vendredi 9 décembre 2011

Cantique de la Racaille, de Vincent Ravalec


Flammarion, 1994, J’ai lu, 414 p.

Mon voyage pour la France, il était prévu depuis quelques mois. Le fait que je parte finalement seul et triste avec un préavis de 24h, lui, ne l’était pas. Même si je me retrouvais soudainement avec des tas de trucs à régler tout en gérant un sale lendemain de veille et un nouveau statut conjugal, choisir ma lecture demeurait une priorité. J’étais quand même pas pour traîner « Le Xxe siècle américain » d’Howard Zinn déjà entâmé je me disais, m’en vas tripper à Paris pour me refaire les idées, je voulais traîner une histoire qui, même si elle était déprimante, aurait au moins la qualité de ne pas être vraie.

Comme des priorité, il y en avait quelques une, j’avais somme toute un minimum de temps à consacrer à ma sélection. Ça me prendrait un auteur français, je me suis dit. Ou au moins quelque chose qui se passe à Paris. J’en étais à constater que les auteurs français ne se bousculaient pas tant que ça, dans ma bibliothèque de poches. J’avais tassé le fauteuil orange et j’étais maintenant à genoux à écumer les livres les moins époussettés de mon appartement quand mon doigt s’est arrêté sur ce livre de Ravalec, dont j’avais lu le passionnant et beaucoup trop bref « L’auteur », un mois auparavant.

Ah ouin ça, c’est quoi l’histoire, déjà?

Pas moyen, y’a pas de quatrième de couverture.

Ceux qui ont déjà travaillé en librairie savent probablement qu’il est moins coûteux pour les gros éditeurs de détruire les livres de poche plutôt que de payer le transport de retour pour les invendus. Le libraire n’envoie donc que les quatrièmes de couverture avec le code barre pour prouver que le livre n’a pas été vendu et hop, dans une enveloppe et le reste à la dompe. Ou dans une boîte pour les libraires avides de gratuité.

J’ai rechigné devant le handicap un instant puis j’ai balancé le livre dans mon bagage à main. J’avais d’autres priorités. Comme me trouver un endroit où coucher. Puis faire le ménage dans mon bagage à main, qui se trouve à être mon sac à dos depuis quoi, plus de dix ans, au fond duquel vieux bonbons ont côtoyé stylos défectueux, grenailles de fond de paquet de clope, reçus de caisse qui auraient été bons pour mes impôts 2004, bouteilles format voyage de gouttes hydratantes pour les yeux qui dataient du lock-out de la LNH et autres substances en gestation très certainement interdites aux douanes.

D’un certain point, je trippais, je me disais qu’il fallait que je sois à l’aéroport exactement durant les heures du match Montréal-Boston. Une game tout seul à Trudeau avec une bière à 8 piasses avant de partir vers mon plus gros déboussolement à vie (oui, je suis casanier. Je casane big time). Ça me tentait. Mais ça n’est jamais arrivé.

Pas moyen d’arriver à la voir. Dans un restaurant avec des lumières mauves, il y avait deux ou trois écrans, tous à des postes différents. Et pas un chat dans la place.
Bon, je me suis dit, je suis peut-être un peu d’avance. J’en profite pour commencer le livre, histoire d’être un peu dedans rendu dans l’avion et d’avoir envie de continuer au lieu d’écouter un film avec un chien savant ou avec Matthew McConaughey.

J’ai vite retrouvé le Ravalec qui m’avait accroché un mois plus tôt (vous vous rappelez, c’est un journal de lecture, ici). Le ton désinvolte et l’air d’aller en se foutant de la ponctuation parce qu’il y a certainement des choses plus importantes dans cette histoire j’ai complètement embarqué dedans. Puis je me suis rendu compte que ça coulait encore mieux si je me lisais ça avec un accent français mais là y’a des limites à tripper.

Les lacunes dues au handicap du livre se sont faites sentir dès mon premier élan de lecture après avoir lâché terre. Je venais de me terminer une écoute de Variations Fantômes de Philippe B. en pleurant un peu. Les mots des chansons me suivraient par la suite tout au long de la semaine au cours de mes marches. M’a dire, ça fitte rare.

J’ai défait la fermeture éclair de mon sac pour constater que la dernière page s’était prise dedans. Ça y est, je me suis dit, je vais passer une semaine à trotter et à avoir peur de perdre ma dernière page, ce qui, vous en conviendrez, serait d’une grande tristesse. J’ai considéré l’arracher tout de suite, question que ce soit fait. On peut pas abimer la dernière page si elle est plus là. Mais, vif, j’ai compris que je ne ferais que déplacer le problème.

Les quelques 100 premières pages m’ont semblé un peu lassantes. Gaston fait dans le recel de matériel volé et souhaite quitter son état de simple brigand pour se monter une entreprise. C’est bien, dans la vraie vie, de se monter une entreprise. Dans un roman, ça fait seulement des pages de trop. Celles-là, elles auraient pu passer dans le zipper.

J’ai fini la plupart de mes soirées au Fumoir, un bar devant le Louvre. Je m’y suis fait de bons amis, Éric, le chef barman/magicien, Esmahène, serveuse et bienfaitrice. Comme j’étais encore loin de chanter La Marseillaise bras-dessus bras-dessous avec les habitués du bar, je m’y installais confortablement pour en apprendre plus sur la légitimisation d’entreprises illégales devant un verre de vin qui, par les grâces du magicien, ne voyait jamais le fond.

Après quelques jours, j’ai allumé.

- Vous avez du papier collant? J’ai demandé à un des barmans.
- Pardon?
- Ben là, eh, du ruban adhésif?
- Je suis pas sûr de comprendre…

Je commençais à travailler fort à trouver des synonymes pour du maudit scotch tape (quand même pas pour dire ça) et je lui montrais mon livre en faisant des faces comme si je parlais à un russe quand il a dit « Ah, du scotch? ».

Voilà. Du scotch.

Je me suis mis à faire du bricolage un peu saoul, au milieu de tous ces gens vraiment mieux habillés que moi. Puis le livre s’est mis à devenir bon. Mon appréciation grandissait à mesure que Gaston se faisait dérouiller et qu’il embarquait dans des combines échangistes avec une jalousie digne d’un prix Gémeaux.

D’où la beauté que l’histoire soit pas vraie, on se réjouit mieux du malheur.

Ça adonne que l’histoire, elle se passe en grande partie à Paris, ça, j’étais ben content. J’ai toujours fermé les yeux et trouvé que les auteurs français allaient souvent à l’excès en nommant des noms de lieux que je ne connaissais pas et donc, que personne ne connaît. Mais là, amènes-en des porte de Clignancourt, j’ai vu ça sur la mappe, Les Halles, je suis passé par là, Gare du nord, en métro, Pigalle en courant, , Sébastopol, Magenta, Ménilmontant, j’avais tout vu ça. Le premier auteur français qui me parlait depuis Djian, ça faisait longtemps. Faut dire que j’ai pas donné grand’ chance.

Et là mon livre, je vais le remettre délicatement dans la bibliothèque, où il passera probablement les 30 prochaines années, à moins que je déménage. Ou à moins que je vous le prête, mais faudra faire attentions à la dernière page.

« Et puis les portes de Fleury se sont refermées sur moi et je n’ai plus pensé à rien. »

Ça finit comme ça. En cas. On sait jamais.

lundi 31 octobre 2011

What's Going On, Marvin Gaye? de Ben Edmonds


(Marvin Gaye and the last days of the Motown sound, 2001)
10/18 (musique & cie), 2004, 248 p.

What’s Going On est la première pièce que j’ai eue à apprendre dans un contexte académique. J’étais encore tout jeune, portais de douteux cheveux longs, je n’avais encore qu’une piètre connaissance des notes sur le manche et voilà que je me faisais des nœuds dans les doigts à essayer de reproduire avec une partition cette magnifique ligne de basse que James Jamerson avait sans aucun doute jouée de façon différente à chacune des prises lors de l’enregistrement.

Aucune idée de qui pouvait être Marvin Gaye.

Lors de mes cours, je jouais avec un maximum de dignité par-dessus un enregistrement bidon fait à l’ordinateur par mon prof, la suite d’accords, un beat de drum de base. Également par-dessus des commentaires du genre « Jamerson se r ‘vire dans sa tombe! », « Come on, t’es en train de taper une toune qui va passer à l’histoire! » «Hey, y jouait juste avec un doigt en plus! » ou encore « Yes sir, t’es black pis t’es dins années 70, le seul problème c’est que t’as une Ibanez! ».

Un soir, je revenais de l’école en autobus. Rock détente nous jouait des chansons plates en sourdine quand j’ai fini par ressentir des bourdonnements que je reconnaissais, au travers du vacarme en commun. Cette ligne de basse, comme si elle faisais partie de moi. Mais avec des mots. Brother, brother. Je me sentais soudainement beaucoup mieux. Les notes que j’avais apprises devenaient enfin de la musique. Une chanson.

Il s’en est passé des choses entre ce moment-là et la lecture que je viens de terminer. Me suis acheté un Greatest hits. Puis les albums. J’ai aimé Marvin Gaye puis l’ai reconnu comme un grand. J’ai élargi ma curiosité à Motown au complet, j’ai glané ici et là des morceaux d’histoire, essayé de mettre tout ça en ordre, avec un zèle somme toute mitigé. Je découvrais cette musique-là en même temps que tout plein d’autre, pas le temps d’aller au fond des choses. J’étais dans le gros jus.

Puis, des années plus tard, j’ai retrouvé ce livre dans une de mes bibliothèques. Je suis quasiment content de pas l’avoir lu avant tellement il vient de me faire un bien fou.


Ben Edmonds n’a pas écrit une biographie. What’s Going On, Marvin Gaye (que des mots anglais pour le titre de la traduction française… Le titre original est drôlement plus à propos. Mais ça sera ici (enfin!) ma seule digression au sujet de la traduction. Rien à redire sur le reste.) traite, vous l’aurez deviné, de l’album-culte et de tout ce que sa production a pu impliquer.

Si on ne nous fait pas l’histoire de Gaye, on nous fait du moins celle de Motown. Mise en place nécessaire pour bien comprendre la révolution qu’a pu occasionner la sortie de What’s Going On.

J’étais bien conscient que Berry Gordy avait parti Motown avec cette idée de « chaîne de montage » propre à la ville de Détroit. Mais je n’étais jamais allé plus loin. Somme toute, Motown m’évoquait des sourires, des mains qui tapent, des jeunes sortis de la rue. La belle innocence, des tonnes de numéro un au palmarès, « the sound of the new america.» C’est un peu avec peine que j’ai appris ici à quel point la production était compartimentée et régularisée. À quel point chez Motown, à l’image des chaînes de montage, on ne peut changer de rôle si l’on fait bien celui qu’on nous a confié. À ce titre l’histoire des Originals, le quatuor vocal qui chante sur la plus grande partie des titres enregistrés, qui sont incapables de faire leur propre album. La production était stricte et réglementée avec comme unique but le succès commercial. Un échec et tu te retrouves au bas de l’échelle. Ta deuxième chance – si elle vient – elle risque d’être loin.

