dimanche 24 avril 2011

Homicide Special, de Miles Corwin


(Homicide Special, 2003)
Sonatine éditions, 2008, 591 p.

La vraie vie, comme dans les romans


À force de s’imbiber de nombreuses aventures d’enquêteurs de papier, le danger est grand pour nous, amateurs de romans policiers, d’en arriver à croire qu’on s’y connaît dans le domaine des enquêtes. Il s’agit-là bien sûr d’un comportement motivé davantage par la passion que la prétention, oserons-nous avancer. Quoiqu’il en soit, l’ouvrage de Miles Corwin servira grandement à remettre les pendules à l’heure.

Loin des nombreux ouvrages-réalité qui relatent la vie des criminels ou de ces valeureux policiers qui ont donné leur vie pour combattre le mal, Corwin, qui est journaliste au Los Angeles Times, fait la chronique de cette unité d’elite du LAPD avec force détails.

Nous apprenons dans ce livre passionnant que le fait d’être enquêteur d’élite à Los Angeles n’empêche pas d’avoir un tout petit bureau dans un immeuble presque en ruine où la climatisation fonctionne étrangement à plein régime au beau milieu de l’hiver. Faire partie de la crème de la crème ne fait pas apparaître les témoignages ni les preuves, et les résultats de tests d’ADN n’arrivent pas plus vite. Les effectifs sont coupés partout, et les enquêteurs attendent souvent quelques mois pour avoir des nouvelles du laboratoire. Et bien sûr, le fait d’être un grand professionnel n’empêche pas les ratés. Les membres d’Homicide Special doivent vivre entre autres avec les suites de l’affaire O.J. Simpson, où la presse avait décrié haut et fort l’incapacité des enquêteurs de l’unité. Car s’occuper des crimes crapuleux à Los Angeles, c’est aussi composer avec une presse en mal de scandales.


Durant une année complète, Miles Corwin a été l’ombre de l’ombre de quelques équipes d’Homicide Special et nous livre son compte-rendu qui se traverse comme un roman. À de nombreuses reprises, le lecteur prendra une pause pour se rappeler qu’il lit des faits, plutôt qu’une histoire fictive, et que les inspecteurs Knolls, McCartin, Lambkin, Marcia, Jackson, entre autres, ne sont pas des Bosch, Wallander ou Rebus, mais bien de vrais hommes, qui ont une vie même lorsque leur auteur est en pause d’écriture. Le récit des enquêtes qui s’imbriquent et se croisent est régulièrement stoppé pour nous apprendre l’histoire passée de tel ou tel enquêteur, témoin ou victime. Sinon, c’est pour nous faire la genèse de la ville de Los Angeles, ou bien pour nous raconter des affaires antérieures qui ont entaché la réputation d’Homicide Special et du LAPD, qui fut longtemps reconnu comme le service de police le plus corrompu des Etats-Unis. Des parenthèses un peu longues, mais fort instructives.

Corwin (qui reste absolument invisible tout au long du livre) n’épargne aucun de ses sujets, et nous les décrit avec une franchise qui nous les rend tout à fait attachants, à travers leurs fortes personnalités, leur humour souvent déplacé et les nombreux mensonges perpétrés pour arriver à leurs fins. C’est un plaisir que d’assister à la formation d’un nouveau duo et de les voir s’habituer l’un à l’autre, apprendre à se connaître et en venir à gérer un interrogatoire selon les capacités de chacun.

Le livre est plutôt complet. Les amateurs de détails et de techniques d’enquête seront ravis. Mais les affaires s’accumulent et s’étirent, et les descriptions météorologico-bucoliques (la seule poésie que se permet Corwin) deviennent pesantes vers la fin, surtout lorsqu’on voit les pages défiler, et que la plupart des enquêtes ne sont pas encore bouclées. Car si un roman policier se termine généralement avec la clé de l’intrigue, ici, c’est la vraie vie, et on constate que le métier d’enquêteur est long, fastidieux et souvent frustrant.

Je terminerai en infligeant une punition au graphiste responsable de la couverture, pour non-respect du thème. On y voit le cliché du policier blanc en uniforme de patrouille qui maîtrise un homme noir au sol. Avoir lu le livre, le graphiste aurait bien vu qu’on n’y trouve aucun patrouilleur, et que chaque enquêteur est habillé en complet, et très souvent, avec une classe dont Corwin ne cesse de faire mention. Tant qu’à y être, j’étend la punition aux patrons du graphiste, aussi.


(Critique écrite pour Alibis, automne 2008)

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