dimanche 24 avril 2011

Natures mortes, de Philippe Bouin


Archipel, 2007, 342 p.

Faux vraiment vouloir

Philippe Bouin ne chôme visiblement pas. Auteur de deux séries publiées en grande partie chez Viviane Hamy, l’une mettant en scène la bonne sœur Blandine, l’autre située dans le Paris de Louis XIV, il publie ici son treizième roman policier depuis 2001.

Joachim Debbas fut un peintre pour le moins contesté. En pleine guerre de son Liban natal, Debbas se rendait sur les champs de bataille après les combats et s’y installait pour peindre les soldats mourants, plus particulièrement leurs yeux. C’est qu’au moment de passer à trépas, les yeux prendraient une dimension telle qu’on ne peut trouver d’équivalent chez un humain bien portant, une fenêtre qui s’ouvre sur l’inconnu. Les approches de Debbas ne faisant pas l’unanimité, il perdra la vie dans un attentat dirigé contre lui et sa famille. Quand le célèbre galeriste Raymond Ayanhi découvre 37 tableaux de Debbas jamais connus à ce jour, c’est comme si la gloire venait frapper à sa porte. Il n’a alors aucune idée du bourbier où il vient de mettre les pieds.

Pendant ce temps, ceux que l’on a nommé « le gang des chapelles » sévissent en dévalisant des chapelles de leurs œuvres d’art, spécialité XIIe siècle. Le capitaine Flora Régnaud de l’OCBC (office central de lutte contre le trafic des biens culturels) est sur le coup. Pourvue d’une solide formation en arts, elle ne tarde pas à démanteler, suite à une série de rébus artistiques envoyés par un expéditeur mystérieux, un réseau de trafic de « vrais faux » tableaux. Cette enquête la mènera, de fil en aiguille, aux étranges disparitions de peintres libanais de la Butte Montmartre. Le Golem de Debbas serait apparu à ces victimes vêtu de blanc, coiffé d’un Panama et fumant un cigarillo. Les histoires s’entremêlant, Flora Régnaud en vient à se lier d’amitié avec le jeune et prometteur peintre Vladi Burg qui, par ses connaissances, la mettra sur la piste de l’affaire Debbas. Comme Ayanhi, Burg ne sait pas qu’il met les pieds dans une histoire où l’on n’hésite pas à faire couler le sang pour garder un secret.

Natures Mortes est ce que l’on pourrait appeler un thriller intellectuel. Au départ, un néophyte sera quelque peu étourdi devant le nombre de références artistiques ayant trait principalement à l’art contemporain. Si on laisse de côté ce charabia d’initié ainsi que les fréquentes franchouillades que nous balance l’auteur, on embarque néanmoins rapidement dans ce thriller peu commun, où se mêlent philosophie sur la place de la mort dans l’art et divergences entres les cultures moyen-orientales, juives et catholiques. On suit avec intérêt cette enquête ramifiée et complexe, et on va même jusqu’à croire de bonne foi aux histoires d’apparitions. Au Moyen-Orient, spécifie-t-on à quelques reprises, on croit à ces choses-là. Soit. Mais on aurait tort de prendre le lecteur pour un con. Je veux bien qu’on me donne du paranormal, mais il faut rester pertinent. Alors ce dénouement à la Scooby-Doo, du genre « Monsieur X! Vous êtes en fait madame Y!
⎯ Oui, mais je suis aussi madame Z!
Elle retire ses fausses dents et sa perruque (c’est pas des blagues)
⎯ Mais madame Z! Comment se peut-il? Je vous croyais morte depuis des années! », ça donne l’impression que Bouin, voyant le beau temps se pointer, a fini son roman à la hâte pour aller se faire une partie de golf.
Et comme si ce n’était pas assez, on nous sert un épilogue qui se déroule en 2125, quand un pauvre inconnu découvre une lettre enfouie dans le désert où le fond de l’histoire nous est raconté. Tout le reste du roman est beaucoup trop intelligent et structuré pour qu’on supporte une fin pareille. Insultant.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

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