mercredi 29 février 2012

Dino. La belle vie dans la sale industrie du rêve, de Nick Tosches


(Dino. Living high in the dirty business of dreams, 1992)
Rivages/noir, 2001, 638 p.

J’étais à Paris en novembre passé et comme mon activité principale de la semaine, outre boire du vin, avait été de tourner (ou pas) au hasard sur chaque rue qui se présentait, voilà que je m’engageais dans une petite allée qui aurait entre autres qualités celle de me ramener vers l’auberge. Du moins, je l’espérais. Il ne me restait plus que ma gauche et ma droite, les points cardinaux, depuis mon arrivée, me tournaient autour en faisant la ronde et chantant des chansons.

J’essayais de tenir en équilibre sur le trottoir à funambules quand mon regard s’est porté automatiquement vers une librairie de l’autre côté. Moi qui pensais que cette rue ne valait même pas la peine d’avoir un nom et voilà que se présentait devant moi quelque chose comme un genre d’idéal, une librairie de romans noirs. Tous classés par collection, ces livres mis ensemble créaient une unité imposante. Y’en a, du monde qui meurt dans ces murs-là. Respect.

Après avoir déambulé la bouche ouverte dans l’espace restreint, j’étais accroupi près de la porte d’entrée dans la section réservée à Rivages. Va sans dire que le plus beau spot de la librairie était réservée à La Noire de Gallimard. Heureusement, je n’étais pas dans un mood noir ou policier. Ça m’aurait coûté cher. Non, je cherchais des livres de musique. Je venais de m’acheter l’autobiographie de Mingus et voilà que, sur la dernière tablette du bas - j’étais tout courbé, si quelque ouvrait la porte d’entrée j’en prendrais un sale coup dans les reins – je suis tombé sur ce livre de Nick Tosches sur la vie de Dean Martin. Y’avait même pas de prix écrit à l’intérieur, j’ai demandé au vieux libraire qui s’est penché à mes côtés pour rapidement prendre un livre de la même collection en exemple et se relever aussitôt. « Bah, je sais pas, disons 3 euros? »

Pendant une semaine, j’ai eu la plus grande des difficultés à faire la transposition des devises. Si bien que 3$ pour un Rivages de plus de 600 pages était tout un deal.


De Nick Tosches, j’avais déjà lu Country : Les racines tordues du Rock’n’ Roll, puis la moitié de Night Train, un livre consacré au boxeur Sonny Liston. Pourquoi je l’ai pas terminé, ça j’en ai aucune idée. De Tosches, je sais qu’il traite généralement de sujets qui m’intéressent, d’époques qui m’intéresssent et qu’il les aborde généralement par le côté sombre. Nick Tosches ne fait pas dans la joie.

De Dean Martin, je ne savais que très peu de choses. Mon premier contact réel datait de la seule fois de ma vie où j’ai acheté des disques de noël. Un coffret d’Elvis et un disque du Rat Pack (Sinatra, Martin, Davis). Dès les premières notes de I’ve Got My Love To Keep Me Warm, j’avais été charmé par la décontraction de Martin, par la chaleur de sa voix. Puis, plus tard, alors que Martin chantait Rudolph The Red-Nosed Reindeer, force m’était de constater que chanter cette chanson tout en ayant l’air aussi cool relevait du tour de force. Dean Martin avait mon respect. Un album de noël, fallait le faire.
Je me suis donc lancé dans cette biographie fortement teintée du ton de l’auteur en constatant que je ne connaissais rien de Dean Martin. Et c’est bien là l’une des grandes lignes directrices de sa vie : personne ne saurait jamais ce qui se passe dans la tête de cet empereur du cool.

Dire à quel point je n’avais aucune idée de la carrière de l’homme, j’ignorais qu’il avait accédé au statut de grande vedette avec son duo avec Jerry Lewis. Tous deux à l’affiche du même casino, Lewis ouvrait la soirée avec son numéro de lipsych humoristique et Martin terminait avec son tour de chant. Puis, un soir, ils sont revenus sur scène pour faire une troisième partie improvisée où ils déconnaient. C’était le début d’une grande association, le bellâtre décontracté et le petit singe aux simagrées, qui les mena à faire, pendant une dizaine d’années, un nombre impressionnant de spectacles à guichet fermé dans les plus grands endroits (Copacabana, Atlantic City, Las Vegas, etc), de films, d’émissions de télé et de téléthons (un concept qu’ils ont eux-mêmes initié). Tout ça en accumulant un nombre ridicule de dollars. Ridicule vers le haut, entendons-nous.

