dimanche 24 avril 2011

Million Dollar Baby (La brûlure des cordes), de F.X. Toole


(Rope Burns, 2000)
Albin Michel, Le livre de poche, 2002, 311 p.

En 2000, F.X. Toole débarquait avec une bombe dans le milieu littéraire après avoir passé sa vie dans le domaine de la boxe. Un recueil comprenant six nouvelles, toutes campées dans le monde pugilistique, tombé entre les mains de Clint Eastwood qui fît de Million Dollar Baby, le texte phare du livre, un grand film.

Toole n’a eu le temps que pour deux livres, le roman Coup pour coup faisant suite à celui-ci et qu’il n’aura malheureusement pas eu le temps de terminer, la maladie l’emportant avant les derniers chapitres. Un roman renversant, d’une grandeur d’âme unique. Les nouvelles du présent recueil sont sans contredit dans la même veine. Leur principal défaut est d’avoir une fin. C’est avec regret chaque fois que l’on doit quitter les personnages que Toole nous aura présentés.

Pas besoin d’être un fan de boxe, ici. Moi même, avec tout le respect que je puisse porter au sport, n’ai jamais eu l’intérêt ne serait-ce que de regarder un match. Pas que je ne m’y plaîrait pas, remarquez. Mais la boxe comme la présente F.X. Toole va bien au-delà du ring. Ce sont des êtres de passion qu’il met en scène. Soigneurs, entraîneurs, athlètes. Et malgré la rudesse obligée du sport, le respect reste toujours la principale ligne de pensée des personnages. Il ne suffit pas d’être un dur pour boxer. Encore faut-il être capable de réfléchir.

Seulement, il y a les tricheurs, les arnaques, les juges vendus, les coups bas qui ruinent des carrières ou des vies, les voyous qui traînent dans les quartiers où se trouvent la plupart des salles d’entraînement. Un boxeur doit garder son sang froid. Rester digne alors qu’il pourrait d’un rien éclater la tronche de n’importe qui. Que le mal à l’état pur et l’enseignement de valeurs intègres se côtoient de si près donne lieu à des scènes troublantes, ceux qui ont vu le film pourront en témoigner.

Par ces grandes contradictions, je suis d’avis que la boxe est sans aucun doute le sport qui fournit la plus belle plate-forme à la littérature et au cinéma. La relation de proximité qu’un entraîneur aura des années durant avec son boxeur n’a rien à voir avec la relation de Jacques Martin avec, disons, Andreï Kostitsyn. Ce qui se passe entre deux combats est tout aussi important que ce qui arrive sur le ring. À titre d’exemple, j’en suis à la saison 3 de la série The Wire, et l’histoire de Cutty, qui change de vie à sa sortie de prison pour se partir un club de boxe dans un quartier défavorisé de Baltimore, est des plus prenantes. Rien d’autre que la passion et l’acharnement ne peut mener à des résultats.

C’est avec une grande tristesse que je pense à F.X. Toole. Ce gars-là, je l’aurais bien pris tout au long de ma vie.

Le vent du diable, de Richard Rayner


(The Devil’s Wind, 2005)
Rivages/Thriller, 2008, 347 p.

Nevada mon amour

Après avoir survécu à la guerre, Mauricio Valentini décide de mettre son passé trouble derrière lui pour se forger une nouvelle identité. Il devient Maurice Valentine (convenons que le changement aurait pu être plus drastique) et ne vivra désormais qu’en fonction de sa propre réussite. Il se marie avec une femme riche au père influent et devient rapidement l’un des architectes les plus en vue de la côte ouest. Nous sommes en 1956 et Las Vegas, même si elle n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements, représente déjà la possibilité d’un monde nouveau, tout autant que l’est le désert du Nevada, où l’on se lance dans de nombreux essais atomiques que le gratin de la ville regarde comme un spectacle, un martini à la main, dans la salle de réception du dernier étage du El Sheik, hôtel de luxe construit selon les plans de Valentine.

L’ascension de Valentine est si fulgurante qu’il est pressenti – lui annonce son beau père – pour l’investiture du poste de sénateur du Nevada, alors que la santé de Boss Booth, le sénateur actuel, est sur le point de flancher. En soi, Valentine, n’aura qu’à sourire et serrer des mains, son beau père et Paul Mantilini feront le le reste. Avec Valentine en poste, Mantilini, l’homme qui possède la plus grande partie de Las Vegas, pourra enfin réaliser, de mèche avec les Teamsters, son désir d’expansion de la ville.

C’est alors qu’arrive dans la vie de Valentine la séduisante Mallory Walker, une jeune architecte prête à tout pour faire partie de son équipe pour ses prochains projets. Déjà qu’être une femme architecte à cette époque en surprend plus d’un, l’attitude fonceuse et séduisante de Walker fait fondre tous les hommes autour.

Il ne s’agit que de la prémice de l’histoire, mais je dois cependant m’arrêter là, afin de ne rien révéler de fâcheux. Car la suite n’est qu’enchaînements de faux-semblants et de révélations choc. Le récit est construit sur deux trames. La première, qui se situe en temps réel en 1956 et s’étale sur quelques deux semaines, est narrée par Valentine, qui rend compte de son histoire avec Mallory Walker. La seconde trame s’étend de 1938 à 1951 et nous raconte à la troisième personne la vie de Beth Dyer, une jeune femme de classe ouvrière déterminée à devenir une grande actrice. Le lecteur fera rapidement le lien entre les deux trames avec l’impression d’avoir vu clair dans le jeu de l’auteur. Mais il reste encore de nombreuses surprises à venir.

Peut-être un peu long, ce livre se lit tout de même assez bien, grâce aux courts chapitres et à l’écriture fluide de Rayner, qui parvient à nous faire accrocher à ses personnages ambitieux et vaniteux avec qui nous ne ressentons aucune affinité (du moins, en ce qui me concerne). Mais le réel personnage dans tout ça, c’est probablement la jeune Las Vegas et son désert qui, à l’image de ceux qui y affluent, laissent miroiter autant de promesses que d’infini, autant d’images pré-fabriquées que de vide profond.


(Critique écrite pour Alibis, automne 2008)

Le vengeur des catacombes, de P.J. Lambert


Fayard, 2007, 440 p.

Badineries et pédophilie

Rien, au départ, n’inciterait un adulte sérieux à arrêter son choix sur Le Vengeur des Catacombes, si ce n’est la bande rouge le proclâmant récipiendaire du prix du Quai des Orfèvres 2008. Le titre racoleur, l’illustration de couverture, criante de mauvais goût, et la taille exagérée des caractères évoquent davantage un mauvais roman d’épouvante pour adolescents. Heureusement, ce livre est meilleur qu’il n’en a l’air.

Les catacombes en question, ce sont les nombreuses galeries qui forment le Paris sous-terrain où l’on retrouve rangés côte à côte, le 16 juin à 2 heures du matin, deux cadavres en décomposition auxquels on a soigneusement tranché la tête et les mains. L’enquête est confiée au capitaine Amélie Boursin, de la brigade criminelle, une femme pour ainsi dire parfaite, rousse canon, entêtée, et qui sait prendre les coups. Sous les conseils de son patron, François Simeoni, Boursin mène l’enquête avec le turbulent journaliste David Meyer, un ami d’enfance de Simeoni. C’est que Meyer se spécialise dans le criminel et travaille de façon indépendante, et même si on a pu, au fil des années, le qualifier de « fouille-merde » ou de « cure-poubelle », son professionalisme et son efficacité ne font plus aucun doute.

Meyer est une grande-gueule. Romantique et charmeur bidon, il reste néanmoins attachant, et pire que tout, il le sait parfaitement. Je ne brûle rien de l’intrigue en vous disant que le journaliste ⎯ tout en restant professionnel ⎯ mettra sa vie en branle pour que la belle capitaine s’entiche de lui. Prévisible. Mais Meyer est déterminé de tous les côté, et c’est une superbe collaboration de la presse avec les forces de l’ordre qui nous est présentée ici, tant au commisariat que dans le lit .

L’enquête est lancée, avec pratiquement aucune information en poche, et le lecteur progresse au fil des chapitres titrés par un indice de lieu et de temps (Paris ⎯ 17 juin ⎯ 11h30), évoluant tantôt au quart d’heure près, tantôt à intervalles de quelques jours. La piste mènera peu à peu à l’affaire Deschamps, vieille de quelques années, où un homme apprenait le viol brutal et le meurtre de ses deux jeunes filles par un pédophile récidiviste, jugé apte à la libération après huit ans de psychiatrie. La publication anonyme dans les journaux d’une liste de maniaques sexuels en liberté vient raviver le sujet et enflamme la population française.


La narration nous raconte l’histoire soit à la troisième personne, soit à la première, via la voix de David Meyer lui-même, et c’est là que ça se gâte un peu. Je veux bien d’un personnage qui s’auto-magnifie, mais les lois du narrateur omniscient doivent cependant être mises de côté dans ces cas-là. Ainsi, Meyer n’hésite-t-il pas à se décrire physiquement, à nous vanter son caractère, à parler de lui à la troisième personne et à nous détailler la décoration de son salon, le tout ponctué d’un nombre audacieux de points d’exclamation.

Le ton badin de l’écriture de Lambert rend la lecture certes très rapide et facile, mais les nombreux traits d’humour sont souvent convenus ou tombent à plat. L’enquête est cependant plutôt bien menée et documentée, et le sérieux du sujet prend heureusement le dessus sur les fôlateries évasives du protagoniste.

Il m’est avis qu’avec un peu plus de rigueur, le personnage de David Meyer aurait pu être drôlement plus percutant et maîtrisé. En espérant le voir mûrir dans les prochains efforts de P.J. Lambert qui, comme la plupart des récipiendaires du prix du Quai des Orfèvres, était jusqu’à présent inconnu au monde de la littérature (il est consultant financier international). Souhaitons-lui une nouvelle carrière…


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2008)

Le vampyre de New York, de Charlie Huston


(Already Dead, 2005)
Seuil Thrillers, 2009, 299 p.

Huston, we have a problem


Il y a quelques mois, j’ai lu Trop de mains dans le sac du même auteur, un roman noir mettant en scène Henry Thompson, un type malchanceux bourré d’attitude et de répliques assasines et qui m’avait procuré un divertissement de grande qualité. Plutôt que d’en publier la suite, les éditions du Seuil ont préféré faire paraître, comme deuxième traduction de l’auteur, le premier tome de son autre série, dédiée à Joe Pitt, un vampyre nouvelle génération. Oui, avec un y.

