mercredi 20 avril 2011
Nighthawk Blues, de Peter Guralnick
(Nighthawk Blues, 1980)
Gallimard, La noire, 1994, 264 p.
Dans le genre de musique qui m’intéresse et qui intéresse mes meilleurs amis, Peter Guralnick fait office de référence absolue. On lui doit, entre autres, les ouvrages suivants : « Feel Like Going Home : Portraits in Blues, Country & Rock’n’Roll », « Lost Highway : Journeys & Arrivals of American Musicians », « Sweet Soul Music : Rhythm and Blues and the Southern Dream of Freedom », « Searching for Robert Johnson », « Last Train to Memphis : The Rise of Elvis Presley », « Careless Love : The Unmaking of Elvis Presley » et « Dream Boogie : The Triumph of Sam Cooke. »
Peut-être venez-vous de parcourir ces titres d’un œil distrait, les survolant en attendant d’arriver à quelque chose d’intéressant. Moi, ces titres, je les lis et je souris et je me dis qu’en plus ils sont tous écrits par le même gars et que j’aimerais bien qu’il m’invite à souper. Et je lui dirais, Raconte-moi des affaires, Peter. M’en fous de quoi tu parles. Mets de la musique, pis jase-moi ça.
Vous comprenez, du moment qu’on le connaît un peu, on voit le nom de Guralnick écrit quelque part et on est aussitôt réconforté. Quelle ne fut pas ma stupeur, donc, lorsque je vis son nom sur la tranche d’un livre dans la section Romans policiers d’une petite librairie de quartier. Chez Gallimard, en plus. Et le titre. Nighthawk Blues. Y’a pas à dire, j’étais ben fier de mon coup. Et de répandre ma trouvaille à mes amis qui avaient déjà lu Guralnick. À Toots qui a pleuré la bio de Sam Cooke. À Vallières qui a vibré les deux immenses tomes de la bio de Presley. Comme si ce livre-là était sur-mesure pour moi, mariant mon amour de la vieille musique et de la littérature noire, par un auteur qui a toute ma confiance.
Et j’ai attendu longtemps, avant de le lire. Le livre restait le même, mais mes attentes, elles, grandissaient peut-être. Et j’attribue à plusieurs facteurs l’échec de cette rencontre, en bout de compte. 1) Avoir lu un livre immense, impliquant et renversant tout juste avant (Un pays à l’aube, Dennis Lehane. Commentaire plus bas.) 2) Avoir lu le livre en français 3) Avoir oublié que n’est pas romancier qui veut 4) Y avoir mis beaucoup trop de temps 5) M’être fait des idées à cause de la collection où il a été publié.
En soi, le livre est loin d’être mauvais ou inintéressant. On y suit Screamin’ Nighthawk, né Theorore Rossevelt Jefferson, un bluesman légendaire (et fictif) qui aurait été un élément marquant dans l’histoire du blues, de la trempe des Robert Johnson, Son House, Elmore James, etc. L’histoire débute au moment où il fait la tournée des universités blanches en compagnie de deux autres bluesmen (fictifs aussi). Nous sommes à une époque (années 60, 70?) où le blues est désormais considéré comme une forme désuette, appartenant définitivement au passé. Armé d’un caractère de cochon légendaire, Nighthawk rempli ses contrats en grognant, en se riant des petits blancs qui le voient comme une page d’histoire et en attendant impatiemment son chèque.
Plus tard vient l’histoire de Jerry Lipschitz, son gérant mais surtout grand amateur de blues qui, accompagné de deux collègues, s’est investi de retrouver le Nighthawk, sans même avoir idée de s’il était toujours vivant ou non. Leur seul indice : une vieille chanson où Hawk affirme que la route 61 passe devant chez lui. À bout, les deux collègues finissent par lâcher prise, mais Lipschitz tient bon et après s’être fait passer un nombre impressionnant de sapins, trouve le Hawk derrière le bar où il avait demandé des informations en premier lieu. Et le voilà des années plus tard, ne sachant plus s’il considère le Hawk comme un genre de trophée ou encore comme un vieil ami, alors que ce dernier n’hésite pas à le semer pour s’en débarasser.
Alors voilà. Si on connaît un tant soit peu le blues, on se plaira à lire des histoires que l’on aura déjà entendues, on sourira devant les nombreuses références, devant le Hawk qui banalise Robert Johnson, affirmant que ce dernier lui a volé ses idées, mais bon, sans plus. Force est d’admettre qu’il manque une trame narrative à ce livre. Et le fait qu’il soit publié dans une série noire fait grandir les attentes à ce niveau. On se dit que ça va décoller, puis un coup rendu à la moitié, on finit par se dire que ça va être pas mal ça. Et un coup à la fin, on se dit Ben c’est c’est ça. C’tait pas mal ça. Mis à part une partie, vers la fin, où l’on lit les trois premiers chapitres de l’essai sur le Hawk qu’a entâmée Lipschitz il y a de nombreuses années qui met en relief la place de l’oralité dans l’histoire du blues. Les histoires racontées de mémoire ou complètement changées selon les lubies du narrateur, l’absence totale de papiers, une importante partie des témoins de l’époque décédés, sinon vieux et séniles, ce qui remet en cause l’idée d’intellectualiser la chose et de la laisser être. Au même titre que le Hawk s’en fout de faire partie de l’histoire. Il veut la paix. Mais il veut aussi l’argent…
MAIS. Mais… se pose ici (encore et encore) le problème de la traduction. Oui, le problème. Parce qu’il est absolument douloureux d’entendre (ou, bien sûr, de lire) un vieux noir du Mississippi qui a connu l’esclavage s’exprimer en français. Et même si tout ça était très bien fait, il n’est reste pas moins que ça demeurerait d’une incohérence notoire. Puisque de nombreux passages du livre laissent place à Hawk qui déraille et qui raconte ses histoires, je soupçonne Guralnick d’être trop respectueux et perfectionniste pour négliger son approche du langage du sud. Ainsi naissent les malaises dans les monologues de Hawk, dans les titres des chansons, dans les extraits de paroles. Et, oh merde, dans le nom. Entre « Screamin’ Nighthawk » et « L’engoulevent Hurleur », je vous laisse choisir lequel fera sa place dans l’histoire du blues.
Tout ça pour dire que Guralnick est un incontournable… lorsqu’il parle de gens qui ont existé. Lisez ses livres, mais pas nécessairement celui-ci. Vous apprendrez beaucoup et même que ça va être plaisant. Et maintenant, je vais aller lire un essai écrit par un essayiste, ou un roman par un romancier. Je sais pas encore.
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