dimanche 24 avril 2011
Moi, Fatty, de Jerry Stahl
(I, Fatty, 2004)
Rivages Thriller, 2007, 270 p.
Gros problèmes, problèmes de gros
J’entretiens une relation ambiguë avec les biographies romancées. D’une part, le plaisir d’apprendre dans le cadre d’un roman, et de l’autre, ce questionnement récurrent sur les limites de la frontière fictionnelle. Car sous l’étiquette « roman », il peut se passer bien des choses…
Jerry Stahl est scénariste (CSI, Twin Peaks) en plus d’avoir écrit un roman (À poil en civil) publié chez Rivages, ainsi qu’une autobiographie (Permanent Midnight) axée sur sa toxicomanie, pas encore traduite en français.
Moi, Fatty se veut l’autobiographie romancée de la vie mouvementée de Roscoe « Fatty » Arbuckle, première vedette hollywoodienne de cinéma muet, premier acteur à gagner un million de dollars par an, l’inventeur même du gag de la tarte à la crème (y’a de ces choses que l’on croyait avoir toujours existé…). D’un père violent et d’une mère pieuse, Roscoe est accusé d’avoir détruit la féminité de sa mère « en voyant le jour au Kansas avec son gros cul par-devant ». Sa taille imposante sera sujet de railleries tout au long de sa vie, et ce surnom qu’il déteste (qui prendra même place du vrai nom dans les génériques) ne fera que lui rappeler sans cesse son père et ses violences.
Ami de Chaplin et surtout de Buster Keaton, qu’il a découvert, Arbuckle travaille sans arrêt et on lui voue une admiration sans bornes des deux côtés de l’Atlantique. Pas mal pour un enfant abandonné qui débuta dans les vaudevilles à l’âge de huit ans. Mais la bouteille le fait trébucher plus souvent qu’à son tour, et l’héroïne, qu’on lui prescrit après une piqûre d’araignée, devient son principal port d’attache. Il réussira à se défaire de son addiction (pour un temps), mais un sort bien pire l’attend. Lors d’une fête qu’il organise dans un hôtel de San Francisco, la jeune actrice Virginia Rappe trouve la mort et Arbuckle est accusé à tort. S’en suivra un tollé médiatique jamais vu (cette affaire entraîna les journalistes à devenir ces taches de paparazzis), trois procès, et une carrière (et une vie) brisée. À l’issue du troisième procès, le jury décrète que l’acquitement n’est pas assez et présente ses excuses à l’accusé, une première dans l’histoire de la justice américaine. Trop tard, Arbuckle est ruiné, moralement et monétairement et Hollywood (qu’il a bien failli, par ricochet, entraîner dans sa chute) lui ferme ses portes. Allez donc refaire votre vie après avoir été perçu des années durant comme la pire expression du vice et de la perversion que ce pays n’aie jamais connu…
Moi, Fatty, est digne des plus crasses romans noirs qui ont pu brosser ce portrait peu valorisant du sud des États-Unis. L’histoire nous est contée par la voix d’Arbuckle lui-même, en courts chapitres. Stahl raconte dans son introduction que ces récits lui étaient soutirés par son valet japonais resté avec lui, même après que ses procès l’aient laissé sans le sous. Le valet ne lui donnait sa ration d’héroïne qu’à la suite d’une partie de son histoire. Quant à savoir comment ce manuscrit atterrit entre ses mains, il s’agit-là, dit Stahl, d’ « une saga exigeant un second volume », et pour ce qui est de l’authenticité du document, « la question reste ouverte là aussi, le jury délibère encore ».
Quoiqu’il en soit, Moi, Fatty constitue un document passionnant sur la naissance du cinéma, sur les conditions de travail douteuses des premiers acteurs, et sur les moyens déployés par ses dirigeants pour prouver aux bonnes gens qu’Hollywood n’était pas l’incarnation même du démon. Difficile de distinguer la part de Stahl de celle d’Arbuckle, la biographie du roman. Et si on lisait une histoire?
(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)
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1 commentaire:
A noter une version par Emma Psyché, en musique et modernisée de la vision et de la vie de la "victime" de Fatty, Virginia Rappe....
http://virginia-rappe.blogspot.fr/
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