Fort de mon enthousiasme pour son roman précédent, j’ai attaqué Le vampyre de New York (Already Dead en anglais…dans la grande tradition des traductions ringuardes de titres) en me disant que je renouvellerais l’expérience et que Huston m’en ferait voir de toutes les couleurs. Mais j’ai vu noir et rouge, et c’est à peu près tout.

L’idée de base est très intéressante. La ville de New York est divisée en plusieurs territoires : La Coalition, la Société, le Hood, les Dusters, l’enclave, etc, territoires délimités par divers gangs de vampyres, avec la Coalition qui règne roi et maître. Toute la (non-)vie des vampyres est strictement réglementée. Très peu d’humains ont connaissance de l’existence de ces derniers et la situation doit rester ainsi. Les meurtres gratuits pour étancher la soif sont sévèrement proscrits. La Coalition, de toute façon, fournit à chacun la dose nécessaire pour maîtriser le vyrus. Oui, avec un y.

Joe Pitt, lui, est ce que l’on appelle un Franc-Tireur. Il ne fait partie d’aucune association, mais accomplit néanmoins de menus travaux pour l’un et l’autre, comme de retracer un individu contaminé (dans le monde des vampyres, dire « Zombie » est plutôt péjoratif, alors on trouve des alternatives), ou de retrouver la fille fugueuse d’un couple d’humains de la haute société. Mais lorsqu’il remarque qu’on lui a volé ses réserves de sang, Pitt doit abattre le travail en composant avec le vyrus qui fait des siennes et ce, en tentant de ne pas succomber à l’appel de la chair.

Le Vampyre de New York est un roman très violent, sanglant, et franchement dégueulasse. On va même jusqu’à l’inceste en tant que spectacle de torture. Soit. Pas que je sois petite nature, je pense que je peux en prendre pas mal, mais ici, c’est qu’en plus d’être dégueulasse, c’est un peu inintéressant. Je mettrai une grande partie de la faute sur la narration au présent.

Je ne me rappelais plus que ce genre de procédé me dérangeait autant. Je suis allé ouvrir le premier roman de Huston, juste pour voir. Au présent aussi et pourtant je n’avais pas buté une seconde. Donc? Ou bien je suis devenu un lecteur plus exigeant entre ces deux romans, ou bien Le vampyre de New York est tout simplement moins bon que son prédécesseur. Quoiqu’il en soit, le récit au présent donne cette étrange impression de stagner. Imaginez une longue scène de bagarre qui fait du surplace. S’il faut en plus que les deux assaillants soient des vampyres pas tuables, on n’est pas à la veille de s’en sortir.

En plus du manque de profondeur causé par le procédé narratif, tout reste plutôt flou autour des délimitations territoriales, de qui est avec qui, qui connaît qui et pourquoi. Peut-être aussi que j’ai simplement été distrait et que j’en ai manqué des bouts. D’une manière ou d’une autre, il y a quelque chose qui cloche. Et l’écriture sans aucune division de chapitres ne donne aucun moment pour poser pied et respirer un peu.

Alors je laisserai aux autres les suites de cette série sanglante bourrée de «y» en italique et me concentrerai sur le prochain tome des aventures de Henry Thompson en voyant si le présent m’affecte encore autant.

L’un des bons points de ce roman, cependant, est qu’il annonce pour les éditions du Seuil l’abandon de ces affreuses couvertures blanches et rouges qu’ils avaient confectionnées pour leur collection Thrillers, afin d’adopter le même graphisme que leur collection Policier. Pourquoi aller dans le blanc quand on fait déjà si bien dans le noir?


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2009)

Nous ne sommes rien, soyons tout! de Valerio Evangelisti


(Noi saremo tutto, 2004)
Rivages/Thriller, 2008, 385 p.

Vie et survie d’un mouchard

Dans les années vingt, le jeune Eduardo Lombardo traîne sur le port de Seattle et se fait recruter par un homme mystérieux. Son travail, apprend-t-il, sera de se tenir au courant des agitations des dockers et de cibler les chefs. Lombardo vieillit, change son nom pour Florio afin de se dissocier de sa famille communiste et devient dirigeant syndical de l’International Longshoremen’s Association. Il n’y a pas de meilleur poste pour se tenir au courant. Florio passera de Seattle à San Francisco pour finalement se retrouver à New York, où il dirigera un impressionant territoire portuaire au New Jersey. Cependant, la deuxième guerre mondiale, surtout sa fin, fera s’écrouler l’empire de Florio.

Nous ne sommes rien, soyons tout! retrace l’ascension et la déchéance d’un mouchard professionnel au service de la mafia, sous les couverts de la lutte pour le peuple et, principalement, du patriotisme et de la chasse aux communistes. Personnage odieux, dégoutant et sans aucune morale, Florio rejette et déteste sa famille, sans pour autant s’en éloigner en totalité. En témoignent les meurtres de ses deux femmes, de l’un de ses frères, son indifférence envers ses enfants, puis le fantasme douteux qu’il entretient pour sa jeune nièce ainsi que pour sa belle sœur, qu’il finit par vendre à un ancien collègue qui dirige un bordel à Cuba. Pervers confirmé, Florio va bien malgré lui à l’encontre des règles d’éthique de la mafia en ce qui concerne la famille : une femme qui ne manque de rien, des enfants en santé, une image implacable, et pour les folies, on va voir les putes. Ses écarts sexuels et violents lui feront perdre la confiance des dirigeants pour finir plus bas que lorsqu’il n’était encore rien.

On doit déjà à Valerio Evangelisti, historien de formation, des trilogies sur l’inquisiteur Nicola Eymerich, ainsi que sur Nostradamus. Plus récemment, il nous avait offert le western Anthracite, dans la suite duquel s’inscrit Nous ne somme rien, soyons tout! en tant que survol d’une certaine histoire du crime aux États-Unis. L’ouvrage est fortement documenté. Dès le début, on se retrouve dans un étourdissant dédale de noms, de dates et d’acronymes d’associations syndicales. Et l’auteur, qui semble considérer le lecteur comme son égal, n’apporte que très peu de précisions pour éclaircir les diverses situations. Il faut être particulièrement attentif pour garder le cap. Qui est dans le clan de qui? Et qui c’est, déjà, celui-là? La plupart des négociations, procès et discussions importantes se passent en temps réel, pour faire place ensuite à des sauts temporels surprenants, qui viennent déstabiliser le lecteur. Étrange à dire, mais les passages les plus romanesques (et, par le fait même, reposants) sont ceux où la vie personnelle de Florio nous est contée, des passages violents, misogynes, désolants, voire même atroces. Néanmoins, le langage reste bref et précis, sans aucune lourdeur littéraire. Plus souvent qu’autrement, l’historien prend la place du romancier et en reste aux faits.

Empruntant son titre aux paroles de L’Internationale, Nous ne sommes rien, soyons tout est une fresque historique sur fond de dépression où se croisent personnages fictifs et historiques, dont Willard Huntington Wright - aussi connu sous le nom S.S. van Dine, l’auteur des célèbres 20 règles du roman d’énigme - dont on fait un portrait peu élogieux. Malgré un rythme hachuré et de nombreux passages difficiles à avaler, Nous ne sommes rien, soyons tout! décrit avec précision une période noire des Etats-Unis où la misère, l’inégalité et la trahison avaient la belle part. Un gros morceau.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

Triste Flic, de Hugo Hamilton


(Sad Bastard, 1998)
Phébus, 2008, 248 p.

Les plaintes d'un flic imbibé

Hugo Hamilton est l’un des plus importants auteurs irlandais contemporains, et il y a de nombreuses années que je me suis promis de le lire. Son Sang Impur s’est mérité le prix Fémina Étranger en 2004, et en 2006, la traduction de Déjanté, la première aventure de Pat Coyne, m’avait fortement mis en appétit. Cependant, je ne m’étais jusqu’à maintenant encore jamais attablé et j’aurais bien pu attendre, je ne m’en serais porté que mieux. Encore une fois, je suis tombé dans le panneau. Il faut croire que mon radar n’est pas encore tout à fait au point.

Triste Flic n’est pas totalement inintéressant. Je dirais plutôt simplement inintéressant. Bien que l’image du flic paumé soit chose courante, elle peut encore à mon avis être pertinente, pour peu qu’elle soit bien traitée. Pat Coyne, dans ce roman, n’est même plus un flic, mais plutôt une pauvre épave. Suite à un sauvetage raté lors d’un incendie, Coyne est en convalescence - qu’il passe en grande partie à l’Anchor Bar, un pub Irlandais dans la plus pure tradition. Il y soigne non seulement ses poumons abimés par la fumée, mais aussi son petit cœur, qu’il ne peut désormais plus partager avec Carmel, la femme qui lui a donné Jimmy, cet adolescent délinquant qui amène son père dans une dèche dont il se serait bien passé.

L’intrigue nous raconte une histoire d’immigrants clandestins et de sac plein de pognon qui tombe entre les mauvaises mains, avec l’effet domino auquel on peut s’attendre dans un roman policier. Le tout, bien sûr, constellé d’une pléiade de personnages colorés (le personnage du poète sans-abris est un bel exemple de coloriage raté). Le problème, c’est que Hamilton dilue son histoire et passe une grande partie du temps à faire réfléchir son personnage sur l’état de l’Irlande actuelle. Réfractaire et borné, Coyne en veut à toute forme d’évolution. Il fera malgré tout un pas en avant en s’adressant à son fils en langage hip-hop. Mon dieu. Si mon propre père m’avait fait le coup, j’en porterais encore les séquelles. Et lorsqu’il cesse de regarder autour et se centre sur lui-même, Coyne nous rabat les oreilles avec sa foutue situation de chien battu, si bien qu’à certains moments, il nous semble surprenant de voir l’intrigue surgir et reprendre cours.

Plus que les malheurs de Coyne, ce qui enfonce le lecteur dans le syndrome du livre interminable est cette lourdeur dans l’écriture d’Hamilton. Moins une lourdeur de vocabulaire qu’une de structure, de construction. Des phrases ampoulées, des dérapages ainsi que quelques tentatives de procédés littéraires, tout plein de petits éléments qui font de Triste Flic un étrange moment à passer. Sans compter le papier raide et une reliure qui casse aussitôt qu’on la maltraite un peu. Autant mettre son énergie et son argent ailleurs.


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2009)

Sur les rives, de Michel Vézina


Coups de Tête #18, 2009, 139 p.

Ce que repousse la mer

Alors qu’aux parutions précédentes, les Coups de Tête renippaient leur image en passant du blanc au noir, voici encore qu’ils reformulent leur présentation en grossissant le format de leurs livres, maintenant presque semblable à votre revue favorite. Et c’est Michel Vézina, la tête derrière les Coups de Tête, qui donne le coup d’envoi à ce renouveau qui souligne la deuxième année d’existence de la collection.

