mardi 6 juillet 2010

Le Jour des poubelles, chapitre 25


Même avec le beau temps, la route restait morne et désolante. L’adrénaline avait duré un certain temps mais nos soucis eurent vite fait de nous rattraper. Lou avec ses voisins et ses flashbacks de Chuck Norris, moi avec mon père, mon épaule déficiente et ma côte encore incertaine et Paré avec son audacieuse collection de problèmes. La Jetta roulait avec un constant raffût de tôle que la musique n’arrivait à masquer qu’avec peine. «Pis c’est quoi qu’y t’as dit, là, chose, l’animal?
⎯ Rien de ben intéressant…
⎯ Là Paré, tabarnak, tu vas nous lâcher avec ton mystère pis tu vas cracher le morceau. Tu peux pas nous embarquer dans ta marde sans nous tenir au courant. Y’a toujours ben des hosties de limites!»
C’était Lou qui parlait.
Paré donna de ses deux paumes un coup sur le volant avant de raconter.
«…Câlisse… Ok d’abord… Y’a appelé son Shaun, là, y m’a fait parler avec, parlait ben français pareil, pis y m’a fait faire un deal avec.
⎯ Genre?
⎯ Ben, je l’sais pas trop, là. Je pense que l’autre y voulait avoir une cote sur mes ventes, genre pour m’excuser de m’être payé sa gueule, là…
⎯ Ben là, y’a pris ton paquet au complet, me semble que c’est ben en masse…
⎯ Ouin. Mais y m’a juré que j’aurais de quoi à gagner en échange. Le dude au téléphone m’a donné son adresse, que j’aille le voir. Je sais pas, man, je pense que j’écoutais pas vraiment. J’ai dit oui oui, han han, oh yeah, c’est toute.
⎯ Montre-donc l’adresse, c’est où, voir?» Demanda Lou.
Paré sortit un papier froissé de sa poche et le lui tendit. «Mais là, dis-je, comment y peut te trouver, si jamais tu vas pas le voir?
⎯ Ben, j’y ai donné une adresse, là…
⎯ Paré…
⎯ Pas la mienne, toujours?
⎯ Je l’sais où t’habites, man, mais je sais pas c’est quoi ton adresse, les nerfs…
⎯ Paré…
⎯ Fait que t’as donné quelle adresse?
⎯ Mon ancienne, là, chez ma blonde. Celle qui a sur mes cartes.
⎯ Hostie que t’es con…
⎯ PARÉ MAUDIT CAVE TU ME NIAISES-TU???
⎯ De quoi tu parles, bout-de-cul?»

Lou avait un air ahuri, les yeux écarquillés et agitait le papier à bout de bras dans la face de Paré, agacé, qui avait l’air de chasser une mouche. «C’est chez nous, ça! C’est l’adresse de mes voisins d’en haut! CÂLISSE!!!
⎯ …Ah ouin, han…fuck… Me semblait, aussi, que ça me disait de quoi, c’te rue-là… Tout fait du sens, là, on dirait… Chu repassé là v’là deux, trois, jours, je sais pus trop. Ça a brassé pas mal…»
Je m’étouffai avec le joint sur la banquette arrière. «Ok Paré, dit Lou, t’arrêtes le char icitte, TU SUITE!!! TU SUIIIIIIITE, TU M’ENTENDS-TU???»

Paré comprit assez vite et se rangea sur l’accotement. Lou mit le pied à terre alors que la voiture n’était pas encore complètement arrêtée. Nous la vîmes courir à la hâte vers le petit ravin, glisser, se relever puis hurler à pleins poumons avant de tomber à genoux pour vomir.
«Ben là, kess-j’ai fait?»
Je soupirai et ramassai une bouteille d’eau qui traînait à mes pieds avant de sortir rejoindre Lou.

«TOUCHE-MOI PAS!
⎯ C’est moi, Lou…
⎯ Justement, c’t’à toi que je parle! C’est de ta faute, tout ça! C’est quoi c’t’idée de nous ramener c’te grand innocent? Han? Me semble qu’on était ben, avant qu’y débarque… Han? On était ben, on était tranquilles, me semble…» Je tentai à nouveau une main dans le dos, plus douce que la précédente. «Lou, tu t’emportes, là… Faut pas tout mettre dans le même panier, tu le sais ce que ça fait, on en a déjà parlé…»
Elle tourna vers moi ses yeux humides et rougis. Sa bouche tremblait. Lou est émotive. «Oh, Manu, j’m’excuse, chu au bout du rouleau, je pense…
⎯ On l’est pas mal tout’, ma belle.
⎯ Oh, Manu…» Elle vint se coller contre moi, sa tête sur mon torse. J’étais accrouppi et gardais l’équilibre à l’aide de la bouteille. Lou se mit à me caresser, elle sanglottait. Je commençais à sentir ses larmes à travers mon linge. Elle me regarda dans les yeux puis comença à m’embrasser sur la bouche. «Lou…hmmph… Lou… c’parce que tu viens de gerber, là… Tiens, bois un peu d’eau.»


Nous sommes revenus à la voiture en silence, nous tenant par la taille. Paré nous tournait le dos en fumant une cigarette appuyé à sa portière.


«Tu vas être fine astheure que t’as sorti le méchant? dit Paré en remettant le contact. Ayoye, crisse!»
La claque venait de moi. «T’es à ÇA, mon gars, qu’on t’en sacre une aussitôt que t’ouvres la bouche, c’est clair? Pis fais pas semblant de pas comprendre. CLAIR?»

