samedi 10 avril 2010

Le Jour des poubelles, chapitre 21


« Pis on fait quoi avec le reste?»
J’étais assis sur le siège passager avec la boîte de beignes sur les genoux et j’essuyais mes dernières larmes de fou rire. Après nous être sérieusement payé la gueule de Paré, nous avions chacun mangé un beigne au chocolat sans grande passion pour ensuite constater qu’un seul suffisait à nous sustenter, ou du moins, à nous enlever l’envie de manger pour un bon bout de temps. « Ben je le sais pas, moi, garde-les, on va ben avoir envie d’en manger plus tard…
⎯ Parle pour toi, répondit Lou en s’avançant entre les deux sièges, pas de danger que je m’en retape un autre, déjà que le chocolat, moi, au départ…
⎯ Moi non plus, Paré, je m’en reclencherai pas un autre certain. Y’a des limites à tripper chocolat…
⎯ Ben mangez-en pas, crisse! dit-il en se resservant à même la boite. Pis que j’en entende un autre m’écœurer avec ça…
⎯ Oh, we not écoeure you anymore for chure, Paray.»
Je tendis une main ouverte entre les deux sièges, dans laquelle Lou tapa avec fierté.

Paré ignora la blague, prit une bouchée, fit une grimace, abaissa la vitre de la portière et balança le beigne entamé sur un passant. Nous entendîmes une insulte en anglais s’évaporer derrière nous. Paré ricana en jetant un coup d’œil au rétroviseur. Je saisis la manivelle, baissai ma vitre et m’emparai d’un beigne. Paré roulait à 65 km/h, le repérage de cible se ferait plutôt bien. Je choisis un homme dans la quarantaine accompagné d’une femme et parvins à l’atteindre dans le dos. « Niiiiiiice Man!
⎯ J’en veux un Manu!» me dit Lou toute excitée. Je lui tendis la boite et la laissai choisir. «Yes! Une bitch!
⎯ Kin vos hosties de chutes!» cria Paré après s’être resservi.

En définitive, sur une possibilité de neuf tirs, nous n’atteignîmes nos cibles qu’une seule fois Lou et moi, tandis que Paré remporta le match avec 2 prises sur 3. En conduisant, c’était pas rien. Le plaisir que cela venait de nous procurer avait lavé la tension qui s’était sournoisement installée depuis la veille. Voilà qu’on riait, qu’on roulait, qu’on remettait la musique à fond. Et que Paré ressortait son sachet.

Avec tout ça, il arrivait neuf heures du matin. Nous avons vite convenu que maintenant que nous avions atteint notre objectif, l’idéal était de partir à une heure qui nous permettrait de faire le trajet du retour à la clarté. Paré se vantait de ne voir aucun problème dans le fait de rouler longtemps. «Mais tsé Paré, avisa Lou, je pense que ça serait legit de prendre un petit break, de se reposer un peu, avant d’aller se retaper six heures de route. Y’a un beau cimetière juste là, on pourrait aller s’étendre, juste un peu.
⎯ Piquer un somme dans un cimetière? T’es ben glauque, la p’tite…
⎯ Ben non, c’est tranquille, un cimetière. Pas de danger de croiser des énervés comme dans un parc. Ça amène au retour sur soi. Le repos éternel pis toutte, là… Enwèye, arrête donc…
⎯ Manu?
⎯ Pourquoi pas.
⎯ Vous autres, j’vous jure…»
Ni Lou ni moi ne jugeâmes pertinent de revenir sur cette dernière phrase.

Nous nous installâmes au pied d’un arbre et Lou trouva vite le sommeil. Paré et moi, qui avions pigé dans le sachet, étions définitivement réveillés. Je pensais à mon père en fixant dans les yeux une corneille qui faisait de même, juchée sur une pierre tombale à une trentaine de pieds. J’étais tiraillé entre la pitié et l’idée de le détester, le père. Je l’imaginais bien émettre son opinion sur quiconque pouvait en venir à le prendre en pitié, pour quelque raison que ce soit. Il se mettrait certainement à le fustiger, à le traiter de tous les noms, de pas de vie, de mièvre mielleux et l’enjoindrait à se trouver une activité plus rentable, comme d’aller balayer la cour, ramasser les feuilles, préparer le souper. Je me sentais soudainement comme un enfant qu’on remet à sa place et j’allais dire ma façon de penser à la corneille quand elle s’envola après avoir été atteinte d’une roche lancée par Paré. « C’est quoi ton problème, coudonc?
⎯ Les nerfs, man, je fais toujours ben rien que de pitcher une roche sur une corneille. Je sais pas si je devrais ajouter, une corneille ontarienne. En plus qu’elle avait l’air de t’en vouloir, je sais pas ce que tu lui as fait…»
Je ravalai des arguments qui n’auraient eu aucune tenue et le laissai continuer à lancer ses roches. « T’as pas un ballon de foot dans ton char, quelque chose?
⎯ J’ai pas un ballon, mais j’ai…»
Il me regardait avec des yeux de clown et un air d’ahuri. « … une balle pis deux mittes!
⎯ Sérieux?
⎯ Vrai comme chu là.
⎯ Ben va les chercher, kess-t’attends?»

