dimanche 24 avril 2011
Juste un crime, de Theodor Kallifatides
Rivages/Thriller, 2008, 264 p.
Ménage du printemps
Kallifatides est déjà une voix importante de la littérature suédoise et après avoir contribué à de nombreux autres genres, il signe ici son premier essai en policier, un superbe roman sombre et brumeux qui prend place dans une Suède cosmopolite en mal d’identité (la Suède ayant toujours échappé à la guerre, fait-il dire à l’un de ses personnages, le Suédois n’a jamais eu besoin de devenir adulte). Né en 1938 à Malai en Grèce et installé en Suède dès 1964, Kallifatides fait de l’émigration un sujet récurrent dans ses livres.
Juste un crime est somme toute un roman policier classique, un crime sans indices, un commisariat de police de banlieue, et la vérité qui arrive comme si l’on égrénait un chapelet. Au printemps remonte à la surface d’un lac un sac en plastique noir qui contient le cadavre d’une jeune femme, transpercée de trois balles. La jeune commissaire Kristina Vendel à encore tout à prouver, tant à son équipe qu’à elle-même, et doit mener une enquête qui ne part de rien, si ce n’est qu’un pendentif en croix au cou de la victime, un certain plombage et un soutien-gorge de luxe. Aidée de son équipe, Maria, Östen et Thomas, Kristina remontera la piste tout en douceur, petit à petit, pour nous mener à un final bien loin des grandes pompes, nous révélant la triste histoire de la jeune victime estonienne vulgairement balancée dans un lac aux environs de Stockholm. Raconté comme un secret dans une langue magnifique, Juste un crime fait la belle part aux sentiments et aux angoisses des personnages, à leur désir d’exister malgré le mal qui frappe sans raisons. Dans la grande tradition des policiers tourmentés (sauf qu’ici, ils sont jeunes et pas encore blasés), chaque personnage traverse le roman avec sa propre bête noire accrochée au cou, problèmes de couple, enfant handicapé, amour entre collègues. Une intrigue de printemps qui laissera sa marque dans la vie de chacun, dernière enquête avant les vacances d’été qui viendront effacer les idées noires qui stagnent. Ou peut-être pas.
Toujours épris du désir de découvrir des auteurs insoupçonnés, j’ai habituellement tendance à faire des choix de lecture en marge des grands courants, si bien que je ne me suis encore jamais lançé dans la grande lignée des polars scandinaves. Je dois bien être l’un des seuls. Bien sûr, je sais ce que je manque, je ne peux seulement pas être de tous les combats tout en menant une vie saine. Alors, Scandinave, ce polar de Grec? Pourquoi pas, si ça peut faire vendre. Mais avant de l’étiquetter ainsi, je qualifierais Juste un crime de polar sensible, retenu, mélancolique, humaniste, poétique et néanmoins lumineux.
Et réjouissons-nous, la commissaire Kristina Vendel continue sa vie dans deux autres aventures pas encores traduites du Suédois. Parce qu’il écrit directement en suédois, le Grec.
(Critique écrite pour Alibis, hiver 2009)
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