On avait cantonné Marvin Gaye dans un rôle de dandy romantique avec ses nombreux succès aux côtés de Tammi Terrell. La formule marchait, pourquoi la changer? Mais Gaye voyait plus loin et c’est non sans peine qu’il s’est mis à réaliser lui-même ses sessions d’enregistrement. Premier essai : « I heard it trough the grapevine », considéré maintenant comme l’un des plus grands singles de tout les temps. Mais le Quality Control chez Motown ne voyait pas les choses de cette façon. On était beaucoup trop loin du son Motown, trop sombre, etc. Aura fallu relever d’astuces pour sortir cette chanson.

Alors imaginez quand Gaye est arrivé avec What’s going on. Une chanson sociale quand la boîte a fait ses millions avec des love, baby, suga’, lollipop. Ça a été un refus catégorique. Puis Gaye s’est refusé à produire quoi que ce soit tant qu’il n’aurait pas l’occasion de faire son album. La pression pour une sortie se faisait sentir, on était sur le bord de faire un autre Greatest Hits avec une nouvelle pochette, puis Berry Gordy est venu de LA (il avait quitté Détroit depuis longtemps) pour jaser avec Gaye. Puis c’est un pari qui eut raison de l’entente. Gaye avait 30 jours pour faire son album. Et là, on ne parle pas que d’enregistrer, non, Motown faisait ça en un après-midi. Gaye avait 30 jours pour écrire le reste des chansons qui composeraient l’album et l’enregistrer. Le 31e jour, il devait s’envoler vers LA pour le tournage d’un film qu’il avait essayé d’annuler, ce à quoi les producteurs du film répondirent par des menaces de poursuite en justice. Ajoutez à ça le fisc qui le talonne avec une attention particulière.

Les plus grands chefs-d’œuvre sont créés sous pression.

What’s going on a innové sous plusieurs points. Après des années passées en toute innocence aux sommets des palmarès, la musique noire avait enfin des chansons qui parlaient réellement et tout ça en faisant appel à l’amour plutôt qu’au soulèvement. Pour la première fois, Motown sortait en album avec une pochette dépliable et une présentation soignée. Le nom de l’arrangeur, Dave Van DePitte, figurait au recto de la pochette. Pour la première fois, les noms des musiciens y figuraient. Les Funk Brothers, le mythique orchestre maison de Motown à qui l’on doit la plus grande partie du « Son Motown » n’avaient jamais été mentionnés dans les centaines d’enregistrements précédents. Incidemment, ça serait également la dernière fois, Motown fermant ses bureaux et studios (où la batterie n’a jamais été déplacée) de Détroit pour Los Angeles. La plus vieille employée de la boîte s’est fait remercier par un mémo disant que son poste avait été aboli et qu’ils n’auraient désormais plus besoin de ses services. Tchow-bye.

Puis la triste fin. Détroit en décrépitude, Marvin Gaye trouvant la mort criblé de balles par son propre père. La tristesse et l’amour sont les plus grand acteurs de ce livre. La douceur de la musique tenue par une main de fer. Le personnage ambivalent de Marvin Gaye, affable et bon enfant tout en étant torturé, perfectionniste et visionnaire.
Je trouve ça triste et pourtant, je souris.


Je crois pas avoir déjà autant parlé d’un livre. Je me retiens. Mais vous inquiétez pas, il reste tout plein de choses à apprendre, je suis loin d’avoir tout dit. Et ça me tue de penser qu’il y a déjà tout plein d’affaires que j’ai oubliées.

Depuis le début de ce texte, j’ai bien dû flipper le vinyle quatre ou cinq fois. Autant ce disque-là me remplit, autant je suis conscient que je n’en saisis même pas le quart.

On a encore plein de belles années à passer.

samedi 15 octobre 2011

Le monde du blues, de Paul Oliver


(Blues fell this morning : The meaning of the blues, 1960)
Arthaud, 1962, 10/18 (musiques & cie) 2002, 342 p.

Encore dans la catégorie des cas à régler, un livre qui jaunit dans ma bibliothèque depuis près de dix ans. Rien de mal à ça, j’en suis présentement dans ma plus grande période blues à vie. Je comptais un peu sur ce livre pour m’aider à faire le ménage dans ce genre de musique qui, à première oreille, peut sembler revenir du pareil au même. Je voulais en ressortir avec des noms et des titres, mais me voilà plutôt enrichi de l’histoire des noirs aux Etats-Unis.

Le titre original prévient beaucoup mieux que celui de la traduction française de ce à quoi s’attendre du livre. Rien de bien surprenant. Le monde du blues mets en contexte et explique la longue lutte des noirs vers la reconnaissance, ne serait-elle que minime. De l’esclavagisme à « l’abolition » de la ségrégation, en passant par le goût prononcé du vice, la prostitution, la malnutrition, les conditions de vie minimales, les croyances, l’exil vers le nord, etc, Paul Oliver illustre un demi-siècle de lutte des noirs au travers de nombreux extraits de textes blues originaux.

Jusqu’ici, rien à redire, mises à part les nombreuses répétitions qui aloudrissent quelque peu le texte. On ne peut aborder l’histoire du blues sans d’abord avoir connaissance du long chemin parcouru par le peuple qui l’a fait naître.

Seulement – c’est pas la première ni la dernière fois que ça gâche mon plaisir – la traduction alourdit gravement le projet. Compte tenu du fait que l’entreprise repose sur l’illustration de l’histoire par les textes de chansons, la traduction de ces derniers pose une certaine entrave à l’authenticité et au mojo en général :

- Je suis allé voir l’homme qui lit dans la main pour qu’il m’dise mon avenir (bis)
Il m’a dit « Il te faut une assurance, pauvre guignard! »

Si vous voulez d’autres exemples, allez trouver le livre à la bibliothèque. Moi ça me déprime.

Alors on continue la lecture en s’imaginant tout ces mots qui sonneraient si bien en anglais puis on tombe, de temps en temps, sur des extraits en anglais transcrits de l’oral, du genre :

My mother, my mother she tol’ me, an my father tol’ me too :
« That junk’s a bad habit, why don’t you leave it too? »
My sister she even tol’ me, an’ my grandma tol’ me too :
« Thay usin’ junk, pardner, was goin’ be the death of you. »

Plus loin, dans la traduction, le mot « chnouff » remplace « junk »…

Je sais pas pour vous, mais moi, en lisant les mots en anglais, j’entends la musique de façon automatique. Et en français, j’entends un bruit de trompette qui craque. Ou des klaxons. J’entends un accent fatiguant et j’ai envie de lui demander s’il a pas mieux à faire.

Alors pourquoi, j’me suis dit, pourquoi c’est juste en anglais des fois? Compte tenu que le livre part de l’anglais, je me dis, un petit copy/paste et c’est réglé, hein. Libre à toi, traducteur de rajouter le texte en français après, nous on pourra le sauter et ça va juste nous donner l’impression de lire le livre plus vite.

Tsssss…

Et rajoutons à ça qu’aucun des textes n’est référencé. Je sais pas s’il faut donner la faute à Oliver au traducteur, cependant.

Vous me direz, Gasse, arrête de chiâler pis lis les livres directement en anglais, maudit. Je répondrai que oui, absolument, mais ce livre-là m’a été donné et j’ai quand même beaucoup appris.

Maintenant, je vais aller écouter des disques. Ça va me faire beaucoup de bien.

jeudi 22 septembre 2011

Moby Dick, de Herman Melville


(Moby Dick, or The Whale, 1851)
Gallimard, 1941, Folio, 1998, 735 p.

J’ai entamé l’été avec l’intention de traverser quelques classiques américains qui dormaient depuis longtemps dans mes bibliothèques. J’ai tenu un rythme que je juge respectable, soit plus ou moins deux livres par mois. Bon, c’est bien peu pour avoir l’intention de traverser la littérature américaine, mais mon intention était surtout de régler quelques cas. Le rythme s’est maintenu, donc, jusqu’à la mi-juillet dernier, où j’ai entrepris ce monument qu’est Moby Dick. Vrai que c’est pas le même genre d’implication que de se lancer dans The Great Gatsby. Au niveau du volume, je veux dire. Volume, comme dans quantité de pages, je veux dire.

J’ai mon exemplaire depuis maintenant plus de dix ans. Dire qu’y a rien qui presse. Je l’ai acheté suite à cette histoire de mon vieux pote Vallières. Dans un cours de littérature (cégep ou université, aucune idée), le professeur leur dit d’entrée de jeu en début de session que l’achat d’un exemplaire leur vaudra 5 points en partant sur leur note finale. Six points s’ils y écrivent leur nom. Aucune obligation de le lire.

Touché par la démarche, pas eu le choix de faire comme si je faisais partie de ce cours. Et c’est onze ans plus tard que l’entreprise porte ses fruits et ma foi, j’aime bien ces fruits. Je salue l’audace de ce prof et l’en remercie.

Je savais bien que je me lançais dans quelque chose de particulier. « Saute tel ou tel bout », qu’on m’a dit. « Passe vite sur les descriptions », etc. J’aurais bien pu, mais je m’en serais sorti avec un sentiment de devoir non-accompli.

Puis je me suis mis à les trouver bien lâches, ces amis avec leurs conseils, quand j’ai commencé le livre. Tout ce qui précède l’embarquement est tout à fait divertissant. La rencontre d’Ishmaël avec Queequeg le cannibale est une scène d’anthologie qui me restera marquée à jamais. Que la relation entre ces deux-là soit ignorée dans le reste de l’histoire est ce que j’y déplore le plus.

Puis j’ai commencé à comprendre les conseils prodigués à mesure qu’avançait ma lecture. Si on peut dire une chose de Moby Dick, c’est que c’est loin d’être enlevant. C’est une remarque, là, pas un reproche. On ne croise la première baleine qu’à la moitié du livre. Entre temps, oui, on aura beaucoup appris. Sur le fonctionnement des baleinières, la raison d’être de son équipage, de son équipement. Puis ça continue. Les usages de courtoisie entre bateaux qui se croisent au large, la navigation, la représentation de la baleine dans la littérature, dans l’iconographie, les différentes sortes de baleines et ce qu’on en tire, la perception du blanc (la couleur de Moby Dick) selon les âges et les cultures. Puis l’anatomie complète de la baleine, de l’extérieur comme de l’intérieur. L’analyse du squelette, etc. Oh oui, on en apprend des choses qui datent de 1851.