J’ai lu une bonne partie des titres jusqu’à maintenant, j’ai été quelque fois déçu, souvent surpris et j’ai bien dit à quelques reprises dans des critiques « qu’il s’agissait là de mon meilleur Coups de Tête jusqu’à présent.» Force me sera de me répéter pour ce coup-ci, car dans un tout petit 139 pages, Vézina nous fait un roman étonamment complet, tant au niveau de l’enquête, de l’ambiance que de la profondeur des personnages.

On y raconte qu’on retrouve sur la grève à Rimouski le corps mutilé d’une femme repoussé par les vagues. L’inspecteur Lepage est sur l’affaire et reconnaîtra en la victime une ancienne flamme disparue depuis longtemps et qui avait fait la pluie et le beau temps à l’époque en dirigeant un hôtel qui s’apparentait davantage à un bordel. L’affaire se résoud d’une manière qui serait plutôt malhonnête de révéler ici, mais que le même genre de drame se soit déjà produit à Moncton il y a quelques années force Mélanie Bonne, une journaliste de Montréal, à descendre à Rimouski pour se mêler de l’affaire. Quand d’autres corps de femmes mutilés sont découverts sur les rives de Cape-Cod, Carleton, Baie-Comeau, etc, la journaliste et la police de Rimouski sont lancés dans un dédale étourdissant, car on n’a pas affaire ici à un tueur en série. Dans chacun des cas, on découvre que le tueur s’enleve la vie. Ce qui complique considérablement l’affaire.

Poussé par une langue brute qui m’a donné le dosage parfait entre l’écrit littéraire et l’oral populaire, Sur les rives est l’un des rares titres de la série à adopter une approche classique, meurtre(s), enquêtes, personnages troublés, ce qui fait grand bien. Car l’un des problèmes avec les Coups de Tête, c’est que certains des titres sont parfois conçus selon tel ou tel mode narratif dit « moderne », ou pire encore, « trash » et que ça ne devient plus sérieux du tout.
Par sérieux, je veux dire rigoureux.

Un excellent moment à passer, donc, avec Sur les rives, même si le dénouement est loin d’apporter les réponses qu’on aurait espérées.


(Critique écrite pour Alibis, été 2009)

Sang de Coca-Cola, de Roberto Drummond


(Sangue de Coca-Cola, 1980)
Fayard Noir, 2007, 402 p.

Le bonheur au Brésil?


Nous sommes le premier avril au matin, et le Brésil se prépare pour la fête de l’arrivée du bonheur au pays. Parce que, tout le monde le sait, Dieu est Brésilien et il vient partager la terre, rendre le Brésil à ses habitants. Au travers de cette odeur de lance-parfum qui embaume l’air et celle de cheval qui va grandissante avec la journée, le papillon vert du bonheur occupe le ciel du pays et rend visite aux nombreux protagonistes de ce roman (l’annonceur de radio, le tueur à gage, la beauté américanisée, le président défait, le vieillard mourant, le publiciste criminel, le soldat dans l’hélicoptère no.3, le sergent au centre des commandes…), les plongeant dans une nostalgie vaporeuse qui leur donne envie de prier. Puis un ours invincible qui prend une voix d’acteur américain et dont certains disent qu’il est Dieu, d’autres le Diable fera des siennes. Au cours de la journée, la fête du bonheur tournera en guerre civile par un coup d’état, tandis que le papillon vert du bonheur continue de voler, envers et contre tout.

Si cette introduction vous laisse perplexe, imaginez-moi durant 400 pages. Il ne fait aucun doute que ce roman, paru en 1980 sous une dictature militaire qui dura de 1964 à 1985, occupe une place particulière dans l’histoire militante du Brésil. Aucun doute non plus que cette édition française fait figure de document et qu’une lecture à froid par un esprit occidental qui ignore tout du Brésil, si ce n’est que son carnaval, mérite d’être mise en contexte. Hélas, la présente édition n’offre absolument rien qui permette d’y voir clair. Aucune introduction, seulement quelques notes en bas de page, principalement pour traduire les extraits de chansons (mais pas tous) qui rythment le roman. Sans compter que resteront indéfinis les très nombreux termes portugais que l’on aurait aimé voir accompagnés d’une note de renvoi pour plus de précision. Mais le traducteur juge bon de nous informer qu’un « feu sauvage » est en fait une « dermatose chronique ». Une belle attention…

Un brin confus à la fin de cette lecture, quelques recherches s’imposaient. L’impatience et l’intolérance qui m’ont accompagnés durant le roman ont vite cédé au respect et à la compréhension. Roberto Drummond, mort en 2002, s’était qualifié d’écrivain « pop ». Pris d’un désir de banaliser la littérature pour faire en sorte qu’elle soit accessible à tous à tout moment, il eut recours au surnaturel afin de dénoncer l’absurde du monde et de coder, en quelque sorte, le message à passer. Des personnages historiques en côtoient d’autres fictifs, sans compter les nombreuses hallucinations de stars américaines et de personnages fantastiques. Le sang de Coca-Cola qui coule dans les veines de plusieurs, c’est le sang d’un Brésil devenu urbain, d’un Brésil aliéné par l’occident, envahi par les images de marques. Le Coca-Cola qui vole la place au cacao et la canne à sucre.

Il est malheureux de constater que dans son intention de créer une littérature non-intellectuelle, Roberto Drummond n’atteint pas son but. Ses nombreuses techniques narratives (changement de personnage à chaque chapitre, une démarche différente pour chaque personnage), son langage touffu et dense, truffé de répétitions, de figures de style, de citations et de délires en italique font qu’il en résulte un ouvrage plutôt hermétique dont l’une des grandes qualités est d’être construit en très courts chapitres.
Pour lecteurs avertis et documentés.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

La saison des massacres, de Giancarlo de Cataldo


(Nelle mani giuste, 2007)
Metailié Noir, 2008, 298 p.

L’Italie des initiés

C’est avec un heureux souvenir de Romanzo Criminale, le premier roman de De Cataldo, que j’ai entâmé La saison des massacres. Une envie particulière d’y retrouver ce qui avait fait mon bonheur dans le roman précédent – puisque ce dernier s’inscrit comme la suite du premier – m’y a fait plonger sans réfléchir. Après la saga de la mafia romaine des années 70 à 90, voici maintenant un roman qui a pour contexte les attentats à la voiture piégée qui ébranlèrent l’Italie à l’été 1993.

Je me suis rapidement trouvé bien naïf de penser que De Cataldo se relancerait dans le même genre d’écriture que son premier livre (qui fait 730 pages, une vie, pour certains). De Cataldo est passé à autre chose et traite de son sujet avec tout le sérieux que l’on peut espérer d’un écrivain qui est également magistrat à Rome. Alors que le premier roman se passait dans la rue, entre sniffées de cokes, fusils pointés pour rien, filles faciles et violence gratuite, La saison des massacres se passe davantage dans les coulisses que sur le terrain. Et gare à quiconque n’aura pas une connaissance préalable de la structure politique italienne. Pris entre la gauche et la droite, la mafia, les communistes, les anti-communistes et les Francs-Maçons, il devient difficile pour le lecteur non-initié d’y retrouver son chemin.

Mais c’est avec un certain plaisir que l’on retrouve l’inspecteur Scialoja, qui avait fait la vie dure à la bande du Libanais dans Romanzo Criminale, qui a maintenant succédé au Vieux à la tête d’une société secrète jamais nommée et qui possède d’imposantes archives privées qui contiennent un grand lot d’informations compromettantes pour plusieurs. Stalin Rosetti, un ancien bras-droit du Vieux et combattant anti-communiste, en veut à Scialoja d’avoir pris une place qui, à son avis, lui revient. Entre les deux, la belle Patrizia, pute de luxe insaisissable, corrompue à souhait et déchirée entre le devoir et l’amour. On me demandera ensuite, « et puis, quel rapport avec les attentats? » et je prendrai un temps en regardant au plafond avant de vous avouer que je n’y ai rien compris. Que mon salut, je l’ai trouvé dans les quelques personnages qui me faisaient de l’effet, mais que la structure fondamentale de l’histoire est trop complexe pour un néophyte. De Cataldo ne fait pas un cours d’introduction à l’Italie contemporaine. Il baigne dans les affaires légales à longueur d’année et, forcément, prend plusieurs chose pour acquises. Comme tous ces nouveaux noms qui arrivent sans présentation (et des personnages, il y en a déjà une pelletée). Ne serait-ce que Berlusconi. Je veux bien prendre une grande part de faute pour mon ignorance, mais pour moi, Berlusconi n’était qu’un nom parmis tant d’autres au journal télévisé. Et si je passais mon temps sur Wikipedia à chaque élément nouveau qui m’est inconnu, je serais encore en train de le lire, ce livre. C’est ce qui fait la différence entre les deux romans de De Cataldo. Même si Romanzo Criminale était vaste et truffé d’information, il restait néanmoins centré sur les personnages (qui, soit dit en passant, s’appellaient Le Sec, Le Dandy, Le Libanais, au lieu de ces festivals étourdissants de voyelles que sont les noms italiens) et se retrouvait du coup accessible à un public plus large. Pour La saison des massacres, ce sont les faits et les supposistions qui dominent. Et on y retrouve drôlement plus de pots-de-vin que de coups de poing.

Mais l’auteur laisse tout de même pointer une note d’espoir via les personnages féminins et les jeune (bons ou mauvais), tous habités par le désir de s’en sortir, de fuir les causes et les associations dont on ne peut se délier, de prendre le large pour vivre et être en amour et peut-être, à la longue, en venir à faire une nouvelle Italie.
Ça, je l’ai compris.


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2008)

Quand tu liras ces mots, de Giles Blunt


(The Fields of Grief, 2006)
Le Masque, 2008, 428 p.

Suicides en Ontario


Je suis toujours un peu impressionné lorsque je lis en un court laps de temps deux livres qui touchent relativement au même sujet, et ce, par pur hasard. Bien sûr, le fait de se concentrer sur les polars peut considérablement resserrer le facteur de risque, mais tout de même, il devient difficile de ne pas mettre les deux romans en relation. Il y a quelques semaines, j’ai lu le désolant La loi de la seconde chance de James Sheehan (voir la critique à l’intérieur de ces pages), dans lequel le personnage principal devait composer avec le décès de sa femme après son combat contre le cancer. Le deuil exprimé m’y avait paru ridicule et mièvre, et voilà que j’en étais à douter de la pertinence à évoquer ce sentiment dans un roman. Heureusement, Giles Blunt est arrivé à la rescousse pour réparer les dégats.

