dimanche 24 avril 2011

Nous ne sommes rien, soyons tout! de Valerio Evangelisti


(Noi saremo tutto, 2004)
Rivages/Thriller, 2008, 385 p.

Vie et survie d’un mouchard

Dans les années vingt, le jeune Eduardo Lombardo traîne sur le port de Seattle et se fait recruter par un homme mystérieux. Son travail, apprend-t-il, sera de se tenir au courant des agitations des dockers et de cibler les chefs. Lombardo vieillit, change son nom pour Florio afin de se dissocier de sa famille communiste et devient dirigeant syndical de l’International Longshoremen’s Association. Il n’y a pas de meilleur poste pour se tenir au courant. Florio passera de Seattle à San Francisco pour finalement se retrouver à New York, où il dirigera un impressionant territoire portuaire au New Jersey. Cependant, la deuxième guerre mondiale, surtout sa fin, fera s’écrouler l’empire de Florio.

Nous ne sommes rien, soyons tout! retrace l’ascension et la déchéance d’un mouchard professionnel au service de la mafia, sous les couverts de la lutte pour le peuple et, principalement, du patriotisme et de la chasse aux communistes. Personnage odieux, dégoutant et sans aucune morale, Florio rejette et déteste sa famille, sans pour autant s’en éloigner en totalité. En témoignent les meurtres de ses deux femmes, de l’un de ses frères, son indifférence envers ses enfants, puis le fantasme douteux qu’il entretient pour sa jeune nièce ainsi que pour sa belle sœur, qu’il finit par vendre à un ancien collègue qui dirige un bordel à Cuba. Pervers confirmé, Florio va bien malgré lui à l’encontre des règles d’éthique de la mafia en ce qui concerne la famille : une femme qui ne manque de rien, des enfants en santé, une image implacable, et pour les folies, on va voir les putes. Ses écarts sexuels et violents lui feront perdre la confiance des dirigeants pour finir plus bas que lorsqu’il n’était encore rien.

On doit déjà à Valerio Evangelisti, historien de formation, des trilogies sur l’inquisiteur Nicola Eymerich, ainsi que sur Nostradamus. Plus récemment, il nous avait offert le western Anthracite, dans la suite duquel s’inscrit Nous ne somme rien, soyons tout! en tant que survol d’une certaine histoire du crime aux États-Unis. L’ouvrage est fortement documenté. Dès le début, on se retrouve dans un étourdissant dédale de noms, de dates et d’acronymes d’associations syndicales. Et l’auteur, qui semble considérer le lecteur comme son égal, n’apporte que très peu de précisions pour éclaircir les diverses situations. Il faut être particulièrement attentif pour garder le cap. Qui est dans le clan de qui? Et qui c’est, déjà, celui-là? La plupart des négociations, procès et discussions importantes se passent en temps réel, pour faire place ensuite à des sauts temporels surprenants, qui viennent déstabiliser le lecteur. Étrange à dire, mais les passages les plus romanesques (et, par le fait même, reposants) sont ceux où la vie personnelle de Florio nous est contée, des passages violents, misogynes, désolants, voire même atroces. Néanmoins, le langage reste bref et précis, sans aucune lourdeur littéraire. Plus souvent qu’autrement, l’historien prend la place du romancier et en reste aux faits.

Empruntant son titre aux paroles de L’Internationale, Nous ne sommes rien, soyons tout est une fresque historique sur fond de dépression où se croisent personnages fictifs et historiques, dont Willard Huntington Wright - aussi connu sous le nom S.S. van Dine, l’auteur des célèbres 20 règles du roman d’énigme - dont on fait un portrait peu élogieux. Malgré un rythme hachuré et de nombreux passages difficiles à avaler, Nous ne sommes rien, soyons tout! décrit avec précision une période noire des Etats-Unis où la misère, l’inégalité et la trahison avaient la belle part. Un gros morceau.


(Critique écrite pour Alibis, printemps 2008)

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