Et on continue à lire, malgré le langage parfois ampoulé mais oh, combien poétique. Malgré le grand nombre de termes marins qui ne nous sont pas expliqués (chose que je préfère ainsi, ma lecture ne serait pas encore terminée dans l’autre cas).
Moby Dick, c’est la lutte entre le bien et le mal. Le mal, c’est cette vieille baleine constellée de vieux harpons qui n’ont pas menés à bien leur besogne. C’est cette vieille baleine vicieuse à qui le capitaine Achab doit cette jambe en moins. Le bien, c’est Achab qui mène son équipage dans un voyage qui s’apparente plus à une vengeance qu’une véritable chasse à la baleine. Puis les positions changent et le mal devient ce vieil Achab qui n’en fait qu’à sa tête pour tuer une baleine qui n’a jamais rien demandé à personne.

Bien sûr, Moby Dick est truffé de symbolisme et de références bibliques que je n’aborderai pas ici, faute d’intérêt. Vous pouvez trouver tout ça facilement sur les internets, de façon beaucoup plus appuyée et crédible que ce que je saurais en faire.

Mais gardons en tête que la longueur, dans Moby Dick, symbolise sans aucun doute ce que l’on ressentirait certainement sur un bateau lors d’un voyage de trois ans. De la solitude, de l’ennui, de la répétition.

Le bien et le mal. Terminer Moby Dick, c’est ressentir une grande satisfaction malgré l’ennui. Avoir ce sentiment d’avoir accompli quelque chose d’important.

Et pour ce qui est des enseignements réels à en tirer, ça peut bien prendre encore dix ans. M’en fous, je suis loin d’être pressé.

samedi 16 juillet 2011

Le coeur est un chasseur solitaire, de Carson McCullers


(The heart is a lonely hunter, 1942)
Stock, 1947, LDP, 1988, 445 p.

Il y a des lectures comme ça où, pour certaines raisons, il est relativement difficile de ne pas se mettre en relation directe avec l’auteur et de se comparer, peut importe la déprime que cela puisse entraîner.

Dans le cas qui nous intéresse, ce qui n’est pas arrivé à me sortir de la tête tout au long de ma lecture a été le fait que Carson McCullers avait 22 ans lorsqu,elle a écrit ce livre. Son premier. Son chef-d’œuvre. Un grand classique de la littérature américaine.

Bien sûr, je n’ai qu’une mince idée de ce que pouvaient être les préoccupations et les occupations d’une jeune femme de 22 ans dans les années quarante. Je me reporte inévitablement à notre époque, fait un inventaire des jeunes femmes de 22 ans de ma connaissance et n’en trouve aucune pour accoter McCullers. Puis vient l’évidente remarque de moi à moi : « Pis toi, Gasse, t’as fait quoi, à date? »

Fort heureusement, et c’est où l’on constate que ce n’est pas un chef-d’œuvre pour rien, la qualité du roman nous fait momentanément oublier ces considérations ingrates et l’on plonge dans cette petite ville du sud et dans ces personnages qui n’ont rien et tant à offrir en même temps.

Ce n’est pas particulièrement un histoire qu’on lira ici. Ce sont des personnages qu’on rencontre, qu’on croise, en fait, et c,est l’immense richesse de ces personnages qui nous pousse à aller plus loin dans cette histoire propulsée par aucune intrigue.

Au centre de ces personnages, Singer, un sourd-muet aux manières impeccables, à la présentation soignée et qui se tient à des lieues des préjugés locaux. Il vit simplement, est poli avec tout le monde et personne ne sait d’où il vient, d’où il tient son argent et les ragots à son sujet se diffusent à profusion. Qu’à cela ne tienne, Singer fait son affaire malgré sa grande tristesse depuis le départ pour l’hospice de son bon ami Antonapoulos, un gros grec bourru et sourd-muet lui aussi, avec qui il avait développé des habitudes stables.

Et maintenant, dans sa petite chambre de pension, Singer reçoit la visite des gens qui viennent lui parler, ou simplement passer du temps avec lui. Mais surtout pour se confier. Il y a Biff Brannon, le propriétaire du « Café de New York » où se passent une grande partie des scènes du roman, Jake Blount, un étranger vagabond communiste et alcoolique, le docteur Copeland, un médecin nègre rempli de grands espoirs pour sa race et qui donne tout son temps à soigner les noirs qui n’ont pas accès aux hôpitaux. Puis il y a Mick Kelly, la jeune adolescente garçonne qui rêve d’écrire de la musique.

Ces quatres personnages défilent chez Singer qui lit leurs lèvres quand ils veulent bien lui faire face, emmagasine tout pour en faire part à Antonappoulos dans des lettres qu’il ne lui enverra jamais.

Puis se développent autour de Mick des relations délicates. Une attirance plutôt maladive de cette dernière pour Singer, une attirance plutôt malaisante du Barman Biff Brannon pour la jeune Mick.

Puis il y a bien une tonne d’autres personnages, mais qui sont tous en orbite de ces cinq-là. Le portrait d’une petite communauté qui n’a rien de particulier à proposer et qui gère comme elle peut son impressionnante part de problèmes.

Je les ai clairement pas tous lus, mais aucun doute que dans la grande famille des romans américains qui relatent la réalité du sud dans la première moitié du siècle, celui-là en est un grand.

Si jamais je me trompe, je suis ouvert aux suggestions.

vendredi 1 juillet 2011

Big Sur et les oranges de Jérôme Bosch, de Heny Miller


(Big Sur and the oranges of Hieronimus Bosch, 1957)
Buchet-Chastel, 1959, LDP 1972, 412 p.

Je n’avais aucune idée de ce à quoi m’attendre en attaquant ce livre, sinon que je retrouverais enfin Miller, que j’avais laissé de côté depuis les trois immenses tomes de La crucifixion en rose puis Tropique du cancer, lus il y a de cela de nombreuses années. Ne pas savoir à quoi s’attendre, ça reste une façon de parler. Je sais quand même qu’ouvrir un livre de Miller, c’est un peu rencontrer le bonhomme et le laisser parler. Et Dieu sait qu’il a de la jasette.

Étrangement, c’est un peu de ça dont il est question dans Big Sur. Après avoir vagabondé à New York, en France et en Grèce, Miller s’est installé, dans les années quarante, à Big Sur, cette région sauvage de la côte californienne qui, encore aujourd’hui, ne compte que très peu d’habitants et ne bénéficie que d’un minimum d’installations qui font que l’on peut appeler « ville » un endroit où habitent des gens.

Après avoir traîné, mendié, et fait un nombre incalculable de rencontres tout au long de sa vie, Miller s’installe au milieu du paradis et laisse le monde venir à lui. J’imagine que le mot s’est passé assez vite à l’époque, si bien que Miller est sans cesse pris à recevoir des visiteurs venus le rencontrer, lui demander conseil ou bien acheter de ses aquarelles. Fondamentalement bon, il leur ouvre la porte et, comme ils ne partent pas, les garde à souper.

Après s’être extasié dans la première partie sur la beauté prenante du paysage, Miller fait dans la deuxième partie, nommée « pot-pourri », des portraits des plus notables habitants de la région. Pour la plupart des artistes qui souvent ne produisent rien. Des artistes de la vie. Des bohèmes, des penseurs, des gens venus au pays pour y vivre le plus simplement possible (la deuxième maison que Miller y occupât lui fût donnée par cette femme qui prétendait que la maison était faite pour Miller et sa femme).

Au travers de tout ça, de touchants passages de Miller avec ses enfants. Quel père ça a dû être, celui-là. Capable de tasser les meubles pour les laisser rouler à vélo dans la maison par mauvais temps.

Bien sûr, Miller style, tout ça se fait avec un lot impressionant de dérapages et de verbiage. Réflexions qui tournent souvent autour du thème de la vie simple versus le besoin de consommation et de possession. Miller rêve d’inaction, de non-possession, de pur amour.

Mais il reçoit beaucoup trop de courrier pour y arriver.

Et c’est à quoi est consacrée la dernière partie, la plus courte et aussi la plus lucide. Considérant que le courrier arrive trois fois semaine et qu’il faille aller le chercher à une heure de marche, considérant que Miller reçoit des colis, des lettres, des cadeaux en nombre impressionnant à chaque fois, considérant également que le facteur n’apporte non seulement le courrier, mais également de nombreuses provisions, l’acte d’aller chercher le courrier implique plus que sortir en robe de chambre sur la balcon et glisser la main dans la boîte aux lettres pour y trouver des circulaires dont on se débarasse aussitôt.

On se rend vite compte, après qu’il nous ai fait un bref (Miller, bref!) survol de ses obligations de la journée (comme par exemple, commencer La crucifixion en rose. Merde, il a dû traîner ça longtemps), il nous démontre à quel point le courrier peut à lui seul remplir sa journée.

C’est que Miller RÉPOND à son courrier. En fait, il ADORE écrire des lettres (je me demande bien à quel point ses lettres mises ensembles peuvent être plus importantes que son œuvre déjà immense). Seulement, tout ça lui prend beaucoup trop de temps et cette dernière partie se veut une espèce d’avertissement qu’il cessera de répondre à son courrier en même temps qu’une lettre d’excuse pour le courrier non-répondu.

Je serais curieux de voir s’il a tenu sa parole, le vieux.

samedi 18 juin 2011

Le bruit et la fureur, de William Faulkner


(The sound and fury, 1929)
Gallimard, 1938, LDP, 1966, 435 p.

Quand je reçois un livre, j’y écris mon nom et la date d’acquisition. Et j’ai eu un genre de surprise quand j’ai constaté que celui-ci, je l’avais depuis dix ans. Dix ans à se dire Faudrait ben, mais surtout, dix ans à éviter cette tranche dans la bibliothèque, un peu avec peur.

Et oui, un peu avec raison.

Parce que si je sais une chose depuis dix ans, c’est que ce livre-là n’est pas comme les autres et qu’il nécessite une certain application à la tâche. Et en bout de compte, l’application en vaut grandement le coup.

Il est impossible de lire Le bruit et la fureur de façon conventionnelle, verticale. Il vaut mieux laisser les mots aller, les emmagasiner et se faire une idée du tableau dans son ensemble un coup rendu au bout. Il faut oublier la logique des dialogues, de la chronologie et se laisser aller dans la flot de réflexion des personnages narrateurs. On pourrait dire que Faulkner ne fait pas de cadeau, mais c’est faux. C’est seulement qu’il ne fait cadeau qu’aux plus méritants.

Par exemple, le fait qu’il y ait deux Jason (le père, un fils) et deux Quentin (un fils, une nièce) n’est rien pour aider à mettre les choses en perspective. Mais on finit par comprendre et ça donne presque envie de recommencer la lecture pour mieux apprécier. Puis on se dit qu’il y a des limites et qu’on pourrait bien lire autre chose.

Quoiqu’il en soit, l’histoire de passe dans une famille du sud, une famille qui a connu ses heures de gloire mais qui doit maintenant faire avec ce qui lui reste. Le père Jason Compson, la mère Caroline. Les fils, Jason, Quentin, Benjy, la fille Caddy, sa fille Quentin. Puis les domestiques, Disley, son mari Roskus, leurs enfants Versh, T.P., Frony, puis Luster, fils de Frony.

