dimanche 30 mai 2010

Sans espoir de retour, de David Goodis


(Street of no return, 1956)
Gallimard, 1956, 250 p.

David Goodis, j’en ai déjà parlé plus tôt, écrivait sous de multiples pseudonymes dans les Pulp-Magazines, des histoires sur des sujets auxquels il ne comprenait souvent rien. Lorsque les lecteurs s’en plaignaient dans le courrier, il leur répondait des saloperies, sous un nouveau pseudonyme. Il est bien connu que, tout au long de sa vie, il fût un personnage absolument désagréable, avare, menteur, alcoolique et, euh, malpropre. Il a sombré dans l’oubli après avoir été scénariste de série B à Hollywood, malgré que l’adaptation de son roman Night Passage, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall ait remporté un certain succès. Oubli total? Aux Etats-Unis, où on le considérait comme une vulgaire auteur de romans de gare, absolument. Mais en France, Gallimard a traduit les romans de Goodis et il fût considéré comme l’un des auteurs de noir les plus influents de l’après-guerre (les surréalistes étaient des fans fini de littérature noire. André Breton possédait la bibliothèque complète de Gallimard Noir. Mais bon, il devait avoir un bon deal. Et même que c’est Prévert qui est arrivé avec le nom de la collection, Noir. En réaction à la Blanche de Gallimard. Fallait y penser.)

Quoiqu’il en soit, Goodis a été un favori pour plusieurs générations. Pas que ses romans soient de grands chefs d’œuvres. Seulement, ils incarnent à merveille ce qu’est le roman noir d’après guerre. Goodis raconte des histoires de paumés pour qui rien ne va plus. Pas d’enquêtes, même pas tant de polices. Mais beaucoup de déchéance, avec un passé, souvent heureux parfois même grandiose, qui ressurgit pour enfoncer le clou. Goodis était paumé. On peut même dire, assez facilement, qu’il était une merde. Seulement, il avait compris le genre et il écrivait comme une machine. On trouvera peut-être un peu de redite au fil de son œuvre, mais dites-vous que la seule personne qu’il copiait, c’était lui-même, parce que des livres, il n’en lisait pas.

Dans Sans espoir de retour (super le titre, hein? On frissonne dans les premières pages devant une traduction bidon qui n’a jamais été revue depuis l’année de parution, mais heureusement, ça se place après coup), on suit Whitey, un un clodo alcoolo en manque qui traîne dans Skid Row et qui descend dans l’Enfer, le quartier violent où ont lieu de nombreuses émeutes raciales entre Américains et Porto-Ricains. Au fond d’une impasse, alors qu’il vient en aide à un policier fraîchement assassiné, Whitey se fait prendre et on le traîne au poste en l’accusant du meurtre. Il parviendra à se sauver du poste de police alors bondé de contrevenants, avec un chef qui distribue des coups de poings comme des baisers au jour de l’an et causera du coup un bordel pas possible.

Et puis, je ne vous dirai pas comment, mais son passé le rattrape (je vous dirai pas quoi non plus) et de fil en aiguille, Whitey découvre des faits importants sur la raison des émeutes. J’en ai assez dit. Bonne lecture.

samedi 22 mai 2010

Le Jour des poubelles, chapitre 23


Les gars de bras s’appelaient Kevin et Steve. Leur boss en habit, lui, c’était Adam. Adam Hall, «They call me Animal», nous avait-il dit en souriant, tout en se préparant une généreuse portion de la coke de Paré. Kevin, c’était son frère et Steve – qui débordait toujours autant d’affection pour Lou – c’était le cousin. Nous en vînmes à comprendre que le frère de ce dernier, Shaun, habitait Montréal et qu’une grande partie de l’herbe qu’ils faisaient pousser ici se retrouvait sur le marché québécois, peut-être en avions-nous déjà fumé, qui sait? Sur quoi il avait fait signe à son frère afin qu’il roule un joint de dégustation.

Quoiqu’il en soit, Adam (y’a des limites à l’appeler par son surnom) opérait un commerce qui transitait entre Buffalo, Toronto et Montréal. Rien de trop audacieux. Ça restait principalement dans la famille. Adam était bien placé, écoulait ses stocks sans se faire de soucis. Mais voilà, Shaun s’était récemment fait prendre, situation de laquelle il s’était sorti avec une expertise qui rendait le reste de sa famille très fier. Et Paré pourrait bien être leur porte de sortie.

