lundi 30 novembre 2009

Le jour des poubelles, chapitre 14


Je rattrapais les retards comme l’employé que je n’avais jamais été. Mes interventions à Jean se limitaient au strict minimum, les seuls bruits qui occupaient l’espace étant ceux de nos outils, celui de la radio et Jean qui réagissait aux lignes ouvertes, seul de son côté.

J’en étais encore à avaler la pilule. Après notre danse de la veille, après le baiser raté, après l’avertissement de la co-équipière de Sandra, j’étais retourné à ce qui restait de ma bière que j’avais vidée d’un trait, décidé à foutre le camp au plus vite. Sandra était réapparue en plein milieu d’une gorgée un peu ambitieuse. Ça aurait bien pu passer de travers si elle n’avait été interceptée en chemin, ce qui me permit d’ingérer adéquatement avant de prendre la fuite. «Coudonc, me dit Jean, prends-donc le temps de respirer un peu, là…
⎯ C’est toi qui me dit ça? Monsieur on-a-tellement-de-job-qu’y-faudrait-travailler-la-nuit-pis-pas-prendre-de-breaks?
⎯ Pogne pas le nerfs, Manu, j’veux yinque te dire que tu bardasse pas mal pis que tu sables comme un défoncé. Si tu continues de sabler pis souffler de même, tu vas tomber sans connaissance, pis tu vas avoir une tendinite en plus.
⎯ Pis toi tu vas te retrouver pas de helper, je gage?
⎯ Ben là, j’ai pas dit ça…
⎯ Mais tu l’as pensé.
⎯ Coudonc, toé, kessé que t’as mangé à matin? T’as-tu eu une mauvaise baise, quek’chose?
⎯ Viens voir, pour le fun, si la job est mal faite!
⎯ C’pas ça que je dis, crisse! Je fais yinque te dire de prendre ça relax un peu, pis deux secondes après tu me cries par la tête…
⎯ Ben pour toutes les fois que t’es pas du monde, Jean Lemieux, je peux-tu être pas du monde tranquille moissi pis avoir la paix?»

En trois ans, c’était la première fois que je levais le ton à son endroit. Bien entendu, à un nombre incalculable de reprises, je me serais volontiers emparé d’un tournevis plat pour le lui planter dans la gorge, les yeux, ou tout simplement dans le gras. Genre de chose qui me faisait rêver et qui m’apaisait. Je m’imaginais lui enfoncer l’objet loin, loin dans l’adipeux et calculer son temps de réaction avant de comprendre que quelque chose ne tournait pas rond. Mais, en bon employé, je m’étais toujours retenu à temps.
Jean resta interdit à ma dernière réplique. Il n’avait pas l’habitude de se la faire fermer. Le silence qui régnait maintenant laissait la porte ouverte à deux options. Ou bien il se rétracterait, ou bien exploserait.
Je continuai mes affaires sans lui porter attention. Je mis de côté mon travail en cours pour m’attaquer à la guitare de Jack Turbine. Le genre de chose que Jean n’arrivait pas à comprendre, mais j’avais ma méthode.
Je commençai par passer un linge sur l’étui couvert de poussière. Je l’ouvris et une odeur d’humidité me monta au nez. Je coupai les cordes rouillées à l’aide d’une pince et jetai le tout à la poubelle. J’avais maintenant peur de jeter un œil par la porte. J’étais parti en sauvage et à moins d’un miracle, j’aurais des explications à fournir. J’étais conscient que j’aurais pu agir plus intelligemment, mais ça avait été plus fort que moi. Un vrai pissou. «Tu commences la guitte à Turbine?
⎯ Oui.
⎯ Mais t’as pas fini l’autre.
⎯ Non.
⎯ Pourquoi tu fais ça?
⎯ Je t’écoeure-tu sur tes méthodes, moé?
⎯ Non, pis une crisse de chance, mon gars, parce que je t’aurais clairé ben assez vite.»

