mardi 21 septembre 2010

Le jour des poubelles, chapitre 28


« Mais là, Manu, j’ai rien à me mettre…
⎯ Come on, Lou, là, t’as juste à t’habiller en noir. Je t’ai déjà vue avec du linge noir…
⎯ En noir sport, oui. Mais j’ai pas de linge chic…
⎯ Ben là, ta petite robe en coton, avec un motif de fleurs dans le bas, là…
⎯ Mais c’est sport, ça!
⎯ T’es pas dans un catalogue Sears, Lou, du linge sport dans’ vraie vie c’est des joggings pis des snicks! Lâche-moi avec ça, t’as juste à pas venir, d’abord…
⎯ …Tu le penses-tu vraiment?
⎯ Mets-toi du linge noir pis sois chez nous dans une heure, ok?
⎯ Oui. Ok… Mais j’ai pas de souliers…
⎯ Lou! Crisse!
⎯ Ok, s’cuse. J’arrive.»

Je ne voulais pas m’emporter contre Lou. Je savais bien qu’elle n’était pas superficielle à ce point. C’était un peu sa façon de gérer ses troubles émotifs. Elle était nerveuse, ça se sentait dans sa voix. Aucun doute que son idée première n’était pas de m’imposer ses problèmes vestimentaires le matin de l’enterrement de mon père. On se connaissait assez pour ne pas en faire un cas. «T’es sûr que tu veux pas que j’y aille?
⎯ Paré, coudonc. Veux-tu ben me dire c’que tu ferais-là? Arrête avec ça, merde. Tu le connaissais même pas, mon père.
⎯ Ouin, mais toi, j’te connais.
⎯ Ben justement, chu pas mort encore.
⎯ Je veux juste t’aider, moi.
⎯ Ben si tu veux m’aider, ramasse tes traîneries pis fais un ménage. Genre laver le plancher. Y’a des bonnes chances qu’y se ramasse pas mal de monde icitte après.
⎯ On serait mieux d’attendre, d’abord.
⎯ Attendre quoi?
⎯ Le plancher. Si y’a plein de monde qui viennent le salir…
⎯ Gros lâche…»

Il filait doux depuis notre retour. Nous avions appris la mort de mon père alors que nous montions le deuxième voyage de ses affaires à mon appartement. Nos pas lourds dans l’escalier avaient aussitôt fait sortir Carlos de chez lui. «Crisse, bro, t’étais où? On t’a cherché comme des hostie de malades!
⎯ J’étais pas là, man, juste pas là.
⎯ Ben c’parce qu’y est arrivé une grosse marde, pendant que t’étais pas là. Une hostie de grosse marde…»

J’avais les bras pleins et il me restait encore deux ou trois marches à monter. J’avais senti mes genoux fléchir. Mon père me revenait en pleine face. Quelle autre grosse marde aurait-il pu arriver? Carlos n’avait eu besoin de rien me dire. Mais quand même, à l’amorce de sa phrase «Le père est mort hier», mes bras avaient lâché tout ce qu’ils tenaient et j’étais tombé vers l’arrière. Si Paré n’avait pas été quelques pas plus bas, peut-être le restant du clan Camacho aurait-il célébré des funérailles doubles. Nous avons déboulé quelques marches, mais Paré a bien géré l’incident. Eddie, qui sortait sur la galerie à ce moment, a bien failli recevoir un coffre à outils par la tête. Funérailles triples.


J’ai repris connaissance dans le salon, chez Eddie. Mes deux frères, ma belle-sœur et Paré m’observaient avec curiosité alors que mes yeux s’ouvraient. Ma perception des choses était peut-être encore un peu vague, mais il m’a semblé les voir se féliciter.

Plus tard, autour de la table avec un thé fait de fleurs qui rendait Paré perplexe, les frères nous ont raconté les évènements du jour d’avant. Peu d’évènements, en fait, plutôt un constat. Le père avait rendu l’âme comme il avait vécu sa vie, cinglant et sournois, alors que ma mère avait quitté son poste de veille pour aller aux toilettes. «Salut Augusto, vieux fou, lui avait-elle chuchoté à son retour. On pourra pas dire qu’on s’est emmerdés, ni qu’on a manqué notre coup… T’as le bonjour de tes gars, en tout cas. On se voit bientôt, ok? Mais bon, attends-moi pas trop. Fais tes affaires, je m’occupe des miennes, pis on se voit plus tard. Je t’embrasse, mon beau grincheux.»

