lundi 25 octobre 2010

Le jour des poubelles, chapitre 29


La cour arrière était pleine, le temps était doux, le poulet que mon oncle Fernando faisait griller sur le barbecue occupait tout l’espace. Il y avait du vin, beaucoup de vin, dans des cruchons de terre cuite, que nous buvions au verre. Y’a pas à dire, mon père aurait tout donné pour être là. Mais je reste convaincu que d’être le point de départ de cette fête, à quelque part, ça devait lui faire un velour. Oh, qu’il se serait mis chaud.

Toutes les larmes avaient été versées aux funérailles, maintenant, c’était le vin qui coulait. J’ai bien averti Paré de rester tranquille, sur le vin. Et de garder profil bas. Mais le gros salaud était en mode charme, faisait ricaner mes tantes, jouait des tours à mes petites cousines et trinquait avec mes oncles. Moi, je fumais des clopes sur la galerie et j’accusais le coup de la notice «Incomplet» à mon dossier. Peut-être que j’en mets trop, mais il me semblait que ma famille me regardait de façon étrange. Peut-être aussi que la gueule que j’avais imposait tout ça. Un baiser sur ma tête. Une main sur mon épaule. Maman. «Tu vas me faire le plaisir de pas te mettre ça sur le dos, mon grand.» C’est moi, son grand. Y’a que moi qu’elle appelle comme ça. Et je suis même pas le plus grand. « Je sais ben, m’man…
⎯ Non, tu sais pas, Manu. Tu réfléchis tout croche, t’es pas toi-même, t’es tout poqué, tout cerné. Ton père voulait rien savoir de jouer au mort avant le temps avec du monde triste autour de lui quand il est cloué au lit. Même pour moi! Y’a fallu que je lui fasse des gros yeux, t’imagines? Fait que rendu là, que tu sois en ville, à Niagara ou à Lisbonne, ça change rien pantoute. Fais-moi plaisir, pis prend un coup pour ton père, ok? Mais un coup de bonheur, par exemple. Si je te pogne avec le vin triste, j’te botte les fesses.
⎯ Maman.»


Je me suis levé jusqu’au premier cruchon. J’ai commencé à verser mais le verre du Doc Chassé a devancé le mien. On a trinqué. «Comment va ta côte, Manu? m’a-t-il demandé en posant une main sur mon épaule. Mon geste de recul l’a intrigué. C’est quoi ça Manu, a-t-il dit en retouchant, un bandage?
⎯ Wa, euh… ouin. Un bandage…
⎯ En quel honneur?»

Pas eu le choix de raconter. Dans les détails, parce que je ne pouvais quand même pas faire le coup à Doc de tourner les coins ronds. «Ça explique ben des affaires, ça…
⎯ Comme?
⎯ Jean a pas l’air de filer, Manu. Même qu’on dirait qu’il a maigri.
⎯ Ben voyons…
⎯ J’te jure. Tellement que je suis retourné une couple de fois, pour voir. Il sue à grosses gouttes tout le temps, pis j’vais être franc avec toi, il a pas mal botché la job sur une de mes guitares. Ça ressemble à un choc post-traumatique. La Sandra dont tu m’as parlé, c’est la belle grande rousse aux cheveux courts?
⎯ Tu l’as vue?
⎯ Oui. Deux fois que j’ai été là, elle est entrée par la porte d’en arrière. C’est une chance qu’elle soit là, Manu. Elle a l’air de s’en occuper.»

Doc me ramenait des choses qui semblaient faire partie d’une autre vie. Il faudrait bien que je retourne à l’atelier un jour ou l’autre. Je n’en avais aucune envie. Mais je n’avais pas le choix non plus. Revoir Sandra, ça, j’en avais envie.

J’ai fouillé comme j’ai pu, mais il m’a semblé voir le mot «triste» gravé sur chacun des cruchons de vin. J’en ai viré toute une.




Je me suis réveillé avec peine, le lendemain. Lou n’était pas dans mon lit. Avait-elle seulement passé la nuit avec moi? J’allai à la cuisine avec l’idée de boire 8 verres d’eau. Le futon était libre. Personne chez nous. Dans ma perception encore vague des choses, tout ça me semblait impossible. Je profitai du moment en me disant que ça ne se reproduirait pas de si tôt.

Je calais un deuxième verre d’eau quand tout s’est éclairci. Des rires provenant d’en-bas me rappelèrent le brunch. Le brunch. Je me suis traîné jusqu’à la douche.

