dimanche 24 avril 2011

Dope, de Sara Gran


(Dope, 2004)
Sonatine, 2008, 213 p.

Dans la cour des grands

Le titre et la présentation moderne des éditions Sonatine (dont le catalogue, encore tout jeune, est déjà digne de mention) ainsi que le commentaire d’un Bret Easton Ellis en couverture laissent présager l’un de ces romans de défoncés, de la trempe d’Ellis, justement, ou encore d’Irvine Welsh. Mais on constate bien vite – au deuxième chapitre, en fait – que nous sommes en plein dans le Manhattan du début des années cinquante, à une époque où les dime novels mettaient en scène des jeunes qui fumaient un joint et se retrouvaient accro à l’héroïne quelques jours plus tard, une époque où la drogue devenait un phénomène social rempli des pires préjugés, et qu’elle était inmanquablement, du moins dans l’iconographie, vendue aux jeunes par des dealers moustachus.

On ne pourra pas dire que Josephine Flannigan l’a eu facile. Née d’une mère délinquante, elle a vite appris à se débrouiller par elle-même pour survivre et offrir à Shelley, sa demi-sœur, la possibilité d’aller à l’école. Seulement, elle a pris des moyens drastiques pour rassembler l’argent nécessaire et s’est vite retrouvée au fond du baril. Et maintenant, elle est clean depuis deux ans et voit Shelley plus souvent qu’autrement dans des publicités et des magazines. Et s’il lui arrive de la voir en vrai, elle doit faire comme si elles ne se connaissaient pas, pour ne pas nuire à la réputation de Shelley, qui méprise sa grande sœur.

À sa grande surprise, Joséphine devient détective du jour au lendemain, alors que les Nelson, une famille aisée de Long Island, font appel à ses services pour retrouver leur fille Nadine, qui, ils en ont bien peur, traîne dans les rues de New York à la recherche de came ou de clients. Mieux que la police, Joséphine pourra aider les Nelson, car elle connaît les gens et le parcours typique d’une jeune droguée à New York. Mille dollars en liquide pour commencer, plus mille autres qui l’attendront une fois qu’elle aura retrouvé Nadine. Le choix n’est pas difficile quand on n’a rien d’autre dans la vie et sacrément besoin d’argent.

Ainsi, elle part avec en main une photo, où l’on voit Nadine en compagnie d’un homme qu’on identifie assez rapidement comme étant Jerry Mcfall, proxénète, dealer et arnaqueur de la pire espèce. Contrant ses envies de dope qui ressurgissent, ses vieux souvenirs ressassés à la rencontre de ses anciennes fréquentations – pour la plupart maintenant squelettiques et en bien piètre état – Joséphine va droit au but sans flancher pour retrouver Nadine. Mais il y a des fois où il faut savoir s’arrêter…

Glauque, cynique, et drôlement efficace, Dope nous traîne dans les bas-fonds avec une maîtrise certaine du genre, digne des meilleurs romans noirs de l’époque. Tout y est pour traverser cette histoire en un rien de temps, le ton bref et sans-détours, l’ambiance noire à souhaits, les personnages étranges et désespérés, l’intrigue truffée de revirements et de faux-semblants, et une héroïne qui plonge droit vers sa fatalité, malgré toute sa bonne volonté.
Après avoir écrit un roman qui flirte avec la chicklit (Saturn’s return to New York) et un récit de terreur (Come Closer), Dope est le premier roman de Sara Gran traduit en français. Jeune auteure qui, visiblement, connaît et respecte les classiques, elle entre dans le monde du roman noir par la grande porte, sans avoir rien à envier à personne. Ça fait du bien de constater que c’est toujours possible.

(Critique écrite pour Alibis, été 2008)

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