Paré revint rapidement de la voiture et dans l’excitation, il me lança le gant sans m’avertir alors que je lisais une pierre tombale. Je ne la vis qu’au dernier moment et ce fût Lou qui eut droit à un réveil pour le moins brutal.

Après l’avoir chouchoutée à deux, nous nous mîmes vite à la balle. Je crois bien ne m’être jamais adonné à cette activité dans un état de calme. Dans le sens de se lancer la balle, tranquille, en se concentrant sur la qualité des lancers. En moins de trois minutes, nous avions tous deux quitté notre point de départ et nous lancions des ballons, des balles roulantes, bondissantes, essayions de faire des courbes, des ricochets sur les pierres tombales, n’importe quoi excepté un beau lancer clair et franc. Nous courions comme des forcenés, tantôt pour compléter un jeu, tantôt pour rattraper une balle perdue. Lou se payait notre gueule en fumant une cigarette. « Veux-tu jouer?» Lui demandais-je en lui tendant le gant. Je n’eus qu’un éclat de rire pour toute réponse.

Je remis mon gant en vitesse en entendant le «Fore!» que Paré lançait à mon intention. Je rattrapai la balle avec la main à moitié rentrée et la relançai aussitôt avec un désir de vengeance. Les émotions me faisant perdre mon sens de la justesse, la balle partit bien au-delà de la tête de Paré pour aller frapper une pierre tombale qui captait l’attention d’un homme accroupi, un bouquet de fleurs à la main. Il se leva aussitôt et s’approcha de Paré qui n’était qu’à quelques mètres de lui.

Toujours dans l’esprit de ne donner aucune raison à mon père d’être fier de moi, je restai à distance en voyant Paré discuter avec l’autre. Je m’approchai lentement de l’arbre, où Lou n’avait pas bougé. « Beau coup, Champion.
⎯ C’pas moi. J’ai pas fait exprès.
⎯ Ben non, c’est clair. Pauvre balle. Sait pus où donner de la tête.»

Paré revint assez vite, avec la mine de celui qui vient d’essuyer un revers. « On pacte les petits pis on sacre notre camp d’icitte.»

Là non plus, nous ne trouvâmes rien à redire.

****

« C’est quoi qu’y t’a dit, le gars?
⎯ Je sais pas trop, là, j’ai pas toutte compris.
⎯ Ah, y parlait en anglais?
⎯ Coudonc, on est pas à Shawinigan, icitte…
⎯ Mais t’as ben compris une coup’ d’affaires…
⎯ Ben oui…
⎯ Comme quoi?
⎯ Ça te tente pas de rouler un bat au lieu de m’écœurer, man?
⎯ Ah, mais je peux faire les deux. Facile.»

Nous étions stationnés à cinq ou six voitures de l’entrée du cimetière. La radio ontarienne en sourdine nous jouait ne chanson de Blue Rodeo et nous avions voté pour fumer un joint avant de reprendre la route. « On va-tu manger avant de partir, ou ben on fait ça sur la route?
⎯ T’as-tu vu des restos su’a route, toi?
⎯ Mmmm.
⎯ Aussi bien faire ça tout de suite, je commence à avoir faim solide.
⎯ On va y aller, mais avant, on va se faire une petite activité de groupe.»

Lou et moi avons regardé Paré en attendant qu’il précise son idée, mais je compris assez rapidement quand il partit la voiture alors que l’homme du cimetière rejoignait son véhicule. « Kess-tu fais, Paré?
⎯ On va aller voir où il habite.
⎯ NO WAY! fit Lou en s’étouffant avec le joint. Tu nous embarque pas là-dedans Paré, hostie!»

Mais la filature était déjà entamée.
Il resta sourd à nos protestations. Sa première intervention fut à un feu rouge, alors qu’il se servait à nouveau dans le sachet. « Je veux juste lui foutre la chienne un peu. Dans un langage international.»

Nous le suivions à deux ou trois voitures de distance et en peu de temps, nous étions tous concentrés sur l’objet de la poursuite afin de ne pas le perdre de vue. Somme toute, ça devenait plutôt entraînant. En ville, la filature demeurait lente et il était facile de rester dissimulé. Mais nous fûmes vite entraînés sur des territoires moins fréquentés et il devint assez clair que notre cible prendrait tôt ou tard connaissance de son sort. Après tout, Paré était loin d’être un exemple de subtilité.

