dimanche 30 janvier 2011

Mystery Train, de Greil Marcus


(Mystery Train, Images of America in Rock n’ Roll Music, 1975, 2000)
Allia, 2001, Folio actuel, 2003, 558 p.

Un autre livre que j’ai commencé il y a des mois. En octobre, en fait. Ça fait un peu peur quand je vois tout le temps que j’ai pu mettre à lire un livre. Bon, en lire plusieur à la fois n’aide en rien. Donc, il ne faudra pas m’en vouloir si mon survol du présent livre s’avère davantage émotif que technique. Je suis très peu technique de tout façon, allons-y pour l’émotion.

Greil Marcus est probablement l’un des journalistes rock les plus marquants de notre époque. Je dis journaliste, mais étendons-ça à écrivain, penseur. Ouin, il pense beaucoup, Marcus. Loin de l’approche bad-ass qu’on peut retrouver chez des écrivains rocks tels que Lester Bangs, Nick Toshes ou Nick Cohn, Marcus, lui, est absolument rigoureux, émotivement intellectuel. Une chose cependant est commune à ces écrivains : le délire. Leur équivalant littéraire à un long solo de guitare. C’est là qu’on embarque, c’est là qu’on décroche. Ça dépend des jours, ça dépend du sujet, ça dépend du solo.

Oui, il dérape souvent, Marcus. Et on le lui pardonne, parce qu’il sait de quoi il parle. Sous-titré « Images de l’Amérique à travers le Rock n’ Roll », Mystery Train relate l’américanité via cinq artistes d’importance, que Marcus a sélectionnés pour leur prétention, leur audace et les mythes qu’ils véhiculent, en chansons comme en vécu. Après une introduction traitant d’Harmonica Frank (la première tentative de Sam Philips avant la découverte d’Elvis. On le remercie d’avoir continué à chercher), Marcus se lance dans des chapitres sur Robert Johnson, The Band (Invisble Republic, l’un des livres les plus importants de Marcus, traite des Basement Tapes, de Dylan et The Band), Sly Stone, Randy Newman et bien sûr, Elvis Presley.

Il ne faut pas s’attendre à l’approche habituelle des livres sur la musique. Très peu de faits ou d’anecdotes ici. Marcus s’envole et s’emporte, fait d’impressionnantes parenthèses et, bien franchement, trippe tout seul de longs moments. Mais, comme je chéris profondément chacun des artistes dont il est question, je n’ai perdu aucun mot. Seulement quelques idées. Parlant parenthèses, le chapitre sur (le désolant) Sly Stone comporte une longue partie sur le mythe de Stagger Lee, probablement l’histoire la plus racontée, chantée et ré-interprétée du Xxe siècle. Le mythe de Stagger Lee est l’essence de tout gangster, de tout malfrat, de toute violence gratuite. L’essence de l’amérique, d’une grande partie de sa culture et qui s’étend même au-delà des frontières avec les Hooligans, les Rude Boys, etc. Un chapitre que je relirai assurément. Pour vrai, là.

Les nombreuses notes de l’auteur nous renvoyant fréquemment à la fin du livre, on se rend compte en feuilletant qu’il semble se passer quelque chose, une fois le livre en tant que tel terminé. Une section « discographie » qui est loin d’être constituée de tirets suivis d’une notice. Oh non. Une fois le livre terminé, on embarque dans la discographie et on se rend compte bien vite qu’il s’agit-là d’un tout nouveau livre. Marcus repart du tout début et, empruntant un ton beaucoup plus clair et universel, entreprend de rendre compte de la totalité des enregistrements de chacuns des artistes mentionnés au cours du livre, non seulement ceux qui ont la chance de leur voir un chapitre dédié, mais ceux qui font les parenthèses également. Si l’on fait fi des nombreuses notices qui emcombrent bien nécessairement le texte, la section « discographie » est une mine d’or d’histoires et Marcus devient soudainement plus familier dans son approche et se fait souvent plaisir à en écorcher quelques-uns, dont ses artistes favoris dans leurs pires pédiodes.