Je suis arrivé en bas les cheveux encore mouillés. J’ai ressenti un frisson en voyant ma famille rapprochée et mes meilleurs amis dans le bonheur du rayon de soleil, dans la couleur des fruits. Puis j’ai vu ma mère éclater de rire et poser sa main sur celle de Paré. Avec ce petit regard qui lui dit «grand fou!». Danger. «Bon matin Manu!
⎯ Bon matin, groupe.
⎯ On dirait que tu l’as échappé, han?
⎯ Viens ici, mon grand.»

Maman.

Son étreinte valait tous les remèdes de lendemains de veille. «Tu m’as pas écoutée, mon beau…
⎯ Je l’sais. M’excuse.
⎯ Assis-toi, je vais te faire à déjeuner.
⎯ Ben non, maman…
⎯ C’était pas une proposition, Manu. Assis-toi.»


Ma mère était en feu. Aucun doute que ce brunch était ce qu’elle désirait le plus à ce moment. On sentait bien son fond de tristesse, mais elle remplissait tout de même la cuisine d’une aura de bonheur, posait des baisers sur toutes le têtes, appelait Lou «ma chérie» et nourrissait Paré comme s’il revenait de la guerre. «Hey Marcelle, vous vous êtes connus comment, toi pis Augusto?»

Les yeux de mon frère derrière sa tasse de café exprimaient clairement son dérangement, rapport à la familiarité de Paré envers notre mère. J’interceptai son regard. Il baissa les yeux. Je ne crois pas qu’une telle situation ne soit déjà arrivée plus tôt dans notre vie.


«Oh, ça… Ma mère souriait en regardant le plafond. C’était à la fin des années soixante. Je devais avoir dix-huit ans. C’était dans le temps que la boutique était encore à papa, je travaillais là les fins de semaine. Je pense que c’était dans le temps de la fête des mères, il était venu acheter un bouquet. Je l’avais conseillé, je le trouvais mignon. Même dans sa jeune vingtaine, Augusto avait déjà l’air toxon. Comme un snoreau en formation… Il était très charmant. Je me rappelle qu’on a ri beaucoup. Au moment de passer à la caisse, je lui ai demandé si c’était tout, s’il voulait avoir autre chose. Il a dit «Oui, un moment» puis il s’est mis à regarder autour de lui. Il y avait un seau de roses à côté de la caisse, il en a pris une. Il m’a payé, puis avant de partir, il m’a donné la rose.
⎯ Oh…. Mais c’est donc ben mignon! a dit Lou, devenue émotive.
⎯ Mignon, tu dis… La fin de semaine d’après, c’est du chocolat qu’il m’a apporté. J’étais toute rouge. J’ai fait comme si j’aimais le chocolat. C’est papa qui est tombé dedans le soir même. Puis une fin de semaine plus tard, pendant l’avant-midi, papa me demande de venir le voir dans l’atelier. Augusto était avec lui. «Marcelle, je te présente Augusto. Il va faire des jobines puis s’occuper des livraisons à ma place, maintenant.» On a fait comme si on se connaissait pas. Il avait tout qu’un sourire, quand on s’est «présentés». Quand je vous dit qu’il était déjà snoreau… Papa s’était mis à l’aimer comme son fils. Fait que, vous vous imaginez qu’il était ben content, quand il m’a demandée en mariage…
⎯ Mais c’est donc ben beau!!!! Lou pleurait un peu.
⎯ Fait que c’est pas mal ça… Ça s’est passé comme ça devait. On a repris la boutique quand mon père a voulu prendre sa retraite. Il était en confiance. On a fait ça toute notre vie. Rien de palpitant… Mais on a été heureux, on s’est jamais emmerdés… Pis on a eu trois beaux garçons… dont on a toujours été ben fiers…
⎯ Maman…»

On s’est approchés les trois pour la prendre dans nos bras. On a pleuré en famille. Ce qui en restait. C’est à ce moment qu’Eddie lui a chuchoté au creux de l’oreille: «Tu vas tellement être une belle grand-mère… Prépare-toi, maman, y te reste juste six mois à attendre…»

Elle s’est reculée pour regarder Eddie dans les yeux. Puis elle nous a regardé, Carlos et moi, puis Karine, Lou et Paré qui observaient la scène en souriant. Un fou-rire se mélangeait à ses pleurs alors qu’elle étreignait Eddie, le traînant jusqu’à sa blonde pour les prendre les deux et les serrer, longtemps.

