dimanche 24 avril 2011

Monstrueux, de Natsuo Kirino


(Gurotesku, 2003)
Seuil Thrillers, 2008, 615 p.

Natsuo Kirino écrit depuis 1984 et a remporté de nombreux prix littéraires au Japon. Cependant, Monstrueux n’est que son troisième ouvrage traduit en français, après Disparitions (10/18, 2004) et Out (Seuil, 2006). Y aurait-il pénurie de traducteurs japonais-français? Parce que Monstrueux est traduit à partir…de la traduction anglaise de l’original japonais. Ça commence à faire beaucoup d’intermédiaires. Avis aux intéressés, il y a peut-être un poste de libre aux éditions du Seuil.

Après m’être renseigné sur les ouvrages précédents de Kirino, j’ai entamé Monstrueux avec le pressentiment que j’allais en manger toute une. Que mes repères de ce qui est bien et bon seraient effacés à grands coups de tabous défoncés. Je m’attendais à me faire dire ce que je n’imaginais pas et ne voulais pas entendre, et encore plus. J’ai été patient. J’ai acquiescé lorsque la narratrice m’a averti qu’elle devait raconter l’histoire dans tous les détails, et sans faute. J’étais prêt. À quelque mois d’intervalles, deux prostituées sont retrouvées assassinées dans les mêmes conditions, étranglées et abandonnées dans une chambre minable. Si Yuriko, la sœur de la narratrice, est née pour le sexe et en fait une vocation dès son jeune âge, Kazue, la seconde victime, est diplômée et occupe un poste dans une grande entreprise le jour, et se prostitue le soir. Qu’est-ce qui peut bien relier ces deux meurtres? Vous ne le saurez pas. La question est soulevée avant de partir au vent. Mais on vous parlera du fait que les deux sœurs ne se sont jamais bien entendues. C’est que Yuriko, au grand contraire de l’autre, est sublime. Pas seulement belle. Monstrueusement belle, vous faites le lien? Belle au point de tout déranger sur son passage, une beauté déconcertante, qui va même jeter la mère dans un tourment de fierté et de malaise. J’ai accepté que la narratrice me parle de leur enfance, de cette vie au lycée le plus prisé de tout le Japon, de la superficialité de toutes leurs collègues de classe et des bouchées doubles fournies par cette fille de classe moyenne, et laide de surcroit, pour se sortir de cet enfer. Pendant plus de 300 pages. Je me disais que je n’étais encore qu’à la moitié. Que l’histoire allait bien finir par décoller.

C’est à ce moment qu’est apparu un nouveau narrateur, Zhang, présumé meurtrier, qui, sous le prétexte d’une déclaration écrite au juge, nous raconte sa vie en long et en large. Même si l’histoire de Zhang s’est révélée être plutôt intéressante, cette insertion impromptue ralentit sérieusement le rythme, tout en nous empêchant encore d’entrer dans le vif du sujet. Puis la ronde des narrateurs a continué, j’ai lu le journal de Yuriko, puis celui de Kazue. Ma foi, des journaux intimes étrangement étoffés, dialogues, descriptions et tout et tout, avec des entrées de quinze à vingt pages. Les pauvres, elles en avaient gros à dire.

Le problème, avec Monstrueux, c’est qu’il n’y a pas d’intrigue. Il y a bien deux meurtres, mais nous en sommes avisés dès le début, le coupable est déjà démasqué. On nous sert plutôt des divagations sur la beauté et la réussite, dans un Japon impertinent qui impose à ses habitants d’être un peu plus que des humains. Chacun des personnage est dérangé et se raconte autant de mensonges à lui-même qu’au lecteur. De ce fait, il devient impossible de s’attacher de quelque façon que ce soit à aucun d’entre eux. Alors leur jérémiades stériles sur leurs pauvres conditions durant plus de 600 pages, il faut avoir de bonnes raison pour se rendre au bout.

Autant d’éléments qui font que ce roman psychologique relève davantage de la littérature générale que du suspense. Et si le mot « Thriller » sous-entend le souffle court et haletant, la seule altération à votre respiration ici sera le baîllement.


(Critique écrite pour Alibis, hiver 2008)

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