mercredi 9 mai 2012

En rafale

Ça fait maintenant dix ans que je poursuis cette habitude à la lettre. Je lis un livre, j’écris sur le livre. Avant que l’idée ne me vienne de tout mettre ça sur un blogue ⎯ avant que je sois fluide avec les internets et que je possède moi-même un ordinateur ⎯ je le faisais à la main, dans des carnets. Vous vous rappelez de ça, écrire à la main?

C’était long. Souvent je perdais mon idée en pleine écriture de phrase. Sans compter que j’écris tout croche, que ma calligraphie se déformait un peu plus à chaque paragraphe et que je finissais tout ça, inévitablement, avec le côté de la main beurré d’encre et un bonne partie de la page aussi. Maintenant, je préfère le plomb.

C’était long, mais je prenais le temps. Et maintenant que j’ai tous les outils pour que ça aille plus vite, je ne le prends plus, ce temps. Je voudrais bien vous dire que je suis plus occupé qu’avant, mais ça ne serait vrai qu’à moitié. J’en passe, du temps à rien faire, assis devant le même appareil dont je me sers quand je fais quelque chose.

Un livre, un texte, depuis dix ans et je lis quand même pas mal. Il n’a pas fallu grand chose pour m’enfarger. Les piles de livres en attente, c’est du côté des livres à lire que je suis habitué de les voir. Pas du côté des livres lus, en attente de traitement de texte. Le problème, je crois, c’est d’avoir lu de suite quelques tout petits livres, de les avoir enfilés en deux jours à temps perdu. Et la pile a commencé à monter et je me suis mis à me dire que je devrais plutôt lire des livres volumineux, comme ça j’aurais moins de textes à écrire. Pire que ça, j’ai pensé passer ces livres-là sous silence. Les remettre à la bibliothèque, ni vu ni connu, et repartir à neuf.

Ça aurait changé quoi au sort du monde? Franchement rien, si ce n’est que toi, cher lecteur qui ose s’aventurer ici, serais en train de perdre ton temps ailleurs. Je t’en remercie. Ça, puis ma conscience. Scrapper une habitude qui dure sur dix ans par pure paresse, pas de quoi être fier (je dis paresse, mais c’est que j’ai plein d’autres choses à écrire ces temps-ci, mais je ne considère pas ça comme une bonne raison). Alors voilà, ce matin je me suis levé de bonne heure et je prends le temps de vous parler, en rafale (gageons que je vais m’étendre) des cinq derniers livres que j’ai lus depuis la mi-mars.




Alain-Ulysse Tremblay
La vie d’Elvis
Coups de tête #9, 2008, 102 p



Big Will
Coups de tête #31, 2010, 177 p

C’est au cours d’un souper de voisins en plein milieu de semaine chez Toots et Valérie que je suis reparti avec ces livres-là. J’ai ma drive personnelle avec chacun d’eux. Avec Toots, on parle de musique, des affaire de notre band, d’affaire de boys en général. Avec Valérie, on parle de plantes, de littérature, on joue au Scrabble. Si je m’en vais là, je peux être avec juste l’un ou l’autre, je ne suis plus nécessairement de la visite, je suis juste là. Ça me plaît.

C’était la première fois que Toots me parlait concrètement de romans, je pense. Il lit pas vraiment des romans, Toots. Plein d’autres affaires, mais pas des romans. Il m’a dit que je m’y plairais avec le gros Ulysse, qu’on a, à quelque part, la même approche écrite du langage parlé.

Il me l’a pas dit, le maudit, mais m’a prêté le premier et le dernier tome d’une trilogie, alors que celui du milieu, maintenant dans ma pile de livres à lire, était sur la tablette autant que les autres. Je veux dire, tu prêtes Guerre et Paix à quelqu’un tu lui dis, Dude, lis le premier, tu reviendras souper quand tu voudra le deuxième. Mais ces livres là, je les ai presque lus au complet sur un shift de job de lundi après-midi qui se passait rien. Ça passe vite, un Coup de tête. Et ça passe vite, du Alain-Ulysse Tremblay, tout porté qu’on est par sa langue directe, ses chapitres courts, cette action qui avance sans cesse, ces personnages tristes et attanchants. Ça sert à rien de vous conter les histoires, de tout façon, il me manque celle du milieu. Je n’ai besoin que de vous dire qu’Alain-Ulysse Tremblay est trop peu connu pour la qualité actuelle d’écrivain qu’il représente. Alain-Ulysse vous botte le cul avec un p’tit livre de 100 pages et vous en redemanderez. Considérez-vous chanceux de pas le connaître, y’a une belle découverte qui vous attend là.

David Sedaris
Dress Your Family in Corduroy and Denim
Back Bay Books, 2004, 257 p.


S’il y a une chose que je me souhaite dans la vie, c’est qu’il y ait toujours au moins un livre de Sedaris que je n’aurai pas lu. Si un jour j’arrive au bout, je relirai tout. Sedaris est tout simplement parfait, je crois l’avoir déjà dit, mais j’aimerais bien être lui, mis à part le fait qu’il soit grec, gay et relativement snob. Ce gars-là a un regard unique sur la vie, rend les petites choses tellement grandes, trouve de l’esprit partout et prouve que le ridicule ne tue pas. Il fait vendre des livres.

Ici, Sedaris, après avoir passé une bonne partie du livre sur des histoires de jeunesse, fait la belle part à sa famille et je me félicitais à chaque texte de ne pas faire partie de cette famille, ou du moins, ne pas avoir ce gars-là comme frère. De grands moments, justement, traitent de son frère, un dude, un douchebag, sans l’ombre d’un doute, un gars sauvagement à son opposée. Les histoires de son mariage et de son premier bébé sont de grands, grands moments de divertissement.