John Cardinal est inspecteur à Algonquin Bay, un petit bled perdu dans la nature de l’Ontario. Il file le parfait bonheur avec sa femme Catherine, malgré la forte tendance de cette dernière vers la dépression sévère. Et voilà qu’un beau soir d’automne, elle se lance du haut d’un neuvième étage alors qu’elle avait prétendu aller faire une scéance de photographie de nuit. Le drame en ébranle plus d’un, Cardinal le premier. Ignorant le congé qu’on lui impose, il se lance dans une enquête personnelle alors que la police a conclu au suicide. C’est que le message d’adieu laissé par Catherine sur le lieu du drame ne serait pas la dernière chose qu’elle ait écrite, et l’enquête de Cardinal l’amènera à y déceler une empreinte digitale étrangère. Bien entendu, tout le monde assure Cardinal que la thèse du suicide est claire et limpide, qu’il ferait mieux de se reposer et de vivre son deuil de façon concrète afin de mieux continuer à vivre, aussi éprouvante cette épreuve puisse-t-elle être. En tant que lecteur, nous sommes partagés entre l’idée d’appuyer Cardinal dans son enquête et celle de croire qu’il perd complètement la carte. Malgré le drame qui l’accable, il mène tout de même une enquête éclairée, s’appuyant sur des éléments qui ne feraient même pas office de preuve au sein de la police, en plus d’être mû par une rage interne, où la culpabilité et le refus catégorique des évènements se disputent la belle place.

En intrigue parallèle, une collègue de Cardinal, l’inspecteur Delorme, enquête sur un dossier de pornographie enfantine, alors que l’inspecteur en deuil épluche certains cas de suicide survenus dans la région. Jusqu’à découvrir une troublante vérité.

Même si son titre évoque un mauvais roman de Mary Higgins Clark ou de Patricia MacDonald, Quand tu liras ces mots est un polar psychologique d’une qualité digne de mention. Rien de renversant, d’innovateur ou de nouveau, mais un polar dans les règles de l’art, sombre, fin, humain, et… pas très bien traduit (mél au lieu de email, pierre-papier-ciseaux ?!?). Mais, lecteurs insatiables que vous êtes, aucun doute que vous en aurez vu d’autres, et de bien pires. Je crois que Quand tu liras ces mots est mon premier roman policier canadien et ma foi, je trouve que ça commence plutôt bien. Hey! Un bon polar qui ne vient même pas de Scandinavie, comme quoi même l’Ontario, si elle est bien apprêtée, peut aussi paraître exotique.


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2009)

Padana City, de Massimo Carlotto et Marco Videtta


Métailié Noir, 2008, 213 p.

La fin des grandes familles

Le Nord-est de l’Italie est l’une des régions les plus prospères du pays. Seulement, tout appartient à quelques grandes familles, qui baignent autant dans le mal que la bienfaisance.
Notre personnage principal, Francesco Visentin, est avocat, fils du grand Antonio Visentin, avocat lui-même et membre de la Fondation Torrefranchi, qui règne en roi et en maître sur la région.
Filippo Calchi Renier est désaxé, et il est l’enfant unique de Selvaggia Calchi Renier, qui a pour principale caractéristique d’être la femme de son richissîme et défunt mari, en plus d’être froide à mourir et profondément sexy.
Giovanna Barovier est avocate au bureau d’Antonio Visentin, fiancée de Francesco et ex-copine de Filippo, et elle est la fille d’Alvise Barovier, un riche industriel que l’on a accusé il y a plusieurs années d’avoir mis le feu à l’un de ses entrepôts pour toucher les assurances. Le gardien, sa femme et sa fille y trouvèrent la mort et Alvise a pris la fuite, délestant ainsi sa fille et sa femme Prunella de tout l’aura intouchable dont bénéficient les grandes familles.
Jusqu’ici, on pourrait presque dire que tout va bien. Seulement, Giovanna est trouvée morte dans son bain à une semaine du mariage. Il apparaît vite qu’elle a été tuée par son amant et Francesco tentera de trouver le meurtrier tout en avalant de travers la pilule du cocu le plus en vue de la région.

Malgré le fait que la prémisse de départ évoque les belles années de Dynastie, ce roman est plus facile d’approche qu’il n’en a l’air. Après avoir lu dans la même collection La saison des massacres de Giancarlo De Cataldo qui m’avait laissé dans une grande confusion, j’avais quelques réticences à me lancer dans ce roman sur les riches industriels et les familles de pouvoir. Raconté en parallèle à la troisième personne et par la voix de Francesco Visentin, Padana City est l’histoire de cette jeune génération qui se dissocie de la destinée déjà dessinée par l’héritage familial pour mener une vie loin des associations frauduleuses et de l’argent sale. À bien y penser, c’était là l’une des idées qui ressortait de La saison des massacres. Peut-être l’Italie est-elle due pour un petit changement d’huile.

Quoiqu’il en soit, le roman avance et on y découvre des faits troublants et les enjeux réels. Le meurtre de Giovanna était loin d’être passionnel. Et Francesco fonce vers la vérité et continue là où la justice doit s’arrêter, faute de couilles. Entre mafia roumaine clandestine, élimination illégale de déchets toxiques, journalisme à sensation, ainsi que de nouveaux liens de parenté qui se révèlent à chaque cinquantaine de pages, Padana City nous raconte une Italie désolante et corrompue, à un rythme qui nous pousse à vouloir en savoir plus, malgré quelques petits points brouillons dont nous ne ferons pas grand cas.

Carlotto a déjà publié quatre romans chez Métailié, alors que Videtta, scénariste de métier, signe ici sa première œuvre littéraire. Ça me mystifie toujours un peu, que de voir un roman écrit à deux. Mais bon, dans le cas présent, ils ont l’air de plutôt bien s’entendre.


(Critique écrite pour Alibis, Hiver 2009)

Les ombres de Chicago, de Linnet Burden


(Cheap, 2009)
Payot Suspense, 2009, 393 p.

De l’honnêteté à la loyauté

Je ne crois pas que ce soit une bonne idée que de lire un roman policier qui traite d’une ville où l’on désire aller en vacances. J’ai Chicago dans la mire depuis un bout de temps, et voilà que j’en suis presque à préférer passer des vacances à Sherbrooke ou Joliette.

Il faut dire que les touristes sont rares, dans les ghettos de Chicago. Il est fortement déconseillé de s’y promener sans défense ni bonne raison, mais Cassy Cruz, elle, n’y voit aucuin problème, si c’est pour faire avancer son histoire. Jeune reporter aux affaires criminelles du Chicago Chronicle, elle épluche chaque jour les crimes de la veille pour en traiter dans le journal. À parler de misère et de morts violentes de façon quotidienne, la vie et le vocabulaire de Cruz s’en trouvent fortement affectés, comme par exeple de parler d’un « meurtre banal », ce qui n’est pas loin de faire frémir sa mère. C’est ce genre de meurtre dit banal, une histoire de poker qui tourne mal, qui met Cruz sur une piste pour accuser la police de Chicago de trois homicides ainsi qu’un médecin légiste pour avoir trafiqué les rapports d’autopsie.

La jeune reporter portoricaine est sans contredit sur le plus gros scoop de sa jeune carrière et compte bien faire tomber entre autres un policier véreux qui aurait déjà tué un collègue pour ensuite faire porter le blâme sur un jeune portoricain qui a grandi avec Cassy. Par solidarité, le corps policier s’est toujours tenu les coudes. Loyauté ou honnêteté? Cassy Cruz fait face au même dilemme en constatant qu’elle ferait tomber du même coup un chef de police portoricain, voisin et ami de la famille depuis toujours. C’est l’heure des choix.

Linnet Burden a été journaliste d’investigation puis grand reporter, couvrant entre autres la guerre de Bosnie et la première guerre du Golfe. Il n’y a a pas à dire, le milieu journalistique est couvert, expliqué et maîtrisé de bord en bord dans ce roman qui est son tout premier. L’affaire compte de nombreuses ramification et le tout est mené de façon efficace, bien que l’écriture soit plutôt fade et n’offre aucun relief. L’action prend un certain temps à décoller. C’est que Cassy Cruz doit couvrir l’ensemble des activités criminelles de la ville, et qu’avant d’avoir le OK de son rédacteur en chef pour se consacrer à son enquête, qui prend source dans une affaire mineure déjà réglée aux yeux de plusieurs, elle doit continuer son boulot quotidien. Je veux bien croire que tout ça est mis en place pour illustrer le mieux possible la réalité du travail de reporter, mais ce n’est malheureusement rien pour aider le lecteur. Cependant, il n’y a pas à dire, Linnet Burden tient quelque chose avec son personnage de Cassy Cruz. Reste seulement à trouver les bonnes épices.

(Critique écrite pour Alibis, été 2009)

La nuit descend sur Manhattan, de Colin Harrison


(The Finder, 2008)
Belfond Noir, 2009, 380 p.

New York Noir

Quatrième roman traduit en français de cet auteur new yorkais (après, entre autres, Havana Room et Manhattan Nocture parus chez 10/18), La nuit descend sur Manhattan est, malgré son titre de série B, un roman noir des plus solides.

Jin Li est une Chinoise qui travaille à New York pour Corps Serve, une compagnie de nettoyage qui est en fait une couverture menée par son frère Chen depuis Shangaï afin d’établir un important système d’espionnage industriel. En faisant le ménage des bureaux de certaines compagnies triées sur le volet, Jin Li et son équipe passent au peigne fin les documents papier laissés dans les corbeilles destinées au déchiquettage et recueillent les informations nécessaires pour faire chuter les titres en bourse et les racheter à bas prix. Ce qui n’est pas sans mettre certains cadres d’entreprise dans des situations désepérées.

Mais la stabilité de l’entreprise d’espionnage bascule lorsqu’en voiture avec deux de ses employées mexicaines, elle demande d’arrêter pour faire ses besoins dans un buisson et que surgit alors un camion de vidange de fosses septiques. Prise de peur, elle reste terrée et assite à mort atroce de ses deux employées, noyées dans la merde à l’intérieur de la voiture. Maintenant convaincue d’avoir été démasquée, Jin Li prend la fuite, et ils sont nombreux, ceux qui ont intérêt à la retrouver.

À commencer par Ray Grant Jr., son ancien petit-ami, qu’elle a quitté sous les pressions de son frère, incapable de concevoir que sa sœur puisse préférer un blanc à un Chinois. Ce Ray Grant est sans contredit le cœur de ce roman. Ancien pompier rescapé des décombres du 11 septembre qui s’est recyclé dans l’aide humanitaire en effectuant des sauvetages sur les sites de guerre ou de catastrophes naturelles, il a tout du super-héros, hormis la cape et le masque. Il possède une force physique surprenante, une intelligence hors-norme ainsi que de nombreuses habiletés pour se sortir de situations extrêmes. Et tout ça avec un calme inébranlable.