«Pis la mère, elle est où, elle va comment?
⎯ Elle est avec ses sœurs, là, dit Eddie. Mais tsé, va falloir s’en occuper, Manu.» Il regarda Paré qui, avec son gros doigt, jouait dans son thé. « J’imagine ben que c’est nous autres qui vont la garder à coucher…
⎯ Pas moé en tout cas, crut bon de spécifier Carlos.
⎯ Ben là, fait pas de l’attitude, Eddie, t’es toujours ben le seul de nous autres qui a une chambre d’invités pour de vrai…
⎯ Ben c’est ça, l’affaire… Il prit une pause pour regarder Karine qui hocha la tête, de façon presque imperceptible. Ça sera pus une chambre d’invités dans pas long…
⎯ Coudonc, kess vous allez faire avec? dit Carlos. Une chambre pour ceux qui sont pas invités?» Il éclata de rire en donnant un coup à Paré.

Ce n’était pas une surprise, on savait bien que ce n’était qu’une question de temps avant qu’Eddie et Karine ne deviennent des parents. Mais la situation était drôlement choisie. Parfaitement choisie, en fait. Comme si le vieux venait de donner le relai. «Vous êtes sérieux? Ben voyons! Chu donc ben content!» Je me levai pour les prendre tous deux dans mes bras. On a pleuré, de joie, de tristesse, de n’importe quoi. «C’est juste plate de penser que lui pis son grand-père vont s’être manqués d’une coupe’ de mois…
⎯ Han? Qui ça, le grand-père? De quoi vous parlez, coudonc?
⎯ Je pense que ton frère pis sa blonde vont avoir un enfant, mon Carlos.
⎯ De quoi, Paré, t’as tout’ catché ça, toi là?
⎯ Drette bang de même, mon homme. Facile.
⎯ C’tu vrai, bro, tu vas avoir un flot?
⎯ On dirait ben, oui.
⎯ Tu l’as-tu dit à’ mère?
⎯ Pas encore, non.
⎯ Ben kess t’attends?
⎯ Le moment opportun, Carlos.
⎯ Moment opportun, moment opportun, les nerfs avec tes mots à dix piasses.
⎯ Moi, j’vas pouvoir le garder, le p’tit. Ça va me faire plaisir.»

Nous nous sommes tous retournés vers Paré, qui nous regardait maintenant les yeux arqués derrière sa tasse de thé. Notre interrogation collective tenait autant au concept plutôt dérangeant de le voir s’occuper d’un nouveau-né qu’à celui de le savoir encore parmi nous neuf mois plus tard. «Ben quoi?
⎯ Rien, dit Karine. Merci Paré, on va regarder ça. On a toujours besoin de gardiennes, j’imagine.
⎯ Une gardienne! dit Carlos. Un coup ben mal pris…
⎯ Tant qu’à être dans les nouvelles, dis-je, j’aurais de quoi à vous proposer… J’eus l’attention assez rapidement. Paré viendrait habiter dans le bachelor… si c’est correct avec vous autres.
⎯ Le bachelor? Mais c’est pas habitable encore…
⎯ J’vas m’arranger pour, dit Paré. J’ai déjà fait de la réno, je suis capable de faire une coupe’ d’affaires, pareil.»

Je voyais Eddie qui ruminait. Si mon plus jeune frère brillait souvent par son caractère irréprochable, quand il était irrité, il ne tournait jamais autour du pot. Je le sentais venir.
«J’vas être ben franc mon Paré, je te connais pas ben ben, mais je peux pas dire que je trippe sur ton cas, à date. De ce que je sais, tout ce que t’as amené à mon frère, c’est de la marde, pis je me demande ben pourquoi y s’est pas encore débarrassé de toi.»
Paré me regarda avec des yeux de bébé chat. Je n’avais encore jamais envisagé cette possibilité. Je n’en avais aucune idée. «Tsé, je reste poli parce que je respecte mon frère. Pis j’vas te dire, avec le flot qu’y s’en vient, je suis pas convaincu de tripper sur le fait que t’habites juste en-dessous de chez nous.
⎯ Je te jure Eddie que j’en ai eu ma claque, des problèmes. J’ai pus envie de rien de tout ça, j’veux me virer de bord, j’ai pus envie de faire de conneries, j’vas être clean.»

Alors que je perçevais la déception de Carlos face à cette possibilité de fournisseur à domicile qui s’envolait en fumée, je me gardai de préciser que les problèmes risqueraient bien de ressurgir par eux-mêmes, comme de la moisissure sous la peinture. Qu’il le veuille ou non. «Regarde, Eddie, c’est pour aider, tout ça, là. On va… on va… on va s’arranger pour que tout aille bien, ok?»

