie… Alors je me retrouvé bouché quelques secondes, puis sauvé par le DJ qui nous faisait un cadeau avec Something Stupid, de Sinatra père et fille. Cette chanson, moi, je l’aime, je l’aime au point de mettre un terme à une conversation en disant quelque chose d’aussi déplacé que «C’est ma toune!». J’y étais presque, mais Sandra m’a sauvé en me tendant la main. «J’te jure, moi, cette chanson-là… Viens-tu danser?»

D’ordinaire, la danse figure assez loin dans mes choix de moyen d’expression. À moins qu’on me mette du vieux Stones ou n’importe quelle musique noire d’avant 1975, j’ai tendance à garder profil bas. Mais là, la question ne se posait même pas. Ignorant le tourbillon ambiant, je pris la main de Sandra sans même y réfléchir et la suivis, à défaut de plancher de danse, dans un coin qui nous permit de faire comme si. La brusquerie qui l’avait animée durant la conversation faisait place à une sensualité débordante et créatrice. Des mouvements qui n’existaient pas avant, où chaque partie de son corps était impliquée. Et chaque partie de me tête par conséquent. Je me sentais raide et mal-à-propos, mais je me joignis quand même à elle et tentai de la suivre. Arrivé au solo à la fin de la chanson, j’étais déjà rendu dans son cou et son odeur m’y gardait prisonnier. Je risquai un doux baiser. Elle se recula pour me faire face et me fît non de l’index, toujours avec le sourire. Je battis en retraite, quelque peu embarassé et fît comme si c’était sans importance. Je voulais mourir. La chanson terminée, elle me signifia qu’elle devait aller à la salle de bain et je restai seul un instant, déboussolé. En me retournant à ma bière, une fille m’accrocha. «Penses-y même pas mon gars. T’as pas une chance.»
Et j’étais seul à nouveau.

mardi 17 novembre 2009

Existe en blanc, de Bertrand Blier



Robert Laffont, 1998, 249 p.


Blier, on le connaît pour ses films irrévérentieux, verbeux et totalement déroutants. En peu de temps, il est devenu pour moi un réalisateur fétiche, un gars qui me parle comme on ne m’avait encore jamais parlé, qui me montre des choses que je n’avais encore jamais imaginées. Appliquer l’étiquette « fétiche » à un gars comme ça, c’est pas rien, parce qu’on n’a aucune idée de où ça pourra nous mener. Tout ce qu’on sait, c’est que ça nous mènera loin. Tellement loin que Google Maps en perdrait tous ses moyens.

Ceux qui auront déjà vu ses films pourront avoir une certaine idée de ce que ça peut être, que de se plonger dans les mots de Blier. C’est rien de ce qu’on aura jamais lu, je dis ça pour de vrai. Au début, on aura peut-être un peu peur d’avoir à se taper de la lourdeur d’auteur français expérimental, mais ça passe bien assez vite. Les mots de Blier mettent absolument tout en perspective, de façon à ce que les pires tabous, les fantasmes les plus tordus nous feront éclater de rire. Avez vous déjà ri, vous, à des scènes de pédophilie ou d’inceste avec un parent qui a changé de sexe? Sachez que c’est possible. Et pas à peu près.

Mais là où les mots ont la belle part et se font un after-party pas possible à des milles et des milles de l’Académie française, l’histoire, nécessairement, en vient à souffrir un peu. Ne nous méprenons pas, si Existe en blanc est qualifié de « roman noir », ce n’est probablement qu’à cause des quelques morts (quelques mortes, devrais-je dire) qu’on y trouve, en plus d’un évident désir de contraster avec le titre. Amateurs de suspense, allez prendre un douche si vous n’êtes pas prêts à mettre quelques concepts de côté.

Le narrateur nous parle de sa cellule, dans le noir complet depuis qu’il a perdu l’usage de la vue. Il s’appelle Baudoin Treuttel, il est français mais sonne comme un belge, à son grand dam. Il n’en fallait pas plus pour se faire rincer à la petite école. Mais ses camarades de classe comprendront bien vite à qui ils ont affaire lorsque le jeune Treuttel, qui a sept ans, se met à leur raconter ses aventures avec son amante d’âge mur. La propriétaire d’une boutique de lingerie devant la vitrine de laquelle Treuttel s’est soudainement arrêté, un après-midi, en se disant qu’il n’y avait rien de plus beau qu’un soutien-gorge.

Il en fera un mode de vie, du soutien-gorge, du soutif. Seulement, sa passion le possède à un point où il ne peut accepter qu’une femme le retire, laissant ainsi aller à la gravité toute sa féminité. Un soutif, ça tient la femme haute et droite et fière, ça la place un peu beaucoup au-dessus de vous. Et quand elle le retire, elle devient tristement banale (mesdames, c’est lui qui dit ça, pas moi) et qu’est-ce qu’on peut faire d’autre à ce moment, sinon la tuer?

Quand on se met à prendre goût à tuer des femmes et qu’on est un gars comme Treuttel, quel meilleur métier que représentant en lingerie? Treuttel s’y lancera jusqu’à sa perte. Mais de là à dire que c’est cette histoire-là qu’on suit… Quand on se met à vraiment mordre la poussière, c’est comme si Blier nous mettait l’histoire de côté. On tombe dans la longue déposition du père Treuttel au procès de son fils qui, bien que passionnante, nous éloigne de ce qu’on voulait se faire raconter encore. Et puis après, je dois vous avouer que je n’ai rien compris. Ou rien voulu comprendre. Ça m’est égal. Blier nous fait le coup de finir ça avec des extraits de journal intime du tueur, puis avec des notes éparses de l’auteur qui, de ce que j’ai pu comprendre, ne serait pas Blier, dans l’histoire. Mais peut-être aussi que je n’ai pas compris. Mais rendu-là, je m’en fous. Ça m’a fait penser à la fin de « Tenue de soirée », quand Michel Blanc finit par se déguiser en femme. Ça dérape et ça devient n’importe quoi. Alors que Blier a toujours ancré ses personnages et ses histoires dans des fondements moraux hautement dérangeants, là, ça devient cabotin, inutile.