(Le seul problème que je puisse avoir ici consiste en l’amour que porte Marcus à Robbie Robertson, le guitariste et principal auteur-compositeur de The Band. La constante entre moi et tous mes amis qui sont fans du Band est la suivante : Robertson est loin d’être un grand guitariste et nous tape sérieusement lorsqu’il prend la parole. Rarement ais-je autant détesté un membre d’un groupe que j’adule.Et Marcus, lui, revient sans cesse sur Robertson et son talent, ses solos éclatants, comme s’il lui en devait une.)

Cette section est gravement étoffée. En plus des discographies complètes (par exemple, pour The Band, on traverse tous les enregistrements du groupe, ensuite toutes leurs collaborations en tant que « Hawks » avec Ronnie Hawkins, puis tous les enregistrements avec Dylan, puis les albums solo, leurs diverses collaborations tout en ayant fait un détour par la carrière cinématographique de Levon Helm, etc), Marcus rescence les documents vidéos puis les livres et articles importants sur chacun des artistes. Tout ça peut sembler lassant, mais un coup mis en texte par Marcus, ça devient d’un grand intérêt pour quiconque désire se pencher sur ces sujets, ou sur l’histoire du rock en général. Sans compter que la partie sur Stagger Lee est pobablement encore plus développée que dans le livre en tant que tel. Marcus se rend même à St-Louis, sur le coin de rue où Stagger Lee aurait prétendument tué Billy Lyons pour une simple histoire de chapeau. Ceci étant dit, de nombreuses villes aux Etats-Unis réclâment la propriété de l’histoire de Stagger Lee. Marcus décortique les archives et nous fait état de chaque histoire qui pourrait être la bonne. Je vais relire cette section-là aussi.

J’avais dit que je serais émotif plutôt que technique, hein?

Je terminerai donc en émotion en donnant une pichenotte aux traductrices qui ont gravement allourdi le texte en traduisant les titres de chansons et d’album (et il y en a beaucoup) ainsi que tous les extraits de paroles. Ça en devient presque injuste pour ceux qui ne comprennent pas l’anglais, ils auraient mieux été de rester dans le vague que de se rattacher à des traductions comme Wang-Dang-Doodle/La Grande Glande.

Est-ce qu’on a vraiment besoin de ça?

C’est pas pour rien que le rock n’est pas né en France.

Pas besoin d’en rajouter.

mercredi 5 janvier 2011

Le Jour des poubelles, chapitre 31


La vie reprenait son cours et les blessures cicatrisaient. Somme toute, c’était vide à l’appartement. Nous en étions tous à nous défoncer au travail. Lou partait tôt le matin, revenait en soirée et appréhendait son retour à l’école avec l’été qui terminait. Paré livrait des fleurs, ma mère ne tarissait pas d’éloges à son sujet. Ses payes, il les avait aussitôt passées dans la remise en ordre de sa Jetta et maintenant, il s’attaquait ⎯ à ses frais ⎯ au bachelor les soirs et les fins de semaine. Et pas moyen de s’en mêler, il n’acceptait que l’aide de Carlos. Et moi, je mettais les bouchées doubles à l’atelier, tentant de faire fi des habiletés décroissantes de mon patron. Souvent, je restais tard après la fermeture et corrigeais des travaux que Jean considérait comme réglés. Il en était maintenant au point de se faire croire que tout allait bien. Je rentrais chez nous épuisé et me couchais la plupart du temps après avoir pris quelques bouchées du repas préparé par Lou ou Paré.

Je sentais qu’on l’échappait. Nous en avions passé, du temps ensemble. Et des épreuves, nous en avions surmontées un nombre impressionnant, compte-tenu du laps de temps. La cassure était trop abrupte. Que mes deux amis les plus proches soient si loins de moi bien qu’habitant mon appartement me remplissait de tristesse puis me renversait, là, sur le plancher. Un beau dégat, avec personne pour ramasser.