Ce que je devais être convaincant. La conversation fut coupée par Paré, qui s’étouffait avec sa fleur de thé.

***********


Somme toute, j’avais de la gueule, avec mon habit noir, chemise noire et cravate noire. Je me disais que je pourrais bien m’habiller plus souvent ainsi quand la futilité de mes réflexions fut balayée par tout ce qui s’en venait. La famille complète, voir ma mère (je ne lui avais encore parlée qu’au téléphone) et la forte possibilité d’avoir à justifier mon absence le jour du décès de mon père. Je connais ma famille. Et je sais à quel point elle a le potin facile.

Paré avait entrepris le ménage du plancher presque aussitôt après que je lui en ait parlé. Voilà qu’il sifflait en passant le balai. Je le laissai faire, le pauvre, son estime personnelle devait être au plus bas. J’entendis des pas dans l’escalier. Ça devait être Lou qui arrivait. J’allai directement à la porte et je l’aperçus montant les dernières marches, le visage exaspéré, les bras chargés de deux gros sacs. Néanmoins plutôt élégante. J’ouvris. «Hey. Ça va? Kess tu fais avec tout ça? Elle me regarda, incertaine, et des larmes commencèrent à couler.
⎯ Je peux pas vivre chez nous, Manu, ça a pus de bon sens, je me retiens aux dix minutes de pas monter chez les voisins pour tout’ décrisser à coups de batte de baseball…
⎯ Ha! Tu y as pris goût, hein?
(Lou et moi en chœur) ⎯ PARÉ, TABARNAK!
⎯ ok ok ok…
⎯ Fait que… tu t’en viens vivre… ici?
⎯ Si ça te dérange pas…?
⎯ Ben, eh, ouf, eh, ben non, Lou, on va juste être serrés…
⎯ On va se coller, Manu.
⎯ Oui, ben ok. Mais on flye, là, Eddie va nous attendre.
⎯ Ok Manu.
⎯ C’est bon Lou, mais arrête de me regarder de même, s’il te plaît.
⎯ Merci Manu.
⎯ OUI OUI! Ok, de rien, mais GO!
⎯ Je l’aimais ton père, Manu.
⎯ … Oui, moi aussi. Merci.
⎯ T’as-tu pleuré, à date?
⎯ J’ai pas eu le temps.
⎯ Ça serait peut-être bon, avant de partir, non?»

Les larmes se bousculèrent aussitôt, mais en même temps que le klaxon d’Eddie qui commençait à s’impatienter. Je retins tout ça et ça me fît l’effet d’un hoquet en même temps qu’un éternuement.

Nous sommes sortis et refermant la porte, j’espérais très fort qu’à mon retour, Paré n’ait pas décidé d’adopter un chat qui traînait dans la ruelle.

lundi 20 septembre 2010

When You are Engulfed in Flames, de David Sedaris



Back Bay Books, 2008, 323 p.

C’est tout à fait au hasard que je suis tombé sur David Sedaris, d’abord par ce même livre, mais en version audio, lu par l’auteur. Après trois minutes, je savais que je m’y plairais. Et pourtant, rien au départ ne nous prédispose à bien nous entendre, lui et moi. On constatera rapidement que Sedaris est un homosexuel plutôt princesse, snob confirmé et assumé en plus de n’avoir pratiquement aucun désir d’interaction avec son prochain (du genre, habiter longtemps une maison en Normandie et se refuser catégoriquement à apprendre le français).

Cependant, ces traits plutôt maniérés et drastiques confèrent à Sedaris un talent évident d’observateur et de conteur. Les textes qui composent ce recueil nous viennent de rien et de tout. Dans la majeure partie des cas, le texte part sur une note anecdotique, souvent banale, dérape de façon impromptue vers un sujet de fond et se termine sur un retour à l’anecdote (qu’on avait oubliée) qui donne au texte un tout nouveau sens, une toute nouvelle profondeur. Et pendant ce temps-là, on aura beaucoup ri et on se sera même senti intelligent. Habile auteur.

Sedaris raconte tout sur le ton de la confidence, n’hésite pas une seconde à se mouiller, à dresser de lui un portrait peu favorable, pour le plaisir du lecteur. Même chose pour Hugh, son amoureux, qui fait partie intégrante du projet. Doit pas toujours tripper.

