dimanche 24 avril 2011

Sang de Coca-Cola, de Roberto Drummond


(Sangue de Coca-Cola, 1980)
Fayard Noir, 2007, 402 p.

Le bonheur au Brésil?


Nous sommes le premier avril au matin, et le Brésil se prépare pour la fête de l’arrivée du bonheur au pays. Parce que, tout le monde le sait, Dieu est Brésilien et il vient partager la terre, rendre le Brésil à ses habitants. Au travers de cette odeur de lance-parfum qui embaume l’air et celle de cheval qui va grandissante avec la journée, le papillon vert du bonheur occupe le ciel du pays et rend visite aux nombreux protagonistes de ce roman (l’annonceur de radio, le tueur à gage, la beauté américanisée, le président défait, le vieillard mourant, le publiciste criminel, le soldat dans l’hélicoptère no.3, le sergent au centre des commandes…), les plongeant dans une nostalgie vaporeuse qui leur donne envie de prier. Puis un ours invincible qui prend une voix d’acteur américain et dont certains disent qu’il est Dieu, d’autres le Diable fera des siennes. Au cours de la journée, la fête du bonheur tournera en guerre civile par un coup d’état, tandis que le papillon vert du bonheur continue de voler, envers et contre tout.

Si cette introduction vous laisse perplexe, imaginez-moi durant 400 pages. Il ne fait aucun doute que ce roman, paru en 1980 sous une dictature militaire qui dura de 1964 à 1985, occupe une place particulière dans l’histoire militante du Brésil. Aucun doute non plus que cette édition française fait figure de document et qu’une lecture à froid par un esprit occidental qui ignore tout du Brésil, si ce n’est que son carnaval, mérite d’être mise en contexte. Hélas, la présente édition n’offre absolument rien qui permette d’y voir clair. Aucune introduction, seulement quelques notes en bas de page, principalement pour traduire les extraits de chansons (mais pas tous) qui rythment le roman. Sans compter que resteront indéfinis les très nombreux termes portugais que l’on aurait aimé voir accompagnés d’une note de renvoi pour plus de précision. Mais le traducteur juge bon de nous informer qu’un « feu sauvage » est en fait une « dermatose chronique ». Une belle attention…

Un brin confus à la fin de cette lecture, quelques recherches s’imposaient. L’impatience et l’intolérance qui m’ont accompagnés durant le roman ont vite cédé au respect et à la compréhension. Roberto Drummond, mort en 2002, s’était qualifié d’écrivain « pop ». Pris d’un désir de banaliser la littérature pour faire en sorte qu’elle soit accessible à tous à tout moment, il eut recours au surnaturel afin de dénoncer l’absurde du monde et de coder, en quelque sorte, le message à passer. Des personnages historiques en côtoient d’autres fictifs, sans compter les nombreuses hallucinations de stars américaines et de personnages fantastiques. Le sang de Coca-Cola qui coule dans les veines de plusieurs, c’est le sang d’un Brésil devenu urbain, d’un Brésil aliéné par l’occident, envahi par les images de marques. Le Coca-Cola qui vole la place au cacao et la canne à sucre.

Il est malheureux de constater que dans son intention de créer une littérature non-intellectuelle, Roberto Drummond n’atteint pas son but. Ses nombreuses techniques narratives (changement de personnage à chaque chapitre, une démarche différente pour chaque personnage), son langage touffu et dense, truffé de répétitions, de figures de style, de citations et de délires en italique font qu’il en résulte un ouvrage plutôt hermétique dont l’une des grandes qualités est d’être construit en très courts chapitres.
Pour lecteurs avertis et documentés.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

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