Aidé par son père mourant, un ex-policier rongé par le cancer maintenant sous perfusion constante de Dilaudid, Ray mène l’enquête pour retrouver Jin Li en faisant fi des menaces de Chen, débarqué en Amérique pour l’occasion.

La nuit descend sur Manhattan est un roman fort, humain et… technique. C’est le seul défaut que j’aie pu y trouver. Dommage qu’il en occupe presque la moitié. Il n’y a pas à dire, Colin Harrison a fait ses recherches, mais au détriment du rythme. Structures administratives, astuces boursières, formules chimiques, installations techniques, construction de bâtiment, diagnostics médicaux, règles de prévention d’incendie, manuels d’instruction de divers outils sans compter les visites guidées dans d’innombrables racoins de la Grosse Pomme, Harrison nous en raconte plus qu’il n’en faut. Il ne fait aucun doute que tout cela est très instructif, mais on en perd un peu le cours du roman. Je suis bien d’accord à me faire exposer une ou deux spécialités en profondeur, si ça peut bien étoffer le propos des personnages. Mais ici, on en suit près d’une dizaines, de personnages. Tout savoir de leurs activités et de leurs métiers, ça devient étourdissant.

N’empêche, un gros roman, noir, angoissant, et qui trouve le tour de bien finir.
C’est pas comme si je volais le punch…


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2009)

Le noir qui marche à pied, de Louis-Ferdinand Despreez


Phébus, 2008, 221 p.

Les dix commandements de qui?


À Prétoria, dans une Afrique du Sud post-apartheid où la réconciliation prend plus souvent qu’autrement des allures d’illusion, le taux de crimes reste plus élevé qu’ailleurs, en première position derrière les pays en guerre. L’inspecteur Francis Zondi de la SAPS (South African Police Service) affecté à la Serious and Violent Crimes Unit doit trouver le lien qui unit les enlèvements de dix jeunes enfants tour à tour attrapés à la sortie des classes. Les indices ne pleuvent pas, et seulement la moitié des parents ont ignoré les consignes écrites du malfaiteur pour faire malgré tout appel à la police.

Zondi est un policier noir de la vieille école. On le surnomme Bronx, à cause de son bref passage au FBI, et s’il n’en était que de lui, il appliquerait bien la loi à sa manière. Surtout devant une telle situation. Même le parrain local, que Zondi va consuler à tout hasard, n’en revient pas qu’on puisse faire un crime si bas.

Ces enlèvements sont l’œuvre d’Ephraïm Molefe, un faux prêtre noir illuminé qui a eu le temps d’apprendre par cœur la bible en prison. Même durant deux heures d’interrogatoire, il parvient à ne répondre que par des versets…Mais Molefe, tout comme son acolyte, Haardus de Roux, un gros blanc bête comme ses pieds, est un bien piètre criminel, et il ne voit que la finalité derrière ses crimes, la création d’une église bâtie autour des dix commandements, un enfant par commandement. Sa seule réelle précaution sera de mettre de côté sa voiture, trop voyante, pour faire à pied les affaires relatives à ses crimes.

Même si l’action de ce roman est lente et truffée de souvenirs et de réflexions, elle n’en reste pas moins prenante jusqu’à la toute fin. Despreez nous offre une galerie de personnages colorés tous aussi différents les uns que les autres et qui prennent bien leur place dans un univers qui nous est tout à fait inconnnu, tant dans le domaine du polar que dans la vie réelle. L’auteur ne semble pas avoir une très belle opinion de la perception de l’ordre dans son pays et ne se gène pas pour en relever les failles. Mandela n’est pas un super-héros, et si l’abolition de l’apartheid a rendu l’Afrique du Sud plus humaine face à la communauté internationale, son fonctionnement à l’interne n’est pas moins douteux pour autant, au même titre que le problème de la pauvreté, qui est toujours aussi concret.

Deuxième roman de ce Sud-Africain d’expression anglaise qui écrit en français, Le noir qui marche à pied devrait servir de leçon. Alors qu’une trop grande quantité de romans en anglais sont mal traduits, et que beaucoup, beaucoup de romans français sont inutilement verbeux, Despreez s’exprime avec un français d’une grande qualité. Il arrive à joindre au langage concis propre au polar une richesse qui ne tombe jamais dans les sombres dédales du littéraire. En voilà un qui a bien fait ses devoirs et qui devrait offrir des cours d’appoint.


(Critique écrite pour Alibis, été 2008)

Natures mortes, de Philippe Bouin


Archipel, 2007, 342 p.

Faux vraiment vouloir

Philippe Bouin ne chôme visiblement pas. Auteur de deux séries publiées en grande partie chez Viviane Hamy, l’une mettant en scène la bonne sœur Blandine, l’autre située dans le Paris de Louis XIV, il publie ici son treizième roman policier depuis 2001.

Joachim Debbas fut un peintre pour le moins contesté. En pleine guerre de son Liban natal, Debbas se rendait sur les champs de bataille après les combats et s’y installait pour peindre les soldats mourants, plus particulièrement leurs yeux. C’est qu’au moment de passer à trépas, les yeux prendraient une dimension telle qu’on ne peut trouver d’équivalent chez un humain bien portant, une fenêtre qui s’ouvre sur l’inconnu. Les approches de Debbas ne faisant pas l’unanimité, il perdra la vie dans un attentat dirigé contre lui et sa famille. Quand le célèbre galeriste Raymond Ayanhi découvre 37 tableaux de Debbas jamais connus à ce jour, c’est comme si la gloire venait frapper à sa porte. Il n’a alors aucune idée du bourbier où il vient de mettre les pieds.

Pendant ce temps, ceux que l’on a nommé « le gang des chapelles » sévissent en dévalisant des chapelles de leurs œuvres d’art, spécialité XIIe siècle. Le capitaine Flora Régnaud de l’OCBC (office central de lutte contre le trafic des biens culturels) est sur le coup. Pourvue d’une solide formation en arts, elle ne tarde pas à démanteler, suite à une série de rébus artistiques envoyés par un expéditeur mystérieux, un réseau de trafic de « vrais faux » tableaux. Cette enquête la mènera, de fil en aiguille, aux étranges disparitions de peintres libanais de la Butte Montmartre. Le Golem de Debbas serait apparu à ces victimes vêtu de blanc, coiffé d’un Panama et fumant un cigarillo. Les histoires s’entremêlant, Flora Régnaud en vient à se lier d’amitié avec le jeune et prometteur peintre Vladi Burg qui, par ses connaissances, la mettra sur la piste de l’affaire Debbas. Comme Ayanhi, Burg ne sait pas qu’il met les pieds dans une histoire où l’on n’hésite pas à faire couler le sang pour garder un secret.

Natures Mortes est ce que l’on pourrait appeler un thriller intellectuel. Au départ, un néophyte sera quelque peu étourdi devant le nombre de références artistiques ayant trait principalement à l’art contemporain. Si on laisse de côté ce charabia d’initié ainsi que les fréquentes franchouillades que nous balance l’auteur, on embarque néanmoins rapidement dans ce thriller peu commun, où se mêlent philosophie sur la place de la mort dans l’art et divergences entres les cultures moyen-orientales, juives et catholiques. On suit avec intérêt cette enquête ramifiée et complexe, et on va même jusqu’à croire de bonne foi aux histoires d’apparitions. Au Moyen-Orient, spécifie-t-on à quelques reprises, on croit à ces choses-là. Soit. Mais on aurait tort de prendre le lecteur pour un con. Je veux bien qu’on me donne du paranormal, mais il faut rester pertinent. Alors ce dénouement à la Scooby-Doo, du genre « Monsieur X! Vous êtes en fait madame Y!
⎯ Oui, mais je suis aussi madame Z!
Elle retire ses fausses dents et sa perruque (c’est pas des blagues)
⎯ Mais madame Z! Comment se peut-il? Je vous croyais morte depuis des années! », ça donne l’impression que Bouin, voyant le beau temps se pointer, a fini son roman à la hâte pour aller se faire une partie de golf.
Et comme si ce n’était pas assez, on nous sert un épilogue qui se déroule en 2125, quand un pauvre inconnu découvre une lettre enfouie dans le désert où le fond de l’histoire nous est raconté. Tout le reste du roman est beaucoup trop intelligent et structuré pour qu’on supporte une fin pareille. Insultant.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

Morlante, de Stéphane Dompierre


Coups de Tête #19, 2009, 154 p.

Foncer dans le tas en riant

On connaît bien Stéphane Dompierre (les plus jeunes, du moins) pour son roman Un petit pas pour l’homme paru chez Québec Amérique en 2004, et cette année même en France chez Robert Lafon. Dompierre a fait son chemin depuis pour devenir l’un des jeunes auteurs québécois les plus lus, et il a relevé le défi des Coups de Tête en se lançant dans un genre totalement différent de celui, plus contemporain, qu’on lui connaît.

Mais à bien y penser, on change de décor, plus que de genre. On troque le Plateau Mont-Royal pour la mer des Caraïbes et hop, un petit roman de pirates qui se lit avec plaisir en un rien de temps.

Morlante est écrivain, mais c’est pour ses talents au combat qu’il est employé par la flotte anglaise. Mais bon, il est travailleur autonome et la fidélité ne faisant pas partie de ses principes de vie, il va où bon lui chante. En plus d’être une terreur (souvent imitée, jamais égalée) sur la mer, il est également une légende sur la terre ferme, où il mangerait les enfant qui tardent à rentrer de l’école, en plus de violer des femmes après leur avoir décapité la tête. Aussi bien jouir de son statut.

Mais lorsque que se présente au loin le navire coloré de Lolly Pop, la célèbre pirate dont il s’est si souvent inspiré pour ses romans, Morlante se met à ressentir une palette d’émotions qu’il avait jusque-là préféré éviter. Comme quoi même les plus grands guerriers ne sont pas totalement à l’abri de l’amour.

Les lecteurs de Dompierre ne seront pas déstabilisés. On y retrouve le même ton léger et moqueur, voir badin et souvent cabotin presque limite (on joue beaucoup sur l’aspect « moderne » de la vie des pirates, on comprend vite). Peut-être nous aurait-il perdu si le roman avait été plus volumineux, mais en 154 pages, on n’a pas le temps de s’ennuyer et Dompierre nous divertit à merveille avec certaines scènes dignes de mention, notamment celles avec le Capitaine Marshall et son comptable Gibson. Sinon, ce sont les dizaines et les dizaines de morts atroces, toutes aussi violentes et imaginatives les unes que les autres, dont on se régale avec un sourire en coin.