J’avais maintenant la main à l’intérieur de la guitare pour en vérifier l’état. Tout semblait en ordre, mais je fus surpris lorsque mes doigts tâtèrent quelque chose de mou. «Hein?
⎯ De quoi?
⎯ Ben, je le sais pas, y’a comme quelque chose de mou dans le body.
⎯ Du mou? Genre du pourri?»
Jean s’était extrait de sa chaise pour venir voir, avec sa respiration bruyante juste au-dessus de mon épaule et son ventre énorme qui poussait dans mon dos. Au toucher, ça semblait être du plastique. Après quelques essais, je parvins à saisir et tirai délicatement. Nos réactions furent les mêmes à la vue de ma main passant la rosace avec entre les doigts un sachet de cocaïne. Puis Jean devint tout excité. «Ah ben tabarnak! J’te jure qu’y les a les cachettes, c’te Jack!
⎯ Qu’y les avait, Jean, ça doit faire quoi, dix-quinze ans que ça traîne là?
⎯ Bah, chu certain qu’y en a encore, des cachettes pareil.
⎯ Pas sûr qu’y se cache encore ben ben, moi…
⎯ Bon ben crisse! C’t’un beau p’tit extra, ça…
⎯ Ben voyons, Jean, ça doit pus être bon.
⎯ Tu penses q ue ça passe date, d’la coke, toé?
⎯ Ben là, je sais pas…
⎯ Si ça se trouve, à va être encore meilleure.
⎯ Comme le vin, genre? Yeah right.
⎯ Ostine moi pas pis fait de la place sur ta table, là…
⎯ Pourquoi? Tu veux faire ça, là?
⎯ Y’est où le problème?
⎯ Ben je sais pas, genre «être à la job avec son boss», c’en est un pas pire, de problème.
⎯ Tu vois-tu des clients? Il tournait sur lui-même en cherchant des clients. Il n’en voyais pas et pour une fois, il était content. J’vas aller barrer la porte en avant pis mettre la pancarte, si tu veux.
⎯ Ça serait la précaution minimum. Je le regardais, un peu ébahi.
⎯ Coudonc, t’as-tu la chienne? T’en as-tu déjà faite?
⎯ Ben oui, là, c’pas ça le problème.
⎯ Fait que c’est quoi le problème?
⎯ Pfffff… Va barrer la porte, d’abord, j’vas nettoyer un peu, qu’on se ramasse pas à couper ça avec du bran de scie.»


Jean revenait dans l’atelier en fredonnant et en claquant des doigts. Au lieu d’avoir fait le ménage sur mon établi, j’avais sorti une retaille d’érable piqué verni qui ferait bien l’affaire. «BON! De quoi? Ç’pas encore prêt?
⎯ Je me suis dit que ça te ferait plaisir que je te laisse préparer tout ça.
⎯ OK, c’est bon. Pendant ce temps là, va ouvrir le safe pis ramasse-nous un bill de cent, ou ben de cinquante, au pire.
⎯ Ben là, Jean, j’ai un cinq icitte, là, ça va faire la même job.
⎯ Manu, crisse, je te demande une affaire, pas compliquée, pis je suis resté poli…
⎯ OK boss…»

Accroupi devant le coffre-fort dans l’attente du déclenchement, j’entendais Jean respirer fort. Mais pour être franc, pour la première fois je l’entendais respirer heureux. J’y comprenais vraiment rien. Et surtout, j’arrivais pas à me dire que c’était une bonne chose.
Jean était probablement dans la meilleure condition que je ne l’avais jamais vu. Seulement, j’appréhendais ce qui suivrait. Sans aucun doute, je m’enlignais sur une expérience qui redéfinirait à jamais notre relation. Pour le meilleur ou pour le pire, ça, c’était encore impossible à dire. Mais si une chose était claire dans ma tête, c’est qu’il y aurait un avant et un après ce qui allait se passer dans les prochaines minutes. Peut-être dans le désir de prolonger l’avant, je passai tout droit au déclenchement du coffre. Il m’a fallu recommencer, et Jean commençait à s’impatienter.





Il avait préparé des portions un peu ambitieuses, à ce qui me semblait. J’avais discrètement réduit les miennes de moitié, mais Jean avait pris d’entrée de jeu deux grosses lignes. La porte arrière et la fenêtre étaient grandes ouvertes, l’air était doux et les pupilles de Jean dilatées au maximum. Mustang fit son entrée en miaulant. Au lieu de me demander comme à l’habitude de sortir le maudit chat, Jean se pencha en lui parlant d’une petite voix que je n’avais jamais entendue. Je n’étais pas convaincu d’être à l’aise avec tout ça. J’aurais peut-être dû m’en réjouir, mais force m’était d’admettre que je préférais mon patron dans son état de désagrément habituel. «Queu qu’y fait le beau ti chat, han? Queu qu’y fait le chat?» Ce à quoi Mustang, probablement aussi surpris que moi, réagit en le griffant au visage. «Aaaaarrrrrghhh!!!! Tabarnak de chat de crisse! Sors-moi c’t’hostie de chat-là d’icitte, câlisse!»