Le joint était assez gros pour pouvoir faire quatre tours. Et assez fort pour nous faire tourner la tête et angoisser sur notre situation. Adam, après avoir fait quelques blagues que nous rîmes avec un minimum de conviction, sortit son téléphone portable et posa une main sur l’épaule de Paré, resté étrangement silencieux. «Come with me Paree, I wanna show you something. Don’t worry, Steve and Kev’ will take care of your little friends. And I’ll talk slowly.»

Regard angoissé par-dessus l’épaule. Soupir de Lou.


Steve se croisa les mains derrière la tête et se tenait sur les deux pattes arrière de sa chaise. «I could show you something too, Marylou…» Je m’allumai une cigarette sans le quitter des yeux. Ça semblait l’amuser. J’empoignai le cendrier. «Don’t even think about it» dis-je alors qu’il avançait délicatement un bras vers Lou. C’est à ce moment qu’elle lui fourra du revers un coup de poing sur le torse qui le fit basculer par terre. Son cousin la trouva très drôle, ce qui ne l’empêcha pas de me retenir de me lever.

Steve se remit sur pieds en tentant de cacher sa honte. Lou restait assise, imperturbable. Adam revint dans la pièce. « Guys, i’m tryin’ to do some business here, would you please stay calm and shut the fuck up? And Steve, we already talked about that, don’t make me come back on my decisions, okay?»

Lou est venue s’asseoir à mes côtés alors qu’Adam retournait avec Paré, resté timide dans le cadre de porte. «C’t’une belle shot, ça, Lou…
⎯ J’ai pas dit mon dernier mot, Manu. J’ai envie de faire mal.
⎯ Faudrait pas empirer les choses, non plus.
⎯ Tu penses vraiment que ça peut être pire, toi?
⎯ On est avec Paré, Lou. Fait que oui, je le pense. Vraiment.»
Kevin nous regardait avec un air sceptique et Steve reprenait place à la table, secouant la poussière, ou plutôt la honte qu’il avait ramassée sur le sol. «On fait quoi, Manu?
⎯ De quoi, ça, «on fait quoi?» On attend, kess tu penses.
⎯ Would you mind talking english, little people? My cousin and I would like to participate.
⎯ On parlera ben dans’ langue qu’on voudra, maudit innocent! Y’a toujours ben des limites à se forcer pour vous autres, gang d’hosties de paresseux sales de marde, plotte pipi caca fesse pet poil t’es lette tu pues tu m’énarves pis chu sûre que ton cousin y’est même pas capable de bander! Va chier!
⎯ Lou!
⎯ Funny eh, I didn’t understant a word, but I kinda felt what you wanted to say…»
Kevin souriait en nous disant ça. Steve, lui, s’était relevé et faisait les cent pas dans le salon. «Shut the fuck up, Kev’. I don’t wanna hear this crazy bich talk ever again, okay?
⎯ Just tryin’ to pass the time, man. Little conversation. I think i’m better than you at that.
⎯ Hey, les gars, nous autres on vous comprend quand vous parlez!
⎯ Shut up shut up shut UUUUUUPPPPPP!!!!!!!!»

Je savais que Lou était vive en général, mais vive au point de saisir le cendrier et de le balancer au visage de Steve alors qu’il se jetait sur elle en criant, je n’avais jamais rien vu de tel venant de sa part. Il criait, à mi-chemin entre la rage et la douleur tout en s’étouffant, la face pleine de cendre. Adam ressurgit dans la pièce. «WHAT THE FUCK?
⎯ He’s crazy about her. I can feel it.
⎯ Shut the fuck up, Kev’. What is it now, Stevie?»

Stevie cracha un mégot. Ou une dent. Il alla à l’évier et se fit couler un grand verre d’eau. Deux grands verres d’eau. Puis il lança un regard haineux à l’assemblée et quitta sans mot dire en faisant claquer la porte d’entrée. «Fuckin’ stupid cousin» dit Adam avant de retourner avec Paré.