Mais comme c’est étrange, autant la fin de ce livre a-t-elle pu me décevoir, la première moitié, elle, reste bien claire dans mon imaginaire. Je me suis fait torcher pas à peu près, et j’ai adoré ça. C’est pourquoi je vais retourner vers Blier afin de tout voir et tout lire. Après ça, je ferai un réel constat. Mais pour l’instant, je me dis que tant qu’un artiste produit, il a le droit de se tromper de temps en temps. À condition qu’il produise et se reprenne.

Et j’oubliais, essayez pas de le trouver, ce livre, ni aucun autre livre de Blier, par ailleurs, y’a plus rien de disponible. Mais vous pouvez bien aller à la bibliothèque, je l’ai rapporté y’a pas longtemps.

mercredi 11 novembre 2009

Drôles d'affaires, un poème.

Je l’ai d’abord entendu ce matin
Dans l’eau de vaisselle
Alors que tu prenais ton bain
Y’avait comme quelque chose
Dans le siphon
Quelque chose
Qui me rappelait étrangement ton nom

Quelque chose comme une plainte
Quelque chose comme un cri
Quelque chose qui avait comme peur d’en avoir fini

Au début j’ai ri et puis
Je me suis dit
Ben coudonc
Y se passse des drôles d’affaires à matin dans’ maison

J’ai essuyé le cygne avec du Vim
Rincé à grande eau avec l’arrose
Ramassé comme il faut les graines de toasts
Puis repigé une shotte
Dans le pot de beurre de pinottes

C’est à ce moment là qu’au travers
Du vacarme de la fan
Et des clapotis de l’eau salie
Que mon nom m’est venu aux oreilles
Suis retourné dans l’évier
En cas que ça vienne de la tuyauterie
Pis je l’ai entendu encore, ça résonnait fort, pareil

Quelque chose comme une demande
Quelque chose comme une requête
Quelque chose comme juste sur le bord
D’avoir l’air bête

J’ai liché mon couteau
Avalé ça avec une gorgée d’eau
Pis je me suis dit
Heille le gros, tu penses pas
Que c’est ta blonde qui te parle
Plus que les tuyaux?

J’ai couru la rejoindre
À la salle de bain
Me suis cogné le nez sur la porte
Pas eu d’autre choix que de crier au travers
- Kess-tu veux mon chaton?
T’as dit
- Han?
J’ai dit
- Kess-tu veux? Pourquoi t’as crié mon nom?
La porte est barrée, c’est quoi c’t’idée de m’appeler?
T’as dit
- Mais je t’ai pas appelé, mon chéri
J’ai dit
- Ben d’abord, Kess-tu viens de dire, là, juste là?
T’as dit
- J’ai dit Mais je t’ai pas appelé, mon chéri
J’ai dit
- Non non, juste avant ça
T’as dit
- Avant ça, je disais rien
Je trippais toute seule dans mon bain
Je me calais dans l’eau
Et laissais glisser le savon
Entre mes deux seins
C’est fou pareil, il prend pas toujours la même direction
Se retrouve jamais au même endroit
Le savon

Mais juste quand t’es arrivé
Pis que tu t’es cogné dans la porte fermée
Je le laissais aller puis il est parti se loger
En plein tu sais où
Et t’as pas idée d’à quel point c’est doux
Et là je serre les cuisses et je souris quand ça glisse
Et quand je les ouvre y’a de la musique et y’a des bulles
Et surtout, y’a aucun danger de faire un match nul

C’est juste plate pour toi mon beau bébé
Que la poignée à soit barrée





Et contre la porte mon front
Et mes ongles qui grattaient à l’unisson

- T’es certaine, bel amour bonbon
Que tu viens pas drette-là de crier mon nom?

J’ai attendu une réponse
J’ai entendu que le silence
Et puis les sirènes de tous les services d’urgence
Qui se sont mises à hurler
D’un coup
Dans la petite salle de bain
Mal peinturée
Où mon amour, ma déchirure
Se faisait savonner
Par pompiers, policiers, ambulanciers
Et pis le gars de la cantine mobile

- Je vais retourner dans la cuisine ma chérie
Préparer mon lunch
Faut quand même que je parte bientôt, hein
En tout cas
Tu me le diras quand t’auras fini
J’haïrais peut-être pas ça de me brosser les dents
Faire un p’tit pepi
Mais tsé, fait ce qu’y faut
Bel amour d’amour
Je voudrais surtout pas péter ta bulle
Pendant qu’y a une police qui t’encule

Ils ont tous ri dans leurs uniformes détrempés
Même que j’entendais le gars de la cantine
Qui refaisait du café
Les lumières se sont mises à flasher
Du bleu, du blanc, du rouge
Par la craque de porte
Et le bruit des sirènes qui me confirmait
Que t’était clairement loin d’être morte

Quand y’a le 911 au grand complet qui fait crier l’amour de ta vie
Rendu là, calvaire, veux-tu ben me dire t’appelles qui?

Fait que j’ai rampé jusqu’au salon
Décroché le téléphone sans bonne raison
Y’avait la madame avec son petit ton
Qui me répétait de faire de quoi de ma vie
Mais je suis resté là pis j’ai dit
Ben coudonc
Y se passe des drôles d’affaires à matin dans’ maison.