dimanche 24 avril 2011

God's pocket, de Pete Dexter


(God’s Pocket, 1983)
De l’Olivier, 2008, 348 p.

La mousse de fond de poche du bon Dieu

Leon Hubbard avait 24 ans lorsqu’il a été assassiné sur le chantier où il se faisait passer pour maçon, merci à son mafieux de beau-père pour lui avoir trouvé l’emploi. Un coup de barre de fer derrière la tête, et on fait croire à un accident, un crochet tombé de la grue, dira-t-on aux policiers. C’est que le jeune Hubbard l’avait cherché, dégainant son rasoir plusieurs fois par jour sous les yeux de ses collègues en faisant régner sa loi de petit dur à cuire. Mais il a dégainé une fois de trop, et sur le mauvais gars. Pauvre Leon.

S’il meurt dès les premières pages, Leon Hubbard ne quitte pas l’action pour autant. Bien sûr, il reste dans la tête et dans le cœur de ceux qui l’ont aimé et côtoyé, dans le quartier ouvrier de God’s Pocket, dans le sud de Philadelphie. Mais son cadavre aussi reste bien présent, principalement dans les bras de Mickey, son beau-père, qui se rendra compte que préparer un enterrement est plutôt difficile lorsqu’on va jouer l’argent du mort aux courses. D’autant plus qu’on commence à jaser dans le quartier. Il semblerait que Mickey se fasse cocufier par Richard Shellburn, journaliste vedette du Daily Times reconnu pour sa proximité avec la classe ouvrière, et qui traite justement de la mort de Leon dans sa chronique. Shellburn est un journaliste blasé qui vit sur sa réputation et qui tire à bout portant sur les nouveaux journaliste qui viennent se faire les dents à Philadelphie, avant de partir vers une ville plus importante. Ces derniers lui donneront d’ailleurs raison, en déclârant à nouveau la mort de Hubbard, mais dans des circonstances différentes, et quatre jours plus tard. À vous de voir comment on peut en arriver là…

J’ai lu quelque part que Dexter était un écrivain vicieux. Je ne saurais trouver meilleur qualificatif. Au travers de l’épopée qui mène à l’enterrement de Hubbard, Dexter nous raconte en fait l’histoire de ce quartier ouvrier et de ses habitants. Il navigue avec habileté d’un personnage à l’autre en établissant un panorama impressionnant. Ce qui pourrait habituellement passer pour un défaut est ici l’une des plus belle qualités du livre; de nombreux personnages sont installés avec détail, pour ensuite disparaître sans autre forme de procès. Mais bien plus qu’une panoplie de portraits psychologiques tordus, ce sont des péripéties renversantes qui prennent la place dans God’s Pocket. Des évènements qui s’enchaînent en effet domino vers des résultats cocasses, très violents, ou simplement navrants.

Paru en 1983, mais inédit en français jusqu’à aujourd’hui, God’s Pocket est le premier roman de Pete Dexter, qui a été journaliste d’investigation avant de se consacrer à l’écriture, pour notre plus grand bonheur. Dexter ne se presse visiblement pas pour écrire (6 romans depuis 1983) mais la qualité de ses histoires semble inébranlable. J’ai lu Train (L’Olivier, 2003) tout juste avant et il ne m’en a pas fallu plus pour me convaincre que Dexter est un incontournable du roman noir. Je me promets de lire bientôt Deadwood (Folio, 2007), le roman à la base de cette série télé dont je n’ai entendu que le plus grand bien. S’il m’avait été donné de découvrir en temps réel un auteur débutant via un roman comme God’s Pocket, je guetterais chaque jour l’éventuelle parution d’un nouveau titre. Ma vie serait un cauchemar.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

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