Je ramassai Mustang alors qu’il se sauvait. J’avais envie de le garder avec moi. Il s’agitait un peu, mais je parvins à le calmer et il se mit à ronronner. Ce chat-là ne devait pas avoir un an. Je me demandais bien qu’est-ce qu’il pouvait faire à se balader dans le quartier comme ça.

Jean revenait de la salle de bain où il avait épongé sa blessure, assez minime, dois-je préciser. «Kess-tu fais? Je t’ai dit de le mettre dehors.
⎯ Je sais. Mais j’avais envie de le flatter un peu.
⎯ Chu allergique.
⎯ Pffff, n’importe quoi. T’haïs les chats, c’est toute.»

Il se mit à se gratter les avant-bras, mais clairement que c’était de la frime, Jean faisait de l’eczema de façon chronique. Je raffermis ma prise sur Mustang et lui donnai des becs à la base des oreilles, là où il y a peu de poil. Et maintenant, boss, on fait quoi?

Il s’était assis dans son fauteuil en tapant un beat sur ses cuisses. Il avait les yeux fermés. Je donnais tout ce que j’avais au chat.

«Hostie que c’est bon. Maudit crisse. Je pense que la dernière fois, c’tait v’là cinq ans, une réunion qu’on s’avait faite avec les gars de ma division, dans le temps de Val-Cartier. Les hosties, y’avaient tout’ pogné de quoi en crisse quand y m’avaient vu arriver. Tsé, j’étais quand même pas p’tit dans le temps, mais entre-temps, j’avais comme explosé. Y m’écoeuraient tout la gang, les crisse, y disaient que depuis que j’étais pus dans l’armée, que je m’étais mis à changer ma salade pour une poutine. Ça pis d’autres affaires, genre «Pizz extra-mayo!!!», des hosties de niaiseries. J’avais beau leur expliquer que c’était à cause de mes problèmes de santé, ils s’en crissaient ben, eux autres. Tout le monde était ben chaud. On avait commencé ça dans un resto, pis on avait fini chez un des gars, Gagné, qu’y s’appelait. On était allé là, pis là y’ont fait venir des filles, des hosties de pitounes, j’te jure. Pis après les pitounes, ça a été un des chums à Gagné qui est arrivé. Y’est pas resté longtemps. Juste assez pour aller à’ table pis déposer un paquet tout’ ben ficelé. Y’a ouvert ça en plantant un couteau dedans, pis d’un coup y’avait une load pas possible de poudre su’a table. Le gars y’a ouvert ça, y’a laissé quatre-cinq cartes d’affaire juste à côté du tas, pis y’est parti en nous souhaitant bonne soirée.»

Le téléphone sonna à ce moment-là. Mustang se raidit dans mes bras. Ça m’a ramené à l’ordre, parce que je commençais à tripper un peu fort dans son poil. Jean, lui, n’eut même pas le réflexe de réagir.

«Ça a pas été long que ça a dérapé, c’hostie de soirée-là. Ça dansait, ça sniffait, ça cruisait ferme pis moi, ben tsé, j’étais rendu pu ben ben à l’aise avec les filles, fait que je restais à’table, avec tout’ ce que ça impliquait. Au moins, y’avait Savard itou qui était laitte comme un pet, y restait à’ table aussi. On jasait un peu, on tcheckait les filles danser, on en écoutait quequs’uns fourrer, pis on faisait des lignes, kess-tu veux. Un moment donné, y’a une des filles qui était avec Gingras qu’à l’a lâché pis qu’à s’est en venue drette su moé. J’y croyais pas ben ben, mais crisse, c’était drette ça qui se passait! À s’est en venue pis à me lâchait pas des yeux, je capotais ben raide. Arrivée à’ table, à m’a poussé sur l’épaule pour que je me retourne vers elle. Elle est venue s’assire su moi direct. À s’est mise à me flatter la face, pis le torse, j’étais gelé raide, dans toute les sens du terme, j’te jure. Pis pas long après, à me frenchait à grand gueule pis à se bougait les hanches su moé, je commençais à bander ben raide.»

