vendredi 9 octobre 2009
Le jour des poubelles, chapitre 11
Nous montâmes dans la voiture à regret, sans jeter de dernier regard derrière nous, comme pour oublier cet épisode fâcheux et la voiture que nous laissions seule, avec des portes qui ne barrent plus et une livre toute neuve de cocaïne dans le coffre.
Contournant la voiture de patrouille, le chauffeur, un vieil haïtien, sauta directement dans le vif du sujet.
«Oh la la, les gars, oh la la! Vous l’avez échappée belle, les gars! Ooooohhh mon DIEU!
⎯ Ouin, dit Paré, faut pas niaiser avec nous autres…»
Le chauffeur partit d’un rire sonore et haut perché en tapant le volant de ses deux mains. Paré et moi échangeâmes un regard surpris. Je jetai un œil sur la carte d’identification du chauffeur.
«Pourquoi c’est écrit «Garçon» sur votre carte, monsieur? On le voit bien, que vous êtes pas une femme.»
Il avait à peine terminé son premier rire qu’il repartit, encore plus fort. Il ajouta ses cuisses comme instrument de percussion.
«Elle est bonne, celle-là, elle est bonne! Je l’entends souvent, mais ça me fait rire à chaque fois. Je le sais bien que je suis un garçon et mes patrons aussi. Garçon, c’est mon nom. Virgile Garçon. Je suis Virgile Garçon. Et vous… vous êtes les mauvais garçons! Haaaaaaaaa!»
Nous ne pûmes faire autrement que d’éclater de rire avec lui.
«Je suis Virgile Garçon. Et vous… vous êtes les mauvais garçons! Pouaaaahhhhhh»
Virgile Garçon roulait et n’avait pas encore parti le compteur.
«Je veux bien conduire les mauvais garçons, hein, mais y faudra me dire où on va, sinon, moi je roule jusqu’à Haïti!
⎯ Y sont comment, les polices, à Haïti?
⎯ Ooohhhh la la, ils mangent les vôtres tout rond! Une seule bouchée, hein et sans mâcher! Alors, dites-moi où on va…
⎯ On va faire demi-tour.
⎯ Paré, crisse, lâche le morceau pis laisse faire ton char…
⎯ Je veux pas reprendre mon char. Pas tout de suite, en tout cas. Je veux aller pogner le last-call au Verre Bout’. J’ai soif.»
Je jetai un œil au cadran. Il restait dix minutes.
«Laisse faire ça, Paré. On va aller chez nous. Y’a de la bière, pis pas de last-call.»
Il consentit sans dire un mot et je donnai mon adresse au chauffeur.
La conversation avec Virgile Garçon fut animée tout le long du trajet. Il s’est avéré que tout ce qu’on disait était d’une drôlerie irrésistible. Virgile Garçon s’arrêtait longtemps aux feux et aux Stops pour reprendre son souffle. Il nous demanda dans quelle merde on s’était foutus et nous lui montâmes une histoire qui faisait de nous des super-héros autant que des pauvres victimes de l’intransigeant système policier. Virgile Garçon accepta tout en riant. Peu lui importait de savoir la vérité, tant qu’il était diverti.
Puis il se mit à ralentir vis-à vis la silouhette d’une femme en bordure de la rue et baissa la vitre du côté passager. Ce coup-ci, Paré regarda droit devant tandis que je jetais un œil à la passante, pour finalement deviner une femme dans la cinquantaine.
«Oooooohhh, mais c’est une vieille face! Une vieille peau! Je faisais ça pour vous, les mauvais garçons! Mais elle est bonne pour moi, celle-là! Une vieille face, c’est bon pour Virgile Garçon! Pas pour les mauvais garçons!
⎯ Mais je vous tchecke, là, dit Paré, vous êtes pas mal cute, pareil. Vous devez en ramasser des pas pires, des fois…»
Virgile Garçon reprit la destruction de son volant en criant.
«Mais je suis marié, mon ami, je suis marié! Et même que j’ai une fille, un peu plus jeune que vous. Mais même si c’est une Garçon, elle fraie pas avec les mauvais garçons, ma fille, oh non! Je vous ai à l’œil! Aaaaaahhhhhhh!»
Nous sommes rentrés chez nous en faisant un raffut qui fît apparaître Carlos dans ma cuisine à peine une minute après l’ouverture des bières.
«Shiiit, bro, gros party à soir?
⎯ Paré, mon frère Carlos, le plus vieux des trois.
⎯ Salut man, j’espère qu’on t’a pas réveillé…
⎯ Fais-toi z’en pas, mon Paré, je dors jamais.»
Carlos adorait se définir comme un party animal. C’est vrai, qu’il ne se couche jamais. Seulement, quand il le fait, ça peut durer trois jours. Il se frotta les mains en regardant Paré.
«Justement… parlant de pas dormir…»
Paré s’était allumé une cigarette et la tenait coincée entre le pouce et l’index, tirait dessus en reculant la tête et en plissant les yeux. Puis il s’accouda à la table, la cigarette dans la main droite, expira la fumée en regardant Carlos, l’air le plus sérieux du monde. Je me doutais bien qu’il jouait la comédie, mais Carlos commençait à avoir chaud. Puis, sans dire un mot, Paré se leva en mettant la cigarette entre ses lèvres et défit sa ceinture, sans quitter Carlos des yeux au travers de la fumée. Mon frère déglutit. Puis la première chose que nous savions, c’est qu’il y avait un sachet de poudre blanche sur la table. Carlos me regarda en souriant.
«Je l’aime ben, ton nouveau chum. Puis, se tournant vers Paré, Je te dois combien?»
⎯ Cadeau. Reste juste discret.