Morlante est un court roman plaisant et violent, un petit livre qui donne envie de dégainer les machettes et de foncer dans le tas en riant. Pas une histoire qui vous suivra des semaines durant, mais qui vous fera sans aucun doute passer un bel après-midi.


(Critique écrite pour Alibis, été 2009)

Monstrueux, de Natsuo Kirino


(Gurotesku, 2003)
Seuil Thrillers, 2008, 615 p.

Natsuo Kirino écrit depuis 1984 et a remporté de nombreux prix littéraires au Japon. Cependant, Monstrueux n’est que son troisième ouvrage traduit en français, après Disparitions (10/18, 2004) et Out (Seuil, 2006). Y aurait-il pénurie de traducteurs japonais-français? Parce que Monstrueux est traduit à partir…de la traduction anglaise de l’original japonais. Ça commence à faire beaucoup d’intermédiaires. Avis aux intéressés, il y a peut-être un poste de libre aux éditions du Seuil.

Après m’être renseigné sur les ouvrages précédents de Kirino, j’ai entamé Monstrueux avec le pressentiment que j’allais en manger toute une. Que mes repères de ce qui est bien et bon seraient effacés à grands coups de tabous défoncés. Je m’attendais à me faire dire ce que je n’imaginais pas et ne voulais pas entendre, et encore plus. J’ai été patient. J’ai acquiescé lorsque la narratrice m’a averti qu’elle devait raconter l’histoire dans tous les détails, et sans faute. J’étais prêt. À quelque mois d’intervalles, deux prostituées sont retrouvées assassinées dans les mêmes conditions, étranglées et abandonnées dans une chambre minable. Si Yuriko, la sœur de la narratrice, est née pour le sexe et en fait une vocation dès son jeune âge, Kazue, la seconde victime, est diplômée et occupe un poste dans une grande entreprise le jour, et se prostitue le soir. Qu’est-ce qui peut bien relier ces deux meurtres? Vous ne le saurez pas. La question est soulevée avant de partir au vent. Mais on vous parlera du fait que les deux sœurs ne se sont jamais bien entendues. C’est que Yuriko, au grand contraire de l’autre, est sublime. Pas seulement belle. Monstrueusement belle, vous faites le lien? Belle au point de tout déranger sur son passage, une beauté déconcertante, qui va même jeter la mère dans un tourment de fierté et de malaise. J’ai accepté que la narratrice me parle de leur enfance, de cette vie au lycée le plus prisé de tout le Japon, de la superficialité de toutes leurs collègues de classe et des bouchées doubles fournies par cette fille de classe moyenne, et laide de surcroit, pour se sortir de cet enfer. Pendant plus de 300 pages. Je me disais que je n’étais encore qu’à la moitié. Que l’histoire allait bien finir par décoller.

C’est à ce moment qu’est apparu un nouveau narrateur, Zhang, présumé meurtrier, qui, sous le prétexte d’une déclaration écrite au juge, nous raconte sa vie en long et en large. Même si l’histoire de Zhang s’est révélée être plutôt intéressante, cette insertion impromptue ralentit sérieusement le rythme, tout en nous empêchant encore d’entrer dans le vif du sujet. Puis la ronde des narrateurs a continué, j’ai lu le journal de Yuriko, puis celui de Kazue. Ma foi, des journaux intimes étrangement étoffés, dialogues, descriptions et tout et tout, avec des entrées de quinze à vingt pages. Les pauvres, elles en avaient gros à dire.

Le problème, avec Monstrueux, c’est qu’il n’y a pas d’intrigue. Il y a bien deux meurtres, mais nous en sommes avisés dès le début, le coupable est déjà démasqué. On nous sert plutôt des divagations sur la beauté et la réussite, dans un Japon impertinent qui impose à ses habitants d’être un peu plus que des humains. Chacun des personnage est dérangé et se raconte autant de mensonges à lui-même qu’au lecteur. De ce fait, il devient impossible de s’attacher de quelque façon que ce soit à aucun d’entre eux. Alors leur jérémiades stériles sur leurs pauvres conditions durant plus de 600 pages, il faut avoir de bonnes raison pour se rendre au bout.

Autant d’éléments qui font que ce roman psychologique relève davantage de la littérature générale que du suspense. Et si le mot « Thriller » sous-entend le souffle court et haletant, la seule altération à votre respiration ici sera le baîllement.


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2008)

Moi, Fatty, de Jerry Stahl


(I, Fatty, 2004)
Rivages Thriller, 2007, 270 p.

Gros problèmes, problèmes de gros


J’entretiens une relation ambiguë avec les biographies romancées. D’une part, le plaisir d’apprendre dans le cadre d’un roman, et de l’autre, ce questionnement récurrent sur les limites de la frontière fictionnelle. Car sous l’étiquette « roman », il peut se passer bien des choses…

Jerry Stahl est scénariste (CSI, Twin Peaks) en plus d’avoir écrit un roman (À poil en civil) publié chez Rivages, ainsi qu’une autobiographie (Permanent Midnight) axée sur sa toxicomanie, pas encore traduite en français.

Moi, Fatty se veut l’autobiographie romancée de la vie mouvementée de Roscoe « Fatty » Arbuckle, première vedette hollywoodienne de cinéma muet, premier acteur à gagner un million de dollars par an, l’inventeur même du gag de la tarte à la crème (y’a de ces choses que l’on croyait avoir toujours existé…). D’un père violent et d’une mère pieuse, Roscoe est accusé d’avoir détruit la féminité de sa mère « en voyant le jour au Kansas avec son gros cul par-devant ». Sa taille imposante sera sujet de railleries tout au long de sa vie, et ce surnom qu’il déteste (qui prendra même place du vrai nom dans les génériques) ne fera que lui rappeler sans cesse son père et ses violences.

Ami de Chaplin et surtout de Buster Keaton, qu’il a découvert, Arbuckle travaille sans arrêt et on lui voue une admiration sans bornes des deux côtés de l’Atlantique. Pas mal pour un enfant abandonné qui débuta dans les vaudevilles à l’âge de huit ans. Mais la bouteille le fait trébucher plus souvent qu’à son tour, et l’héroïne, qu’on lui prescrit après une piqûre d’araignée, devient son principal port d’attache. Il réussira à se défaire de son addiction (pour un temps), mais un sort bien pire l’attend. Lors d’une fête qu’il organise dans un hôtel de San Francisco, la jeune actrice Virginia Rappe trouve la mort et Arbuckle est accusé à tort. S’en suivra un tollé médiatique jamais vu (cette affaire entraîna les journalistes à devenir ces taches de paparazzis), trois procès, et une carrière (et une vie) brisée. À l’issue du troisième procès, le jury décrète que l’acquitement n’est pas assez et présente ses excuses à l’accusé, une première dans l’histoire de la justice américaine. Trop tard, Arbuckle est ruiné, moralement et monétairement et Hollywood (qu’il a bien failli, par ricochet, entraîner dans sa chute) lui ferme ses portes. Allez donc refaire votre vie après avoir été perçu des années durant comme la pire expression du vice et de la perversion que ce pays n’aie jamais connu…

Moi, Fatty, est digne des plus crasses romans noirs qui ont pu brosser ce portrait peu valorisant du sud des États-Unis. L’histoire nous est contée par la voix d’Arbuckle lui-même, en courts chapitres. Stahl raconte dans son introduction que ces récits lui étaient soutirés par son valet japonais resté avec lui, même après que ses procès l’aient laissé sans le sous. Le valet ne lui donnait sa ration d’héroïne qu’à la suite d’une partie de son histoire. Quant à savoir comment ce manuscrit atterrit entre ses mains, il s’agit-là, dit Stahl, d’ « une saga exigeant un second volume », et pour ce qui est de l’authenticité du document, « la question reste ouverte là aussi, le jury délibère encore ».

Quoiqu’il en soit, Moi, Fatty constitue un document passionnant sur la naissance du cinéma, sur les conditions de travail douteuses des premiers acteurs, et sur les moyens déployés par ses dirigeants pour prouver aux bonnes gens qu’Hollywood n’était pas l’incarnation même du démon. Difficile de distinguer la part de Stahl de celle d’Arbuckle, la biographie du roman. Et si on lisait une histoire?


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

Mélancolies, de Patrick Mosconi


Seuil, Roman Noir, 2009, 247 p.

Trouver du noir où il n’y en a pas


Aucun doute que, de nos jours, chaque genre emprunte à un autre les caractéristisque qui lui plaisent pour arriver à ses fins, qu’elles soient littéraires ou purement commerciales.Heureux métissages ou combinaisons douteuses, d’une manière ou d’une autre il devient difficile d’insérer des œuvres dans ces bonnes vieilles cases de styles pré-déterminées qui nous simplifient si bien la tâche. Venant d’un critique, une telle classification hybride peut-être infiniment variable, venant d’un éditeur de mauvais goût, nous pencherons davantage pour l’opportunisme, mais quand un éditeur respectable comme le Seuil nous offre un livre étiquetté «Roman Noir» avec la présententation conséquente, nous sommes en droit d’avoir des attentes.

Il faudrait éviter de beurrer épais avec le noir. La simple déchéance d’un personnage peut-elle expliquer l’application du terme? N’est-ce pourtant pas là l’un des éléments que l’on retrouve dans un grande partie des œuvres de fiction en général? Quoiqu’il en soit, ce roman de Patrick Mosconi aurait mieux trouvé sa place dans une collection régulière et moi, je n’aurais pas perdu mon temps à le lire.

L’histoire. Un triangle amoureux entre une anesthésiste (Violeta), une patiente dans le coma (Mariane) et un infirmier muet (Tristan). Une passion s’installe entre Violeta et Tristan. Ils passent ensemble des nuits entières, où Violeta raconte et Tristan noircit les pages d’un cahier. Les Nuits de Pleine Lune, qu’ils ont appelé ça. À mesure que les rencontres avancent, Violeta dévoile sa facination secrète pour Mariane, et Tristan en vient à retrouver la parole. Tiens donc.

Dans son coma, Mariane parle et révèle vaguement des évènements troublants, où il est question de viol, de meurtre, de noyade. Ça pourrait devenir intéressant. Mais lorsque Tristan suggère de soumettre le cas de Mariane à l’un de ses amis sorciers, ça devient beaucoup trop pour le lecteur déjà clément. Les supposés démons de Mariane écartent toute possibilité d’action, de suspense ou d’intrigue. Sans parler de la crédibilité.