L’histoire se déroule en quatre parties, étalées sur quatre jours différents, les 6-7 et 8 avril 1928, puis le deux juin 1910. La première partie, le sept avril 1928 est narrée par Benjy, le fils trentenaire attardé, né Maury mais qu’on a rebaptisé pour ne pas tacher la mémoire de l’oncle du même nom. Benjy ne s’exprime que par cris, ne ressent que des sensations animales, court le long de la clôture lorsqu’il y a des passants. Son récit se passe forcément dans sa tête et saute d’un événement à l’autre au gré des sensations, des idées qui traversent son esprit. Le roman commence de façon plutôt brutale, le moment le plus ardu à passer.

La deuxième partie est narré par Quentin Compson, dix ans plus tôt, et prend place le jour de son suicide alors qu’il étudie à Harvard. Un monologue troublé et mélancolique où l’on découvre l’amour que portait ce dernier à sa soeur Caddy, qui a nommé sa fille en son honneur.

La troisième partie, à mon avis, a été la plus ardue, non pas à cause du procédé littéraire, mais plutôt à cause du narrateur, Jason Compson fils et de son sale caractère. Maintenant chef de famille, il manipule la maisonnée, détourne l’argent de sa mère, maudit sa sœur Caddy dont on ne prononce plus le nom, donne la vie dure à sa fille Quentin, née d’une union douteuse, en l’épiant alors qu’elle fuit l’école pour fréquenter des jeunes hommes, « en faisant de leur nom le mot de passe de la ville. »
Un sale type. Et ici, le récit commence à devenir plus standard.

La quatrième partie est carrément « conventionnelle », avec un narrateur omniscient, une chronologie logique et tout et fait la belle place à la famille de serviteurs.

Et il est là, en quelque sorte, le cadeau de Faulkner. Un récit qui devient de plus en plus lisible à mesure qu’on avance. Les éléments se mettent en place, le casse-tête se résout, les visage sortent du flou (les premières descriptions physiques n’apparaissent qu’à la fin).

Je serais cependant bien en mal de décrire l’histoire. En fait, ce n’est pas tant ce qui nous intéresse. En majeure partie, ce sont des évènements anodins qui occupent l’action. Et c’est tout ce qu’on découvre au travers qui nous donne les éléments pour créer ce portrait de famille troublée et décimée. Avec au centre, le personnage principal qui n’a presque jamais la parole et dont va même jusqu’à taire le nom, Caddy, qui suscite dans sa famille autant d’amour que de haine et de honte. Un personnage dont on tombe automatiquement en amour lors de la première partie, narrée par Benjy. Caddy qui sent comme les arbres.

Et c’est d’ailleurs à elle qu’on doit ce roman, qui au départ ne devait être qu’une nouvelle. Faulkner s’en était épris et ne pouvait se résoudre à la laisser aller.

Alors à Faulkner et à Caddy, je dis merci et à bientôt. Mais bon, je vais lire quelques livres normaux avant de revenir.

jeudi 19 mai 2011

La reine des pommes, de Chester Himes


(The five cornered square, 1958)
Gallimard, 1958, Carré Noir, 1972, 249 p.

Je dois bien avoir sept ou huit livres de Chester Himes et ce, depuis très longtemps et jamais encore je ne l’avais lu. J’étais cependant au courant que la majeure partie de son œuvre se penchait sur la condition des noirs. Himes s’est mis à la littérature durant un séjours de sept ans en prison (il était condamné à 20, pour avoir volé des bijoux et une voiture…). Il s’est ensuite installé à Paris, au début des années cinquante et sous le conseil de Marcel Duhamel, le grand patron du noir chez Gallimard, en 1957, il s’est mis à la littérature policière. Il en résulte, un an plus tard, La reine des pommes, qui remporte le Grand prix de littérature policière.

La reine des pommes. On a déjà vu mieux comme titre. De ce que j’ai compris, le titre fait référence à la naïveté du personnage principal. Expression français consacrée, du moins dans les années 50? Sais pas. En tout cas, le flou artistique créé par la traduction ne s’arrête pas au titre. Ça me renverse à quel point l’apport du traducteur peut gravement enlever à un gangster tout le mojo que son auteur a bien voulu lui donner. Prenons pour exemple les noms des deux policiers noirs ultra-violents qu’on y rencontre : Grave-digger Jones et Coffin Ed Johnson deviennent deviennent Fossoyeur Jones et Ed Cercueil Johnson.

Avouez.

Ajoutons à ça un nombre impressionant de termes bidons, je vous en sors comme ça au hasard : condé, larduche, turbin, péquenots, tambouille, rupin, fafs, frelot, gandins, icicaille, tinette, bougnoule, bas duc, coquin de sort, déchard, mironton, mistouflard, etc.

Je vous mets au défi de vous sentir en plein Harlem avec tout ça.

Et je ne vous parle pas des nombreux extrait de chansons blues qu’on a ainsi déguisés en comptines pour enfants.

Je suis conscient qu’un grand nombre des romans américains du genre et de l’époque ont été traduits en vitesse (La reine des pommes est paru la même année que sa version originale), mais le fait est que la grande partie de ces romans souffrent toujours de leur traduction première.

Le roman en soi n’est pas mauvais, mais quand même très loin de mes attentes. Une histoire où Jackson, un pauvre noir bedonnant, naïf et chrétien se retrouve mêlé à une sale histoire et ce, en étant sans cesse considéré comme le premier suspect. Ça déboule, ça grossit, ça saigne et ça frappe, mais à aucun moment n’ai-je été tenu en haleine.

Notons cependant la qualité de certains personnages méchants, les deux policier mentionnés plus haut (qui reviennent dans l’œuvre Himes) ainsi que le frère jumeau de Jackson, un junkie qui se déguise en sœur de la charité pour ramasser son argent.

Me voilà donc très peu ému, mais ça ne me décourage pas de Chester Himes pour autant. Le prochain coup, je me pencherai sur un œuvre plus sérieuse voir.

Peut-être que le fait que j’aie encore sept autres livres de lui chez moi y est pour quelque chose.

vendredi 13 mai 2011

En un combat douteux, de John Steinbeck


(In Dubious Battle, 1936)
Gallimard, 1940, LDP, 1966, 435 p.

Cet été, j’ai envie de régler des cas. J’ai beau me prétendre amoureux de la littérature américaine, j’ai encore jamais lu Faulkner, Melville, McCullers, Himes, O’Connor, Twain, le McCarthy d’avant The Road et bien d’autres que je découvrirai en cours de chemin. Trop longtemps aussi que j’ai lu Miller, Kerouac et d’autres que ça doit faire clairement trop longtemps.

Et Steinbeck. Jamais lu Steinbeck, même pas Des souris et des hommes. Y’a même du monde qui lisent jamais de livres qui me disent « Quoi? T’as jamais lu ça? »

« Pis toi, t’as-tu lu En un combat douteux, han? Une longue histoire de grève entre deux guerres qui se passe dans la saleté, la pauvreté, la faim, la violence alors que dehors, dans la vraie vie, le soleil sort, les arbres bourgeonnent pis les filles recommencent à mettre des jupes pis des camisoles? Aurais-tu passé les 435 pages en une semaine après t’être rendu compte après 10 pages que c’était vraiment pas la meilleure affaire à lire après avoir chiâlé tout l’hiver qu’y faisait frette pis que là tu pognes enfin des coups de soleil à force de lire dans le parc ou sur ta galerie? Ce moment-là que t’attendais tant, l’aurais-tu vraiment passé avec les communistes pis la lutte ouvrière quand t’aurais juste pu relire L’Écume des jours ou encore un « bon polar d’été?» »

Bien sûr, j’ai pas eu l’occasion de dire ça à personne. Pas mal tout le monde que j’ai croisé sur mon chemin cette semaine s’en est foutu, du livre que je lisais.

Jamais lu Steinbeck, donc. Mais je suis allé lire sur lui, tout à l’heure et ça a vite fait de calmer mes questionnements. À savoir que Steinbeck est davantage un documenteur de son époque qu’un romancier de grand talent. Parce que sur le plan artistique, En un combat douteux frôle le flop. Personnages et dialogues aussi subtils que la pépine et la bétonneuse dans ma ruelle par cette belle journée de printemps, nombreuses répétitions, intrigue à peu près inexistante, fin évidente, opinion de l’auteur exprimée clairement à travers le discours du personnage du docteur, etc.

Et pourtant, ce livre, je l’ai lu d’un seul trait, les deux pieds pris la même boue où campent ces ouvriers itinérants qui déclenchent une grève suite à une radicale baisse de salaire.

Pourquoi, donc?

Pour le documentaire. C’est que, sans aucun détour, aucune coupure dans le temps, Steinbeck nous montre l’élaboration d’une grève, du moment où Jim Nolan offre sa candidature au parti Communiste jusqu’à sa mort à la toute fin (hey, je vole pas un punch. Tous les personnages de Steinbeck meurent, paraît-il). Et nous auront vu se développer entre temps son leadership indéniable. Une valeur sûre pour le parti qu’il était, c’te Jim. Même si son idéalisme borné fait froisser les pages à quelques reprises.

J’ai peu de difficulté à voir le ton général des autres œuvres de Steinbeck. Peut-être que je généralise. Mais j’en doute. Peut-être l’équivalent littéraire des photographies de Dorothea Lange, mais un brin moins touchant.

Mais pas moins important pour autant.

vendredi 6 mai 2011

Coronado, de Dennis Lehane


(Coronado, 2006)
Payot & Rivages, 2007, Rivages/Noir, 248 p.

Chaque nouvelle lecture me confirme ce que j’ai déjà compris depuis le début. Lehane est un écrivain de grande envergure. Et, je sais pas, je le lis et je me ravis absolument du fait qu’il remporte un grand succès. Pas besoin d’être dans la misère pour pondre de grandes œuvres.

Qualifier Coronado de chef-d’œuvre serait pousser la note un peu fort. Un pays à l’aube est un chef-d’œuvre. Mystic River est un chef-d’œuvre. Même s’il constitue en soi un magnifique recueil de nouvelles noires, je le perçois davantage (mais ça, là, c’est moi) comme un compagnon de lecture dans la passionante traversée des œuvres de Lehane. Quelque chose qui viendra nous rappeler sont talent en instantanées.

Je dis ça, là, mais j’en connais qui entâmé leur passion pour Lehane avec ce livre. Alors tout est possible.

On trouve dans Coronado cinq nouvelles et une pièce de théâtre. La nouvelle principale, Avant Gwen, j’avais eu le loisir de la lire avant la parution grâce à un ouvrage de promotion publié par Rivages. Merci Rivages. Et c’est maintenant que je lis la suite. Quoi, cinq ans plus tard?

