jeudi 3 septembre 2009
Le jour des poubelles, chapitre 6
«Moi, chu un gars de Volks, kess-tu veux. Je me sens pas chez nous dans un autre char. P’têt ben une Volvo, mais avant que je me pogne une Volvo… Mais tsé, c’est pas que j’ai pas essayé de me trouver d’autre chose, mais je reviens tout le temps aux Volks.»
Je hochai la tête sans trop savoir pourquoi. Paré n’avait pas besoin d’une réelle confirmation pour continuer à parler. «Pis j’ai eu un deal sur celle-là – non mais tsé, un deal – pis j’ai continué mon trip de Volks. J’en ai eu une, juste avant, une Jetta 88, mon homme, je l’ai usée à’ corde ben raide. Pis pour m’en débarasser, personne en voulait, crisse. Personne. À part un garage Volks à l’autre bout de la ville, qui disait qu’y pourrait me donner cent piasses. Cent piasses, mon homme! J’avais essayé de la vendre 800 dans les petites annonces, jusqu’à ce qu’un gars me demande si j’étais au courant que si mon char tenait en un boutte, c’était à cause de la pôle de métal soudée en d’sous… J’avais jamais vu ça, moi. Le gars est parti sans dire un mot. J’ai couru après. «200 piasses», j’ai dit. Y m’a à peine regardé.»
Je roulais un joint en riant et en regardant Paré raconter. Le fait qu’il conduise ne changeait en rien sa façon se présenter une histoire. Les mains qui vont dans tous les sens, toujours une cigarette entre les doigts, les yeux qui cherchent l’approbation, les tapes sur l’épaule, même que l’expérience, en voiture, était encore plus physique, à cause de la proximité.
«Fait que finalement, quand j’ai décidé d’aller la porter, à partait pus. Jusqu’à ce que ma blonde dans l’temps à se couche sur le capot pour faire un câlin au char. Une affaire de fille, je la laissais faire, mais crisse, ça l’a marché, man!» Sur quoi il me donna une tape sur le bras et me fît renverser ma préparation sur le tapis tout sale.
«Fuck. S’cuse. Anyway, on s’est rendus jusqu’au garage, le gars y’a regardé mon char, y’était ben fin, pareil, pis m’a regardé comme si y me confirmait que ma mère avait un cancer, y m’a dit «Fait que, comme je t’ai dit. Cent piasses. Je peux pas faire plus. À moins que la tank à soit pleine.» Y’était quasiment désolé pour moi. Fait que j’ai dit ok. On est passé au bureau, y m’a donné cent piasses, plus trente pour le gaz, j’y ai donné les clés, j’ai donné cent piasses à ma blonde que j’y devais anyway pour les brakes, pis on est parti en lui disant salut. «Vous vous en allez à pied?» qu’y a dit. «Ben oui, j’ai dit, je viens de vendre mon char cent trente piasses.» Je pense vraiment qu’y était triste pour moi.»
«Tu sais ce que tu devrais faire?» demandais-je à Paré après avoir récupéré un maximum du dégat sur le tapis. Je terminais ma bière et je tanguais déjà, assis sur le siège passager. Paré ne semblait pas trop affecté. Mais lui, il en était à son premier alcool de la journée.
⎯ Me déboucher une autre bière?
⎯ Non, je veux dire, pour la vieille, pour pas te faire pogner.
⎯ Donne-moi une bière pareil. C’est quoi tu veux je fasse?
⎯ Un moyen d’être là n’importe quand, sans qu’on s’en rende compte…
⎯ Accouche!»
Je le regardais avec de grands yeux ronds. Je me trouvais très drôle.
«Tu te déguises en intinérant. Pis tu niaises à l’entrée de l’épicerie. Tu vas ben tomber dessus un moment donné, pis en plus, elle te reconnaîtra pas.»