La dernière partie du livre s’intitule « the smoking section » et fait la chronique des tentatives de Sedaris pour arrêter de fumer, puis pour assumer le fait d’être non-fumeur, et le rester. Un bonne partie de cette section se déroule au Japon. Parallèlement à ses déboires de fumeur se déroule son apprentissageardu de la langue japonaise. Oui, vous avez bien lu, le dude refuse d’apprendre le français, mais se lance dans le japonais. Quoiqu’il en soit, un soir, au Japon, survient un petit tremblement de terre. La réflexion de Sedaris sur le coup : Ça serait vraiment fâcheux de mourir deux semaines après avoir arrêté de fumer. Avoir su, merde.

Puis, dans son apprentissage du français, il raconte qu’après un certain temps, il a compris que la plupart des conversations avec des français étaient superficielles et qu’il pouvait s’en sortir en disant simplement « d’accord! » C’est un grave plaisir de lire ensuite toutes les situations embarassantes dans lesquelles ce « d’accord! » a pu le mener.

J’ai passé mon été avec Sedaris, à petites doses, et je constate qu’il y a cinq autres livres. Je ferme les yeux, pige dans le tas et me relance, en toute confiance.

dimanche 5 septembre 2010

Le jour des poubelles, chapitre 27


Paré avait attendu, pour s’arrêter, de trouver une halte routière qui ne serait pas trop occupée, ce qui arriva après une heure de route. Sans rien nous dire, il était sorti de la voiture pour défaire son pantalon, face à la portière ouverte. «Kess-tu fais là, coudonc?
⎯ De la magie!»

Et Paré, les doigts coincés dans sa ceinture, qui sortait un sachet en souriant. Fier de son coup, il me le lança, avant de reprendre place «C’est mon emergency kit.
⎯ Tchecke l’autre qui parle en anglais! dit Lou.
⎯ Me semble que je ferais une belle ligne, là, tu me prépares-tu ça, mon Manu?
⎯ Eeh, ben, oui. Ben oui.»

J’ai détaché ma ceinture de sécurité pour ensuite chercher une plateforme quelconque. Je pris le cd de Sam Cooke, pour me raviser, Neil Young ferait mieux l’affaire. Après avoir consulté Lou d’un regard, j’ai préparé trois lignes, deux petites et une grosse. Je n’ai aucune idée sur comment j’ai pu faire mon compte, mais au moment de présenter à Paré sa collation, j’eus un genre de spasme qui me fit tout renverser entre les deux sièges, dans le coin du frein à main. «Voyons donc maudit hostie! Kess-t’as fait là?
⎯ S’cuse-moi Paré, j’ai merdé.
⎯ Je pourrais toute sacrer par la fenêtre aussi, ça éviterait de faire le ménage! Maudit crisse!»

Nous sommes parvenus à en ramasser une bonne partie, mais il en restait quand même pas mal dans les racoins, inatteignables avec les outils de fortunes que nous avions trouvés. «On laissera pas ça aller, calvaire.»

Paré travaillait fort à trouver un moyen, se tordait dans tous les sens, essayait de se pencher pour porter son nez entre les deux sièges. Le moyen le plus pertinent que nous avons trouvé fut d’ouvrir les portes, de nous étendre à plat ventre, les jambes dans le vide et d’aller jouer à l’aspirateur. D’où la beauté de la halte routière peu fréquentée. «C’t’un beau ménage, ça les boys! Les tapis auraient besoin d’une job aussi, je pense…»
Il était clair que nous avions ramassé au passage quelques débris de tout acabit. Quoiqu’il en soit, nous avions ensuite repris la route à fière allure avec notre maison comme principal objectif.
La mienne, dans le cas de Paré.


