samedi 18 juin 2011
Le bruit et la fureur, de William Faulkner
(The sound and fury, 1929)
Gallimard, 1938, LDP, 1966, 435 p.
Quand je reçois un livre, j’y écris mon nom et la date d’acquisition. Et j’ai eu un genre de surprise quand j’ai constaté que celui-ci, je l’avais depuis dix ans. Dix ans à se dire Faudrait ben, mais surtout, dix ans à éviter cette tranche dans la bibliothèque, un peu avec peur.
Et oui, un peu avec raison.
Parce que si je sais une chose depuis dix ans, c’est que ce livre-là n’est pas comme les autres et qu’il nécessite une certain application à la tâche. Et en bout de compte, l’application en vaut grandement le coup.
Il est impossible de lire Le bruit et la fureur de façon conventionnelle, verticale. Il vaut mieux laisser les mots aller, les emmagasiner et se faire une idée du tableau dans son ensemble un coup rendu au bout. Il faut oublier la logique des dialogues, de la chronologie et se laisser aller dans la flot de réflexion des personnages narrateurs. On pourrait dire que Faulkner ne fait pas de cadeau, mais c’est faux. C’est seulement qu’il ne fait cadeau qu’aux plus méritants.
Par exemple, le fait qu’il y ait deux Jason (le père, un fils) et deux Quentin (un fils, une nièce) n’est rien pour aider à mettre les choses en perspective. Mais on finit par comprendre et ça donne presque envie de recommencer la lecture pour mieux apprécier. Puis on se dit qu’il y a des limites et qu’on pourrait bien lire autre chose.
Quoiqu’il en soit, l’histoire de passe dans une famille du sud, une famille qui a connu ses heures de gloire mais qui doit maintenant faire avec ce qui lui reste. Le père Jason Compson, la mère Caroline. Les fils, Jason, Quentin, Benjy, la fille Caddy, sa fille Quentin. Puis les domestiques, Disley, son mari Roskus, leurs enfants Versh, T.P., Frony, puis Luster, fils de Frony.
L’histoire se déroule en quatre parties, étalées sur quatre jours différents, les 6-7 et 8 avril 1928, puis le deux juin 1910. La première partie, le sept avril 1928 est narrée par Benjy, le fils trentenaire attardé, né Maury mais qu’on a rebaptisé pour ne pas tacher la mémoire de l’oncle du même nom. Benjy ne s’exprime que par cris, ne ressent que des sensations animales, court le long de la clôture lorsqu’il y a des passants. Son récit se passe forcément dans sa tête et saute d’un événement à l’autre au gré des sensations, des idées qui traversent son esprit. Le roman commence de façon plutôt brutale, le moment le plus ardu à passer.
La deuxième partie est narré par Quentin Compson, dix ans plus tôt, et prend place le jour de son suicide alors qu’il étudie à Harvard. Un monologue troublé et mélancolique où l’on découvre l’amour que portait ce dernier à sa soeur Caddy, qui a nommé sa fille en son honneur.
La troisième partie, à mon avis, a été la plus ardue, non pas à cause du procédé littéraire, mais plutôt à cause du narrateur, Jason Compson fils et de son sale caractère. Maintenant chef de famille, il manipule la maisonnée, détourne l’argent de sa mère, maudit sa sœur Caddy dont on ne prononce plus le nom, donne la vie dure à sa fille Quentin, née d’une union douteuse, en l’épiant alors qu’elle fuit l’école pour fréquenter des jeunes hommes, « en faisant de leur nom le mot de passe de la ville. »
Un sale type. Et ici, le récit commence à devenir plus standard.
La quatrième partie est carrément « conventionnelle », avec un narrateur omniscient, une chronologie logique et tout et fait la belle place à la famille de serviteurs.
Et il est là, en quelque sorte, le cadeau de Faulkner. Un récit qui devient de plus en plus lisible à mesure qu’on avance. Les éléments se mettent en place, le casse-tête se résout, les visage sortent du flou (les premières descriptions physiques n’apparaissent qu’à la fin).
Je serais cependant bien en mal de décrire l’histoire. En fait, ce n’est pas tant ce qui nous intéresse. En majeure partie, ce sont des évènements anodins qui occupent l’action. Et c’est tout ce qu’on découvre au travers qui nous donne les éléments pour créer ce portrait de famille troublée et décimée. Avec au centre, le personnage principal qui n’a presque jamais la parole et dont va même jusqu’à taire le nom, Caddy, qui suscite dans sa famille autant d’amour que de haine et de honte. Un personnage dont on tombe automatiquement en amour lors de la première partie, narrée par Benjy. Caddy qui sent comme les arbres.
Et c’est d’ailleurs à elle qu’on doit ce roman, qui au départ ne devait être qu’une nouvelle. Faulkner s’en était épris et ne pouvait se résoudre à la laisser aller.
Alors à Faulkner et à Caddy, je dis merci et à bientôt. Mais bon, je vais lire quelques livres normaux avant de revenir.
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