Du moment que tout s’est stabilisé et que nous nous sommes remis à manger, Paré prit la parole. «Fait que là… si je comprends bien, Augusto s’occupait toujours des livraisons?
⎯ Oh oui. Il aimait tellement ça. Ça lui faisait ses petits moments à lui. Puis, même après plusieurs années, il me revenait encore souvent avec des surprises. Un peu sa façon de se faire pardonner d’étirer ses runs.
⎯ Fait que, vous avez plus personne, pour les livraisons.
⎯ Ben non. Je vais suspendre le service jusqu’à ce que je trouve quelqu’un, je pense.
⎯ Je dis ça de même, là… Mais moi j’ai un char. Pis j’ai ben du temps.»

Les yeux d’Eddie étaient en voie de sortir de leur orbite. «Mon Dieu Paré! dit maman. Mais t’es sérieux?
⎯ Chu pas mal tout le temps sérieux, moi. Pis j’aime ben ça, les fleurs.»

Ma mère se remit à pleurer. «Mais t’es le bienvenu, voyons donc! Mautadine! Mais c’est donc ben une belle journée, ça!»

mercredi 20 octobre 2010

La tête hors de l'eau, de Dan Fante


(Mooch, 1988)
Christian Bourgois, 10/18, 2001, 222 p.

Je n’ai d’autre choix que de tomber ici dans le piège malheureux mais inévitable de la comparaison. Car jamais je ne me serais arrêté sur Dan Fante s’il n’avait été le fils de John Fante, qui compte parmi mes écrivains favoris. Même si, lorsqu’on parle de Dan Fante, on réfère à Bukowski et à Selby. Un moment donné, ça fera, les comparaisons avec Bukowski. Chaque personnage alcoolique dans un roman amène maintenant la référence à Bukowski. Il y a longtemps que j’ai arrêté de m’exciter pour des choses comme ça.

La comparaison, donc. J’aimerais bien savoir le nombre de personnes qui ont pu lire Fante fils sans connaître le père. L’alter-ego du père s’appelait Arturo Bandini, celui du fils, Bruno Dante. D’un côté comme de l’autre, le caractère autobiographique transpire de chaque mot écrit. La misère, l’alcool, l’errance, les femmes tout sauf faciles et, quelque part derrière tout ça, de grandes espérances d’écrivain. Dans « Demande à la poussière », le plus grand titre du père (le livre qui donna à Bukowski l’envie d’écrire), Arturo Bandini a écrit une nouvelle, « Le petit chien qui riait » et compte sur son texte pour se faire révéler au monde. Ici, pour Bruno Dante, c’est sa nouvelle « Comptabilité » qui est l’assise de toutes ses espérances. Les deux personnages s’acharnent sur ce qui est déjà écrit, et jamais, au cours du roman, les verrons-nous s’asseoir à la machine et peaufiner leur art. Faut dire qu’un roman sur un gars qui est en train d’écrire, ça peut vite tomber déprimant.

Dans ses aventures précédentes, « Les anges n’ont rien dans les poches » et « En crachant du haut des buildings », Bruno Dante fout la merde, comme Dan Fante l’a probablement fait avant d’arrêter l’alcool. « La tête hors de l’eau » est le troisième roman de la série, le premier que je lis. Ici, Dante devient sobre et se trouve un boulot dans une boîte de télémarketing qui n’engage que des ex-alcooliques et drogués. Tout ce qui se passe à l’intérieur de ces murs est particulièrement lassant, exception faite de sa rencontre avec Jimmi Valente, une ex-crack addict, prostituée, plus vulgaire que le Doc Mailloux, plus imprévisible que Carey Price. Mais la sobriété va et vient au rythme des histoires impossibles qui se chevauchent. Et c’est l’amour que Bruno porte à Jimmi qui parviendra à le remettre en quelque sorte sur le droit chemin, malgré tous les coups bas qu’elle lui porte.

J’ai lu ce livre davantage pour ma culture personnelle que pour mon divertissement. Autrement, je n’aurais pas mis un mois à traverser 222 pages. La fin m’a plu, oui. En fait, une autre fin aurait été fort décevante. C’est plate mon Dan, mais tu passes en deuxième. Si je veux lire du Fante, je vais relire ton père. Si je veux lire du Bukowski, je vais relire Bukowski. Et si je veux lire Selby… bah, j’ai pas envie de lire Selby.