« T’es pas un peu proche?
⎯ Ben oui, mais tsé, c’est clair qu’il nous a vus, comme c’est là. Fait que tant qu’à faire…
⎯ Pis c’est où que tu veux en venir? demanda Lou.
⎯ Je vous l’ai dit, je veux juste lui foutre un peu la chienne.
⎯ Mais pourquoi, il doit t’avoir insulté solide…
⎯ Ça, ça reste entre lui pis moi.
⎯ Mais on est là nous autre aussi…
⎯ Oh mon dieu! Il a regardé dans son rétroviseur!
⎯ Ben oui, moi aussi je peux le faire, tchecke…
⎯ Pis là il parle au téléphone!
⎯ Je pourrais le faire aussi, si j’en avais un.»

Il devenait évident que Paré refusait d’admettre le ridicule de son initiative et qu’il travaillait fort pour rester de marbre. « Bon, il a décidé de clencher. Ça serait un bon moment pour laisser tomber mon Paré, tu trouves pas?»
Il appuya sur l’accélérateur. Nous étions seuls sur la route et Paré s’entêtait. Je restais agrippé à la poignée. Nous montions une colline et Paré freina aussitôt que nous amorcions la descente. Plus loin devant nous, un véhicule garé en travers de la route, avec son propriétaire et un renfort, appuyés dans une attitude d’attente nonchalante.
«Ok Paré, tu fais demi-tour TU SUITE!
⎯ Ooops, je pense que ça sera pas possible.»
Derrière nous, une autre voiture venait nous bloquer le chemin.
Je restais sans mots alors que Lou, la tête dans les mains, répétait « non non non non non non non…»

vendredi 2 avril 2010

En d'sous, de Sunny Duval


Coups de Tête no 26, 2010, 147 p.

J’avais été bien heureux, à l’époque du cahier LP/2 de La Presse, de lire un Sunny plus accessible et compréhensible que celui qu’on rencontrait dans les pages du Bang-Bang, des textes que je terminais avec le sentiment d’avoir manqué quelque chose, un mot de passe, un manuel d’introduction, je sais pas trop.

Un Sunny plus people, donc, mais Sunny quand même. Entre les lecteurs de La Presse et du Bang-Bang, y’a pas qu’un petit pas à franchir. Et lui l’avait très bien fait, même avec ses petites jambes. (Hey, j’ai le droit de faire des blagues de p’tit.)

De la chronique au livre publié aussi, il y a un certain pas. Et un délai. C’est quatre, cinq ans plus tard que paraîssent donc chez Coups de Tête ces chroniques du monde d’en-d’sous, un peu réarrangées j’imagine, pour que l’auteur se remette à son goût du jour (publier des textes écrits cinq ans plus tôt, aucun doute que tu grinces des dents et que t’as envie de te réécrire un peu) et agrémentées de quelques élans de poésie.

Le livre en soi se lit comme un charme, comme un pet. Comme un pet charmant, c’est pas rien. On prend plaisir à se faire raconter ces histoires qui mènent à quelque chose, ou à rien du tout, des histoires sur son groupe, sur ses tounes, ses amis, son local, sur sa ville, le fait de l’habiter sans toujours avoir l’argent pour payer, le fait de la quitter, toujours pour mieux revenir. On prend plaisir, si on connaît moindrement la musique d’ici qui se joue avec des pédales de distortion, à reconnaître certains personnages, dont les noms sont dans la plupart des cas de légers dérivés de l’original, comme une copie en négatif. Mes noms préférés : Black Sabin et Girond. Tiens donc, les deux chiâleux.

J’ai cependant eu le sentiment, en relisant toutes les chroniques une à la suite de l’autre, que le ton de Sunny oscillait entre le désir d’être rock et l’obligation d’être éducatif. À mon avis, certaines chose expliquées ou justifiées ralentissent le rythme. Ça paraît, dans des textes de deux–trois pages. Peut-être aussi que je prends certaines choses pour acquis, en ma qualité (ou en mon défaut?) de gars qui joue de la musique dans la vie, quoique pas aussi rock que c’bon Sunny. (Hey Sunny, t’as vu, j’ai pas écrit le mot « musicien » dans la dernière phrase.) Je dis ça, là, mais c’est rien pour gâcher un plaisir.

Quoiqu’il en soit, on ressort de tout ça avec une belle idée de l’esprit allumé de Duval, un esprit qui est toujours là, toujours prêt, et qui prend tout son sens avec l’heure qui avance. Une machine à jeux de mots (…peut-être un peu trop?…), à images savoureuses (… la main en forme de drink toujours plein…), un rockeur amoureux de la vie, des filles, du soleil et de ses amis. Et des pintes aussi.

Quelque chose qui doit donner envie d’être dans un band, si c’est pas déjà fait.