dimanche 5 septembre 2010

Le jour des poubelles, chapitre 27


Paré avait attendu, pour s’arrêter, de trouver une halte routière qui ne serait pas trop occupée, ce qui arriva après une heure de route. Sans rien nous dire, il était sorti de la voiture pour défaire son pantalon, face à la portière ouverte. «Kess-tu fais là, coudonc?
⎯ De la magie!»

Et Paré, les doigts coincés dans sa ceinture, qui sortait un sachet en souriant. Fier de son coup, il me le lança, avant de reprendre place «C’est mon emergency kit.
⎯ Tchecke l’autre qui parle en anglais! dit Lou.
⎯ Me semble que je ferais une belle ligne, là, tu me prépares-tu ça, mon Manu?
⎯ Eeh, ben, oui. Ben oui.»

J’ai détaché ma ceinture de sécurité pour ensuite chercher une plateforme quelconque. Je pris le cd de Sam Cooke, pour me raviser, Neil Young ferait mieux l’affaire. Après avoir consulté Lou d’un regard, j’ai préparé trois lignes, deux petites et une grosse. Je n’ai aucune idée sur comment j’ai pu faire mon compte, mais au moment de présenter à Paré sa collation, j’eus un genre de spasme qui me fit tout renverser entre les deux sièges, dans le coin du frein à main. «Voyons donc maudit hostie! Kess-t’as fait là?
⎯ S’cuse-moi Paré, j’ai merdé.
⎯ Je pourrais toute sacrer par la fenêtre aussi, ça éviterait de faire le ménage! Maudit crisse!»

Nous sommes parvenus à en ramasser une bonne partie, mais il en restait quand même pas mal dans les racoins, inatteignables avec les outils de fortunes que nous avions trouvés. «On laissera pas ça aller, calvaire.»

Paré travaillait fort à trouver un moyen, se tordait dans tous les sens, essayait de se pencher pour porter son nez entre les deux sièges. Le moyen le plus pertinent que nous avons trouvé fut d’ouvrir les portes, de nous étendre à plat ventre, les jambes dans le vide et d’aller jouer à l’aspirateur. D’où la beauté de la halte routière peu fréquentée. «C’t’un beau ménage, ça les boys! Les tapis auraient besoin d’une job aussi, je pense…»
Il était clair que nous avions ramassé au passage quelques débris de tout acabit. Quoiqu’il en soit, nous avions ensuite repris la route à fière allure avec notre maison comme principal objectif.
La mienne, dans le cas de Paré.


Comme si la frontière avait été la source de tous nos problèmes, nous avons soupiré de soulagement en nous faisant souhaiter la bienvenue au Québec. Rendu là, Paré et moi, on avait pas mal de jasette, on chantait les chansons à la radio, on criait par les fenêtres ouvertes. Lou dormait à l’arrière. «Mais là, l’gros, tu vas faire quoi avec ça, là?
⎯ Avec quoi?
⎯ Ben, la mafia de Niagara, là… Tu vas-tu aller les voir?
⎯ Je sais pas trop…
⎯ T’es mieux de t’assurer que Lou soit pas dans le coin, si jamais tu fais ça. Pas sûr qu’à te laisse monter les marches, moi…
⎯ J’vas passer par-dessus.
⎯ Non mais ça t’arrive-tu des fois de répondre sérieux quand on te dit quelque chose de sérieux?
⎯ Chu sérieux, Man. Je passe par dessus le bout de cul. Facile.
⎯ Mais kessé qu’y t’avait pris d’aller sacrer la marde là-bas, l’autre jour?
⎯ Ben simple. C’est lui pis ses boys qui m’ont sacré une volée à grands coups de chaînes en arrière de l’épicerie. Du moment que j’ai été correct, je les ai trouvés pis je les ai suivis. Je voulais yinque leur donner la preuve qu’ils m’avaient pas achevé.
⎯ Pis t’as jamais catché que c’était juste en haut de chez Lou…
⎯ Ben non. Je pensais à d’autres choses. Pis y faisait noir. Pis crisse, chu juste allé une fois à part de ça, les nerfs!
⎯ Pis y va se passer quoi tu penses, si tu vas les voir?
⎯ J’vas sonner. Y va demander c’est qui. J’vas dire mon nom, y va s’en rappeler. Y va ouvrir. J’vas sourire pis j’vas y passer une chaîne autour du cou, j’vas le faire mettre à genoux, j’vas fermer la porte, pis après ça on va rire.»

Lou était réveillée, maintenant appuyée entre les deux sièges. «Je te garantis, grand innocent de crisse, que si jamais tu remets les pieds là-bas, mon voisin y peut compter sa voisine dans sa gang. Pis le monde qui essaient de me passer par-dessus, je les laisse croire que tout va ben, pis à la dernière minute, TCHACK! je mords. Fort. Tu t’essaieras, on va rire.»

Puis elle est retournée s’étendre.