Je ne suis pas au courant de la production antérieure de Patrick Mosconi, que l’on décrit comme étant une «figure marquante et inclassable du roman noir français», mais si c’est le cas, ce roman m’aura au moins convaincu d’une chose que je savais déjà : je préfère les auteurs américains.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2009)

Marzi et Outchj, de Pascal Leclercq


Coups de Tête #8, 2008, 110 p.

Starsky et Hutch, version pays de la frite


En introduction, une mise en garde de l’auteur : « Cette histoire se passe en Belgique, c’est-à-dire nulle part. » Dans un mélange de boutades et de clichés sur sa mère patrie – où l’on ressent tout de même l’amour du pays, malgré le fait d’être constamment détrempé par la pluie – Pascal Leclercq nous propose, avec son premier roman, un divertissement tout à fait digne de mention.

Marzi, c’est Georges Marzineau fils, un jeune professeur en serrurerie, qui se voit dans l’obligation, le jour de la mort de son père, de reprendre les affaires familiales. Quand faut y aller, faut y aller, et Marzi s’attelle à son nouveau métier de mafieux belge en entendant le faire à sa propre manière. Simple. Rapide. Efficace. Dans une rixe de bar, Marzi rencontre Outchj, le gros Yougo sympathique, qui deviendra son fidèle allié pour la suite de l’histoire, fidèle dans la mesure où les charmes de l’ex-pute Ivana ne viennent pas altérer son sens des responsabilités.

Visiblement, on en veut à la vie de Marzi. D’abord, trois agresseurs déguisés en témoins de Jéhovah cognent à sa porte. C’est Marzi qui aura le dessus en assommant ses visiteurs d’un discours religieux particulièrement rigoureux. À leur sortie, un tueur à moto les crible de balles mal tirées, tuant un faux Jéhovah tout en abimant la maison de Marzi. Mais qui donc en veut à qui? Et à qui Marzi pourra-t-il réclamer la réparation de sa façade? À grands coups de bière, de rhum, de pétards et de cornets de frites, Marzi et Outchj tenteront, bien maladroitement, de tirer cette histoire au clair tout en distribuant des baffes ça et là, alors que sifflent à leurs oreilles des balles qui leurs sont destinées. Et dans la tête brumeuse de Marzi flotte tout ce temps-là la trinité féminine, formée par madame sa mère, qui n’hésite pas à mettre son fils à l’épreuve dans son nouveau métier, Eulalie, l’amoureuse invisible, puis Priscilla Van Heft, la secrétaire de l’école où travaillait Marzi, en qui il se plaît à canaliser toute la haine nécessaire pour mener à bien son nouveau métier. La sainte, la mère et la pute, avec toute l’influence dont on les sait capables.

On ne lira pas tant Marzi et Outchj pour la qualité de son intrigue, sympathique mais un peu bâclée, mais plutôt pour la force évocatrice de son écriture. Une langue fournie et surprenante, musicale et rebondissante, une langue qui, malgré de nombreux termes locaux qui nous laisseront dans le vague, donne la belle part à l’humour, cynique et burlesque. Des personnages cons et colorés - un consul d’Italie féru de jeunes ouvriers, un commissaire de police érotomane, un gérant d’épicerie soumis - des situations impossibles, comme une explosion dans la pièce d’à côté, et Marzi qui entre et vole calmement une montre à un bras qui traînait par là, c’est un univers douteux et tordant que nous offre Pascal Leclercq, qui est déjà poète, journaliste, nouvelliste et traducteur. Sans aucun doute, le meilleur numéro des éditions Coups de Tête jusqu’à présent.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

Trop de mains dans le sac, de Charlie Huston


(Caught Stealing, 2004)
Seuil Thriller, 2008, 268 p.

Tout ça à cause d’un chat


Je n’arrive toujours pas à comprendre comment, en librairie, j’ai pu être interpellé par ce livre à la couverture de mauvais goût et au titre douteux. Mais je crois bien que c’est le nom de l’auteur qui m’a retenu. Je me suis dit qu’avec un nom pareil, Charlie Huston ne devait pas être un gentil. Et, voyez-vous, j’avais raison.

Paru en 2004, ce premier roman de Huston a été suivi – outre les scénarios de la bd Moon Knight chez Marvel – de six autres livres, dont deux s’inscrivent à la suite de celui-ci, mettant en vedette Henry Thompson, barman chez Paul’s, alcoolique et sans ambition depuis qu’une blessure a mis fin à une prometteuse carrière de baseball.

C’est un Thompson bourré qui va répondre à la porte un matin pour y trouver son voisin, Russ, qui lui demande de garder son chat alors qu’il doit aller voir son père à l’hôpital. Pas particulièrement amoureux des animaux, Henry accepte quand même et reçoit la cage de transport qui contient la bête, ainsi que le nécessaire pour sa survie. Seulement, il ne sait pas à ce moment que dans la cage en question est caché un objet qui compromettra sa survie à lui. Une simple clé, scotchée sous la couverture du chat. Il ne la trouvera qu’après que des « amis » qui cherchent Russ soient venus et lui aient fait subir toute une râclée, au point qu’il doive se faire retirer un rein déjà mal en point.

Gérer un chat qui n’est pas le sien, vivre avec un rein en moins, supporter son corps sur ses pieds douloureux et devoir ignorer les bouteilles de bière qui vous font de l’œil serait une situation fâcheuse pour n’importe qui. Mais des gangsters qui défilent chez lui avec fracas pour trouver Russ, Thompson aurait bien pu s’en passer. Il aurait aussi pu se passer de leur dire qu’il avait trouvé la clé. Leur répéter qu’il ne se rappelle plus où il a pu la mettre parce qu’il était bourré ne change rien aux baffes qu’il reçoit, à la chaussette qu’on lui a foutu dans la gueule, à sa plaie d’opération qu’on ouvre pour aller zigonner dedans. Un gang de bandits dirigé par un inspecteur de police, la mafia russe, deux frères noirs psychopates, ils sont nombreux à être sur le dos de Thompson qui décidément n’aide en rien à sa convalescence, quoi qu’il puisse dire à sa mère.

Mais lorsque plusieurs de ses amis meurent dans une fusillade chez Paul’s, Thompson la trouve de moins en moins drôle. Accusé à tort de ces meurtres et vivement recherché par la police, il deviendra meurtrier pour vrai alors qu’il décide de prendre les choses en main. Et ce, toujours avec le chat dans les bras, qui doit maintenant avaler des médicament pour guérir d’une patte qu’on lui a cassée par pure malice.

Trop de mains dans le sac est un roman violent et explosif, dans la tradition des meilleurs romans noirs et des films de Tarantino. Explosif au point où on a souvent l’impression d’être dans la scène finale. Avant même d’avoir franchi le cap des cent pages, on se demande déjà comment ça pourra aller plus loin, et pourtant, Thompson s’enfonce encore et encore. Peut-être un peu trop, par moments, mais pas assez pour en faire un plat. On se délecte des personnages exubérants et des dialogues incisifs, qui doivent être géniaux, en langue originale… Un pulp moderne, un roman drôle et sanglant, avec une bonne quantité de méchants, et un gentil qui n’a d’autre choix que de devenir méchant pour s’en sortir. On veut la suite, et vite.


(Critique écrite pour Alibis, été 2008)

La loi de la seconde chance, de James Sheehan


(Laws of second chances, 2008)
Belfond noir, 2008, 439 p.

Objection!


James Sheehan est avocat en Floride et La loi de la seconde chance est son deuxième roman, après Le prince de Lexington avenue paru et traduit l’année dernière. La raison pour laquelle les éditions Belfond font preuve d’autant d’assiduité face à cet auteur doit relever de ces petits caractères à la fin d’un contrat. Lorsqu’on parle d’engorgement dans les librairies, du nombre trop élevé de parutions par rapport à la demande du lectorat, le livre de Sheehan est ce genre d’erreur qu’on aurait pu éviter aux lecteurs francophones. Et tant pis pour les Anglais.

En soi, l’intrigue de ce livre en est une comme on en voit dans un grand nombre de romans judiciaires. Jack Tobin est un avocat (riche et talentueux, tiens donc) qui se consacre à la défense des condamnés à mort. Après avoir sauvé in extremis la vie de Henry Wilson qui faisait face à la peine capitale suite à dix sept années passées en prison pour un meurtre qu’il n’avait pas commis, Tobin se penche sur le cas de Benny Avrile, le fils d’un vieil ami à lui, accusé du meurtre de Carl Robertson, un magnat du pétrole (une huile, comme dit l’auteur, la pognez-vous?). Bien que je ne sois pas amateur ni connaisseur d’intrigues judiciaires, je peux affirmer sans hésiter qu’il s’agit là d’une honte au genre et que les afficionados ont intérêt à passer leur tour.

Histoire ficelée avec de la grosse corde jaune, subtile comme une déneigeuse dans un quartier résidentiel, La loi de la seconde chance m’a presque donné envie de lire un polar de Nora Roberts, pour me convaincre que la dame est un grand auteur de noir. Le roman est écrit dans une langue éducative qui s’étire en longueurs et qui prend le lecteur pour un enfant. Comme dans ces interminables scéances où Tobin revient à la campagne après ses dures journées en ville et que sa femme l’attend avec un bon repas. Mais d’abord, faire un parcours de jogging et se raconter sa journée. Suivent alors d’insipides échanges entre deux personnes si amoureuses après tant d’années, où Tobin décrit à la femme de sa vie les méandres de l’affaire juridique en cours. Tout cela en gardant un rythme de course parfait et en s’extasiant sur les beautés de la nature. Mais ce bonheur ne saurait durer, la femme de Tobin trouvant vite la mort des suites d’un cancer féroce. Dure épreuve, pas de doute, mais Sheehan veut tellement s’assurer que le lecteur ait des émotions que le tout aura vite tourné à la comédie.

Je pourrais remplir quelques pages à soulever les incohérences de ce roman, mais je ne m’attarderai encore que sur un point, avant de laisser traîner ce livre dans un endroit public et de partir sans jamais me retourner. Sheehan nous explique vers la fin du roman les procédures d’un examen balistique, et pour être certain que son lecteur comprenne, il nous le décrit très clai-re-ment. Soit. Mais qu’une quinzaine de pages plus loin, Tobin s’entretienne avec un expert en balistique qui lui dit « Vous savez sans doute comment on procède pour déterminer si une arme a servi pour commettre un crime, mais je vais quand même vous l’expliquer » et qu’il remette ça, ça devient carrément insultant.