Et moi je commençais à vouloir me trouver des choses à faire. Mais Jean était sur une lancée. Jamais encore il ne m’avait enfilé autant de mots de suite. Je me sentais un peu privilégié, mais j’avais peine à faire la part entre le privilège et le malaise. Mais Jean était ailleurs et ne se rendait compte de rien.

« La fille à l’a fini par se lever pis me demander de la suivre. Fait que je l’ai suivie. À m’a emmené dans’ chambre à Gagnon pis à m’a poussé sur le lit. Pis là, ben, à s’est mise direct à déboutonner mes culottes…
⎯ Jean…
⎯ Ça commençait à faire un boutte en crisse qu’y avait pas une fille qui était allée voir dans ce coin-là…
⎯ Jean…
⎯ Une qui était pas payée, en tout cas…
⎯ Jean, crisse…
⎯ Même si elle, elle était payée, mais bon, pas par moé…
⎯ Jean! Hostie! Skippe des bouttes!»

À ce moment-là, il riait tout seul. Ça me faisait un peu peur. Mustang dormait dans mes bras, à présent. Je ne savais pas trop qui, entre Jean et moi, l’avait réellement endormi. J’aurais bien aimé être un chat. Un chat, ça ne garde pas en tête l’image d’une pute qui tasse le gras de bide pour faire une pipe à ton gros tas de patron. « ‘Sra pas long, là, j’arrive au boutte le fun.
⎯ Ah, cool...
⎯ Fait que la fille était après me sucer, pis tsé, c’tait une pro pareil, a l’avait en crisse, l’affaire. Fait que, ben… tsé, ça l’a pas duré super longtemps. Pis juste comme que je venais, y’a Gingras qui est rentré dans’ chambre, pis y’était en beau tabarnak. Mais tsé, en beau câlisse. Y s’est mis à m’insulter pis à crier des niaiseries à la fille aussi, comme de quoi qu’à trippait sur les gros, que c’tait le gras qui la faisait mouiller. Pis c’est là que j’ai faite une hostie de niaiserie…»

À ce moment, il avait les deux mains plantées grandes ouvertes sur ses bras de chaise. Grands ouverts les yeux, aussi, fixant un point que lui seul était en mesure de voir. Je m’allumai une cigarette qui le laissa indifférent. Mustang aussi.

« De quoi?
⎯ Ben, je m’en rappelais pus vraiment, mais ça m’est revenu sur le coup, que Gagnon y se gardait toujours son gun à la tête de son lit. Y m’avait déjà dit ça, dans le temps. Je me suis même pas posé la question. Chu venu dans’bouche de la fille pis j’ai tu suite mis mon bras au bout du matelas pis chu tombé su’l gun. Un maudit beau Berretta, crérais-tu à ça? Je l’ai pointé sur lui, comme si c’était la seule affaire à faire. Ma main à shakait, pis j’avais le doigt qui avait le goût. J’avais le goût en crisse. Ça s’est passé super vite, toute ça. Vite de son bord aussi, parce que quand qu’y m’a vu avec le gun, lui, le réflexe qu’y a eu, ça l’a été de ramasser la fille par les cheveux pis de se la mettre en bouclier. Ça virait mal en crisse.»

Rendu là, Jean roula dans sa chaise jusqu’à mon établi et se leva pour refaire une ligne. Je n’avais pas bougé, si bien qu’il se redressa ensuite et qu’il était tout près de moi, avec sa face rougie, ses yeux écarquillés. Puis il renifla un bon coup. Fort. Mustang prit peur et se libéra de mon étreinte en crachant et en griffant. Surpris et apeuré, Jean cria et perdit l’équilibre vers l’arrière. Il tomba tout croche sur sa chaise et tenta de se rattraper en chemin. Mais ce qui était dans le chemin, c’était un manche de basse qui tenait dans l’étau. Le gars à qui ça appartenait se l’était fait craquer dans l’avion. Jean avait fait une belle job de recollage mais là, sortant de sa stupeur, étendu par-terre avec un morceau de manche de basse entre les mains, j’attendais la tempête, l’ouragan, la fin du monde, rien de moins. Il se toucha au front, constata le sang sur ses doigts et comme un enfant, il était dans cette zone-tampon où l’on se demande s’il faut rire ou pleurer. Il prit la première option. Avec un extra-sauce.

Je tentai de rire aussi, mais sans grand succès. Je cherchais le chat, mais j’allai aider Jean à se relever. C’était pas une mince tâche.