Comme si la frontière avait été la source de tous nos problèmes, nous avons soupiré de soulagement en nous faisant souhaiter la bienvenue au Québec. Rendu là, Paré et moi, on avait pas mal de jasette, on chantait les chansons à la radio, on criait par les fenêtres ouvertes. Lou dormait à l’arrière. «Mais là, l’gros, tu vas faire quoi avec ça, là?
⎯ Avec quoi?
⎯ Ben, la mafia de Niagara, là… Tu vas-tu aller les voir?
⎯ Je sais pas trop…
⎯ T’es mieux de t’assurer que Lou soit pas dans le coin, si jamais tu fais ça. Pas sûr qu’à te laisse monter les marches, moi…
⎯ J’vas passer par-dessus.
⎯ Non mais ça t’arrive-tu des fois de répondre sérieux quand on te dit quelque chose de sérieux?
⎯ Chu sérieux, Man. Je passe par dessus le bout de cul. Facile.
⎯ Mais kessé qu’y t’avait pris d’aller sacrer la marde là-bas, l’autre jour?
⎯ Ben simple. C’est lui pis ses boys qui m’ont sacré une volée à grands coups de chaînes en arrière de l’épicerie. Du moment que j’ai été correct, je les ai trouvés pis je les ai suivis. Je voulais yinque leur donner la preuve qu’ils m’avaient pas achevé.
⎯ Pis t’as jamais catché que c’était juste en haut de chez Lou…
⎯ Ben non. Je pensais à d’autres choses. Pis y faisait noir. Pis crisse, chu juste allé une fois à part de ça, les nerfs!
⎯ Pis y va se passer quoi tu penses, si tu vas les voir?
⎯ J’vas sonner. Y va demander c’est qui. J’vas dire mon nom, y va s’en rappeler. Y va ouvrir. J’vas sourire pis j’vas y passer une chaîne autour du cou, j’vas le faire mettre à genoux, j’vas fermer la porte, pis après ça on va rire.»

Lou était réveillée, maintenant appuyée entre les deux sièges. «Je te garantis, grand innocent de crisse, que si jamais tu remets les pieds là-bas, mon voisin y peut compter sa voisine dans sa gang. Pis le monde qui essaient de me passer par-dessus, je les laisse croire que tout va ben, pis à la dernière minute, TCHACK! je mords. Fort. Tu t’essaieras, on va rire.»

Puis elle est retournée s’étendre.

***********

«Tu tourneras icitte, Paré.
⎯ Pour?
⎯ Ben, pour me reconduire chez nous. Après ça tu droppes Lou pis après ça tu t’en vas chez v… oh, fuck. Oublie-ça.
⎯ On va juste passer chez nous pareil.
⎯ Pourquoi, ça?»

Arrêté à un coin de rue, il a pris son temps pour me dire, me regardant dans les yeux avec un sérieux que je ne lui connaissait pas: «Pour ramasser ma brosse à dents. C’tu correct?»

Sa brosse à dents, à Paré, elle devait être au beau milieu du monticule que formaient ses affaires au coin de la rue. Monticule qui, cependant, baissait à vue d’œil avec l’aide des éboueurs. «MAUDIT CÂLISSE DE CRISSE!!!!!!»

Je peux comprendre qu’il soit sorti de sa voiture toujours en marche pour courir et faire le coup de la corde à linge à l’éboueur, qui lançait sans considérations sa guitare dans le gouffre du camion. Seulement, nous tenir au courant, ne serait-ce qu’un minimum, de son idée de ne pas arrêter la voiture aurait aiguisé mon réflexe pour l’empêcher de dévier dans une autre stationnée en bord de route. J’embrayai au neutre en faisant grincer la transmission, coupai le contact, puis nous sortîmes en trombe de la Jetta. Je désignai Lou pour s’occuper du propriétaire de la voiture accidentée qui descendait ses marches en vociférant des phrases qui ne m’atteignaient pas. Puis je me précipitai vers le camion à déchets, où Paré devait composer avec deux éboueurs qui lui donnaient la réplique. Je ne pouvais quand même pas le laisser se faire dérouiller deux fois en deux jours.

Je sautai au cou de celui qui venait en aide à l’autre, plus par désir de l’écarter que de lui faire du mal. Il m’envoya aussitôt valser contre un pare-choc et le chauffeur du camion vint m’y maintenir. Paré était pris d’un accès de rage, je ne l’avais encore jamais vu ainsi. Il luttait en corps à corps avec les éboueurs en criant, presque au bord des larmes. Des gens apparaissaient aux fenêtres, Lou élevait le ton et essayait d’empêcher son homme de se jeter dans la mêlée. Alors que je me débattais, mon éboueur me mit hors de portée en m’assénant un sale coup de poing au ventre. Puis Paré parvint à se défaire de la double emprise des gars de la ville et se rua vers son amas de biens personnels pour attraper sa pagaie puis s’avancer en balayant l’air de mouvements latéraux. Son arme sifflait et accompagnait sa plainte de désespéré. Les éboueurs reculèrent en levant les mains. « On fait notre job, nous autres, on a rien contre toé…
⎯ BEN ALLEZ LA FAIRE AILLEURS, VOT’ CRISSE DE JOB SALE PIS LAISSEZ-MOI MES AFFAIRES, C’TU CLAIR???
⎯ Cool, mon gars. Mais pose ça, ok?
⎯DÉCRISSEZ D’ICITTE!!! TU SUIIIIIITE!!!»


