mardi 22 juin 2010

On achève bien les chevaux, de Horace Mac Coy.


(They shoot horses, don’t they?, 1935)
Gallimard, 1946, 210 p.

S’il y a une raison particulière pour laquelle je n’ai pas tendance à me jeter sur la nouveauté, c’est bien pour laisser vieillir, me disant que si quelque chose est vraiment bon, il le sera toujours dans trois, cinq, dix ans. C’est ce qui fait la beauté d’un classique, non? Je comprends bien qu’à ne vivre que par les classiques on en devienne poussiéreux et qu’au lieu d’évoluer on ne se contente que de pauvres versions rééditées de soi-même. La sensibilité se trouve, bien sûr, sur la mince ligne du raisonnable.

Tout ça pour dire qu’un classique intemporel et insoupçonné, ça remet toujours en place. De ce roman, je ne savais rien. E-rien. Sinon que la beauté de son titre lui conférait déjà un statut de classique à mes yeux. Mais que Sidney Pollack en a fait un film (que vous avez peut-être tous déjà vu?) avec Jane Fonda, aucune idée. Même l’histoire, je n’en savais rien. Et pourtant, l’envie me prenait.

La beauté classique d’un roman noir, c’est de vous faire sentir toute la détresse des personnages avec la plus grande économie de moyens. Ici c’est Gloria Bettie et Robert Sylberten, deux aspirants figurants à Hollywood, paumés et découragés, qui se rencontrent et s’unissent pour participer à un marathon de danse. Le couple gagnant remporte 1000$ et les repas sont fournis tant qu’on est dans la course. À défaut de mieux…

L’entièreté de l’action se passe sur le site du marathon, les chapitres étant entrecoupés de bouts de phrases composant la sentence du jugement pour meutre contre Robert Sylberten. Parce que d’entrée de jeu, on sait qu’il a tué Gloria. Et l’histoire nous apprendra pourquoi. Et franchement, insupportable comme elle est, je l’aurais bien tuée une cinquantaine de pages plus tôt. Le mal être de Gloria pèse sur les pages de ce roman, un pessimisme fatal et sans issue, que Sylberten tentera de gérer de la façon la plus convenable qu’il puisse trouver, en tuant Gloria, à sa propre demande, d’une balle dans la tête.

Le roman est une virulente critique de l’Amérique, qui était pertinente dans les années trente et qui l’est toujours autant maintenant. Des paumés qui se donnent en spectacle pendant de semaines, une organisation qui fait des pieds et des mains pour attirer toujours plus de public et une assistance fortunée qui applaudit les dents serrées. C’est loin d’être une partie de plaisir, mais d’une efficacité redoutable et ça se lit en un rien de temps. Un roman important et qui le restera longtemps.

dimanche 20 juin 2010

Le Bolognais, une histoire pour adultes



Faut dire en partant qu’il l’a toujours eu un peu facile, avec les femmes. Ce genre de charme, de magnétisme, que t’acceptes en haussant les épaules pis en soupirant, qui fait que quand tu reviens de pisser, y’a la fille que vous aviez spottée tous les deux en rentrant qui est là, assise avec lui, pis qui a l’air d’avoir ben du fun. Pis lui, il a pas bougé de son banc. Il est resté là, ben tranquille. Un aimant.

On s’habitue. Au bas mot, en deux mois de colocation, autour d’une vingtaine de filles ramenées. Pas de jokes. Pas de dindes non plus. Des filles ben correctes. Correctes, comme que lui il est correct. C’est pas un maquereau, c’est pas un gino, pas un maudit crinqué de cruise, pas un salaud ni un guitariste de blues, y’est juste ben beau. Même pas si beau à part de ça. Y’a de quoi dans les yeux, faut croire. En tout cas, y’a même pas besoin de regarder ce qu’y veut pour l’avoir.

Je sais pas trop si on s’enlignait sur une grosse soirée, mais clairement que quand tu commences au Campus, tu donnes un genre de ligne directrice à ton affaire. Tsé, de quoi que tu lèves le lendemain pis que tu te dis « eeeehhhhh boy, c’pas la crème, c’qu’y se passe là, là…. » On avait déjà vidé deux bouteilles à trois en soupant à l’appart, y nous avait fait tout’ qu’un snack, un poisson blanc, là, revenu dans un fond de veau avec une purée d’un genre de radis chinois, là, je sais pus trop. C’étais assez débile. Sérieux, on mange ben en sale à l’appart, y fait de la bouffe comme un chef pis ça, crisse, les filles le savent même pas encore quand elle commencent à tripper dessus. Imagine.

Fait qu’on est arrivé là assez tard, pareil, pis quand même pas pire chauds. Cocktail juste ben l’fun, là. Pis tsé, je l’ai déjà vu mon coloc, je l’ai déjà vu opérer straight pipe en arrivant, tsé, genre starter le radar au vestiaire, histoire qu’y soit rendu plein régime un coup su’l dancefloor, mais là, c’était pas ça. On s’est accoté les trois au bar, on s’est câllé trois gin tonics pis trois shooters de Jack en riant de la muse sans lâcher la serveuse des yeux. On était ben relax.

