lundi 31 octobre 2011

What's Going On, Marvin Gaye? de Ben Edmonds


(Marvin Gaye and the last days of the Motown sound, 2001)
10/18 (musique & cie), 2004, 248 p.

What’s Going On est la première pièce que j’ai eue à apprendre dans un contexte académique. J’étais encore tout jeune, portais de douteux cheveux longs, je n’avais encore qu’une piètre connaissance des notes sur le manche et voilà que je me faisais des nœuds dans les doigts à essayer de reproduire avec une partition cette magnifique ligne de basse que James Jamerson avait sans aucun doute jouée de façon différente à chacune des prises lors de l’enregistrement.

Aucune idée de qui pouvait être Marvin Gaye.

Lors de mes cours, je jouais avec un maximum de dignité par-dessus un enregistrement bidon fait à l’ordinateur par mon prof, la suite d’accords, un beat de drum de base. Également par-dessus des commentaires du genre « Jamerson se r ‘vire dans sa tombe! », « Come on, t’es en train de taper une toune qui va passer à l’histoire! » «Hey, y jouait juste avec un doigt en plus! » ou encore « Yes sir, t’es black pis t’es dins années 70, le seul problème c’est que t’as une Ibanez! ».

Un soir, je revenais de l’école en autobus. Rock détente nous jouait des chansons plates en sourdine quand j’ai fini par ressentir des bourdonnements que je reconnaissais, au travers du vacarme en commun. Cette ligne de basse, comme si elle faisais partie de moi. Mais avec des mots. Brother, brother. Je me sentais soudainement beaucoup mieux. Les notes que j’avais apprises devenaient enfin de la musique. Une chanson.

Il s’en est passé des choses entre ce moment-là et la lecture que je viens de terminer. Me suis acheté un Greatest hits. Puis les albums. J’ai aimé Marvin Gaye puis l’ai reconnu comme un grand. J’ai élargi ma curiosité à Motown au complet, j’ai glané ici et là des morceaux d’histoire, essayé de mettre tout ça en ordre, avec un zèle somme toute mitigé. Je découvrais cette musique-là en même temps que tout plein d’autre, pas le temps d’aller au fond des choses. J’étais dans le gros jus.

Puis, des années plus tard, j’ai retrouvé ce livre dans une de mes bibliothèques. Je suis quasiment content de pas l’avoir lu avant tellement il vient de me faire un bien fou.


Ben Edmonds n’a pas écrit une biographie. What’s Going On, Marvin Gaye (que des mots anglais pour le titre de la traduction française… Le titre original est drôlement plus à propos. Mais ça sera ici (enfin!) ma seule digression au sujet de la traduction. Rien à redire sur le reste.) traite, vous l’aurez deviné, de l’album-culte et de tout ce que sa production a pu impliquer.

Si on ne nous fait pas l’histoire de Gaye, on nous fait du moins celle de Motown. Mise en place nécessaire pour bien comprendre la révolution qu’a pu occasionner la sortie de What’s Going On.

J’étais bien conscient que Berry Gordy avait parti Motown avec cette idée de « chaîne de montage » propre à la ville de Détroit. Mais je n’étais jamais allé plus loin. Somme toute, Motown m’évoquait des sourires, des mains qui tapent, des jeunes sortis de la rue. La belle innocence, des tonnes de numéro un au palmarès, « the sound of the new america.» C’est un peu avec peine que j’ai appris ici à quel point la production était compartimentée et régularisée. À quel point chez Motown, à l’image des chaînes de montage, on ne peut changer de rôle si l’on fait bien celui qu’on nous a confié. À ce titre l’histoire des Originals, le quatuor vocal qui chante sur la plus grande partie des titres enregistrés, qui sont incapables de faire leur propre album. La production était stricte et réglementée avec comme unique but le succès commercial. Un échec et tu te retrouves au bas de l’échelle. Ta deuxième chance – si elle vient – elle risque d’être loin.

On avait cantonné Marvin Gaye dans un rôle de dandy romantique avec ses nombreux succès aux côtés de Tammi Terrell. La formule marchait, pourquoi la changer? Mais Gaye voyait plus loin et c’est non sans peine qu’il s’est mis à réaliser lui-même ses sessions d’enregistrement. Premier essai : « I heard it trough the grapevine », considéré maintenant comme l’un des plus grands singles de tout les temps. Mais le Quality Control chez Motown ne voyait pas les choses de cette façon. On était beaucoup trop loin du son Motown, trop sombre, etc. Aura fallu relever d’astuces pour sortir cette chanson.

Alors imaginez quand Gaye est arrivé avec What’s going on. Une chanson sociale quand la boîte a fait ses millions avec des love, baby, suga’, lollipop. Ça a été un refus catégorique. Puis Gaye s’est refusé à produire quoi que ce soit tant qu’il n’aurait pas l’occasion de faire son album. La pression pour une sortie se faisait sentir, on était sur le bord de faire un autre Greatest Hits avec une nouvelle pochette, puis Berry Gordy est venu de LA (il avait quitté Détroit depuis longtemps) pour jaser avec Gaye. Puis c’est un pari qui eut raison de l’entente. Gaye avait 30 jours pour faire son album. Et là, on ne parle pas que d’enregistrer, non, Motown faisait ça en un après-midi. Gaye avait 30 jours pour écrire le reste des chansons qui composeraient l’album et l’enregistrer. Le 31e jour, il devait s’envoler vers LA pour le tournage d’un film qu’il avait essayé d’annuler, ce à quoi les producteurs du film répondirent par des menaces de poursuite en justice. Ajoutez à ça le fisc qui le talonne avec une attention particulière.

Les plus grands chefs-d’œuvre sont créés sous pression.