Pourquoi pas. Pas pris une ride.

Trève d’insipidités, Coronado frappe fort, y’a pas à dire. Pratiquement tous les personnages ont un meurtre sur les bras ainsi qu’un étonnant lot de contrariétés. L’ensemble des textes fait dans le noir, tout ce qu’il y a de plus classique. La misère, la violence, le passé trouble, la prison, les gangs.

Les quatre premiers textes sont d’une grande qualité, mais notre attention se portera davantage sur la nouvelle « Avant Gwen » ainsi qie sur la pièce de théâtre en deux actes qui suit, « Coronado », qui reprend habilement les personnages et les actions de la nouvelle précédente pour l’approfondir, l’amener encore plus loin. Quoique l’on puisse en penser, la lecture d’un texte à la suite de l’autre n’amène pas de redite ni de longueur, même si des dialogues y sont repris intégralement. Du travail de maître et voilà qu’il ne me reste que Prières pour la pluie à lire.

J’espère, mon Dennis, que t’es en train de plancher sur autre chose. J’attendrai pas cinq ans à toutes les fois.

dimanche 1 mai 2011

50 000 dollars, de Ernest Hemingway


Gallimard, 1948, LDP, 175 p.

Contrairement à Fitzgerald, que j’ai lu tout juste avant et qui m’a donné l’impression, voire la nécessité de le manipuler avec soin, Hemingway, lui, me fait l’effet contraire. J’ai le sentiment que je peux le brasser comme je le veux et même de lui crier par la tête que son livre était mauvais et il ne ferait qu’en rire. Ou être parfaitement d’accord avec moi. Alors que Fitzgerald devait être drôlement plus princesse.

Je dit ça, là, cherchez pas les références. Y’a que du feeling.

Ceci étant dit, je n’en suis pas à mes premiers pas avec Hemingway. J’ai lu, bien sûr, Le vieil homme et la mer, puis L’adieu aux armes, Les neiges du Kilimandjaro et Le soleil se lève aussi. Seulement la moitié de ces titre a su me causer de quelconques émotions. Le reste m’a profondément emmerdé.

Alors voilà, je reviens quelquefois vers Hemingway en le sachant capable du pire. Mais aussi du meilleur.

Dans la foulée de Million Dollar Baby de F.X. Toole, je voulais aller plus loin dans la boxe. Je croyais que les nouvelles de ce recueil traitaient toutes de boxe. Comme dans « y’a des boxeurs sur la couverture, ça doit parler de boxe ». Et les vieilles éditions du Livre de poche étant ce qu’elles sont, pas moyen de rien apprendre d’autre que le texte en question. C’est pas plus mal. Outre la boxe (le texte titre est clairement le moins agréable du lot), un des textes (Mon vieux) prend place dans le domaine des courses hippiques, un autre (l’Invincible) nous présente un torréro en fin de carrière (j’adore quand Hemingway nous amène voir les taureaux). Les autres textes nous présentent un médecin qui va pratiquer un accouchement chez les indiens accompagné de son fils, puis ensuite un duo de tueurs à gage un peu trop bavards.

Je ne crois pas qu’il faille pas s’attendre, avec Hemingway, à de grands rebondissements. Même que la plupart du temps, on a l’mpression de débarquer quelques part sans avoir été invité et que la situation s’empire parce que personne ne vient vous parler. Le texte-titre, particulièrement, est presque uniquement bâti sur des dialogues. J’ajouterai, des dialogues à la Hemingway. Ça peut être long longtemps tellement y’a rien qui se dit.

Mais il réussit aussi à nous faire vibrer avec presque rien. Mon Vieux et L’invincible, à mon avis, présentent de grands moments dans une impressionnante simplicité. Masculine, la simplicité.

Si y’en a un qui faisait pas avec la dentelle, c’était bien lui.

Gatsby le magnifique, de F. Scott Fitzgerald


(The Great Gatsby, 1925)
Grasset, 1946, LDP, 223 p.

Il m’a pris de lire Gatsby le magnifique suite à m’en être fait parler deux fois dans le même mois par deux amis différents. Bien sûr, il y a longtemps que je connais l’existence du livre, mais rien jamais ne m’y avait mené de façon concrète. Il va sans dire que je touche rarement à des romans où les personnages sont de riches bourgeois. Si vous avez lu quelques uns des commentaires de lecture sur ce blogue, vous aurez vite compris ma préférence pour les histoires plus régionales, où les personnages ont les mains sales, que ce soit la faute au sang ou à la crasse.

Ceci étant dit, je n’ai mis que quelques jours à traverser Gatsby, mû tant par une curiosité particulière, malgré certain passages lassants, que par la langue fluide et colorée de Fitzgerald.

Oui, il y en a des passages lassants. Rien de lourd pour autant, mais tout de même. Les insipides conversations de thé en font foi. Et Gatsby en soi n’arrive que sur le tard, dans le roman. Et pour tout dire, il ne commence à se passer quelque chose pour vrai que vers la fin.

Mais là, Gasse, t’as-tu aimé ça ou ben tu t’es emmerdé?

Oh, merci de poser la question, je suis conscient de pas être très clair. Je l’ai adoré, ce livre. Comme je disais, la prose de Fitzgerald est tout à fait ennivrante, le portrait d’époque magnifiquement dressé et les personnages juste assez malaisants et intrigants pour vouloir aller plus loin. Même si ça s’arrête plutôt rapidement.

Mais l’idée ici est surtout que je suis loin de mon élément habituel et en bout de compte, je m’aperçois que je ne sais pas trop comment en parler. Ce que je sais, c’est que je reviendrai à Fitzgerald, pas de doute.

Et je sais aussi qu’il fait bon parfois de sortir de son élément.

On devient soudainement moins bavard.

dimanche 24 avril 2011

Million Dollar Baby (La brûlure des cordes), de F.X. Toole


(Rope Burns, 2000)
Albin Michel, Le livre de poche, 2002, 311 p.

En 2000, F.X. Toole débarquait avec une bombe dans le milieu littéraire après avoir passé sa vie dans le domaine de la boxe. Un recueil comprenant six nouvelles, toutes campées dans le monde pugilistique, tombé entre les mains de Clint Eastwood qui fît de Million Dollar Baby, le texte phare du livre, un grand film.

Toole n’a eu le temps que pour deux livres, le roman Coup pour coup faisant suite à celui-ci et qu’il n’aura malheureusement pas eu le temps de terminer, la maladie l’emportant avant les derniers chapitres. Un roman renversant, d’une grandeur d’âme unique. Les nouvelles du présent recueil sont sans contredit dans la même veine. Leur principal défaut est d’avoir une fin. C’est avec regret chaque fois que l’on doit quitter les personnages que Toole nous aura présentés.

Pas besoin d’être un fan de boxe, ici. Moi même, avec tout le respect que je puisse porter au sport, n’ai jamais eu l’intérêt ne serait-ce que de regarder un match. Pas que je ne m’y plaîrait pas, remarquez. Mais la boxe comme la présente F.X. Toole va bien au-delà du ring. Ce sont des êtres de passion qu’il met en scène. Soigneurs, entraîneurs, athlètes. Et malgré la rudesse obligée du sport, le respect reste toujours la principale ligne de pensée des personnages. Il ne suffit pas d’être un dur pour boxer. Encore faut-il être capable de réfléchir.

Seulement, il y a les tricheurs, les arnaques, les juges vendus, les coups bas qui ruinent des carrières ou des vies, les voyous qui traînent dans les quartiers où se trouvent la plupart des salles d’entraînement. Un boxeur doit garder son sang froid. Rester digne alors qu’il pourrait d’un rien éclater la tronche de n’importe qui. Que le mal à l’état pur et l’enseignement de valeurs intègres se côtoient de si près donne lieu à des scènes troublantes, ceux qui ont vu le film pourront en témoigner.

Par ces grandes contradictions, je suis d’avis que la boxe est sans aucun doute le sport qui fournit la plus belle plate-forme à la littérature et au cinéma. La relation de proximité qu’un entraîneur aura des années durant avec son boxeur n’a rien à voir avec la relation de Jacques Martin avec, disons, Andreï Kostitsyn. Ce qui se passe entre deux combats est tout aussi important que ce qui arrive sur le ring. À titre d’exemple, j’en suis à la saison 3 de la série The Wire, et l’histoire de Cutty, qui change de vie à sa sortie de prison pour se partir un club de boxe dans un quartier défavorisé de Baltimore, est des plus prenantes. Rien d’autre que la passion et l’acharnement ne peut mener à des résultats.

C’est avec une grande tristesse que je pense à F.X. Toole. Ce gars-là, je l’aurais bien pris tout au long de ma vie.

Le vent du diable, de Richard Rayner


(The Devil’s Wind, 2005)
Rivages/Thriller, 2008, 347 p.

Nevada mon amour

Après avoir survécu à la guerre, Mauricio Valentini décide de mettre son passé trouble derrière lui pour se forger une nouvelle identité. Il devient Maurice Valentine (convenons que le changement aurait pu être plus drastique) et ne vivra désormais qu’en fonction de sa propre réussite. Il se marie avec une femme riche au père influent et devient rapidement l’un des architectes les plus en vue de la côte ouest. Nous sommes en 1956 et Las Vegas, même si elle n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements, représente déjà la possibilité d’un monde nouveau, tout autant que l’est le désert du Nevada, où l’on se lance dans de nombreux essais atomiques que le gratin de la ville regarde comme un spectacle, un martini à la main, dans la salle de réception du dernier étage du El Sheik, hôtel de luxe construit selon les plans de Valentine.

L’ascension de Valentine est si fulgurante qu’il est pressenti – lui annonce son beau père – pour l’investiture du poste de sénateur du Nevada, alors que la santé de Boss Booth, le sénateur actuel, est sur le point de flancher. En soi, Valentine, n’aura qu’à sourire et serrer des mains, son beau père et Paul Mantilini feront le le reste. Avec Valentine en poste, Mantilini, l’homme qui possède la plus grande partie de Las Vegas, pourra enfin réaliser, de mèche avec les Teamsters, son désir d’expansion de la ville.

C’est alors qu’arrive dans la vie de Valentine la séduisante Mallory Walker, une jeune architecte prête à tout pour faire partie de son équipe pour ses prochains projets. Déjà qu’être une femme architecte à cette époque en surprend plus d’un, l’attitude fonceuse et séduisante de Walker fait fondre tous les hommes autour.

Il ne s’agit que de la prémice de l’histoire, mais je dois cependant m’arrêter là, afin de ne rien révéler de fâcheux. Car la suite n’est qu’enchaînements de faux-semblants et de révélations choc. Le récit est construit sur deux trames. La première, qui se situe en temps réel en 1956 et s’étale sur quelques deux semaines, est narrée par Valentine, qui rend compte de son histoire avec Mallory Walker. La seconde trame s’étend de 1938 à 1951 et nous raconte à la troisième personne la vie de Beth Dyer, une jeune femme de classe ouvrière déterminée à devenir une grande actrice. Le lecteur fera rapidement le lien entre les deux trames avec l’impression d’avoir vu clair dans le jeu de l’auteur. Mais il reste encore de nombreuses surprises à venir.