Puis nous sommes restés silencieux. Kevin nous regardait avec un rictus. «I like that. A lot. I won’t get you trouble. Just stay calm, okay?» Lou ne répondit pas et me quêta une cigarette. Elle l’alluma en regardant Kevin dans les yeux. Elle était devenue ninja. J’avais envie de lui faire l’amour.

Dix, quinze minutes passèrent avant que ne s’ouvre à nouveau la porte derrière nous. Adam, une main sur l’épaule de Paré affichait le sourire satisfait de celui qui venait de conclure un marché à son avantage. Paré, de son côté, avec son visage tuméfié et ses épaules basses, semblait plus confus que jamais. Nous sommes partis en silence et sans grand éclat jusqu’au moment où Steve, qui ruminait, assis sur les marches de la galerie, donna une tape sur les fesse de Lou qui passait en dernier. À cran, elle répliqua aussitôt en lui foutant son pied au visage. Paré et moi avons terminé le travail au poing à la hâte, avant qu’Adam ne vienne nous séparer dans une pluie d’injures. Rendu là, il s’en prenait autant à nous qu’à son cousin. Comme une mêlée au hockey qui ne veut jamais finir, nous étions les cinq gars aggripés l’un à l’autre et donnions des coups à qui mieux mieux. J’avais trois chances sur quatre de frapper l’ennemi, mais je crois bien avoir touché Paré à quelques reprises. Je me fis tirer une oreille, reçus de nombreux coups au ventre, un coude sur le menton alors que ma bouche était ouverte, puis je fus éjecté de la mêlée, dans laquelle je me relançai aussitôt en sautant et en criant. Paré cria aussi alors qu’on lui mordit une main et il répliqua en enfonçant son poing sur le nez de Steve, qui s’écroula en chîalant. Nous fûmes ramenés à l’ordre au son d’une vitre qui éclatait.

Lou se tenait, haletante, aux côtés de la voiture que nous avions suivie, le bâton de baseball entre les mains, des miliers d’éclats de verre à ses pieds. Nul ne disait mot, chacun plus surpris que l’autre de voir autant de haine provenir d’une si charmante petite personne. «Là, vous vous lâchez, Paré pis Manu vous embarquez dans le char PIS ON DÉCRISSE D’ICITTE!!! C’TU CLAIR???» Nous nous rendîmes aussitôt à la voiture sans rouspéter.

Mais Lou n’avait pas terminé. Elle s’approcha de Steve, toujours par terre. Adam voulut intervenir mais elle le stoppa en foutant un coup de bâton sur le capot de la voiture. Le bâton fit sa motion puis revint aussitôt en position d’attaque. L’Ontarien resta coi. Puis, Lou à Steve: « J’te jure que tu seras pas à la veille de rebaiser dans ta vie, mon crisse d’innocent!». Elle leva le bâton au-dessus de sa tête puis l’abatit sur l’éclopé qui hurla à pleins poumons, dans un langage international.

Quand elle balança le bâton sur la banquette arrière en claquant la porte, Paré et moi avions toujours les sourcils arqués, les deux mains devant la bouche. Steve chiâlait en se tenant un genou. «Enwèye les filles, sinon j’y retourne pis là j’y pogne les gosses pour de vrai.»

lundi 3 mai 2010

Le Jour des poubelles, chapitre 22


« Bon…
⎯ Paré, tabarnak! Tes hosties d’idées, là…
⎯ Les nerfs, Manu, je m’en occupe.
⎯ Tu t’en occupes, tu t’en occupes… yeah right, pis moé je suis abonné à Clin d’Oeil.»
⎯ Je m’en occupe, j’ai dit.»

Les trois hommes entouraient maintenant la voiture. À ma grande joie, ils n’avaient ni l’air de psychopathes, ni de rednecks enragés ou je ne sais quoi encore. Seulement de trois hommes pas contents, avec le principal intéressé en complet-cravate. Que cet accoutrement lui soit quotidien ou occasionnel pour sa sortie au cimetière, il lui conférait néanmoins le statut qui lui revenait. Les deux autres avaient des gueules de subordonnés. Ou de petits frères. Nous en avions chacun un d’assigné. L’homme du cimetière cogna doucement à la fenêtre de Paré, l’intimant de sortir pendant qu’il était encore calme. Paré prit une grande respiration, déverrouilla la portière et sortit du véhicule sans me regarder. L’autre l’accueillit avec un sourire alors que ses deux sbires cognaient à leur tour dans nos fenêtres afin que nous imitions notre ami. « J’ai peur, Manu.
⎯ Ça… ça va ben aller Lou. Montre juste pas que t’as peur.
⎯ Comme pour un ours, mettons?
⎯ Pareil que pour un ours. Je vais sortir en premier, ok?
⎯ Ok.»