Il y avait bien sûr la famille. Mais Eddie et Karine ne parlaient plus que du bébé à venir. Carlos et maman me parlaient de Paré avec les yeux qui brillent. Alors j’ai convoqué Lou et Paré à un souper de colocataires. Ça serait la première fois que nous serions assis tous les trois à la table pour plus de dix minutes.

J’étais parti plus tôt de l’atelier ce jour-là. J’étais arrêté acheter trois bouteilles de vin puis trois pièces de viande de choix. De la grosse viande. J’aurais bien préparé un souper qui demandait plus d’attention, mais c’était l’effet pervers de l’été qui nous quittait. Chaque belle journée était potentiellement la dernière. Il aurait donc été ridicule de ne pas faire de barbecue et tout aussi ridicule de ne pas faire une brassée pour profiter de la corde à linge.

La simple idée du souper me remplissait de joie. Lou aussi avait quitté plus tôt et je sentais que la soirée qui s’annonçait la rendait aussi fébrile que moi. Elle avait appporté du vin aussi, puis de quoi faire une salade. «Je savais ben que t’allais skipper le boutte des légumes.
⎯ J’allais faire des patates…
⎯ My god… Heille, on ouvre-tu le vin tu suite?
⎯ Mets-en.»

Je m’amusais à mettre le linge sur la corde en ordre de grandeur. Lou, moi, Paré. Comme une gradation parfaite. Lou riait sur la galerie, se prélassant dans le soleil de fin d’après-midi, une clope dans une main, dans l’autre, un verre de vin. «Coudonc, y fait quoi Paré?
⎯ Veux-tu vraiment savoir ce qu’y fait?…
⎯ Ben là, quand même, ça fait pas loin d’un mois qu’ou ben y livre des fleurs, ou ben y rénove dans’ cave.
⎯ …Ou ben y baise avec toi.
⎯ Ohhh, Manuuuu… Tu commenceras pas avec ça, han… C’est arrivé deux-trois fois c’est toute, là… Pis tsé, c’est pas comme si toi pis moi on baisait tout plein de ce temps-là non plus.
⎯ Je sais ben. C’est juste que de ce temps-là… non, c’est surtout que… geuh!
⎯ Hmmmm, pas si geuh! que ça, j’vas te dire… Même que… pas geuh! paaaaaantoute!
⎯ Ah, come on, slaque-moi sur les détails!
⎯ Chu pas encore dans les détails…
⎯ Ok. Arrête.
⎯ Manu?
⎯ Quoi?
⎯ On baise-tu?
⎯ Eeeehhh, no fucking way.
⎯ Enwèye, Manuuuuu, j’m’ennuiiiiiie.
⎯ À frette de même, là? NAOOONNNNN.
⎯ T’es-tu jaloux?
⎯ Chu pas jaloux, je veux juste pas penser à la queue à Paré pendant qu’on baise, ou pire, pendant qu’on frenche pis que tu l’as sucé, waaaaaahhhhh…..
⎯ Je me suis brossé les dents une coupe’ de fois depuis ce temps-là, Manu.»

Sur quoi elle passa une main entre mes jambes pour venir m’aggripper alors que j’épinglais un t-shirt sur la corde. «Allez… Mmmmm…
⎯ Petite salope.
⎯ Rien que tu sais pas déjà.
⎯ (…) On fume un bat avant.
⎯ Yes!»

C’était bon de retrouver Lou. Ma bonne vieille Lou. Avec le temps, on avait pris nos habitudes, presque des routines, mais souvent, les feux d’artifices éclataient et on arrivait à des résultats surprenants de nouveauté pour de vieux amants. On en était là. Bouche bée, essouflés, les yeux grands ouverts à se regarder comme pour se féliciter d’être si bons, puis Paré est arrivé.

Il restait dans le cadre de porte, haletant. La pénombre faisait qu’on le distinguait mal et qu’on n’arrivait pas à saisir son état réel. Puis il s’avança vers nous ⎯ Lou a crié de surprise ⎯ pour venir s’étendre entre nous deux et pleurer. Il suintait l’alcool. Comme nous étions par-dessus les couvertures, ça rendait la situation un peu embarassante, mais l’état de Paré l’a vite emporté sur notre pudeur. Lou le tenait dans ses bras et lui caressait les cheveux. Je tentais le plus fort du monde de calmer mon érection.

