vendredi 9 décembre 2011

Cantique de la Racaille, de Vincent Ravalec


Flammarion, 1994, J’ai lu, 414 p.

Mon voyage pour la France, il était prévu depuis quelques mois. Le fait que je parte finalement seul et triste avec un préavis de 24h, lui, ne l’était pas. Même si je me retrouvais soudainement avec des tas de trucs à régler tout en gérant un sale lendemain de veille et un nouveau statut conjugal, choisir ma lecture demeurait une priorité. J’étais quand même pas pour traîner « Le Xxe siècle américain » d’Howard Zinn déjà entâmé je me disais, m’en vas tripper à Paris pour me refaire les idées, je voulais traîner une histoire qui, même si elle était déprimante, aurait au moins la qualité de ne pas être vraie.

Comme des priorité, il y en avait quelques une, j’avais somme toute un minimum de temps à consacrer à ma sélection. Ça me prendrait un auteur français, je me suis dit. Ou au moins quelque chose qui se passe à Paris. J’en étais à constater que les auteurs français ne se bousculaient pas tant que ça, dans ma bibliothèque de poches. J’avais tassé le fauteuil orange et j’étais maintenant à genoux à écumer les livres les moins époussettés de mon appartement quand mon doigt s’est arrêté sur ce livre de Ravalec, dont j’avais lu le passionnant et beaucoup trop bref « L’auteur », un mois auparavant.

Ah ouin ça, c’est quoi l’histoire, déjà?

Pas moyen, y’a pas de quatrième de couverture.

Ceux qui ont déjà travaillé en librairie savent probablement qu’il est moins coûteux pour les gros éditeurs de détruire les livres de poche plutôt que de payer le transport de retour pour les invendus. Le libraire n’envoie donc que les quatrièmes de couverture avec le code barre pour prouver que le livre n’a pas été vendu et hop, dans une enveloppe et le reste à la dompe. Ou dans une boîte pour les libraires avides de gratuité.

J’ai rechigné devant le handicap un instant puis j’ai balancé le livre dans mon bagage à main. J’avais d’autres priorités. Comme me trouver un endroit où coucher. Puis faire le ménage dans mon bagage à main, qui se trouve à être mon sac à dos depuis quoi, plus de dix ans, au fond duquel vieux bonbons ont côtoyé stylos défectueux, grenailles de fond de paquet de clope, reçus de caisse qui auraient été bons pour mes impôts 2004, bouteilles format voyage de gouttes hydratantes pour les yeux qui dataient du lock-out de la LNH et autres substances en gestation très certainement interdites aux douanes.

D’un certain point, je trippais, je me disais qu’il fallait que je sois à l’aéroport exactement durant les heures du match Montréal-Boston. Une game tout seul à Trudeau avec une bière à 8 piasses avant de partir vers mon plus gros déboussolement à vie (oui, je suis casanier. Je casane big time). Ça me tentait. Mais ça n’est jamais arrivé.

Pas moyen d’arriver à la voir. Dans un restaurant avec des lumières mauves, il y avait deux ou trois écrans, tous à des postes différents. Et pas un chat dans la place.
Bon, je me suis dit, je suis peut-être un peu d’avance. J’en profite pour commencer le livre, histoire d’être un peu dedans rendu dans l’avion et d’avoir envie de continuer au lieu d’écouter un film avec un chien savant ou avec Matthew McConaughey.

J’ai vite retrouvé le Ravalec qui m’avait accroché un mois plus tôt (vous vous rappelez, c’est un journal de lecture, ici). Le ton désinvolte et l’air d’aller en se foutant de la ponctuation parce qu’il y a certainement des choses plus importantes dans cette histoire j’ai complètement embarqué dedans. Puis je me suis rendu compte que ça coulait encore mieux si je me lisais ça avec un accent français mais là y’a des limites à tripper.

Les lacunes dues au handicap du livre se sont faites sentir dès mon premier élan de lecture après avoir lâché terre. Je venais de me terminer une écoute de Variations Fantômes de Philippe B. en pleurant un peu. Les mots des chansons me suivraient par la suite tout au long de la semaine au cours de mes marches. M’a dire, ça fitte rare.

J’ai défait la fermeture éclair de mon sac pour constater que la dernière page s’était prise dedans. Ça y est, je me suis dit, je vais passer une semaine à trotter et à avoir peur de perdre ma dernière page, ce qui, vous en conviendrez, serait d’une grande tristesse. J’ai considéré l’arracher tout de suite, question que ce soit fait. On peut pas abimer la dernière page si elle est plus là. Mais, vif, j’ai compris que je ne ferais que déplacer le problème.

Les quelques 100 premières pages m’ont semblé un peu lassantes. Gaston fait dans le recel de matériel volé et souhaite quitter son état de simple brigand pour se monter une entreprise. C’est bien, dans la vraie vie, de se monter une entreprise. Dans un roman, ça fait seulement des pages de trop. Celles-là, elles auraient pu passer dans le zipper.

J’ai fini la plupart de mes soirées au Fumoir, un bar devant le Louvre. Je m’y suis fait de bons amis, Éric, le chef barman/magicien, Esmahène, serveuse et bienfaitrice. Comme j’étais encore loin de chanter La Marseillaise bras-dessus bras-dessous avec les habitués du bar, je m’y installais confortablement pour en apprendre plus sur la légitimisation d’entreprises illégales devant un verre de vin qui, par les grâces du magicien, ne voyait jamais le fond.

Après quelques jours, j’ai allumé.

- Vous avez du papier collant? J’ai demandé à un des barmans.
- Pardon?
- Ben là, eh, du ruban adhésif?
- Je suis pas sûr de comprendre…

Je commençais à travailler fort à trouver des synonymes pour du maudit scotch tape (quand même pas pour dire ça) et je lui montrais mon livre en faisant des faces comme si je parlais à un russe quand il a dit « Ah, du scotch? ».

Voilà. Du scotch.

Je me suis mis à faire du bricolage un peu saoul, au milieu de tous ces gens vraiment mieux habillés que moi. Puis le livre s’est mis à devenir bon. Mon appréciation grandissait à mesure que Gaston se faisait dérouiller et qu’il embarquait dans des combines échangistes avec une jalousie digne d’un prix Gémeaux.

D’où la beauté que l’histoire soit pas vraie, on se réjouit mieux du malheur.

Ça adonne que l’histoire, elle se passe en grande partie à Paris, ça, j’étais ben content. J’ai toujours fermé les yeux et trouvé que les auteurs français allaient souvent à l’excès en nommant des noms de lieux que je ne connaissais pas et donc, que personne ne connaît. Mais là, amènes-en des porte de Clignancourt, j’ai vu ça sur la mappe, Les Halles, je suis passé par là, Gare du nord, en métro, Pigalle en courant, , Sébastopol, Magenta, Ménilmontant, j’avais tout vu ça. Le premier auteur français qui me parlait depuis Djian, ça faisait longtemps. Faut dire que j’ai pas donné grand’ chance.

Et là mon livre, je vais le remettre délicatement dans la bibliothèque, où il passera probablement les 30 prochaines années, à moins que je déménage. Ou à moins que je vous le prête, mais faudra faire attentions à la dernière page.

« Et puis les portes de Fleury se sont refermées sur moi et je n’ai plus pensé à rien. »

Ça finit comme ça. En cas. On sait jamais.