Je sortis et on me prit aussitôt fermement le bras. Je fis signe à Lou qui mit un pied à terre, hésitante. Son Ontarien lui passa un bras autour du cou en souriant. «Hellooo Lovely! What’s your name, cutie pie?» Lou me lança un regard apeuré. Je lui en rendis un que je voulais réconfortant, compte tenu de la situation. Je devais avoir l’air d’un enfant sur le point de pleurer. « Me..Marilou…
⎯ Marylou? My God! Hello/Marylou/How do you do?»

Le charme de cette rencontre fût rapidement soufflé par Paré qui eût une nouvelle idée du tonnerre, c’est-à-dire foutre son poing au visage de son Ontarien assigné.


Les deux autres se jetèrent aussitôt dans la mêlée pour neutraliser Paré alors qu’il recevait sa réponse au ventre puis en plein nez. Je voulais bien intervenir, mais merde, j’étais pris d’une peur pas possible. Et qu’est-ce que j’aurais bien pu faire? Sauter au cou d’un des gars et attendre de me faire attaquer par les deux autres? Je m’emparai néanmoins du balai à neige qui traînait à l’arrière de la Jetta, l’objet le plus pertinent que j’aie pu trouver. Je me tins à distance.

L’assaillant de Paré lui souriait à nouveau. « You’re one mean and definitely stupid motherfucker… Et à mon attention, Could you please put that thing back in the car? I don’t want you to get hurt with that!»
Je lui obéis en ignorant les rires des deux autres. Je les vis discuter à voix basse, puis emmener Paré vers nous qui étions restés près de la voiture. « I didn’t want anything like this to happen, guys, but the tall fucker just doesn’t give me any choice.» Puis ils nous forcèrent à mettre les mains sur la voiture, avec les deux cons qui nous guettaient alors que l’autre fouillait. Par pur plaisir, m’a-t-il semblé.

Alors qu’il était enfoui à l’arrière de la Jetta en jetant par-dessus son épaule que qui ne l’intéressait pas, une voiture apparut au sommet de la colline. L’un des deux hommes de main le signifia à l’autre en tapant sur la tôle, par-dessus l’épaule de Lou, une main doucement appuyée dans son dos. Sortant de l’habitacle, l’Ontarien en habit plissa les yeux et sourit aussitôt. Une vieille New Yorker s’avançait sur notre scène en contournant par l’accotement. J’entendis parler, rire un peu. Je relevai la tête pour jeter un œil, mais on me la rabaissa aussitôt. La voiture s’avança et l’autre l’accompagna pour l’aider à passer le barrage. Il revint avec un sourire satisfait. «Where was I? Oh, yeah, looking for funny things in the car…»

Il ouvrit la porte du conducteur pour débarrer le coffre. J’entendis un léger «Tabarnak» sortir de le bouche de Paré. «Oh! Now that is funny!» Il vint entre Lou et moi, un bâton de baseball à la main. «This is better than a stupid broom, don’t you think?» Il retourna vers l’arrière et nous sursautâmes tous alors qu’il flanquait un coup sur l’aile arrière droite de la Jetta. «Come on!» cria Paré qui se la fit taire aussitôt par un coup à l’arrière de la tête.

L’Ontarien mit peu de temps à tomber sur la réserve de coke de Paré, savamment cachée dans la boîte qui contenait ses câbles à booster, des gants, une bouteille de Armor-All et d’autres articles du genre. «Pourquoi t’as traîné ça icitte, crisse? lui chuchotais-je.
⎯ Oussé que tu voulais que je la mette, hostie, j’habite nulle part, j’te rappelle.»

Nous étions cinq à le regarder se servir un échantillon sur le bout de la langue, puis approuver avec un air de belle surprise. Il vint derrière nous et parla d’un ton ravi. « Guys guys guys… Would you like to come inside and have some tea?»

Je nous serais mal vu de refuser.