What’s going on a innové sous plusieurs points. Après des années passées en toute innocence aux sommets des palmarès, la musique noire avait enfin des chansons qui parlaient réellement et tout ça en faisant appel à l’amour plutôt qu’au soulèvement. Pour la première fois, Motown sortait en album avec une pochette dépliable et une présentation soignée. Le nom de l’arrangeur, Dave Van DePitte, figurait au recto de la pochette. Pour la première fois, les noms des musiciens y figuraient. Les Funk Brothers, le mythique orchestre maison de Motown à qui l’on doit la plus grande partie du « Son Motown » n’avaient jamais été mentionnés dans les centaines d’enregistrements précédents. Incidemment, ça serait également la dernière fois, Motown fermant ses bureaux et studios (où la batterie n’a jamais été déplacée) de Détroit pour Los Angeles. La plus vieille employée de la boîte s’est fait remercier par un mémo disant que son poste avait été aboli et qu’ils n’auraient désormais plus besoin de ses services. Tchow-bye.

Puis la triste fin. Détroit en décrépitude, Marvin Gaye trouvant la mort criblé de balles par son propre père. La tristesse et l’amour sont les plus grand acteurs de ce livre. La douceur de la musique tenue par une main de fer. Le personnage ambivalent de Marvin Gaye, affable et bon enfant tout en étant torturé, perfectionniste et visionnaire.
Je trouve ça triste et pourtant, je souris.


Je crois pas avoir déjà autant parlé d’un livre. Je me retiens. Mais vous inquiétez pas, il reste tout plein de choses à apprendre, je suis loin d’avoir tout dit. Et ça me tue de penser qu’il y a déjà tout plein d’affaires que j’ai oubliées.

Depuis le début de ce texte, j’ai bien dû flipper le vinyle quatre ou cinq fois. Autant ce disque-là me remplit, autant je suis conscient que je n’en saisis même pas le quart.

On a encore plein de belles années à passer.

samedi 15 octobre 2011

Le monde du blues, de Paul Oliver


(Blues fell this morning : The meaning of the blues, 1960)
Arthaud, 1962, 10/18 (musiques & cie) 2002, 342 p.

Encore dans la catégorie des cas à régler, un livre qui jaunit dans ma bibliothèque depuis près de dix ans. Rien de mal à ça, j’en suis présentement dans ma plus grande période blues à vie. Je comptais un peu sur ce livre pour m’aider à faire le ménage dans ce genre de musique qui, à première oreille, peut sembler revenir du pareil au même. Je voulais en ressortir avec des noms et des titres, mais me voilà plutôt enrichi de l’histoire des noirs aux Etats-Unis.

Le titre original prévient beaucoup mieux que celui de la traduction française de ce à quoi s’attendre du livre. Rien de bien surprenant. Le monde du blues mets en contexte et explique la longue lutte des noirs vers la reconnaissance, ne serait-elle que minime. De l’esclavagisme à « l’abolition » de la ségrégation, en passant par le goût prononcé du vice, la prostitution, la malnutrition, les conditions de vie minimales, les croyances, l’exil vers le nord, etc, Paul Oliver illustre un demi-siècle de lutte des noirs au travers de nombreux extraits de textes blues originaux.

Jusqu’ici, rien à redire, mises à part les nombreuses répétitions qui aloudrissent quelque peu le texte. On ne peut aborder l’histoire du blues sans d’abord avoir connaissance du long chemin parcouru par le peuple qui l’a fait naître.

Seulement – c’est pas la première ni la dernière fois que ça gâche mon plaisir – la traduction alourdit gravement le projet. Compte tenu du fait que l’entreprise repose sur l’illustration de l’histoire par les textes de chansons, la traduction de ces derniers pose une certaine entrave à l’authenticité et au mojo en général :

- Je suis allé voir l’homme qui lit dans la main pour qu’il m’dise mon avenir (bis)
Il m’a dit « Il te faut une assurance, pauvre guignard! »

Si vous voulez d’autres exemples, allez trouver le livre à la bibliothèque. Moi ça me déprime.

Alors on continue la lecture en s’imaginant tout ces mots qui sonneraient si bien en anglais puis on tombe, de temps en temps, sur des extraits en anglais transcrits de l’oral, du genre :

My mother, my mother she tol’ me, an my father tol’ me too :
« That junk’s a bad habit, why don’t you leave it too? »
My sister she even tol’ me, an’ my grandma tol’ me too :
« Thay usin’ junk, pardner, was goin’ be the death of you. »

Plus loin, dans la traduction, le mot « chnouff » remplace « junk »…

Je sais pas pour vous, mais moi, en lisant les mots en anglais, j’entends la musique de façon automatique. Et en français, j’entends un bruit de trompette qui craque. Ou des klaxons. J’entends un accent fatiguant et j’ai envie de lui demander s’il a pas mieux à faire.

Alors pourquoi, j’me suis dit, pourquoi c’est juste en anglais des fois? Compte tenu que le livre part de l’anglais, je me dis, un petit copy/paste et c’est réglé, hein. Libre à toi, traducteur de rajouter le texte en français après, nous on pourra le sauter et ça va juste nous donner l’impression de lire le livre plus vite.

Tsssss…

Et rajoutons à ça qu’aucun des textes n’est référencé. Je sais pas s’il faut donner la faute à Oliver au traducteur, cependant.

Vous me direz, Gasse, arrête de chiâler pis lis les livres directement en anglais, maudit. Je répondrai que oui, absolument, mais ce livre-là m’a été donné et j’ai quand même beaucoup appris.

Maintenant, je vais aller écouter des disques. Ça va me faire beaucoup de bien.