Ça devait faire, quoi, dix, quinze minutes qu’on était dans’ place que le coloc y’est parti danser, même si la musique était poche. C’est ça, lui-là, là. C’t’un danseux. Sunday Bloody Sunday. Comme quand on allait veiller à 19 ans à St-Fé. Nous autres on est resté au bar, à regarder des femmes pendant qu’elles nous regardaient pas. Il avait même pas dansé une toune au complet encore qu’une fille est venue le voir. Ben tranquille, elle lui a parlé dans l’oreille, drette bang de même en partant : « J’ai le goût de te faire une pipe. Ça te tente-tu?
⎯ Ben, eeeh, ben oui… c’est ben clair. »

Non mais on s’entend-tu que la fille qui te propose une pipe à frette de même, ça se peut ben que ça y goûte encore le boy d’avant dans le fond du palais? Je sais pas, mettons que tu jases avec une fille au bar pendant une demi-heure, une heure, vous trippez, est’ belle pis à sent bon pis toute pis un moment donné à te dit : « J’ai le goût de te faire une pipe, ça te tente-tu? », OK… là on jase, là tu sais que tu y est pour quelque chose pis que tu l’as gagnée, ta pipe. Mais l’autre qui arrive de nulle part de même pis qu’en plus, elle a même pas eu le temps de te spotter comme du monde parce que ça fait une demi-toune que t’es su’l dancefloor…

Remarque, on aurait tout fait pareil. On aurait tout dit oui, kess-tu penses. Mais des affaires de même, c’est yinque à lui que ça arrive.

Fait que le coloc pis la fille s’en vont aux toilettes, rentrent dans une cabine, dézippe le zippeur, baisse les culottes, sacre la graine dans’ yeule pis commence à le sucer. Deepthroat, un p’tit gag de temps en temps, liche les couilles en passant, le gros kit.

Y’a dit que des fois, elle arrêtait pour prendre son souffle pis qu’à tanguait d’un bord pis de l’autre, un peu chaude, su’l bord de sacrer le camp en bas de la toilette, mais tsé, tranquille pareil. Fait qu’y la prenait par la tête pour qu’à recommence à le sucer. Non mais tsé, un coup riggée sur sa graine, à restait ben drette, à risquait pas de tomber.

Fait que ça a pas duré ben ben longtemps. Un coup rendu su’l bord de venir, le coloc y’est allé un peu plus roffe, pis y’est venu, pis elle a tout’ pris. Pis il s’était à peine sorti la graine qu’à s’est mise à y gerber dessus. Big Time. Non mais tsé : « oh, oh, oh, AAAAAAARRRGGGHHHH!!!! » pis juste après « Beeeuuuuuaaaarrrrgghhh ».

Y capotait.

Une chance, elle y a pas tout’ splashé ça dessus, là, elle l’a retenu un peu, mais tsé, juste assez pour y saucer le cap. Pis après ça elle s’est tassée pis ça a tout’ sacré le camp à terre.

Fait qu’y est sorti de là en shakant un peu pis y se l’est nettoyée à grands coups de scott towell brun. Pis y’est venu nous rejoindre au bar. On avait pas bougé, on s’était câllé une deuxième tournée, on avait pas fini la première. « Les boys, y vient de se passer de quoi, là… »

Y nous a tout’ conté ça dans les détails. On riait, on riait. « Pis le gros, kessé qu’elle avait mangé, la fille?
⎯ Bah, un spag, là. Genre de sauce bolognaise…
⎯ Pouaaahhh!!! Mon boy, on va t’appeler Le Bolognais, c’est ben clair!
⎯ Bois de Bologne!!!
⎯ Ah, come on les boys…
⎯ Bois de Bologne! Bois de Bologne! »

Il faisait semblant d’être choqué, mais il trouvait ça aussi drôle que nous autre. Je pense même qu’il l’aimait ben, son nouveau surnom. Il l’avait gagné, en tout cas. « Pis elle est où, la fille? Spotte-nous là donc... »

Y s’est déviré pis y’a regardé le dancefloor. Y’a fouillé quatre-cinq secondes pis y’a dit en pointant « C’est elle, là-bas.
⎯ Laquelle, ça?
⎯ Avec la camisole rouge, là. Celle avec le boy pis qu’y se frenchent la face … »

La gueule nous a tombé, on s’est reviré de bord pis on a recommandé des shooters de Jack. Avec comme un drôle de feeling dans le fond du palais.

lundi 14 juin 2010

Le Jour des poubelles, chapitre 24


Attablés devant nos assiettes dans le premier restaurant que nous avions trouvé, nous mangions en silence. Lou avait commandé un hamburger steak, moi un club sandwich et Paré un ragoût de boeuf dans le menu du jour qu’il avait pris avec la soupe qu’on lui apporta en même temps que le plat. Il n’avait eu qu’à dire «number two, please», aucun doute que ça avait joué dans ses choix.