⎯ Sûr, sûr…» fit Carlos en s’asseyant à la table.
«Une maudite chance qu’y ont rien trouvé en te fouillant.» dis-je à Paré alors que Carlos détachait trois portions du contenu du sachet.
⎯ Fouillé ? dit-il en s’arrêtant soudain.
⎯ Chus pas con, Man, y’était scotché en dessous de mon buckle.
⎯ Quand même…
⎯ Fouillé ? répéta Carlos.
⎯ En avoir pogné qui avaient de l’expérience, on serait probablement dans’grosse marde sale.
⎯ FOUILLÉ?
⎯ Oui, Carlos, fouillé.
⎯ Par qui?
⎯ Douze femmes, fit Paré.
⎯ Ta gueuuule. Les coches?»
Je pris une gorgée de bière.
«Shiiiiit, bro! Ça commence à rocker, ton affaire! Attends que je dise ça au père!
⎯ Carlos, hostie…
⎯ J’te niaise, le gros.»
Bien sûr, il fallut tout raconter à Carlos, qui n’en revenait pas que l’on ait tout laissé dans le coffre. «Ben qu’est-ce que tu voulais qu’on fasse, Carlos?
⎯ À ce moment-là, je sais ben. Moi ce que vous dit, c’est qu’est-ce que vous crissez icitte, drette-là, quand y’a un char de poudre qui est laissé à lui-même su’l bord de la rue!
⎯ Ça c’est vrai, Man, on est vedge pas à peu près.
⎯ Je veux ben, mais c’est un boutte pareil, là, on a pas le char pis y commence à être tard.»
Carlos était sur le bord de se choquer. «J’vas y aller, moé crisse!»
Paré, qui était debout derrière lui, posa une main sur son épaule alors qu’il se levait. «Toé mon gars, tu bouges pas. C’est ton frère qui va y aller avec son bike.
⎯ Y’est scrap, mon bike, en cas que t’aies oublié.»
Nous comprîmes que nous faisions trop de bruit quand Eddie arriva dans la cuisine en pyjama.
«Calvaire, les boys, un mardi soir…
⎯ Sers-toi, l’flot, y’en reste.» lui lança Carlos.
Eddie soupira, puis humecta son doigt pour prendre un échantillon.
«Calvaire, ça vient d’où, ça?
⎯ Des culottes à Paré.» répondit Carlos.
Nous nous mîmes à rire, un peu trop pour la qualité actuelle de la blague. Puis Carlos et moi avons arrêté en même temps, nous regardions Eddie en souriant. «Ben quoi?
⎯ On a besoin de ton char.
⎯ De même, à soir?
⎯ Drette bang tu suite.
⎯ No way. Vous chauffez pas mon char si vous venez de faire de la poudre pis de boire je sais pas combien de bières.
⎯ Ben d’abord, dit Paré en le prenant par l’épaule, on a besoin de toi PIS ton char.»
Et alors qu’Eddie tentait de reculer en secouant la tête, mon frère et moi nous sommes levés de table pour aller l’entourer, quoique Paré y arrivait par lui-même.
Paré avait insisté pour s’asseoir à l’avant. Regardant Eddie en souriant, il faisait «tch tch tch» à chaque fois que mon frère ouvrait la bouche. «Ça te sert à rien de contester, on est tout dans le char pis on roule, là.
⎯ Je l’sais ben, mais ma blonde…
⎯ Tch tch tch…»
Comme des commandos, nous sommes tous sortis de la voiture à pas de chat en jetant un œil partout autour. Mais le quartier n’en avait rien à foutre.
Paré s’avança vers le coffre de sa voiture. Au moment de l’ouvrir, nous étions tous autour. Peu s’en fallait qu’une lumière ne nous éblouisse en même temps que le léger grincement, redevable à l’entretient approximatif de la Jetta. Mes frères étaient très impressionnés. D’abord par la quantité et sa proximité, puis, j’en étais certain, par le fait que je sois le pont qui les avait menés à ce joli paquet. Les temps changent.
Nous sommes vite retournés à la voiture, et Eddie finit par céder aux pressions de Carlos afin qu’il se serve au moins une petite ration. Ce que nous fîmes tous à sa suite. «Comme avant ta blonde, dude!
⎯ Carlos, tabarnak.
⎯ Ben là… C’pas vrai?
⎯ Carlos, laisse-le donc tranquille avec ça.
⎯ Je te demande si c’est vrai ou pas? C’est toutte.»
Eddie pouvait être susceptible, surtout devant le manque de délicatesse du frère aîné. Le malaise nous mena jusqu’à la maison. Eddie ne monta pas chez nous. «Hey, Eddie…»
Il se retourna sans un mot. « Ben… Merci…
⎯ À partir d’astheure, tu t’arranges tout seul, ok?
⎯ Ben oui.
⎯ Pis fait moi plaisir…
⎯ De quoi?
⎯ Mêle pas Carlos à ça. Y’en sait déjà crissement trop.
⎯ Je sais ben. J’y ai rien demandé, tu sais ben.
⎯ Pour ce que ça a donné toutes les fois où quelqu’un lui a demandé quek’chose…
⎯ Bonne nuit, Eddie.
⎯ Ouin.»
Je suis allé rejoindre Carlos et Paré au salon et j’ai mis Exile on Main Street des Stones à bas volume. Je parlai peu. Carlos quitta lorsque le frigidaire se fût vidé de bières. Paré et moi nous endormîmes sur le divan.
Au matin, j’étais seul avec les vestiges de la veille.
Je n’aurais de nouvelles de Paré que deux mois plus tard.
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2 commentaires:
wow. et moi qui pensais lire le chapitre 1 avant d'aller au lit... vivement la suite !
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