Mais le sentiment qui persiste après la lecture ardue de ce livre (hé, je n’ai pas sauté une ligne), c’en est un de tristesse pour les personnages, qu’ils soient tombés entre les mains d’un auteur mièvre, sans pouvoir donner leur avis. Pas de seconde chance. Pour ma part, j’ai donné sa chance à Sheehan, et en bout de compte, c’en était déjà une de trop.


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2008)

Juste un crime, de Theodor Kallifatides


Rivages/Thriller, 2008, 264 p.

Ménage du printemps

Kallifatides est déjà une voix importante de la littérature suédoise et après avoir contribué à de nombreux autres genres, il signe ici son premier essai en policier, un superbe roman sombre et brumeux qui prend place dans une Suède cosmopolite en mal d’identité (la Suède ayant toujours échappé à la guerre, fait-il dire à l’un de ses personnages, le Suédois n’a jamais eu besoin de devenir adulte). Né en 1938 à Malai en Grèce et installé en Suède dès 1964, Kallifatides fait de l’émigration un sujet récurrent dans ses livres.

Juste un crime est somme toute un roman policier classique, un crime sans indices, un commisariat de police de banlieue, et la vérité qui arrive comme si l’on égrénait un chapelet. Au printemps remonte à la surface d’un lac un sac en plastique noir qui contient le cadavre d’une jeune femme, transpercée de trois balles. La jeune commissaire Kristina Vendel à encore tout à prouver, tant à son équipe qu’à elle-même, et doit mener une enquête qui ne part de rien, si ce n’est qu’un pendentif en croix au cou de la victime, un certain plombage et un soutien-gorge de luxe. Aidée de son équipe, Maria, Östen et Thomas, Kristina remontera la piste tout en douceur, petit à petit, pour nous mener à un final bien loin des grandes pompes, nous révélant la triste histoire de la jeune victime estonienne vulgairement balancée dans un lac aux environs de Stockholm. Raconté comme un secret dans une langue magnifique, Juste un crime fait la belle part aux sentiments et aux angoisses des personnages, à leur désir d’exister malgré le mal qui frappe sans raisons. Dans la grande tradition des policiers tourmentés (sauf qu’ici, ils sont jeunes et pas encore blasés), chaque personnage traverse le roman avec sa propre bête noire accrochée au cou, problèmes de couple, enfant handicapé, amour entre collègues. Une intrigue de printemps qui laissera sa marque dans la vie de chacun, dernière enquête avant les vacances d’été qui viendront effacer les idées noires qui stagnent. Ou peut-être pas.

Toujours épris du désir de découvrir des auteurs insoupçonnés, j’ai habituellement tendance à faire des choix de lecture en marge des grands courants, si bien que je ne me suis encore jamais lançé dans la grande lignée des polars scandinaves. Je dois bien être l’un des seuls. Bien sûr, je sais ce que je manque, je ne peux seulement pas être de tous les combats tout en menant une vie saine. Alors, Scandinave, ce polar de Grec? Pourquoi pas, si ça peut faire vendre. Mais avant de l’étiquetter ainsi, je qualifierais Juste un crime de polar sensible, retenu, mélancolique, humaniste, poétique et néanmoins lumineux.

Et réjouissons-nous, la commissaire Kristina Vendel continue sa vie dans deux autres aventures pas encores traduites du Suédois. Parce qu’il écrit directement en suédois, le Grec.


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2009)

Je hurle à la lune comme un chien sauvage, de Frédérick Durand


Coups de Tête # 7, 2008, 88 p.

Fantasmes bidon de bourgeois tordus


L’an dernier, l’auteur et chroniqueur Michel Vézina lançait les éditions Coups de Tête, l’une des belles initiatives depuis longtemps, dans le monde éditorial québécois. L’idée principale est fort simple. Faire revivre, via de courts romans percutants, le concept du roman de gare. Publiés à raison d’un numéro par mois, les Coups de Tête se démarquent par un langage généralement cru, une nette propension à la violence, la sexualité, la drogue et autres sujets à éviter lors des repas familiaux du dimanche. Le lectorat visé, affirmait Vézina, est principalement celui des hommes de 18 à 35 ans, une catégorie où la lecture remporte rarement le prix de popularité. Ainsi, ces plaquettes entraînantes pourraient être l’étincelle qui amène quelqu’un à la lecture, d’autant plus que la publication en série fait revivre la genèse du genre littéraire auquel se consacre votre revue favorite. Ne serait-ce que pour ces deux points, le concept des Coups de Tête est tout à fait honorable.

Je hurle à la lune comme un chien sauvage est la septième publication de la nouvelle maison d’édition. Un récit où le narrateur, Jacques Larivière, un jeune prostitué, reçoit la visite impromptue, un matin de lendemain de veille, d’une riche bourgeoise qui lui demande ses services. Il ne doit pas poser de question et la suivre immédiatement pour se faire conduire à un imposant manoir, alors qu’on lui aura préalablement bandé les yeux, par mesure de sécurité. Il passera l’après-midi à attendre dans une loge, puis cinq autres collègues viendront le rejoindre, quatre femmes et un autre homme. Désabusés par les fantasmes bidon des vieux riches, ils n’y sont tous que pour la paye attirante, et baîllent ou retiennent des éclats de rire lorsqu’on leur présente finalement le spectacle sado-masochiste pour les nuls auquel ils doivent participer. Mais survient alors un événement qu’on n’a peine à imaginer, et les six prostitués se retrouvent avec la lourde charge d’être des témoins gênants. Leur combat alors sera de parvenir à sortir de cet intrigant manoir.

Faire une critique ou un résumé de ce genre de livre est délicat, étant donné son nombre limité de pages et son écriture centrée sur l’action. Cependant, je serais malhonnête de taire le fait que ce roman tombe à plat. Intrigue prévisible, suspense absent, scènes « choquantes » convenues, dénouement décevant. N’est pas gore qui veut. Ceci étant dit, les Coups de Tête valent tout de même le coup d’œil, notamment les quatre premiers titres de la série. À vous d’y voir. Après tout, il n’en coûte que dix dollars et un après-midi de lecture. C’est moins cher qu’un film au cinéma, et vous pouvez le faire sur une terrasse à boire une bière…

Même si le nom de Frédérick Durand vous semble plus ou moins connu, il n’en a pas moins publié de nombreux romans, dont le plus récent aux éditions Vents d’Ouest. Il a été finaliste en poésie du prix Radio-Canada, et il enseigne à Trois-Rivières.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

Homicide Special, de Miles Corwin


(Homicide Special, 2003)
Sonatine éditions, 2008, 591 p.

La vraie vie, comme dans les romans


À force de s’imbiber de nombreuses aventures d’enquêteurs de papier, le danger est grand pour nous, amateurs de romans policiers, d’en arriver à croire qu’on s’y connaît dans le domaine des enquêtes. Il s’agit-là bien sûr d’un comportement motivé davantage par la passion que la prétention, oserons-nous avancer. Quoiqu’il en soit, l’ouvrage de Miles Corwin servira grandement à remettre les pendules à l’heure.

Loin des nombreux ouvrages-réalité qui relatent la vie des criminels ou de ces valeureux policiers qui ont donné leur vie pour combattre le mal, Corwin, qui est journaliste au Los Angeles Times, fait la chronique de cette unité d’elite du LAPD avec force détails.

Nous apprenons dans ce livre passionnant que le fait d’être enquêteur d’élite à Los Angeles n’empêche pas d’avoir un tout petit bureau dans un immeuble presque en ruine où la climatisation fonctionne étrangement à plein régime au beau milieu de l’hiver. Faire partie de la crème de la crème ne fait pas apparaître les témoignages ni les preuves, et les résultats de tests d’ADN n’arrivent pas plus vite. Les effectifs sont coupés partout, et les enquêteurs attendent souvent quelques mois pour avoir des nouvelles du laboratoire. Et bien sûr, le fait d’être un grand professionnel n’empêche pas les ratés. Les membres d’Homicide Special doivent vivre entre autres avec les suites de l’affaire O.J. Simpson, où la presse avait décrié haut et fort l’incapacité des enquêteurs de l’unité. Car s’occuper des crimes crapuleux à Los Angeles, c’est aussi composer avec une presse en mal de scandales.


Durant une année complète, Miles Corwin a été l’ombre de l’ombre de quelques équipes d’Homicide Special et nous livre son compte-rendu qui se traverse comme un roman. À de nombreuses reprises, le lecteur prendra une pause pour se rappeler qu’il lit des faits, plutôt qu’une histoire fictive, et que les inspecteurs Knolls, McCartin, Lambkin, Marcia, Jackson, entre autres, ne sont pas des Bosch, Wallander ou Rebus, mais bien de vrais hommes, qui ont une vie même lorsque leur auteur est en pause d’écriture. Le récit des enquêtes qui s’imbriquent et se croisent est régulièrement stoppé pour nous apprendre l’histoire passée de tel ou tel enquêteur, témoin ou victime. Sinon, c’est pour nous faire la genèse de la ville de Los Angeles, ou bien pour nous raconter des affaires antérieures qui ont entaché la réputation d’Homicide Special et du LAPD, qui fut longtemps reconnu comme le service de police le plus corrompu des Etats-Unis. Des parenthèses un peu longues, mais fort instructives.

Corwin (qui reste absolument invisible tout au long du livre) n’épargne aucun de ses sujets, et nous les décrit avec une franchise qui nous les rend tout à fait attachants, à travers leurs fortes personnalités, leur humour souvent déplacé et les nombreux mensonges perpétrés pour arriver à leurs fins. C’est un plaisir que d’assister à la formation d’un nouveau duo et de les voir s’habituer l’un à l’autre, apprendre à se connaître et en venir à gérer un interrogatoire selon les capacités de chacun.

Le livre est plutôt complet. Les amateurs de détails et de techniques d’enquête seront ravis. Mais les affaires s’accumulent et s’étirent, et les descriptions météorologico-bucoliques (la seule poésie que se permet Corwin) deviennent pesantes vers la fin, surtout lorsqu’on voit les pages défiler, et que la plupart des enquêtes ne sont pas encore bouclées. Car si un roman policier se termine généralement avec la clé de l’intrigue, ici, c’est la vraie vie, et on constate que le métier d’enquêteur est long, fastidieux et souvent frustrant.

Je terminerai en infligeant une punition au graphiste responsable de la couverture, pour non-respect du thème. On y voit le cliché du policier blanc en uniforme de patrouille qui maîtrise un homme noir au sol. Avoir lu le livre, le graphiste aurait bien vu qu’on n’y trouve aucun patrouilleur, et que chaque enquêteur est habillé en complet, et très souvent, avec une classe dont Corwin ne cesse de faire mention. Tant qu’à y être, j’étend la punition aux patrons du graphiste, aussi.


(Critique écrite pour Alibis, automne 2008)