Il était debout et riait encore. Une fois que je fus assuré qu’il tenait bien, je me repenchai sur mon établi pour une nouvelle dose. J’avais besoin de forces. Et maintenant, j’étais curieux. «Fait que? C’est quoi qu’y s’est passé après?
⎯ Après ça, y’est sorti de la chambre en tenant la fille par le cou. Le monde se sont mis à capoter raide. Pis moi j’ai relevé mes culottes pis je suis sorti de la chambre. Avec le gun. Ça s’est fermé la gueule assez vite merci. Je savais pus trop ce que je faisais, mais j’étais comme trop avancé pour arrêter, on dirait. Fait que je me suis mis à faire des menaces. Que le prochain qui me traiterait de gros, y’en mangerait une câlisse. Une hostie de sale. La fille trippait pas ben ben.»

Il arrêta son récit pour aller au tiroir barré à clé de son établi. Il chercha ses clés, débarra et se retourna lentement, affichant un sourire béat avec le revolver dans ses mains. Je commençais à suer.

«Le monde se sont mis à dire à Gingras de lâcher la fille. Mais Gingras y’était high ben raide, comprenait comme pus rien. Y serrait la fille au cou encore, pis un moment donné, première affaire qu’on a su, c’est que la fille a flanché raide. Quand ses jambes ont lâché, on a entendu son cou craquer. C’t’une méchante pièce d’homme, le Gingras. Là, les filles, ça s’est mis à crier au martyre, y’étaient toutes à poil pis ça courait après son linge. Dans les gars, personne savait trop quoi faire. Tout le monde était ben trop pété. Moi je restais là avec le gun. Les filles ont tout’ sacré leur camp, pis y nous ont laissés avec le corps mort. Je dis nous, mais je suis parti moi aussi. C’est Savard le premier qui s’est levé de la table pour aller voir la fille. Les autres ont suivi. Pis moi chu sorti. Avec ça.»

Et là il me montra le Berretta. J’avais les genoux mous. «C’est ça, la dernière fois que j’ai faite de la poudre. La dernière fois qu’y a une fille qui m’a touchée, aussi. Toi, c’est quand, la dernière fois?
⎯ Jean… chu pas sûr que j’aime ça que tu pointes un gun sur moi… En fait, j’aime vraiment pas ça.
⎯ Ouin mais là, j’vas pas te tirer dessus!
⎯ Ça, c’est juste toi qui le sait.
⎯ Guidoune… Crisse, chu ton boss, je te tirerai pas dessus, maudit.
⎯ Ouin, mais dans l’armée, y vous disaient pas que ça se fait pas, de pointer un gun sur quelqu’un? Sur un employé, mettons?
⎯ Je l’sais ben. Mais chu pus dans l’armée.
⎯ Crisse, Jean, joue-donc pas au plus fin. Y’est-tu chargé, ton gun?
⎯ Veux-tu ben me dire à quoi ça sert un gun si y’est pas chargé?
⎯ Ok Jean, pose ça tu suite, si-te-plaît.
⎯ Coudonc, t’as-tu la chienne?
⎯ Si ça peut te faire plaisir, OUI, j’ai la chienne. J’ai la chienne en crisse.
⎯ Si tu savais ce qu’y nous faisaient faire, dans l’armée.
⎯ Je m’en crisse, de ton armée! Visiblement, vous êtes tous des hosties de caves! Fait que pose ton gun, sinon je crisse mon camp pis je reviens pas!»

Il eut un léger ricanement. «Tu sors pas d’icitte.»

Je vais me faire cliché, ici, mais s’il y a une chose, avec les clichés, c’est qu’ils prennent racine dans le vrai. Et quand Jean m’a dit cette dernière phrase, c’est carrément le film de ma vie que j’ai vu passer. Mais merde, il passait à TVA un lundi soir et je suis tombé en plein sur une annonce. Puis j’ai explosé, avant même la fin de la publicité. Des bruits de verre éclaté sont venus couvrir le fait que je ne verrais jamais la fin de ce film. J’étais adossé au mur, accroupi avec les jambes qui tremblaient à en sortir de leur socle. Je portai instinctivement une main à mon épaule, main qui me revint couverte de sang. Puis mes yeux firent un focus et je vis Jean, étendu à nouveau sur le sol, inerte.

Il ne me semblait pas trop avoir envie de rire.

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