Dans ma tête, Martin était un chanteur, mais en fait, il a surtout été une grande vedette au sens général. Ayant bâti sa carrière et sa réputation en se contentant principalement d’être lui-même, il a vogué sur l’adoration et les millions durant des années.

La carrière de chanteur a été longue à démarrer. Sur disque, du moins. Au début, il ne semblait être qu’une pâle copie de Bing Crosby, jusqu’à ce que le « ton » Dean Martin devienne un incontournable dans les foyers américains. Il a mis du temps à s’inscrire dans les palmarès. Mais du moment que ça a été fait, et ça ne ferait qu’empirer, Martin en spectacle ne terminait même plus ses chansons. Si je la chante au complet, vous n’achèterez plus mes disques.

Au cinéma, il a tourné plus d’une cinquantaine de films. Si, durant une courte période, il a été jusqu’à avoir certaines très bonnes critiques, il n’en reste pas moins qu’il était un acteur moyen. Mais sa seule présence pouvait servir au succès du film. Il était l’icône parfait de la culture populaire, si bien que ses rôles dans certains films plus sérieux suscita des critiques sévères. Mais Martin n’en avait rien à foutre, il ne croyait pas à l’idée que l’on puisse trouver de l’art dans le cinéma. Si bien qu’il se vautra de plus en plus dans des rôles mauvais de films mauvais, tout en encaissant les millions. Cependant – et c’est l’une des plus grandes constantes du livre – sur le plateau, Martin était un vrai professionnel. Il arrivait toujours à l’heure, savait ses textes à la perfection ainsi que ceux des autres acteurs, collaborait sans jamais faire de crises de vedettes (il ne comprenait pas ceux qui affirmaient que c’était là un métier difficile), il faisait rire l’équipe, charmait les actrices. Puis il s’est enfoncé peu à peu dans la médiocrité. Il ne faisait ses scènes qu’une seule fois, se désintéressait de ses rôles (s’y était-il déjà intéressé?), ne regardait même pas ses films.

À la télé, Martin a été l’hôte d’un grand nombre d’émissions. Blagues faciles, filles sexy, verre et cigarette à la main, Martin faisait les choses comme bon lui semblait. Mais avec l’arrivée des années soixante et les nouvelles moeurs relatives à l’époque, l’attitude de la vieille école avait de moins en moins sa place. Tout de même, derrière son attitude sexiste et ses blagues d’alcoolique, le peuple américain voyait en Martin le bon père de famille et le mari attentionné. Mais son divorce avec Jeanine, après vingt ans de mariage, pour s’acoquiner avec une poulette de 19 ans, fit chuter d’un coup sa belle réputation. Et il répondit aux nombreuses lettres de contestation venues de divers mouvements sociaux en offrant des émissions encore plus grivoises. Youtube vous fournira un grand nombre d’extraits malaisants où l’on voit un dean Martin visiblement saoûl et très approximatif.

Alors que je croyais apprendre des tas de choses sur le Rat Pack et Sinatra, la plus grande partie du livre fait place à l’époque du duo avec Jerry Lewis. N’empêche, Sinatra occupe le dernier tiers du livre. Alors que l’entourage de Sinatra se composait principalement de lèche-culs, ce dernier recherchait la compagnie de Martin. Au même titre qu’Elvis, qui a toujours admiré Martin, qui a souvent traîné en moto devant sa maison sans jamais avoir les couilles pour aller cogner à sa porte. À part la mort de son fils dans un accident d’avion et les nombreux maris de ses filles, tout porte à croire que Dean Martin n’en a jamais eu à foutre de rien.

Somme toute, le livre est plutôt lourd à la lecture. Tosches s’enfonce souvent dans les nombreuses modalités de contrat, beaucoup de chiffres, beaucoup de noms inconnus, de dates ainsi que l’histoire complète de la plupart des casinos où Martin a joué font plus souvent qu’autrement ombrage à l’aspect humain, qu’on aurait aimé lire d’avantage.

Mais encore-là, comment faire un livre personnel avec un sujet qui n’a toujours laissé paraître que son image?

jeudi 9 février 2012

Squirrel seeks chipmunk, de David Sedaris



Illustrations de Ian Falconer
Back Bay Books, 2010, 168 p.