Il se grattait la tempe. Je rajoutai la cerise sur le sundae, l’insulte finale. «Sans compter que ça te ferais un petit sideline…»
Je n’obtins pas l’effet voulu. Alors que j’essayais de le faire exaspérer, voilà que Paré y pensait. «Pas fou, Man, pas fou pantoute…
⎯ Voyons-donc, Paré, je te niaisais ben raide, là, come on…
⎯ Non non, j’te jure, je trouve que c’t’une pas pire idée. J’ai plein de vieux linge à’maison, en plus…»
Je soupirai un bon coup et m’enfonçai par le fait même l’équivalent un couteau brûlant dans les côtes. C’est fou comme ce mal pouvait être sournois et comme Paré pouvait être con.
Passé le pont, il continuait à rouler sur la 10. Un disque de Manu Chao jouait depuis qu’on était parti. «Ça te dérange, si je change la musique?
⎯ Non vas-y, les disques sont juste là.»
Il me passa la pochette. Je fouillai et tombai sur une compilation de Johnny Cash. Ça ferait amplement l’affaire.
«C’est où qu’on va, Paré?» dis-je en allumant le joint.
Il fumait sa quatrième Peter Jackson et prit le temps de rejeter la fumée avant de me répondre. «On va chez un de mes chums.
⎯ Pis c’est où, chez ton chum?
⎯ Pas trop loin, là, je pourrais pas te dire exactement.
⎯ Mais tu sais c’est où?
⎯ Ouais, mais je pourrais pas te dire, je sais comment me rendre, c’est toute.
⎯ Ah. Pis on va faire quoi, là?
⎯ On va rendre visite. Un de mes chums du secondaire.»
J’arrêtai mes questions et me laissai conduire. Paré emprunta la sortie St-Jean-sur-Richelieu. Puis une autre que je ne remarquai pas, j’étais occupé à me rappeler les paroles de Cocaine Blues. En peu de temps, nous étions engagés sur un petit chemin où les maisons se faisaient plus rares. La campagne. «Ah, c’est icitte.» Paré se gara à côté d’une Pontiak Vibe bleu foncé. Sur le balcon, déjà, nous attendait celui qui devait être son vieux copain d’école, une tasse de café à la main, un jeune de quatre ou cinq ans accroché à sa jambe. «P-O, l’gros!» cria Paré en sortant de la voiture. Je le suivis. Ils se saluèrent dans une accolade chaleureuse et Paré se pencha pour faire quelques grimaces à l’enfant. Il se releva et fit les présentations. «P-O, Manu, Manu, P-O.»
P-O était aussi grand que Paré, mais plus costaud. Son visage était rond et bon-enfant, malgré qu’il soit bronzé et marqué à la dure par le soleil. La main qu’il me tendit, sale et rugueuse, me confirma qu’il n’était pas un intellectuel. «Bienvenue chez nous, Manu.» Puis, se tournant vers Paré, «C’est prêt, on va passer au garage tu suite.» Je captai le regard interrogateur qu’il lança à Paré, puis la réponse affirmative de ce dernier. «Popâ va aller au garage deux minutes, tu reste ici, ok mon loup?» L’enfant acquiesca sans dire un mot et nous sommes entrés dans la maison pour passer au garage par l’intérieur. Curieux, je regardais partout autour alors que les deux autres échangeaient sur le chalet que P-O aidait à construire, pour son oncle. «Voulez-vous un café, les gars?»
Je répondis par la négative, mais Paré hésita. «T’aurais pas une p’tite bière?
⎯ Calvaire, les boys, vous êtes ben de bonne heure à matin!
⎯ On fait juste continuer ce qu’on a commencé hier soir.» dit Paré avant de s’enligner pour me donner une bonne tape sur l’épaule. Il se ravisa juste à temps. P-O partit d’un rire franc et sec avant de se diriger au frigo. «Vous vous connaissez d’où, au fait? J’ai jamais entendu parler de toi, me semble.»
