samedi 3 octobre 2009

Le jour des poubelles, chapitre 10


Nous sommes retournés chez P-O la semaine d’après. Il était plutôt surpris de nous voir revenir aussi vite. Nous avions fini par souper avec lui, sa blonde Rachel et le petit Thomas et nous étions repartis vers dix heures du soir, plutôt éméchés. Nous avions repris la route vers la ville pour nous arrêter au Verre Bouteille afin de continuer sur notre lancée et c’est là que j’ai rencontré P-A, M-A, et P-Y, d’autres vieux copains de Paré, qui lui avaient tous passés une nouvelle commande. Paré a pris le temps de faire ses affaires dans la ruelle et nous sommes remontés dans la voiture après quelques pintes. Deux pour moi, trois pour Paré.
Je commençais à me faire à sa conduite et je reconnaissais qu’il s’armait de prudence. Paré roulait lentement et prenait les petites rues. Mais, aussi prudent soit-il, Paré restait Paré.
«Astheure, j’ai un petit over, avec le cash de cette semaine. Je pense que je vas m’acheter un nouveau radio. Avec une table tournante. Peut-être un Ipod, aussi, je l’sais pas.»
Même qu’il avait assez de lousse pour m’offrir une commission.
«Mais là, Paré, j’ai rien fait, moi.
⎯ T’as été là, tu m’as aidé pis toutte, c’est ben normal que je t’en donne un peu.»


Paré avait la fâcheuse habitude de regarder les filles, en conduisant. En soi, l’intention était louable et fort pertinente, mais il allait toujours un peu plus loin que permis. Comme de klaxonner une fille afin qu’elle se retourne, voir si elle en valait la peine. J’assumais plus ou moins cette démarche, mais n’avait d’autre choix que de le suivre, puisqu’il n’écoutait rien de toute façon.

«Oh oh, elle a l’air sweet, celle-là.
⎯ Fais pas le con, Paré.
⎯ Bon bon bon, tchecke-le, l’ami des femmes.
⎯ Crisse, Paré, on est dans une petite rue, y fait noir, la fille est toute seule, on va lui foutre la chienne plus que d’autre chose.
⎯ On lui fera pas mal.
⎯ Je veux ben, mais elle le sait pas, elle.»

Paré appuya deux coups brefs sur le klaxon et la fille, qui remontait la rue dans la même direction que nous, sursauta en empoignant son sac. Elle était jolie, mais son regard effrayé plaçait sa beauté en deuxième. Paré avait ralenti et s’avançait devant moi pour la regarder de plus près et lui chuchoter des mots doux par la fenêtre ouverte.

«Décrissez, maudits caves!
⎯ Ben voyons-donc, jolie, c’est pas une attitude, ça…
⎯ Paré, arrête.
⎯ T’habites-tu dans le coin? T’as-tu besoin d’une ride?
⎯ Paré, hostie.
⎯ Y’a de la place en arrière…
⎯ Paré, arrête! PARÉ! ARRÊTE CÂLISSE!»

La fille continua son chemin en riant un peu alors que nous restions pétrifiés, emboutis à l’intersection avec une délicatesse toute inadéquate dans une voiture de patrouille qui passait par-là. Une collision ridicule, où les deux voitures devaient rouler à une vitesse entre quinze et vingt kilomètres heure chacune.

On aurait dit une éternité. L’avant de la voiture de Paré était allé se lover contre la portière du passager de la voiture de police. Ils nous regardèrent comme si nous étions les pires imbéciles en ville – c’était sûrement le cas à ce moment – puis sortirent tous deux du côté conducteur pour venir se poster de chaque côté du Volks. Ces deux-là devaient à peine être plus jeunes que nous. En douce, Paré embraya en reculons.
«Paré! Hostie, fais pas exprès.»
Il grogna, se mit au neutre puis s’alluma une cigarette.

«Je pense qu’on a un problème, les gars.»
Le policier de mon côté laissa tomber son regard intimidant pour aller trouver la fille. Merde.
«Mademoiselle! Mademoiselle! Vous voulez venir ici, s’il-vous-plaît?»
La fille s’approcha, un sourire aux lèvres. Le policier l’avait abordée à une certaine distance de la voiture, l’autre était resté aux côtés de Paré.
«Pouvez-vous éteindre votre cigarette, s’il-vous plaît?
⎯Je viens juste de l’allumer, là.
⎯ Je te demande pas de l’éteindre, je te DIS de l’éteindre.
⎯ C’est bon, c’est bon, dit Paré en reprenant une bouffée. Je l’éteins, là.»

L’autre policier discutait à voix basse avec la fille. Je n’arrivais pas à comprendre ce qu’ils disaient, mais à la voir secouer la tête en regardant dans notre direction, je devinai qu’elle ne portait pas plainte, probablement vu le ridicule de la situation. Mais Paré n’en voyait rien et travaillait fort à se faire un ennemi. «Me prends-tu pour un cave, coudonc? Donne-moi ta cigarette.»

