mercredi 16 septembre 2009

Le jour des poubelles, chapitre 7



Je n’arrivais pas à y croire. Moi qui, contrairement à mes frères, avais toujours évité cette drogue, moi qui avait toujours été dans le clan des poteux à clâmer haut et fort la beauté d’un drogue douce et naturelle, voilà que j’étais attablé et fasciné devant cette montagne de poudre blanche. C’était plus fort que moi, l’envie me prenait de faire… de faire… c’était si abondant, si pur et si blanc que j’en restais sans mot. Plus fort que l’intention de m’en servir de façon conventionnelle, c’était le désir de la prendre, la pétrir, la sentir glisser entre mes doigts, en mettre sur le bout de ma langue et même de souffler dans le tas. Mais j’avais vu assez de films pour savoir que je ne me ferais aucun ami de cette façon.

«T’en veux-tu une shot avant d’aller à’job?»
Paré arrivait avec sa balance et un paquet de petits Ziplocs.
«Voyons-donc, toé, je suis déjà assez scrap de même. Va falloir que je demande à Jean pour balayer la cour, à la place de faire des jobs de réparation. Encore que je pense que j’aie trop mal pour réussir à balayer comme du monde.
⎯ Ça peut pas te faire de tort, man, avec ta côte pis toutte. Au pire ça va te donner un peu de tork pour passer ta journée.»
Je le regardai avec un air de novice. «Enwèye, juste une p’tite clé, pour goûter.»
Sur quoi il se servit à même la montagne une généreuse part sur le bout d’une clé.

«Tsé, va pas penser que je suis addict ou rien du genre, là. J’en prend ben une fois de temps en temps, mais je suis capable de m’en passer. Pis c’est pas mal pareil pour mes chums à qui je vends. Des p’tites provisions pour les grosses soirées, c’est toute.
⎯ Pis le monde sur ta run de courrier?»
Il aspira sa portion, écarquilla les yeux et activa les muscles de son visage.
«Bah, eux-autres, c’t’une autre affaire. Ma run est dans Hochelaga, fait que tsé…»

Il me tendit la clé. Que je gardai dans la main. «De toute manière, la première fois, ça lève pas tout le temps. Ça se peut ben que tu sentes rien, ou presque rien. Pis tchecke ben ça si tu files pas mieux après... Pis c’est de la bonne, en plus, t’as mon approbation.» Il donnait maintenant, en me parlant, des coups de poings dans le vide.

On ne pourrait dire que j’étais dans les meilleures conditions, pour une première expérience. Après avoir déterminé que la narine droite serait plus commode, je grimaçai en appuyant sur la gauche et renversai ma portion. «Vas-y doucement, Man. Fais juste mettre ton doigt devant le trou, à la place. Ça va boucher pareil.» J’aurais été incapable de dire si, en effet, c’en était de la bonne. Mais ce qui était plutôt mauvais, par contre, c’est ce goût étrange qui restait au fond de la gorge, une fois franchie l’étape du nez. Je n’avais jamais réfléchi à la direction que ça pouvait prendre, ensuite. De l’eau, et vite.

Ça faisait près d’une heure que nous préparions avec grands soins la coke en portions individuelles. Paré m’avait montré à me servir de la balance. Je lui faisais des portions d’un demi-gramme et lui s’occupait de la mise en sac. Rendu à un certain point, nous avions complètement arrêté de parler, tout concentrés que nous étions sur notre travail. L’effet était étrangement plaisant. Une fois que j’eus calé trois grands verres d’eau, fait quelques exercices d’étirement, puis dansé dans le salon sur Led Zeppelin III que Paré avait inséré dans le lecteur, je me sentais parfaitement lucide et concentré. Je constatai que je ne pensais plus à ma côte, ce qui me fit penser à ma côte.

«C’est beau chez vous, pareil.»
Bien sûr, je ne pensais pas un mot de ce que je disais.
«Ah, merci. Il se concentra un temps à sa tâche avant de reprendre. Mais c’est pas chez nous, par exemple.
⎯ Han? On est où, d’abord?
⎯ Bah, chez un de mes chums, là…
⎯ Pis y’est où?
⎯ Ben… y’est dans l’bois de ce temps-là… Je viens arroser ses plantes.»

Il fit dévier la conversation en me parlant de Lou. Il semblait l’avoir bien aimée. «C’est sûr que c’t’un p’tit cul, d’habitude, j’aime mieux les grandes filles, mais, je l’sais pas, elle a du guts. Ouin. Elle a crissement quelque chose. Mais je suis pas certain qu’à m’a aimé, par exemple.
⎯ Pourquoi tu dis ça?
⎯ Ben là, de la manière qu’elle me parlait.
⎯ Tu t’es-tu entendu lui parler, toi?
⎯ Quoi, j’tais ben correct.
⎯ Moooon dieu.»

Puis vint l’inévitable. Comme si nous venions tout juste de passer le stade nécessaire de connaissance de l’autre. Paré sauta sur l’occasion aussitôt qu’il pût.
«C’est pas ta blonde?
⎯ Tu m’en aurais entendu parler, si j’avais eu une blonde, que ce soit Lou ou une autre.
⎯ C’t’encore drôle… Mais tsé, c’est-tu, genre, ton amante?
⎯ C’est ma meilleure amie. Avec tout ce que ça peut impliquer. Arrange tes fantasmes autour de ça.»

Paré me fit une moue et redirigea son attention sur le travail d’emballage. «Ouin, mais genre, avez-vous un deal?
⎯ Quoi, un deal? Deux pour le prix d’un? Un sac à dos avec tout achat de 20$ et plus? Kess-tu veux dire, avec ton deal?
⎯ Ben, pour baiser, pis toutte, comment vous vous arrangez?
⎯ D’habitude, on s’allonge dans le lit. Le reste, ça dépend du contexte.
⎯ Come on là… Je veux dire…
⎯ On fait chacun nos affaires de notre bord, des fois on se pogne, pis d’habitude, on se raconte pas mal toutte.»

À ce dernier énoncé, Paré eut un air surpris. Je venais peut-être de réduire quelque peu ses ardeurs.

«Va falloir que tu viennes me reconduire, si ça te dérange pas trop. Je suis supposé rentrer dans vingt minutes.»

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