Peut-être un peu long, ce livre se lit tout de même assez bien, grâce aux courts chapitres et à l’écriture fluide de Rayner, qui parvient à nous faire accrocher à ses personnages ambitieux et vaniteux avec qui nous ne ressentons aucune affinité (du moins, en ce qui me concerne). Mais le réel personnage dans tout ça, c’est probablement la jeune Las Vegas et son désert qui, à l’image de ceux qui y affluent, laissent miroiter autant de promesses que d’infini, autant d’images pré-fabriquées que de vide profond.


(Critique écrite pour Alibis, automne 2008)

Le vengeur des catacombes, de P.J. Lambert


Fayard, 2007, 440 p.

Badineries et pédophilie

Rien, au départ, n’inciterait un adulte sérieux à arrêter son choix sur Le Vengeur des Catacombes, si ce n’est la bande rouge le proclâmant récipiendaire du prix du Quai des Orfèvres 2008. Le titre racoleur, l’illustration de couverture, criante de mauvais goût, et la taille exagérée des caractères évoquent davantage un mauvais roman d’épouvante pour adolescents. Heureusement, ce livre est meilleur qu’il n’en a l’air.

Les catacombes en question, ce sont les nombreuses galeries qui forment le Paris sous-terrain où l’on retrouve rangés côte à côte, le 16 juin à 2 heures du matin, deux cadavres en décomposition auxquels on a soigneusement tranché la tête et les mains. L’enquête est confiée au capitaine Amélie Boursin, de la brigade criminelle, une femme pour ainsi dire parfaite, rousse canon, entêtée, et qui sait prendre les coups. Sous les conseils de son patron, François Simeoni, Boursin mène l’enquête avec le turbulent journaliste David Meyer, un ami d’enfance de Simeoni. C’est que Meyer se spécialise dans le criminel et travaille de façon indépendante, et même si on a pu, au fil des années, le qualifier de « fouille-merde » ou de « cure-poubelle », son professionalisme et son efficacité ne font plus aucun doute.

Meyer est une grande-gueule. Romantique et charmeur bidon, il reste néanmoins attachant, et pire que tout, il le sait parfaitement. Je ne brûle rien de l’intrigue en vous disant que le journaliste ⎯ tout en restant professionnel ⎯ mettra sa vie en branle pour que la belle capitaine s’entiche de lui. Prévisible. Mais Meyer est déterminé de tous les côté, et c’est une superbe collaboration de la presse avec les forces de l’ordre qui nous est présentée ici, tant au commisariat que dans le lit .

L’enquête est lancée, avec pratiquement aucune information en poche, et le lecteur progresse au fil des chapitres titrés par un indice de lieu et de temps (Paris ⎯ 17 juin ⎯ 11h30), évoluant tantôt au quart d’heure près, tantôt à intervalles de quelques jours. La piste mènera peu à peu à l’affaire Deschamps, vieille de quelques années, où un homme apprenait le viol brutal et le meurtre de ses deux jeunes filles par un pédophile récidiviste, jugé apte à la libération après huit ans de psychiatrie. La publication anonyme dans les journaux d’une liste de maniaques sexuels en liberté vient raviver le sujet et enflamme la population française.


La narration nous raconte l’histoire soit à la troisième personne, soit à la première, via la voix de David Meyer lui-même, et c’est là que ça se gâte un peu. Je veux bien d’un personnage qui s’auto-magnifie, mais les lois du narrateur omniscient doivent cependant être mises de côté dans ces cas-là. Ainsi, Meyer n’hésite-t-il pas à se décrire physiquement, à nous vanter son caractère, à parler de lui à la troisième personne et à nous détailler la décoration de son salon, le tout ponctué d’un nombre audacieux de points d’exclamation.

Le ton badin de l’écriture de Lambert rend la lecture certes très rapide et facile, mais les nombreux traits d’humour sont souvent convenus ou tombent à plat. L’enquête est cependant plutôt bien menée et documentée, et le sérieux du sujet prend heureusement le dessus sur les fôlateries évasives du protagoniste.

Il m’est avis qu’avec un peu plus de rigueur, le personnage de David Meyer aurait pu être drôlement plus percutant et maîtrisé. En espérant le voir mûrir dans les prochains efforts de P.J. Lambert qui, comme la plupart des récipiendaires du prix du Quai des Orfèvres, était jusqu’à présent inconnu au monde de la littérature (il est consultant financier international). Souhaitons-lui une nouvelle carrière…


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2008)

Le vampyre de New York, de Charlie Huston


(Already Dead, 2005)
Seuil Thrillers, 2009, 299 p.

Huston, we have a problem


Il y a quelques mois, j’ai lu Trop de mains dans le sac du même auteur, un roman noir mettant en scène Henry Thompson, un type malchanceux bourré d’attitude et de répliques assasines et qui m’avait procuré un divertissement de grande qualité. Plutôt que d’en publier la suite, les éditions du Seuil ont préféré faire paraître, comme deuxième traduction de l’auteur, le premier tome de son autre série, dédiée à Joe Pitt, un vampyre nouvelle génération. Oui, avec un y.

Fort de mon enthousiasme pour son roman précédent, j’ai attaqué Le vampyre de New York (Already Dead en anglais…dans la grande tradition des traductions ringuardes de titres) en me disant que je renouvellerais l’expérience et que Huston m’en ferait voir de toutes les couleurs. Mais j’ai vu noir et rouge, et c’est à peu près tout.

L’idée de base est très intéressante. La ville de New York est divisée en plusieurs territoires : La Coalition, la Société, le Hood, les Dusters, l’enclave, etc, territoires délimités par divers gangs de vampyres, avec la Coalition qui règne roi et maître. Toute la (non-)vie des vampyres est strictement réglementée. Très peu d’humains ont connaissance de l’existence de ces derniers et la situation doit rester ainsi. Les meurtres gratuits pour étancher la soif sont sévèrement proscrits. La Coalition, de toute façon, fournit à chacun la dose nécessaire pour maîtriser le vyrus. Oui, avec un y.

Joe Pitt, lui, est ce que l’on appelle un Franc-Tireur. Il ne fait partie d’aucune association, mais accomplit néanmoins de menus travaux pour l’un et l’autre, comme de retracer un individu contaminé (dans le monde des vampyres, dire « Zombie » est plutôt péjoratif, alors on trouve des alternatives), ou de retrouver la fille fugueuse d’un couple d’humains de la haute société. Mais lorsqu’il remarque qu’on lui a volé ses réserves de sang, Pitt doit abattre le travail en composant avec le vyrus qui fait des siennes et ce, en tentant de ne pas succomber à l’appel de la chair.

Le Vampyre de New York est un roman très violent, sanglant, et franchement dégueulasse. On va même jusqu’à l’inceste en tant que spectacle de torture. Soit. Pas que je sois petite nature, je pense que je peux en prendre pas mal, mais ici, c’est qu’en plus d’être dégueulasse, c’est un peu inintéressant. Je mettrai une grande partie de la faute sur la narration au présent.

Je ne me rappelais plus que ce genre de procédé me dérangeait autant. Je suis allé ouvrir le premier roman de Huston, juste pour voir. Au présent aussi et pourtant je n’avais pas buté une seconde. Donc? Ou bien je suis devenu un lecteur plus exigeant entre ces deux romans, ou bien Le vampyre de New York est tout simplement moins bon que son prédécesseur. Quoiqu’il en soit, le récit au présent donne cette étrange impression de stagner. Imaginez une longue scène de bagarre qui fait du surplace. S’il faut en plus que les deux assaillants soient des vampyres pas tuables, on n’est pas à la veille de s’en sortir.

En plus du manque de profondeur causé par le procédé narratif, tout reste plutôt flou autour des délimitations territoriales, de qui est avec qui, qui connaît qui et pourquoi. Peut-être aussi que j’ai simplement été distrait et que j’en ai manqué des bouts. D’une manière ou d’une autre, il y a quelque chose qui cloche. Et l’écriture sans aucune division de chapitres ne donne aucun moment pour poser pied et respirer un peu.

Alors je laisserai aux autres les suites de cette série sanglante bourrée de «y» en italique et me concentrerai sur le prochain tome des aventures de Henry Thompson en voyant si le présent m’affecte encore autant.

L’un des bons points de ce roman, cependant, est qu’il annonce pour les éditions du Seuil l’abandon de ces affreuses couvertures blanches et rouges qu’ils avaient confectionnées pour leur collection Thrillers, afin d’adopter le même graphisme que leur collection Policier. Pourquoi aller dans le blanc quand on fait déjà si bien dans le noir?


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2009)

Nous ne sommes rien, soyons tout! de Valerio Evangelisti


(Noi saremo tutto, 2004)
Rivages/Thriller, 2008, 385 p.

Vie et survie d’un mouchard

Dans les années vingt, le jeune Eduardo Lombardo traîne sur le port de Seattle et se fait recruter par un homme mystérieux. Son travail, apprend-t-il, sera de se tenir au courant des agitations des dockers et de cibler les chefs. Lombardo vieillit, change son nom pour Florio afin de se dissocier de sa famille communiste et devient dirigeant syndical de l’International Longshoremen’s Association. Il n’y a pas de meilleur poste pour se tenir au courant. Florio passera de Seattle à San Francisco pour finalement se retrouver à New York, où il dirigera un impressionant territoire portuaire au New Jersey. Cependant, la deuxième guerre mondiale, surtout sa fin, fera s’écrouler l’empire de Florio.

Nous ne sommes rien, soyons tout! retrace l’ascension et la déchéance d’un mouchard professionnel au service de la mafia, sous les couverts de la lutte pour le peuple et, principalement, du patriotisme et de la chasse aux communistes. Personnage odieux, dégoutant et sans aucune morale, Florio rejette et déteste sa famille, sans pour autant s’en éloigner en totalité. En témoignent les meurtres de ses deux femmes, de l’un de ses frères, son indifférence envers ses enfants, puis le fantasme douteux qu’il entretient pour sa jeune nièce ainsi que pour sa belle sœur, qu’il finit par vendre à un ancien collègue qui dirige un bordel à Cuba. Pervers confirmé, Florio va bien malgré lui à l’encontre des règles d’éthique de la mafia en ce qui concerne la famille : une femme qui ne manque de rien, des enfants en santé, une image implacable, et pour les folies, on va voir les putes. Ses écarts sexuels et violents lui feront perdre la confiance des dirigeants pour finir plus bas que lorsqu’il n’était encore rien.