Le policier tendit la main, j’avais peur que le pire arrive. L’autre policier et la fille interrompirent leur échange en entendant l’autre lever le ton. Paré reprit une dernière taffe, comme si c’était la dernière de sa vie et le policier passa la main à l’intérieur du véhicule pour la lui retirer de la bouche. Paré prit à nouveau une mauvaise décision en empoignant le bras du policier pour ensuite le tirer brusquement vers lui. Ce dernier cria alors que son visage s’écrasait contre le cadre du véhicule et l’autre dégaina aussitôt son arme, comme s’il jouait dans CSI Miami. Je captai un éclair du regard de Paré qui en disait long sur son incapacité à gérer la situation puis je mis la main devant mes yeux avant de m’enfoncer dans mon siège.


Je me gardais bien de faire quelque commentaire que ce soit à Paré alors que nous étions tous deux debout, les mains posées sur le toit de la voiture. Nous fûmes fouillés en bonne et due forme, avec une attitude propre aux policiers offensés, en plus d’échouer haut-la-main à l’alcoo-test. Bien que je n’aie encore jamais réellement eu affaire à de jeunes policiers, ils représentaient néanmoins une race pour laquelle je n’avais qu’un minimum de respect. Mais, aussi zélés fussent-ils, force m’était de leur concéder ce comportement déplaisant. Paré l’avait bien cherché. Ils le menacèrent de le charger de conduite en état d’ébriété et d’atteinte à la sécurité d’un policier. En plus de se mordre les doigts de ne pouvoir nous mettre sur le dos le harcèlement, merci à cette pauvre fille qui avait refusé de porter plainte.

«Maintenant, dit le policier de Paré, on va stationner votre voiture ici et vous allez nous suivre au poste..
⎯ Icitte? Paré jeta un coup d’œil aux affiches incompréhensibles qui réglementaient le stationnement. On peut pas, icitte, ça prend des vignettes.
⎯ Ça, mon gars, c’est pas mon problème. T’auras une surprise en revenant du poste, c’est toutte. Si jamais t’en sors.»
Sur quoi Paré lui jeta un regard haineux. «J’vas me mettre là, juste l’autre bord de la rue.
⎯ J’ai dit qu’on allait stationner ta voiture…
⎯ Hein?
⎯ T’es en état d’ébriété avancée, mon gars. T’as pas le droit de conduire.
⎯ Ben là, crisse, si je me suis rendu jusqu’icitte, je suis ben capable de me parker, calvaire.
⎯ Je vais commencer par te demander d’arrêter de sacrer. Pis je vais continuer en te demandant tes clés, pour que mon collègue stationne ta voiture pis qu’on en finisse, je commence à trouver que ça branle dans le manche, notre affaire.
⎯ Ça, c’est TON problème, mon homme.» dit Paré en lui fourrant les clés dans la main du policier qui grimaça. Paré, j’en étais certain, avait placé ses clés dans le but de lui faire mal.

Nous nous sommes reculés, sous la surveillance du premier policier, alors que l’autre prenait place dans la Jetta de Paré.

Le policier en question était relativement de mon gabarit. Environ 5 pieds cinq pouces, dans les cent soixante livres. Ni Paré ni moi n’avons été en mesure de nous retenir de rire alors que le policier s’adossa pour ensuite effleurer le volant, à bout de bras. Puis il s’avança au bord du siège dans l’espoir de l’ajuster.
«Dis-y que ça marchera pas.
⎯ Quoi ça?
⎯ Que le banc y’est brisé. Y va la chercher longtemps, la clenche, parce qu’à l’a pété v’là un boutte.»
Le policier marcha vers la Jetta, tout en gardant un œil sur nous.
«Les nerfs, dit Paré, on se sauvera pas.»
Je lui donnai un coup de coude après que le policier se fut retourné.
«Va falloir que tu le fasses de même, Charles, le banc y’est brisé.»
Charles soupira avant de tourner la clé, du bout du siège.
«Charles, hein? Pis toi, c’est quoi ton petit nom?
⎯ Là, mon gars, tu vas me sacrer patience pis tu vas parler juste quand je te le demande.
⎯ De quoi? Y’a-tu une loi qui interdit de demander son nom à une police?»
Et Paré ne quitta pas son policier du regard, restant sourd aux crissements de sa voiture que l’autre n’arrivait pas à faire démarrer.
«Pis?»
Le policier foudroya Paré du regard en se mordant la lèvre d’impatience, mais Paré ne flancha pas pour autant.
«Justin.
⎯ Quoi? S’cuse, j’ai pas entendu, à cause de mon char.
⎯ Ju-stin.
⎯ Shiiiiiit Man, t’entends-tu ça, me dit-il avec un coup de coude que j’évitai, on est en train de se faire arrêter par Charles et Justin. C’est pas sérieux, ça là, là. Charles et Justin contre les bandits, Charles et Justin ont un accident de voiture, (se tournant vers Justin) Charles et Justin sortent de l’école, (puis vers la voiture) Faut que tu pompes le gaz avant de starter, maudit crisse!»