Il s’assit sur son coffre à outils et se mit à pleurer. J’allai rejoindre Lou et l’homme de la voiture accidentée. Nous avons redoublé de délicatesse pour le convaincre de ne pas en rajouter. Je lui donnai mon numéro de téléphone et lui demandai d’attendre au moins un jour et qu’il pourrait rejoindre Paré et s’arranger à tête reposée. Il n’y avait qu’à jeter un œil du côté de mon ami pour constater que visiblement, quelque chose ne tournait pas rond. De loin, Paré était presque attendrissant.

Lou alla le voir alors que je déplaçais la voiture du lieu de l’accident. Je me stationnai le mieux possible, tout près. Dans le vacarme décroissant des éboueurs, nous avons fait un tri dans les affaires de Paré pour remplir la Jetta avant d’aller porter le reste dans son ancien appartement. J’ai dû déployer un maximum d’efforts pour convaincre son ancienne blonde, qui ne m’a même pas dit son nom, de reprendre le reste du matériel. Elle est allée se terrer dans une chambre alors que Lou et moi faisions des allers-retours jusqu’à avoir tout rentré. Paré, maintenant tout petit, nous attendait dans l’auto.

Nous avons quitté lentement l’ancien quartier de Paré et c’était moi au volant, assis sur le bout du banc. Le front appuyé dans la paume de la main, il sifflait à voix basse des injures envers la responsable de tous ses malheurs, selon ses dires. Me vint en tête de lui demander s’il aurait préféré qu’elle fasse une vente de garage, mais j’ai eu la décence de me retenir. Nous déposâmes Lou chez elle à contre-cœur – son au-revoir à Paré fut long et intense – puis nous avons repris le chemin vers chez moi. Que dis-je, vers chez nous.

Retenir les bêtes, de Magnus Mills


(The restraint of beasts, 1998)
10/18, 2000, 214 p.

Ce livre-là, il a été lu en grande partie sur la terrasse du café O’soleil à St-Gédéon.durant une journée de vacances pluvieuse qui a balayé tout espoir de camping sur la plage. Magnus Mills, c’est un écrivain anglais que vous ne connaissez probablement pas. La seule longueur d’avance que je peux avoir sur vous, c’est d’avoir lu ce livre, trouvé au hasard sur une table de liquidations il y a quelques années. Je ferai pas semblant de savoir c’est qui, pas plus que je me lancerai à faire des recherches. D’accord?

Retenir les bêtes, si ce n’est pas un grand livre, c’est au moins un divertissement fort efficace. L’histoire nous est contée par un écossais dont on ne sait pas le nom. À sa grande surprise, il est nommé contremaître et devra diriger une équipe de deux gars, Tam et Richie, deux rednecks lambineux qui ne peuvent fonctionner l’un sans l’autre. Le travail à accomplir : poser des clôtures.

Avec un peu moins du minimum de leadership requis pour accomplir sa nouvelle tâche, notre contremaître part avec ses deux impertinents pour réparer une clôture qui se serait détendue, avec un client qui suit les activités d’un peu trop près. Un accident est si vite arrivé. Ce qui est bien, quand on pose des clôtures, c’est qu’on a déjà tout le matériel pour creuser le sol.

L’équipe est ensuite envoyée en Angleterre dans une caravane délâbrée pour construire une clôture à moutons. Trois ouvriers écossais qui débarquent dans un petit bled anglais, c’est loin de passer inaperçu. Surtout quand, le soir au pub, ils insistent pour boire leur bière dans un verre standard plutôt que dans l’habituelle chope.


Si les personnages et leurs conneries font en sorte que l’on tourne les pages en vitesse et avec le sourire, la monotonie de leur travail alourdit un peu le texte. Ça creuse des trous, ça enfonces des pieux avec une mailloche, ça tire des fils des fer. Et des fois, ça tue des gens. Et ça fume des clopes, surtout.

J’imagine que la version originale fait mieux état des différences entre anglais et écossais. Probablement des blagues que je n’aurais pas comprises de toute façon.

Tout ça pour dire que ce roman a fait en sorte qu’au retour de mes vacances, en traversant le parc, j’ai été rempli d’admiration pour les gars qui ont posé les clôtures à orignaux. Mes respects, les boys.