On doit déjà à Valerio Evangelisti, historien de formation, des trilogies sur l’inquisiteur Nicola Eymerich, ainsi que sur Nostradamus. Plus récemment, il nous avait offert le western Anthracite, dans la suite duquel s’inscrit Nous ne somme rien, soyons tout! en tant que survol d’une certaine histoire du crime aux États-Unis. L’ouvrage est fortement documenté. Dès le début, on se retrouve dans un étourdissant dédale de noms, de dates et d’acronymes d’associations syndicales. Et l’auteur, qui semble considérer le lecteur comme son égal, n’apporte que très peu de précisions pour éclaircir les diverses situations. Il faut être particulièrement attentif pour garder le cap. Qui est dans le clan de qui? Et qui c’est, déjà, celui-là? La plupart des négociations, procès et discussions importantes se passent en temps réel, pour faire place ensuite à des sauts temporels surprenants, qui viennent déstabiliser le lecteur. Étrange à dire, mais les passages les plus romanesques (et, par le fait même, reposants) sont ceux où la vie personnelle de Florio nous est contée, des passages violents, misogynes, désolants, voire même atroces. Néanmoins, le langage reste bref et précis, sans aucune lourdeur littéraire. Plus souvent qu’autrement, l’historien prend la place du romancier et en reste aux faits.

Empruntant son titre aux paroles de L’Internationale, Nous ne sommes rien, soyons tout est une fresque historique sur fond de dépression où se croisent personnages fictifs et historiques, dont Willard Huntington Wright - aussi connu sous le nom S.S. van Dine, l’auteur des célèbres 20 règles du roman d’énigme - dont on fait un portrait peu élogieux. Malgré un rythme hachuré et de nombreux passages difficiles à avaler, Nous ne sommes rien, soyons tout! décrit avec précision une période noire des Etats-Unis où la misère, l’inégalité et la trahison avaient la belle part. Un gros morceau.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

Triste Flic, de Hugo Hamilton


(Sad Bastard, 1998)
Phébus, 2008, 248 p.

Les plaintes d'un flic imbibé

Hugo Hamilton est l’un des plus importants auteurs irlandais contemporains, et il y a de nombreuses années que je me suis promis de le lire. Son Sang Impur s’est mérité le prix Fémina Étranger en 2004, et en 2006, la traduction de Déjanté, la première aventure de Pat Coyne, m’avait fortement mis en appétit. Cependant, je ne m’étais jusqu’à maintenant encore jamais attablé et j’aurais bien pu attendre, je ne m’en serais porté que mieux. Encore une fois, je suis tombé dans le panneau. Il faut croire que mon radar n’est pas encore tout à fait au point.

Triste Flic n’est pas totalement inintéressant. Je dirais plutôt simplement inintéressant. Bien que l’image du flic paumé soit chose courante, elle peut encore à mon avis être pertinente, pour peu qu’elle soit bien traitée. Pat Coyne, dans ce roman, n’est même plus un flic, mais plutôt une pauvre épave. Suite à un sauvetage raté lors d’un incendie, Coyne est en convalescence - qu’il passe en grande partie à l’Anchor Bar, un pub Irlandais dans la plus pure tradition. Il y soigne non seulement ses poumons abimés par la fumée, mais aussi son petit cœur, qu’il ne peut désormais plus partager avec Carmel, la femme qui lui a donné Jimmy, cet adolescent délinquant qui amène son père dans une dèche dont il se serait bien passé.

L’intrigue nous raconte une histoire d’immigrants clandestins et de sac plein de pognon qui tombe entre les mauvaises mains, avec l’effet domino auquel on peut s’attendre dans un roman policier. Le tout, bien sûr, constellé d’une pléiade de personnages colorés (le personnage du poète sans-abris est un bel exemple de coloriage raté). Le problème, c’est que Hamilton dilue son histoire et passe une grande partie du temps à faire réfléchir son personnage sur l’état de l’Irlande actuelle. Réfractaire et borné, Coyne en veut à toute forme d’évolution. Il fera malgré tout un pas en avant en s’adressant à son fils en langage hip-hop. Mon dieu. Si mon propre père m’avait fait le coup, j’en porterais encore les séquelles. Et lorsqu’il cesse de regarder autour et se centre sur lui-même, Coyne nous rabat les oreilles avec sa foutue situation de chien battu, si bien qu’à certains moments, il nous semble surprenant de voir l’intrigue surgir et reprendre cours.

Plus que les malheurs de Coyne, ce qui enfonce le lecteur dans le syndrome du livre interminable est cette lourdeur dans l’écriture d’Hamilton. Moins une lourdeur de vocabulaire qu’une de structure, de construction. Des phrases ampoulées, des dérapages ainsi que quelques tentatives de procédés littéraires, tout plein de petits éléments qui font de Triste Flic un étrange moment à passer. Sans compter le papier raide et une reliure qui casse aussitôt qu’on la maltraite un peu. Autant mettre son énergie et son argent ailleurs.


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2009)

Sur les rives, de Michel Vézina


Coups de Tête #18, 2009, 139 p.

Ce que repousse la mer

Alors qu’aux parutions précédentes, les Coups de Tête renippaient leur image en passant du blanc au noir, voici encore qu’ils reformulent leur présentation en grossissant le format de leurs livres, maintenant presque semblable à votre revue favorite. Et c’est Michel Vézina, la tête derrière les Coups de Tête, qui donne le coup d’envoi à ce renouveau qui souligne la deuxième année d’existence de la collection.

J’ai lu une bonne partie des titres jusqu’à maintenant, j’ai été quelque fois déçu, souvent surpris et j’ai bien dit à quelques reprises dans des critiques « qu’il s’agissait là de mon meilleur Coups de Tête jusqu’à présent.» Force me sera de me répéter pour ce coup-ci, car dans un tout petit 139 pages, Vézina nous fait un roman étonamment complet, tant au niveau de l’enquête, de l’ambiance que de la profondeur des personnages.

On y raconte qu’on retrouve sur la grève à Rimouski le corps mutilé d’une femme repoussé par les vagues. L’inspecteur Lepage est sur l’affaire et reconnaîtra en la victime une ancienne flamme disparue depuis longtemps et qui avait fait la pluie et le beau temps à l’époque en dirigeant un hôtel qui s’apparentait davantage à un bordel. L’affaire se résoud d’une manière qui serait plutôt malhonnête de révéler ici, mais que le même genre de drame se soit déjà produit à Moncton il y a quelques années force Mélanie Bonne, une journaliste de Montréal, à descendre à Rimouski pour se mêler de l’affaire. Quand d’autres corps de femmes mutilés sont découverts sur les rives de Cape-Cod, Carleton, Baie-Comeau, etc, la journaliste et la police de Rimouski sont lancés dans un dédale étourdissant, car on n’a pas affaire ici à un tueur en série. Dans chacun des cas, on découvre que le tueur s’enleve la vie. Ce qui complique considérablement l’affaire.

Poussé par une langue brute qui m’a donné le dosage parfait entre l’écrit littéraire et l’oral populaire, Sur les rives est l’un des rares titres de la série à adopter une approche classique, meurtre(s), enquêtes, personnages troublés, ce qui fait grand bien. Car l’un des problèmes avec les Coups de Tête, c’est que certains des titres sont parfois conçus selon tel ou tel mode narratif dit « moderne », ou pire encore, « trash » et que ça ne devient plus sérieux du tout.
Par sérieux, je veux dire rigoureux.

Un excellent moment à passer, donc, avec Sur les rives, même si le dénouement est loin d’apporter les réponses qu’on aurait espérées.


(Critique écrite pour Alibis, été 2009)

Sang de Coca-Cola, de Roberto Drummond


(Sangue de Coca-Cola, 1980)
Fayard Noir, 2007, 402 p.

Le bonheur au Brésil?


Nous sommes le premier avril au matin, et le Brésil se prépare pour la fête de l’arrivée du bonheur au pays. Parce que, tout le monde le sait, Dieu est Brésilien et il vient partager la terre, rendre le Brésil à ses habitants. Au travers de cette odeur de lance-parfum qui embaume l’air et celle de cheval qui va grandissante avec la journée, le papillon vert du bonheur occupe le ciel du pays et rend visite aux nombreux protagonistes de ce roman (l’annonceur de radio, le tueur à gage, la beauté américanisée, le président défait, le vieillard mourant, le publiciste criminel, le soldat dans l’hélicoptère no.3, le sergent au centre des commandes…), les plongeant dans une nostalgie vaporeuse qui leur donne envie de prier. Puis un ours invincible qui prend une voix d’acteur américain et dont certains disent qu’il est Dieu, d’autres le Diable fera des siennes. Au cours de la journée, la fête du bonheur tournera en guerre civile par un coup d’état, tandis que le papillon vert du bonheur continue de voler, envers et contre tout.

Si cette introduction vous laisse perplexe, imaginez-moi durant 400 pages. Il ne fait aucun doute que ce roman, paru en 1980 sous une dictature militaire qui dura de 1964 à 1985, occupe une place particulière dans l’histoire militante du Brésil. Aucun doute non plus que cette édition française fait figure de document et qu’une lecture à froid par un esprit occidental qui ignore tout du Brésil, si ce n’est que son carnaval, mérite d’être mise en contexte. Hélas, la présente édition n’offre absolument rien qui permette d’y voir clair. Aucune introduction, seulement quelques notes en bas de page, principalement pour traduire les extraits de chansons (mais pas tous) qui rythment le roman. Sans compter que resteront indéfinis les très nombreux termes portugais que l’on aurait aimé voir accompagnés d’une note de renvoi pour plus de précision. Mais le traducteur juge bon de nous informer qu’un « feu sauvage » est en fait une « dermatose chronique ». Une belle attention…

Un brin confus à la fin de cette lecture, quelques recherches s’imposaient. L’impatience et l’intolérance qui m’ont accompagnés durant le roman ont vite cédé au respect et à la compréhension. Roberto Drummond, mort en 2002, s’était qualifié d’écrivain « pop ». Pris d’un désir de banaliser la littérature pour faire en sorte qu’elle soit accessible à tous à tout moment, il eut recours au surnaturel afin de dénoncer l’absurde du monde et de coder, en quelque sorte, le message à passer. Des personnages historiques en côtoient d’autres fictifs, sans compter les nombreuses hallucinations de stars américaines et de personnages fantastiques. Le sang de Coca-Cola qui coule dans les veines de plusieurs, c’est le sang d’un Brésil devenu urbain, d’un Brésil aliéné par l’occident, envahi par les images de marques. Le Coca-Cola qui vole la place au cacao et la canne à sucre.