Il répondit la bouche fermée. Lou, de son côté, regardait par la fenêtre et s’embourbait dans une phase de déni de tout dont il serait difficile de la sortir. Les kilomètres qui suivirent furent des plus pénibles.


*******

«Coudonc, Paré, tu pourrais rouler un peut plus vite, me semble…»
Il n’avait pas prononcé un mot depuis que nous étions repartis. Pas un mot. Lou non plus. Ni moi, par conséquent. Ces paroles étaient donc mes premières depuis, quoi, près d’une heure. Paroles auxquelles Paré n’a répondu que d’un regard absent. «Ok, man, ça va faire, arrête-toi icitte, là, dans’ cour du motel.
⎯ Coudonc, vous autres…
⎯ Rentre icitte, j’ai dit… Ok… Parke-toi, astheure. Parke-toi, là, là, à la réception.»
Ce qu’il fit avec un air sceptique. Je sortis aussitôt de la voiture.

La réception se trouvait au centre des deux ailes de chambres. J’ouvris la porte et me retrouvai dans une entrée de bungalow, devant deux escaliers, un qui menait au sous-sol, l’autre, de quatre ou cinq marches, vers l’étage principal. Des piles de linge sale jonchaient le plancher. J’eus un mouvement de recul et remis la main sur la poignée. «Oh, it’s ok, come on in! Come on in!» Je mis un pied sur la première marche alors que la tenancière les decendait. Une petite dame dans la soixantaine dont les cheveux roux cachaient en réalité leur blancheur naturelle. Son sourire, cependant, l’emportait sur sa teinture et son linge de jogging. Je reculai tout de même. D’un pas. «You want a room?
⎯ Euh, yes, yes. A room, please. With two beds.»
Elle se rendit près de la porte d’entrée pour ouvrir un petit placard contenant des clés. C’était donc ça, la réception. Je payai les trente dollars demandés et pris la clé qu’elle me remettait. «There you go, far side on your right.
⎯ Ok, thank you. Eh, is there a TV?
⎯ Yes my dear. There’s even cable and a remote. What more could you ask for?»
Je souris et sortis.

Devant moi, les mines atterrées de Lou et Paré qui ne devaient même pas s’être adressé la parole durant ce temps. Je regardai à gauche puis à droite. Des deux côtés, des cours de feraille, remplies de carcasses de voitures, de camions, de vieux réservoirs entouraient la cour en gravelle du motel. Je soupirai. Après tout nous étions ici pour dormir. J’allai à la fenêtre de Lou. «Vous pouvez sortir. On va se reposer un peu.
⎯ Mais on peut pas, Manu, je te rappelle que je travaille demain matin, moi.
⎯ Ben moi je t’annonce que tu rentreras pas. C’est tout. Paré est pus capable de chauffer, on va pogner un accident, si ça continue de même.»
Paré était déjà sorti de la Jetta. «C’est où, notre chambre?
⎯ La dernière au bout, là-bas.» Je lui lançai la clé par-dessus le capot. Il l’attrapa et s’y rendit aussitôt. Je retournai à Lou. «Allez, viens-t’en. J’te jure, c’est la meilleure chose à faire.»

Quand nous sommes entrés dans la chambre qui sentait le renfermé, Paré était déjà affalé sur un des lits. J’allai à la salle de bain. Par la petite fenêtre de la douche, un champ à perte de vue. Je me rinçai le visage et me regardai dans le miroir sans me reconnaître. Je me déshabillai pour prendre une douche. Je défis lentement le pansement de mon épaule et rinçai la plaie. Puis je sautai sous l’eau et regardai dans le vide, longtemps.



Bien entendu, Lou avait choisi l’autre lit. Je m’en approchai pour m’allonger à ses côtés, mais je fis face à un refus catégorique. «Je préfère vraiment être seule, Manu.
⎯ Je veux ben, mais pas moi…
⎯ C’est plate, mais c’est ça.
⎯ Tu me niaises? Non mais, regarde-le!»

Il était étendu de toute sa splendeur par-dessus le couvre-lit, ronflant, la bouche grande ouverte. Et il sentait mauvais. «C’est chien en crisse, Lou.
⎯ J’vas peut-être perdre ma job, à cause de ça. Tu peux ben te taper une nuit avec le gros en compensation.
⎯ Hostie…»

Je tentai de m’insérer sous les draps, mais avec Paré par-dessus, ça ne me laissait qu’un minimum d’espace pour manœuvrer. Je lui fis dos et tentai de le pousser un peu, mais la tâche relevait de l’impossible. Je tentai de faire fi du fait que je n’étais couvert qu’à moitié et que Paré me ronflait dans les oreilles. J’arrivai quand même à trouver sommeil, mais quand je sentis son long bras de Paré endormi m’attirer à lui, je sursautai et me levai aussitôt. J’allai rejoindre Lou qui se mit à grogner et me pousser au travers de ses rêves. Je ramassai des oreillers et me couchai entre les deux lits, attendant que quelque chose ne vienne empirer la situation. Mais après un temps, Sandra est apparue de nulle part pour déposer un baiser sur mon front et me chuchoter des mots doux avant de s’allonger à mes côtés.

Je crois bien m’être endormi avec le sourire.

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