Nous avons fini par avoir des explications. Au cours d’une livraison, Paré s’est retrouvé chez la vieille de l’épicerie. Alice, qu’elle s’appelle. Du moment que la porte s’est ouverte, ils se sont reconnu. Après le malaise initial, Alice fit entrer Paré pour lui offrir le thé. Assis au salon, Paré avait tenté de localiser des portraits de famille pour voir un fils potentiel qui lui ressemblerait. Rien. Il en vint à lui demander de qui étaient les fleurs. Alice a pris un air embarassé avant de lui avouer qu’elle avait appelé elle-même. Et qu’elle fêtait aujourd’hui son 70e anniversaire. La gorgée de Paré avait passé croche. «Ben là, Alice, je… je… bonne fête…
⎯ Y’a pas de mal, mon grand. J’y peut rien. J’ai jamais eu d’enfants, je suis en chicane avec mes sœurs depuis longtemps, mon mari est mort quand j’avais 25 ans. Je suis vieille, je suis seule, je fais des mauvais coups de temps en temps, mais je suis pas malheureuse pour autant! Elle fait des beaux bouquets, madame Camacho. Son mari a arrêté les livraisons?
⎯ Euh… y’est mort v’là à peu près un mois… Crise de cœur…
⎯ Oh non… c’est pas vrai… Pauvre femme… Ça fait longtemps que je fais affaire avec eux. Je l’ai jamais rencontrée, elle, c’était toujours lui qui venait. Un jour, il a fini par comprendre que je me faisais livrer des fleurs pour ma fête, puis il s’en est rappelé. Il débarquait ici le matin, avant que j’appelle, puis on prenait le café ensemble. Pendant huit ans, il s’est rappelé ma fête. C’est pour ça que j’ai appelé un peu plus tard aujourd’hui. Je pensais le voir arriver en avant-midi. Pas que je le prenais pour acquis, mais bon, un moment donné, on commence à s’y faire, hein? Il est venu une fois à la fête des mères. Le pauvre, il s’était senti tout mal quand je lui avais dit que j’avais pas d’enfants. Ça me rend triste, tout ça. Du ben bon monde, que c’était. Ben, lui, je veux dire. Elle, elle doit encore être bonne… Perdre son mari… un si bon mari, il me parlait d’elle avec des yeux d’amoureux, tout le temps. Pauvre femme…»

Arrivé à ce point, Paré retenait ses larmes. Mais Alice le voyait bien et l’a encouragé à se laisser aller. Ils ont pleuré ensemble.

Paré a quitté la maison d’Alice rempli d’une charge émotionnelle qu’il ne reconnaissait pas. Il a donc décidé de continuer sur sa lancée pour débarquer à son ancien appartement avec un bouquet. «Sérieux, t’as fait ça?
⎯ Oui man. Pis j’te jure que je m’attendais pas à voir c’que j’ai vu là…
⎯ Elle était avec quelqu’un?
⎯ Non. Elle était toute seule. Fucking seule. Avec un œil tout enflé, la lèvre fendue, des bleus dans le cou, pis un bras dans le plâtre.
⎯ WHAT THE FUCK?????
⎯ Elle a eu de la visite.
⎯ Je cré ben, mais de qui?
⎯ Les Ontariens, mon gars. Les hostie d’Ontariens sales. Demain, Lou, j’vas aller faire un tour en haut de chez vous. Pis après ça, je remonte à Niagara.
⎯ Fais pas ça, Paré.
⎯ J’vas faire ça. Pis tsé, je veux pas faire exprès, mais pendant ce temps-là, pis après, Maude va venir habiter ici avec nous autres. Je peux pas la laisser toute seule là-bas.»

Il se leva. «J’vas préparer mes affaires. Pis faire une coupe de push-ups. Désolé de vous avoir interrompu.
⎯ Euh… Paré? Pis le souper?
⎯ Quel souper? J’ai pas faim.»