Ça adonnait que je passais dans le coin de ce magasin grande surface où j’ai écoulé un nombre d’heures plutôt déprimant en tant qu’employé par les années passées. Même si peu de choses ont changé, il n’en reste pas moins que, depuis mon départ, rien n’est plus pareil. Au niveau de mes intérêts personnels, je parle. Après avoir fait un tour décevant de la place occupée sur les tablettes par mes auteurs fétiches, force m’était de constater que certains de ces livres avaient été mis sur les tablettes par ma propre main, trois ans auparavant.

J’en étais à errer dans les allées avec un air mitigé et un peu déprimé. J’avais déjà été au courant de toutes ces nouveautés, un genre de référence, même. Fini, ce temps-là. J’étais encore pris avec des auteurs découverts des années plus tôt et qui plus est, avec aucun désir de nouveauté. J’en étais presque à demander conseil à une libraire de 22 ans que je connais même pas quand je suis tombé sur Ghislain, un des rares visages de mon époque encore sur le plancher. En lui parlant, j’ai eu un flash : « T’as-tu du David Sedaris? »

Je posais la question en sachant très bien que, à moins que l’auteur ait sorti un livre dans les six derniers mois, il était peu probable de retrouver un de ses titres sur les tablettes. Devant l’ordinateur, il m’a confirmé qu’il y avait bel et bien un titre, dans la maigre section Humour.

J’ai vite trouvé le livre pour constater qu’il y avait des animaux sur la couverture. En lisant les inévitables critiques enthousiastes de quatrième de couverture, j’ai compris que les histoires du recueil mettaient en scène des animaux. Aw, come on. Je n’avais encore lu qu’un seul livre de Sedaris et ça avait été bien assez pour me rendre inconditionnel. Mais inconditionnel de ses récits, je veux qu’il me parle de lui, comme il sait si bien le faire, pas qu’il me raconte des histoire avec des… animaux, merde.

Puis je me suis fait à l’idée qu’il devait y avoir anguille sous roche. C’était impossible que Sedaris soit inintéressant. Je suis reparti aussitôt avec entre les mains un livre où l’on voit en couverture deux mignons rongeurs en tête à tête.

Le métro n’était pas encore arrivé que j’étais déjà complètement absorbé par la finesse cynique de Sedaris. Et je continuerais comme ça, tout au long de ma lecture, à secouer la tête en me disant que ce gars-là a vraiment pas d’allure.

Les animaux mis en scène ici se parlent tous entre eux, vivent dans une société qui leur est propre, tout en gardant leur fonction première, c’est-à-dire, être des animaux. D’une espèce à l’autre, les coups volent bas, les préjugés sont légions, à commencer par ce mépris généralisé des oiseaux.

Sedaris allie à merveille les comportements humains et animaux. Un chat en prison qui fait la vie dure à la souris qui dirige les réunions des A.A. « I’m telling you, brother, you do NOT want that mouse as an ennemy.
⎯ What’s he going to do, the cat said, steal the cheese off my hamburger patty? »

Un couple de chiens en crise conjugale alors que la femelle, une bâtarde, vient d’avoir une portée avec le chien d’en face et que le mâle, un pure race, « gagne sa vie » en se reproduisant avec d’autres chiens de race. « She says that if it’s a paycheck I’m after, I could just as easily lug around a blind person. « Or better yet, sniff out contraband, you and that selective nose that hates the TV but loves the smell of a book.
⎯ Not ALL books » I tell her. And it’s true, I can’t stand thrillers. »

Ou encore cette magnifique histoire où un Hibou assoiffé de savoir tente de régler le problème d’un hippopotame aux prises avec une colonie de larves chantantes dans l’anus.

Je pourrais toutes les raconter, mais ça tuerait la magie de Sedaris. Ce ton baveux, cynique, intelligent, mais toujours égal. Il vous fait plus souvent rire en coin qu’éclater aux éclats, comme si vous assistiez à quelque chose de pas permis, quelque chose dont il ne faudrait pas rire mais qui est définitivement très, très drôle.

Davis Sedaris vous divertit tout en faisant honneur à votre intelligence. Je suis déjà triste d’avoir, très bientôt, déjà lu tous ses livres.