Il est malheureux de constater que dans son intention de créer une littérature non-intellectuelle, Roberto Drummond n’atteint pas son but. Ses nombreuses techniques narratives (changement de personnage à chaque chapitre, une démarche différente pour chaque personnage), son langage touffu et dense, truffé de répétitions, de figures de style, de citations et de délires en italique font qu’il en résulte un ouvrage plutôt hermétique dont l’une des grandes qualités est d’être construit en très courts chapitres.
Pour lecteurs avertis et documentés.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

La saison des massacres, de Giancarlo de Cataldo


(Nelle mani giuste, 2007)
Metailié Noir, 2008, 298 p.

L’Italie des initiés

C’est avec un heureux souvenir de Romanzo Criminale, le premier roman de De Cataldo, que j’ai entâmé La saison des massacres. Une envie particulière d’y retrouver ce qui avait fait mon bonheur dans le roman précédent – puisque ce dernier s’inscrit comme la suite du premier – m’y a fait plonger sans réfléchir. Après la saga de la mafia romaine des années 70 à 90, voici maintenant un roman qui a pour contexte les attentats à la voiture piégée qui ébranlèrent l’Italie à l’été 1993.

Je me suis rapidement trouvé bien naïf de penser que De Cataldo se relancerait dans le même genre d’écriture que son premier livre (qui fait 730 pages, une vie, pour certains). De Cataldo est passé à autre chose et traite de son sujet avec tout le sérieux que l’on peut espérer d’un écrivain qui est également magistrat à Rome. Alors que le premier roman se passait dans la rue, entre sniffées de cokes, fusils pointés pour rien, filles faciles et violence gratuite, La saison des massacres se passe davantage dans les coulisses que sur le terrain. Et gare à quiconque n’aura pas une connaissance préalable de la structure politique italienne. Pris entre la gauche et la droite, la mafia, les communistes, les anti-communistes et les Francs-Maçons, il devient difficile pour le lecteur non-initié d’y retrouver son chemin.

Mais c’est avec un certain plaisir que l’on retrouve l’inspecteur Scialoja, qui avait fait la vie dure à la bande du Libanais dans Romanzo Criminale, qui a maintenant succédé au Vieux à la tête d’une société secrète jamais nommée et qui possède d’imposantes archives privées qui contiennent un grand lot d’informations compromettantes pour plusieurs. Stalin Rosetti, un ancien bras-droit du Vieux et combattant anti-communiste, en veut à Scialoja d’avoir pris une place qui, à son avis, lui revient. Entre les deux, la belle Patrizia, pute de luxe insaisissable, corrompue à souhait et déchirée entre le devoir et l’amour. On me demandera ensuite, « et puis, quel rapport avec les attentats? » et je prendrai un temps en regardant au plafond avant de vous avouer que je n’y ai rien compris. Que mon salut, je l’ai trouvé dans les quelques personnages qui me faisaient de l’effet, mais que la structure fondamentale de l’histoire est trop complexe pour un néophyte. De Cataldo ne fait pas un cours d’introduction à l’Italie contemporaine. Il baigne dans les affaires légales à longueur d’année et, forcément, prend plusieurs chose pour acquises. Comme tous ces nouveaux noms qui arrivent sans présentation (et des personnages, il y en a déjà une pelletée). Ne serait-ce que Berlusconi. Je veux bien prendre une grande part de faute pour mon ignorance, mais pour moi, Berlusconi n’était qu’un nom parmis tant d’autres au journal télévisé. Et si je passais mon temps sur Wikipedia à chaque élément nouveau qui m’est inconnu, je serais encore en train de le lire, ce livre. C’est ce qui fait la différence entre les deux romans de De Cataldo. Même si Romanzo Criminale était vaste et truffé d’information, il restait néanmoins centré sur les personnages (qui, soit dit en passant, s’appellaient Le Sec, Le Dandy, Le Libanais, au lieu de ces festivals étourdissants de voyelles que sont les noms italiens) et se retrouvait du coup accessible à un public plus large. Pour La saison des massacres, ce sont les faits et les supposistions qui dominent. Et on y retrouve drôlement plus de pots-de-vin que de coups de poing.

Mais l’auteur laisse tout de même pointer une note d’espoir via les personnages féminins et les jeune (bons ou mauvais), tous habités par le désir de s’en sortir, de fuir les causes et les associations dont on ne peut se délier, de prendre le large pour vivre et être en amour et peut-être, à la longue, en venir à faire une nouvelle Italie.
Ça, je l’ai compris.


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2008)

Quand tu liras ces mots, de Giles Blunt


(The Fields of Grief, 2006)
Le Masque, 2008, 428 p.

Suicides en Ontario


Je suis toujours un peu impressionné lorsque je lis en un court laps de temps deux livres qui touchent relativement au même sujet, et ce, par pur hasard. Bien sûr, le fait de se concentrer sur les polars peut considérablement resserrer le facteur de risque, mais tout de même, il devient difficile de ne pas mettre les deux romans en relation. Il y a quelques semaines, j’ai lu le désolant La loi de la seconde chance de James Sheehan (voir la critique à l’intérieur de ces pages), dans lequel le personnage principal devait composer avec le décès de sa femme après son combat contre le cancer. Le deuil exprimé m’y avait paru ridicule et mièvre, et voilà que j’en étais à douter de la pertinence à évoquer ce sentiment dans un roman. Heureusement, Giles Blunt est arrivé à la rescousse pour réparer les dégats.

John Cardinal est inspecteur à Algonquin Bay, un petit bled perdu dans la nature de l’Ontario. Il file le parfait bonheur avec sa femme Catherine, malgré la forte tendance de cette dernière vers la dépression sévère. Et voilà qu’un beau soir d’automne, elle se lance du haut d’un neuvième étage alors qu’elle avait prétendu aller faire une scéance de photographie de nuit. Le drame en ébranle plus d’un, Cardinal le premier. Ignorant le congé qu’on lui impose, il se lance dans une enquête personnelle alors que la police a conclu au suicide. C’est que le message d’adieu laissé par Catherine sur le lieu du drame ne serait pas la dernière chose qu’elle ait écrite, et l’enquête de Cardinal l’amènera à y déceler une empreinte digitale étrangère. Bien entendu, tout le monde assure Cardinal que la thèse du suicide est claire et limpide, qu’il ferait mieux de se reposer et de vivre son deuil de façon concrète afin de mieux continuer à vivre, aussi éprouvante cette épreuve puisse-t-elle être. En tant que lecteur, nous sommes partagés entre l’idée d’appuyer Cardinal dans son enquête et celle de croire qu’il perd complètement la carte. Malgré le drame qui l’accable, il mène tout de même une enquête éclairée, s’appuyant sur des éléments qui ne feraient même pas office de preuve au sein de la police, en plus d’être mû par une rage interne, où la culpabilité et le refus catégorique des évènements se disputent la belle place.

En intrigue parallèle, une collègue de Cardinal, l’inspecteur Delorme, enquête sur un dossier de pornographie enfantine, alors que l’inspecteur en deuil épluche certains cas de suicide survenus dans la région. Jusqu’à découvrir une troublante vérité.

Même si son titre évoque un mauvais roman de Mary Higgins Clark ou de Patricia MacDonald, Quand tu liras ces mots est un polar psychologique d’une qualité digne de mention. Rien de renversant, d’innovateur ou de nouveau, mais un polar dans les règles de l’art, sombre, fin, humain, et… pas très bien traduit (mél au lieu de email, pierre-papier-ciseaux ?!?). Mais, lecteurs insatiables que vous êtes, aucun doute que vous en aurez vu d’autres, et de bien pires. Je crois que Quand tu liras ces mots est mon premier roman policier canadien et ma foi, je trouve que ça commence plutôt bien. Hey! Un bon polar qui ne vient même pas de Scandinavie, comme quoi même l’Ontario, si elle est bien apprêtée, peut aussi paraître exotique.


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2009)

Padana City, de Massimo Carlotto et Marco Videtta


Métailié Noir, 2008, 213 p.

La fin des grandes familles

Le Nord-est de l’Italie est l’une des régions les plus prospères du pays. Seulement, tout appartient à quelques grandes familles, qui baignent autant dans le mal que la bienfaisance.
Notre personnage principal, Francesco Visentin, est avocat, fils du grand Antonio Visentin, avocat lui-même et membre de la Fondation Torrefranchi, qui règne en roi et en maître sur la région.
Filippo Calchi Renier est désaxé, et il est l’enfant unique de Selvaggia Calchi Renier, qui a pour principale caractéristique d’être la femme de son richissîme et défunt mari, en plus d’être froide à mourir et profondément sexy.
Giovanna Barovier est avocate au bureau d’Antonio Visentin, fiancée de Francesco et ex-copine de Filippo, et elle est la fille d’Alvise Barovier, un riche industriel que l’on a accusé il y a plusieurs années d’avoir mis le feu à l’un de ses entrepôts pour toucher les assurances. Le gardien, sa femme et sa fille y trouvèrent la mort et Alvise a pris la fuite, délestant ainsi sa fille et sa femme Prunella de tout l’aura intouchable dont bénéficient les grandes familles.
Jusqu’ici, on pourrait presque dire que tout va bien. Seulement, Giovanna est trouvée morte dans son bain à une semaine du mariage. Il apparaît vite qu’elle a été tuée par son amant et Francesco tentera de trouver le meurtrier tout en avalant de travers la pilule du cocu le plus en vue de la région.

Malgré le fait que la prémisse de départ évoque les belles années de Dynastie, ce roman est plus facile d’approche qu’il n’en a l’air. Après avoir lu dans la même collection La saison des massacres de Giancarlo De Cataldo qui m’avait laissé dans une grande confusion, j’avais quelques réticences à me lancer dans ce roman sur les riches industriels et les familles de pouvoir. Raconté en parallèle à la troisième personne et par la voix de Francesco Visentin, Padana City est l’histoire de cette jeune génération qui se dissocie de la destinée déjà dessinée par l’héritage familial pour mener une vie loin des associations frauduleuses et de l’argent sale. À bien y penser, c’était là l’une des idées qui ressortait de La saison des massacres. Peut-être l’Italie est-elle due pour un petit changement d’huile.

Quoiqu’il en soit, le roman avance et on y découvre des faits troublants et les enjeux réels. Le meurtre de Giovanna était loin d’être passionnel. Et Francesco fonce vers la vérité et continue là où la justice doit s’arrêter, faute de couilles. Entre mafia roumaine clandestine, élimination illégale de déchets toxiques, journalisme à sensation, ainsi que de nouveaux liens de parenté qui se révèlent à chaque cinquantaine de pages, Padana City nous raconte une Italie désolante et corrompue, à un rythme qui nous pousse à vouloir en savoir plus, malgré quelques petits points brouillons dont nous ne ferons pas grand cas.

Carlotto a déjà publié quatre romans chez Métailié, alors que Videtta, scénariste de métier, signe ici sa première œuvre littéraire. Ça me mystifie toujours un peu, que de voir un roman écrit à deux. Mais bon, dans le cas présent, ils ont l’air de plutôt bien s’entendre.


(Critique écrite pour Alibis, Hiver 2009)