Juger Paré à nouveau sur son initiative aurait été absolument déplacé. Il apprenait sa leçon par lui-même. L’humiliation ⎯ en anglais ⎯ devant ses amis ainsi qu’une considérable perte de revenus possibles lui faisaient avaler son plat de travers et douter de l’intelligence de se déplacer pour un lever de soleil sur les chutes Niagara. Lou et moi n’en menions pas large non plus. En état de choc, les muscles qui tremblaient encore d’avoir travaillé de façon si intense, nous étions dépassés par les évènements et entâmer notre plat nous semblait être une épreuve en soi. J’avais néanmoins l’estomac qui se tordait dans tous les sens et qui me criait d’y balancer n’importe quoi. Mais je mangeais à petites bouchées en regardant mon assiette qui restait au beau fixe. Ce fut Lou qui brisa le silence. «Ils t’ont rouvert la lèvre. Ça saigne un peu, laisse-moi essuyer.»
Paré grimaça en avalant sa gorgée de soupe sans même jeter un regard à Lou. «Paré, maudit, je veux rien que t’aider, là…
⎯ J’ai pas besoin de ton aide, bout de cul.
⎯ Paré, grand con de crisse, t’as un bon dix secondes pour reconsidérer ce que tu viens de dire là.
⎯ J’ai pas besoin de ton…
⎯ Paré! Hostie! Tu te mets tout seul dans ta gang, là. Excuse-toi à Lou.
⎯ Pourquoi?
⎯ Parce que moi je lève solide mon verre à Ninja Lou, la première étoile de ce voyage-là. Paré?»

Il soupira puis attrapa son verre d’eau avec peine. Ses yeux se levèrent au passage du serveur qui s’arrêta à notre table avec un air blasé. «Everything doing good here?
⎯ Yes… no… the… the soup is not really good. Really spicy.»

Le serveur soutint le regard de Paré un instant. «Maybe because you’re drinking blood with it…» Puis il posa sur la table les deux assiettes vides qu’il transportait. Il prit la soupe et s’assit à la table adjacente. Il porta le bol à ses lèvres et vida la soupe d’un trait, sans jamais quitter Paré des yeux. D’un geste vulgaire, il s’essuya la bouche avec son avant-bras, posa le bol sur les deux assiettes sales et ramassa le tout. « Take a dollar off your bill.»
Puis il quitta.

Nous sommes restés interloqués un bon moment, incertains devant ce qui venait de se passer. Puis Paré se leva sans avertir, sortit cinq dollars de sa poche, s’en servit pour éponger le sang sur sa bouche, le chiffonna, le lança sur la table et se dirigea vers la porte en se sortant une cigarette. Il se présenta au comptoir, devant le serveur, alluma sa clope, lui souffla au visage sa première bouffée et quitta sans dire un mot.

Le serveur balaya la fumée de son bras et vint aussitôt vers notre table. «On décrisse.
⎯ Yep.
⎯ Hey! Your friend thinks he’s funny?
⎯ Do you think you’re funny? rétorqua Lou aussitôt.
⎯ So now you think you’re funny, little girl?»

J’empoignai Lou après avoir laissé tomber quelques dollars en monnaie sur la table et l’emmenai vers la sortie. «Where do you think you’re going? There’s not enough money here!
⎯ You’ll take care of the rest!» dit Lou alors que je la traînais presque de force vers l’extérieur.
Il arrivait vers nous d’un pas assuré. J’avais peine à le croire, mais Lou m’offrait une résistance et gesticulait en sa direction. Elle finit par céder à mes pressions et balança à la dernière seconde le présentoir à journaux dans les jambes du serveur qui chuta, fauché.

Nous avons embrayé au pas de course vers la voiture. Paré y fumait sa cigarette, appuyé à la portière et eut l’heureux réflexe de prendre son poste en nous voyant arriver. La voiture entamait son mouvement lorsque nous ouvrîmes les portières. Le serveur était maintenant à l’extérieur et s’en venait vers nous. Paré fit un croche pour passer tout près de lui et la porte de Lou, qui n’était pas encore fermée, le happa. Il fit un tour sur lui même, ébranlé, parvint tout de même à nous rejoindre et se précipita sur l’arrière de la Jetta, les pieds sur le pare-chocs.
C’était ridicule.
Le pauvre s’agrippait comme il le pouvait, mais il ne tiendrait pas longtemps. Surtout avec Paré qui donne des coups d’accélérateur et zigzague avec le volant.

Comme de fait, il ne tint pas dix secondes et Paré bifurqua aussitôt vers la première rue à droite pour soustraire la plaque de la vue du serveur. «Yeeessssssiiirrrr!! Kin mon hostie!»
Ça criait fort dans la voiture, ça riait, ça se félicitait, ça se répétait l’histoire dans les détails.
Il n’en fallait pas plus pour ramener une ambiance favorable.
Nous avons roulé un bout de temps sans trop savoir quelle direction prendre et après une vingtaine de minutes, Lou indiqua d’un cri la pancarte qui nous enverrait sur le bon chemin.
Il était midi trente.