vendredi 21 août 2009

Le jour des poubelles, chapitre 3


«Pis là, ça, ça te fait mal?
- Pas pire, ouin.»

Assis sur la toilette, je plantais mes ongles dans mes cuisses pour faire diversion de la douleur alors que Lou désinfectait mes blessures. La tête ailleurs, je la laissais aller, lui donnant ma totale confiance. Je ne l’écoutais pas me faire l’analyse de mon état, dénombrer mes blessures. Ses petits doigts agiles s’affairaient à me remettre en ordre et la seule façon que je trouvai pour penser à autre chose fut de me concentrer sur ses deux seins, criants de relief sous son polo bleu marine, et de me laisser embaumer par le doux parfum sucré qui se dégageait de sa peau laiteuse et constellée de grains de beauté. Je posai une main sur sa hanche menue alors qu’elle s’employa à nettoyer cette coupure sur mon front qui, selon ses dires, permettait presque de voir ce que j’avais dans la tête. «Pis là, me dit-elle, on dirait que tu penses pas à la bonne affaire. Y se passe des choses plus importantes, Manu…». Je glissai un doigt dans un passant de ses jeans sans ceinture et l’attirai vers moi. J’enfouis rapidement mon nez au creux de son décolleté. «Attention, Manu, je suis en train de te désinfecter, là!
- C’est correct, Lou, juste deux secondes…»

Mes épaules tendues s’affaissèrent soudainement, comme si un poids imposant me quittait. Comme si je me rendais finalement compte de ce qui venait de se passer, j’eus presque envie de chiâler. N’eût-été de Paré qui sifflait dans l’autre pièce, je l’aurais probablement fait, mais je m’acharnai plutôt à creuser avec mon nez pour couvrir de baisers chaque centimètre de peau de Lou disponible. Légèrement embarassée, elle tenta de faire diversion. «Tu fais comme chez vous, hein Paré?
- Si je faisais comme chez nous, tu serais pas fière. Pis peut-être même que je serais là à côté en train de vous mater. Fais que je vas faire comme de la visite, si ça te dérange pas trop.»

Elle m’envoya un regard qui me demandait «D’où c’qu’y sort, c’te clown-là?»
Je haussai les épaules.

La salle de bains donnait vue sur le salon et la cuisine, deux pièces ouvertes. Paré flânait, fouinait dans la biliothèque de Lou, majoritairement constituée de bandes dessinées. Mon bienfaiteur m’était absolument inconnu et pourtant, il était là comme s’il avait toujours fait partie de ma vie. Je me demandais s’il lui arrivait de ne pas se sentir à sa place. «Tu veux-tu une bière? lui cria Lou en essuyant le sang que je venais d’imprimer sur son torse, y’en a dans le frigo.» Paré répondit comme s’il n’attendait que ça et puis, perplexe, souleva un point. «C’est parce qu’y en a deux, des frigos…
- Dans le premier! cria Lou
- Ben voyons-donc, toé, deux frigos, c’est quoi le rapport?
- Regarde dans l’autre, tu vas avoir ta réponse!»
On entendit la porte s’ouvrir.
«Oh yeah! De la lasagne!
- Tu touches pas! C’est pas pour toi, pis pas plus pour moi!»

Il revint rapidement dans la salle de bains avec trois bouteilles débouchées. «Pourquoi d’abord, deux frigos?
- Tu comprends rien, voyons? C’est à ma coloc.
- Pourquoi vous prenez pas le même?
- T’as-tu vu de la place, toi, dans l’autre frigo?
- Ben non, y’est pacté ben full.
- Ben c’est ça.
- Vous partagez pas?
- Des fois, mais pas vraiment.
- Est-tu belle, ta coloc?
- Pas pire, oui. Manu?»
J’acquiescai sans hésiter.
« Pis elle est-tu grosse?
- Non. Elle est à son affaire, c’est tout.
- Tu veux dire qu’à jette pas de bouffe?
- Rien.
- Pis toi, à part quequ’bières, tu mets quoi dans le tien?»
Il s’assit sur le bord du bain et prit une longue gorgée. «Ah, vous avez un problème de rideau de douche…»
Lou, intriguée, se pencha et inspecta. «Ah oui? Quoi donc?
- Y’est laid. On peut-tu fumer, en dedans?
- Moi, c’est Lou, en passant.
- Je le sais, tu me l’as dit tantôt.
- Ah bon? Je pensais qu’on se connaissait pas.
- Non non, j’te jure. Quand je suis rentré tantôt.»
Elle soupira. «Dans la salle de bain, c’est une drôle de place pour fumer, non?
- J’irais ben fumer ailleurs, mais j’ai comme envie d’être avec vous autres.»
Lou me regarda avec un air faussement exaspéré pendant que Paré s’allumait.
«J’te dis que t’es choisis, tes amis…
- Je l’ai pas choisi, en fait. Pis pour l’instant, c’est plus un gars ben d’adon que mon ami. Le reste, ça dépend de lui, là…»
Paré expira sa fumée vers le haut. «Y’en a qui deviennent amis pour ben moins que ça, mon gars.»


Assis plus tard à la table de la cuisine, Lou et moi attendions Paré, qui, sitôt sa bière terminée, était parti au dépanneur et revenait maintenant avec une caisse de 15Tremblay. «C’est pas un peu ambitieux, une 15? dit Lou
- C’est le choix le plus judicieux, reprit Paré. Tant qu’à en acheter 6, j’en achète tout le temps 12. Pis je serais con de prendre une 12 quand y’a des 15 pour le même prix, non?
- C’est vrai que tu serais con.
- Mais là, je le suis pas!
- Ça reste à voir…»

Paré s’exclaffa en retirant ses chaussures. Il prit la caisse, qui avait l’air toute petite dans ses bras et l’ouvrit en s’avançant vers la table. Il la posa, nous prit chacun une bière qu’il décapsula lui-même, puis disposa des autres bouteilles dans le réfrigérateur. En revenant, il me flanqua une claque sur l’épaule. «Pis man, t’es-tu top shape?» Le choc léger retentit jusqu’à mes côtes comme un coup de poing avec un élan. Je criai. Lou se leva brusquement de sa chaise pour engeuler Paré. «À quoi tu penses, grand tata? T’as pas vu le temps que ça a pris juste de l’emmener ici pis de l’asseoir?»

Je fis signe à Lou de laisser tomber. Sans dire un mot, je levai ma bouteille et la tint ainsi jusqu’à ce qu’ils viennent tous deux entrechoquer les leurs. Pour le reste, Paré s’occupa de nous divertir en nous racontant sa vie et la première chose que nous constatâmes, c’est que la caisse était vide et que l’heure du souper approchait à grand pas.

1 commentaire:

Encore elle.. a dit…

Je l'aime bien moi ton Paré !:)
J'vais pas déjà demander un Chapitre 4...Mais j'espère qu'il va pas trop prendre de temps à venir! Vanessa!