Avec l’énergie du désespoir, il parvint enfin à faire démarrer la voiture. Mais Charles, qui n’était pas un gars de Volks, fit un brusque bond vers l’avant en faisant pleurer la pédale d’embrayage. Si la collision à l’origine de cette intervention policière s’était faite comme une caresse et sans dommages, Charles venait de changer la donne en s’enfonçant pour de bon dans la portière de la voiture de patrouille, assez pour la déplacer d’une trentaine de centimètres. Rendus à ce point, nous n’avions plus aucun respect pour ces deux recrues et riions de bon cœur. Justin était décontenancé et échouait désormais à la tâche de maintenir l’ordre. Nous nous approchâmes tous les trois du Volks.
«Le reculons, sur un Volks, y’est à gauche de la première, mon Charlé. D’habitude, y’a un système de clenche, tsé, parce que ça peut être dangereux, mais tu l’auras remarqué, mon char y’est vieux pis y’a des p’tits caprices. Fait que, ou ben tu me laisses parker mon char, ou ben tu fais trrrèèèèès attention, pis tu t’embrayes au reculons. Mais tsé, tu seras pas encore parké, là. Penses-tu que tu peux l’avoir? Ça commence à être long, pis je le sais pas pour vous autres, mais nous autres on a des projets pour le reste de notre soirée. Comme de nous débarrasser de vous autres.»
Sur quoi, maintenant beaucoup plus à l’aise, Paré se retira en tapant sur la tôle du toit.
«Paré? Viens-donc icitte une minute…»

Il vint me rejoindre où les deux voitures avaient communié, dans la tôle froissée et les éclats de vitre. Un des ses phares avait explosé et son pare-chocs pendait par-terre en ne tenant que d’un côté. Je reste avec la ferme conviction que ce pare-chocs aurait pu décrocher par lui-même au beau milieu d’un stationnement, mais je gardai bien entendu cette pensée pour moi.
«Continuez de même, les boys, pis on va être égal dans’marde! J’espère que vous avez des assurances pour quand vous scrapez les affaires des autres!»
Il sortit deux cigarettes et m’en passa une. Je l’allumai. Nous avions tiré nos premières bouffées alors que les deux policiers débattaient sur la démarche à suivre. Finalement, ce fût Paré qui stationna le Volks, avec Charles sur le siège passager.

Quand la voiture fût placée, ils sortirent tous deux sans dire un mot et vinrent nous rejoindre dans la rue. Paré se plaça à mes côtés, Charles près de Justin, puis nous nous fixâmes un temps dans le silence de la rue déserte.

Paré fît la cassure.
«Vous pensez pas qu’on peut s’arranger? Genre, une question d’honneur, là… Vous nous laissez aller, pis nous autres on dit pas un mot sur Charlot l’apprenti-conducteur, sans compter que je vous charge pas les dommages, qu’un de vos chummys va me crisser un quarante-huit heures demain matin anyway. Pensez-y. C’est gros, là, mon Charlot, ton boss y sera pas fier quand y va vous voir débarquer les deux du côté chauffeur…»
«Ferme-ta gueule, grand crisse de cave! FERME TA CRISSE DE GUEULE!!!»
Charles devenait clairement affecté par la tournure des évènements. Paré se fourra une nouvelle cigarette entre les lèvres et me tendit une main dans laquelle je tapai.
«Ton feu, Man. J’ai laissé le mien dans le char.»

Paré s’alluma, puis les regarda en haussant les épaules. Il avait tout dit. Je me mordais les lèvres pour m’empêcher de rire devant les deux policier réduits à un état qu’on ne leur apprenait certainement pas à l’école. Les yeux de Charles étaient tout rouges et bourrés de honte. L’agent Justin prit la parole.
«Ok. C’est bon les gars. On va faire presque comme si rien s’était passé.»
Il jeta un œil aux voitures.
«Vous vous arrangez avec vos dommages, pis nous autres avec les nôtres, on retire la conduite en état d’ébriété pis la passe que t’as failli me tuer. Mais vous repartez pas avec le char. On va le faire tower.»
Nous nous jetâmes un regard dont nous avons tenté de cacher la panique.
«On va le laisser icitte, le char, reprit Paré.
⎯ Vous êtes stationnés en effraction.
⎯ C’est pas moi qui a choisi de me parker là, mon homme. Pis ça te dérangeais pas tantôt.
⎯ J’ai changé d’idée.
⎯ Pis y vont dire quoi, tes chummys, quand y vont voir que tu fais tower un char accidenté qui fitte ex-ac-te-ment avec le trou dans ta porte?»
Sans dire un mot, Justin dégaina un téléphone cellulaire, chercha l’adresse la plus près, et appela un taxi.
«Moi ça me va, dit Paré en s’avançant pour leur serrer la main. Je vous souhaite une bonne fin de soirée.
⎯ Deal. Mais on attend ici, que vous montiez dans le taxi.
⎯ Ben voyons, c’est ben correct, vous devez avoir d’autre chose à faire…
⎯ Paré. On va attendre le taxi. Avec eux autres.»

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