***********

«Tu tourneras icitte, Paré.
⎯ Pour?
⎯ Ben, pour me reconduire chez nous. Après ça tu droppes Lou pis après ça tu t’en vas chez v… oh, fuck. Oublie-ça.
⎯ On va juste passer chez nous pareil.
⎯ Pourquoi, ça?»

Arrêté à un coin de rue, il a pris son temps pour me dire, me regardant dans les yeux avec un sérieux que je ne lui connaissait pas: «Pour ramasser ma brosse à dents. C’tu correct?»

Sa brosse à dents, à Paré, elle devait être au beau milieu du monticule que formaient ses affaires au coin de la rue. Monticule qui, cependant, baissait à vue d’œil avec l’aide des éboueurs. «MAUDIT CÂLISSE DE CRISSE!!!!!!»

Je peux comprendre qu’il soit sorti de sa voiture toujours en marche pour courir et faire le coup de la corde à linge à l’éboueur, qui lançait sans considérations sa guitare dans le gouffre du camion. Seulement, nous tenir au courant, ne serait-ce qu’un minimum, de son idée de ne pas arrêter la voiture aurait aiguisé mon réflexe pour l’empêcher de dévier dans une autre stationnée en bord de route. J’embrayai au neutre en faisant grincer la transmission, coupai le contact, puis nous sortîmes en trombe de la Jetta. Je désignai Lou pour s’occuper du propriétaire de la voiture accidentée qui descendait ses marches en vociférant des phrases qui ne m’atteignaient pas. Puis je me précipitai vers le camion à déchets, où Paré devait composer avec deux éboueurs qui lui donnaient la réplique. Je ne pouvais quand même pas le laisser se faire dérouiller deux fois en deux jours.

Je sautai au cou de celui qui venait en aide à l’autre, plus par désir de l’écarter que de lui faire du mal. Il m’envoya aussitôt valser contre un pare-choc et le chauffeur du camion vint m’y maintenir. Paré était pris d’un accès de rage, je ne l’avais encore jamais vu ainsi. Il luttait en corps à corps avec les éboueurs en criant, presque au bord des larmes. Des gens apparaissaient aux fenêtres, Lou élevait le ton et essayait d’empêcher son homme de se jeter dans la mêlée. Alors que je me débattais, mon éboueur me mit hors de portée en m’assénant un sale coup de poing au ventre. Puis Paré parvint à se défaire de la double emprise des gars de la ville et se rua vers son amas de biens personnels pour attraper sa pagaie puis s’avancer en balayant l’air de mouvements latéraux. Son arme sifflait et accompagnait sa plainte de désespéré. Les éboueurs reculèrent en levant les mains. « On fait notre job, nous autres, on a rien contre toé…
⎯ BEN ALLEZ LA FAIRE AILLEURS, VOT’ CRISSE DE JOB SALE PIS LAISSEZ-MOI MES AFFAIRES, C’TU CLAIR???
⎯ Cool, mon gars. Mais pose ça, ok?
⎯DÉCRISSEZ D’ICITTE!!! TU SUIIIIIITE!!!»


Il s’assit sur son coffre à outils et se mit à pleurer. J’allai rejoindre Lou et l’homme de la voiture accidentée. Nous avons redoublé de délicatesse pour le convaincre de ne pas en rajouter. Je lui donnai mon numéro de téléphone et lui demandai d’attendre au moins un jour et qu’il pourrait rejoindre Paré et s’arranger à tête reposée. Il n’y avait qu’à jeter un œil du côté de mon ami pour constater que visiblement, quelque chose ne tournait pas rond. De loin, Paré était presque attendrissant.

Lou alla le voir alors que je déplaçais la voiture du lieu de l’accident. Je me stationnai le mieux possible, tout près. Dans le vacarme décroissant des éboueurs, nous avons fait un tri dans les affaires de Paré pour remplir la Jetta avant d’aller porter le reste dans son ancien appartement. J’ai dû déployer un maximum d’efforts pour convaincre son ancienne blonde, qui ne m’a même pas dit son nom, de reprendre le reste du matériel. Elle est allée se terrer dans une chambre alors que Lou et moi faisions des allers-retours jusqu’à avoir tout rentré. Paré, maintenant tout petit, nous attendait dans l’auto.

Nous avons quitté lentement l’ancien quartier de Paré et c’était moi au volant, assis sur le bout du banc. Le front appuyé dans la paume de la main, il sifflait à voix basse des injures envers la responsable de tous ses malheurs, selon ses dires. Me vint en tête de lui demander s’il aurait préféré qu’elle fasse une vente de garage, mais j’ai eu la décence de me retenir. Nous déposâmes Lou chez elle à contre-cœur – son au-revoir à Paré fut long et intense – puis nous avons repris le chemin vers chez moi. Que dis-je, vers chez nous.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je l'ai attendu longtemps ce chapitre là... et j'ai aussi hâte de lire le prochain! :)J'adore ton style d'écriture!