J’en parle, là, et je le relirais sur le champ. Il y aura toujours un livre de Sedaris que je n’aurai pas lu.




Barry Gifford
Sailor et Lula
(Wild at heart, 1990)
Rivages/noir, 1991, 288 p.



Il y a longtemps, alors que j’étais libraire et que je croyais pouvoir changer le monde en essayant vendant d’autres livres que ceux du palmarès, y’avait Manu qui partageait la même passion que moi pour les romans noirs. On s’en est parlé souvent. Et ce livre-là, il me l’a recommandé longtemps et c’est seulement au moins cinq ans plus tard que je suis tombé dessus à la librairie à côté du cinéma Beaubien. C’est jamais perdu, une suggestion de livre.

C’est une fois le livre entre les mains que j’ai compris qu’il avait fait l’objet d’une adaptation au cinéma par David Lynch. Et c’est par après aussi que j’ai vu que Gifford, méchant fucké, avait co-écrit avec Lynch Lost Highway.

Bien sûr, je suis allé me louer le film à la Boîte vidéo. Difficile de traiter de l’un sans l’autre, rendu là. Du livre, d’abord, je dirai que j’ai regretté de l’avoir lu en français. Encore une traduction un peu bidon. C’est que si Sailor et Lula est une histoire qui raconte la fuite de Lula avec son amoureux fraîchement sorti de prison, l’idée de fuite reste tout de même secondaire. L’histoire tourne autour de dialogues et, la plupart du temps, on voit la force que certaines phrases peuvent avoir en anglais derrière la banalité de la traduction et on sait qu’on est en train de manquer quelque chose.

Le film, lui, va beaucoup plus loin, avec Nicolas Cage avant qu’il ne devienne qu’une pâle copie de lui-même, qui se prend pour un Elvis de bas-étage. Avec le personnage de Bobby Peru, incarné par Wilhem Dafoe, qui donne à l’histoire une toute autre dimension. J’ai de loin préféré le film, mais je garderai un œil sur les prochains livres de Gifford qui croiseront mon chemin. Je sens que j’ai beaucoup à apprendre de ce gars-là.



Emmanuel Carrère
Limonov
P.O.L, 2011, 489 p.



C’est au cours du même souper chez Toots et Valérie que je suis me suis fait mettre ce livre entre les mains, cette fois sous la suggestion de Valérie. Jamais lu Carrère, aucune idée de qui peut être Limonov « mais lis-ça, tu vas voir. Ça rock, je te le promets. »

C’est pas longtemps après l’avoir commencé, j’étais pas encore entré dans l’histoire, que j’ai croisé Max Ricard à l’Esco, accoudé au bar. Max et moi on se connaît peu, mais on sait qu’on aime les mêmes affaires, en littérature, et on ne manque pas de s’écrire pour s’en parler. Même qu’on s’est écrit plusieurs fois et qu’on s’aimait déjà avant même de s’être rencontré en personne. Et là, Ricard qui me dit « Mon gars, je suis en train de lire du Limonov, un genre de Bukowski russe, mais avec un gros penchant politique en plus. » Ça m’a donné le goût de m’y plonger, si c’était Ricard-approved en plus.

« C’est bizarre, quand même. Pourquoi est-ce que vous voulez écrire un livre sur moi? »
Je suis pris de court mais je réponds, sincèrement :parce qu’il a – ou parce qu’il a eu, je ne me rappelle plus le temps que j’ai employé – une vie passionnante. Une vie romanesque, dangereuse, une vie qui a pris le risque de se mêler à l’histoire.

Et là, il dit quelque chose qui me scie. Avec son petit rire sec, sans me regarder : « Une vie de merde, oui. »

Y’a pas à dire, Limonov est un personnage fascinant. Assez fascinant pour qu’on ne cesse de l’aimer et d’être intrigué même si le lecteur, au même titre que le biographe, sont souvent en désaccord avec sa pensée et ses agissements. Je reprends ici une partie de la quatrième de couverture, parce que ça résume assez bien le tout :

« Limonov n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine; idole de l’underground soviétique sous Brejnev; clochard; puis valet de chambre d’un miliardaire à Manhattan, écrivain branché à Paris; soldat perdu dans les guerres des Balkans; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspend pour ma part mon jugement. »

Si vous croyez mener votre vie sans compromis, lisez Limonov et vous vous sentirez bien petit. J’avoue m’être un peu perdu dans les aléas de la politique soviétique mais qu’à cela ne tienne, il est difficile de croire que tout ce que l’on trouve dans ce livre vient de la même vie. C’est à la fois inspirant et choquant. Et Carrère en fait un livre particulièrement personnel, tant pour Limonov que lui-même. On aurait tendance à dire à un biographe de se tasser du chemin mais ici, ce n’est pas une biographie au sens propre. C’est un simple reportage qui a tourné au livre, parce que trop à dire. C’est un voyage dans la vie de Limonov, avec ce que l’auteur a pu ramasser comme informations dans ses publications, dans les articles de journaux, dans ses entretiens avec un sujet qui ne fait que répondre aux questions.

C’est la vie d’un gars qui a bâti son mythe, qui voulait être adoré, qui a réussi et qui en ressort avec un sentiment d’échec. C’est un homme insaisissable et je me lance dans son œuvre aussitôt que je trouve un de ses livres en bas de 40$.



Voilà. Je suis maintenant à jour. Et franchement, je suis un peu tanné d’écrire. Avoir fait ça à la main, j’y aurais mis la journée et je serais bleu jusqu’au coude. Dans dix ans, je me donnerai peut-être un autre petit break.