Il nous tendit deux Labatt Bleue et Paré, après une gorgée, lui raconta notre histoire brève, mais déjà chargée. P-O écouta le récit les sourcils arqués et je confirmais par affirmations muettes. Je retirai mes lunettes pour la première fois, afin d’illustrer son propos. P-O émit un sifflement admiratif.
«Si t’as besoin de bras, finit-il par me dire, tu m’appelles, hein? Le gros Paré pis moé, quand on prend notre air malin, d’habitude, ça fait son effet.
⎯ Oui-mon-sieur.» fit Paré, plein de confiance.
Je les remerciai en précisant qu’il y avait peu de chances que je retrouve mon agresseur et qu’en général, je n’avais pas l’habitude de me mettre dans la merde. Quoiqu’il en soit, ce genre d’offre apportait son lot de réconfort.
Le garage contenait un imposant établi, des stocks de bois de chauffage, de bois de construction, un tracteur à gazon Kubota et une moto de course Yamaha, que je ne pus m’empêcher d’approcher pour laisser glisser ma main sur le siège et le réservoir. «Elle est à vendre, si ça te tente.» Je me retournai, un peu gêné, pour répondre que j’étais loin d’être le type à considérer ce genre d’offre, quand je vis P-O sortir d’un tiroir de l’établi un sac ziploc rempli de ce que j’imaginai être de la coke. «Toute belle, clean au boutte. Veux-tu que je la repèse devant toi?
⎯ Ben non, l’gros, voyons-donc. Si je me mets à penser que toi tu me crosses, je serai pas sorti du bois.»
P-O sourit. «Comme je te disais, si tu peux m’emmener le cash dans la semaine, ça serait ben trippant. Sinon, ben tsé, le plus vite possible.
⎯ C’est bon, l’gros. J’en ai déjà une coup’ qui attendent, je devrais en vendre une bonne partie dans’ semaine.»
«T’aurais pu m’en parler, calvaire
⎯Parler de quoi?
⎯ Crisse, Paré, fais pas l’innocent. On se connaît pas, pis tu m’emmènes avec toi faire un deal de dope.
⎯ Les nerfs, man, je viens pas de t’emmener chez les Hells, là, on vient juste de rendre visite à un de mes chums…
⎯ Pis on est dans un char, un peu saoûls, avec un gros bag de poudre dans le coffre.»
Paré essaya de se faire rassurant. «Ça fait des années que je fais ça, pis y m’est jamais rien arrivé. Je suis prudent.»
Je ne pus m’empêcher de rire à cette affirmation.
«Pourquoi tu ris?
⎯ Parce que t’es cave. Pourquoi tu fais ça?
⎯ Pour le fun, pour l’extra de cash. C’est juste pour une coupe de chums, c’est comme un service. Je fais pas de gros.
⎯ Pis pour combien de tes chums tu fais ça, encore?
⎯ Queques’uns, là… Il parut légèrement décontenancé, me jeta un regard et ajouta, Ben, pis c’t’un peu pour ça que je me suis pogné une job de facteur.
⎯ C’est pas vrai…
⎯ Ben oui, man, tu y penses-tu? Hop, une petite lettre icitte, une petite lettre par-là, ou ben je sonne à la porte pour livrer un colis… Je me fais pas écoeurer une hostie de seconde, pis tu vas pas douter qu’un facteur qui fait sa run en joggant est un dealer de poudre. J’ai pas l’air louche, pis je jase au boutte avec le monde, en plus. J’ai la cote, sur ma run. Pis c’est pas comme si je mettais de la poudre dans toutes les boîtes à malle, non plus.»
Il était satisfait. Satisfait et convaincu. Nous sommes revenus en ville en laissant chanter Johnny Cash.
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1 commentaire:
Je sais pas si c'est l'apparition soudaine de poudre, mais je commence à sentir une étrange addiction à ce roman sans titre.
La suite!
Timon
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