jeudi 5 août 2010

Le jour des poubelles, chapitre 26


Je me suis réveillé le premier, sans aucune idée de l’heure qu’il pouvait être. Chose certaine, le soleil avait eu le temps de se coucher puis de se lever avant que l’un de nous trois n’ouvre les yeux. J’allai à la salle de bain me rincer le visage. Le soleil entrait par la petite fenêtre qui s’ouvrait sur le champ. Je bus une gorgée d’eau et sortis aussitôt.

«Mornin’!
⎯ Ah! Euh, oh, good morning to you…» La tenancière qui préparait la chambre d’à côté. «Euh, would you know if there’s a place where we can eat something?
⎯ Not here for sure, but there’s a Tim Horton’s about ten minutes down the road. People usually come here just to stop by and have a rest… Then, they get up and hit the road within the minute!
⎯ Yeah. Sure. Crisse j’ai faim.
⎯ Sorry?
⎯ Oh, I said I slept good…
⎯ Oh! Lovely.
⎯ Have a good day.
⎯ You too, thank you.»

Je continuai vers la droite et contournai le bâtiment pour aller vers l’arrière. «Oh! You won’t find anything over there, honey!
⎯ I know, I know…» répondis-je pour moi-même en avançant dans les herbes déjà hautes. Lou avait raison. On était bien. On était tranquilles. La petite vie, avec son lot de joies et de déceptions. Mais bon, standard, là. Pas de feux d’artifices ni de coup d’état. Juste la vie. Des fois tout seul, de la visite de temps en temps. La paye, les comptes. Des longs trajets en vélo, une grippe au milieu de l’hiver. Du ménage à faire, des shows à aller voir. Un joint sur la galerie avec mon frère. Standard, tranquille. Je suis tempéré, moi. Les grosses émotions, j’y suis pas habitué. La dernière fois que j’avais pleuré, merde, c’était en regardant Ghost qui repassait à la télé, il y a deux ans. Faut dire que j’étais un peu saoûl. Le champ était plus beau par la fenêtre que de près. Je m’enfonçais dans les herbes, mes pieds étaient maintenant dans l’eau, dans la boue, mais je continuais quand même, comme pour fuir une situation qui me restait collée au cul. Mon père. Ses défauts m’apparaissaient maintenant comme autant de points attachants. Il s’en était déjà sorti à trois reprises, je ne voyais pas pourquoi cette fois-ci serait la bonne. Ou la mauvaise, c’est selon. Je pensai au pire et un haut le cœur me prit à l’idée de ma famille qui me cherche en temps de crise. C’était Carlos qui disparaissait sans avertir, pas moi. Moi, j’étais le gars du milieu, standard, tranquille. Pas de surprises. Je me laissai tomber dans les herbes, puis me retournai pour vomir un coup. Pas facile de vomir en pleurant.


Quand j’ouvris les yeux, j’étais allongé sur la banquette arrière de la Jetta. Humide et seul. Non, Lou fumait une cigarette à l’extérieur. Je me redressai et ouvris la portière en donnant un coup d’épaule. Ma bonne épaule. «Bon, te v’là, toi…
⎯ Passe-moi une poffe…
⎯ Manu, crisse, à quoi tu pensais?
⎯ À être tranquille, je sais pas…
⎯ Non mais, imagines-tu si la bonne femme du motel t’avais pas vu? De comment qu’on t’aurait cherché? Merde! Tu m’as foutu une chienne pas possible…
⎯ Bon, toé! Le mort qui se réveille!»

Paré revenait avec des cafés et une boîte de beignes. «Pas encore de l’hostie de Tim Horton’s…
⎯ Ben là, j’aimerais ça t’entendre dire d’autre chose, comme premières paroles de résurrection, mon homme.
⎯ Ouin… Eeh, m’avez-vous cherché longtemps?
⎯ Je t’aurais dit oui si la bonne femme nous avait pas averti de ton petit trip de Davy Crockett, là, mais sinon, t’étais genre à 200 pieds en ligne drette après le motel…»

Moi qui pensais avoir marché jusqu’au Manitoba. Paré distribua les cafés et ouvrit la boîte de beignes qui n’en comptait aucun au chocolat ⎯ je me l’imaginai les pointer un par un au lieu de les nommer⎯ la posa sur le capot de la Jetta et prit une grande respiration avant de dire «Ok, je pense qu’on est dûs pour un hostie de gros câlin. Tsé là, de quoi qui fait du bien?»
Lou et moi nous sommes regardés avec un sourire en coin. Paré avait les bras grands ouverts, les yeux fermés. Nous avons déposé nos cafés à côté de la boîte de beignes et avons rejoint son étreinte. C’était vrai, que ça faisait du bien. Mais après un temps, il s’est mis à nous serrer puis à nous lever de terre, comme pour nous prouver de quoi il était capable. «Paré, crisse, tu me fais mal, mon épaule…
⎯ Ah, s’cuse, man, je me suis laissé emporter par l’émôôôtion.
⎯ C’est ça, han, dit Lou, t’es un gars émotif, toi…
⎯ Moi? Émotion, c’est mon nom de baptême!
⎯ Heille, coudonc, Paré, c’est quoi ton prénom? A demandé Lou.
⎯ Shit c’est vrai, je m’en rappelle même pas. Tu me l’as-tu déjà dit?»
Paré sourit, satisfait de son mystère. «Bon, on trippe-tu icitte encore un boute ou ben on décrisse?»





photo: http://blog.athos99.com