samedi 11 avril 2009

The captain is out to lunch and the sailors have taken over the ship, de Charles Bukowski


Ecco, 2002, 144 p.

J’ai un peu arrêté de lire Bukowski avant d’avoir passé au travers de tous ses livres. C’est quand même rare que je me rende à ce point avec un auteur. De lire tous ses livres, je veux dire. J’ai arrêté Bukowski au moment où j’ai constaté que les pistes qu’il m’avait données étaient nombreuses, et que je pourrais me lancer par moi-même, tant dans la lecture d’autres auteurs que dans l’écriture.

Bukowski a été pour moi une rampe de lancement. Sans pour autant tomber dans l’idolâterie (je suis loin d’être toujours d’accord avec lui, mais il faut respecter le bonhomme), Bukowski m’a appris que c’était possible. Bukowski m’a appris qu’on pouvait laisser aller, qu’on pouvait ne pas tenir compte des règles établies, faire comme ça nous tente et que ça mène à quelque chose quand même. Que ça PEUT mener à quelque chose.

Ce que je dis là, c’est exactement ce sur quoi chie Bukowski. S’agit pas d’être saoul, d’avoir un foulard et crayon. Faut aussi avoir une certaine rigueur et les idées en place. Quand j’ai lu Bukowski les premières fois, il y avait bien sûr la surprise devant la vulgarité et l’impossibilité des histoires. Mais il y avait surtout un relâchement. Les petites épaules qui slaquent enfin devant un livre qui n’a rien à prouver, qui ne fait qu’être ce qu’il est et pas rien qu’à peu près.

Et y’a aussi que, bien qu’il prétende haut et fort que très peu d’auteurs arrivent à susciter son intérêt, Bukowski nomme des auteurs et donne envie de lire, un peu comme Laferrière, qui m’a présenté Bukowski. Et Bukowski qui m’a présenté Fante. En trois étapes, on a fait beaucoup, beaucoup de chemin.

Vincent a dû m’appeler une douzaine de fois alors qu’il lisait ce livre, il y a un mois ou deux. Chaque fois pour me lire un extrait, ou bien pour me demander qui c’est un tel ou un tel autre. Un tout petit livre de même pas 150 pages, que j’ai lu plutôt lentement (qui m’aurait pris encore plus de temps si j’avais pas fait cinq fois de la salle d’attente cette semaine), mais surtout, un livre qui se lit lentement parce qu’il donne envie d’écrire.

Parlant de salle d’attente. Je suis en train d’y lire Bukowski qui me fait part de son incapacité à interagir. Quelqu’un arrive devant lui, tout excité et lui demande s’il est Charles Bukowski et il répond «Charles Darwin» et le contourne pour continuer son chemin. Je lis là-dessus quand arrive un monsieur italien qui a une patte trop courte et une solide panse. Il s’arrête aux premiers bancs devant une femme de son âge qui a le visage entouré d’un voile, accompagnée de sa fille, beaucoup plus moderne. «Algérienne? Qu’il demande. Marocaine? Tunisienne?
⎯ Turques, répond la fille.
⎯ Turques?
⎯ Oui, la Turquie. Mais on vit ici, on est de Montréal.»

Et le bonhomme qui enchaîne sur la position de la Turquie sur la peine de mort et blah blah blah. Les deux femmes sont embarassées, mais l’écoutent quand même. Elles finissent par être sauvées par la cloche et se lèvent lorsqu’on entend leur nom à l’interphone. Je retombe dans Bukowski et lève le livre à la hauteur de mon visage. Le gars s’approche et s’arrête près du vieux couple devant moi, et continue son histoire. Pauvre Buk, t’aurais foutu le bordel dans la place s’il était venu te voir. Un vieux paumé, ça va vers un autre. Et déjà que ça te prend tout ton change pour passer du temps dans une salle d’attente.


Ce livre a été écrit en 91 et 92. Bukowski avait 71, 72 ans. Son avant dernier-livre, je crois. Les textes qu’on y retrouve sont ceux qu’il écrit, tard le soir, dans son bureau, sur son ordinateur (une invention qui révolutionne sa vie, sa conception de l’écriture), quand il ne travaille pas sur ses poèmes ou sur «Pulp» son dernier roman qui paraît en 1994. C’est donc un Bukowski plus songeur qu’anecdotique qui se livre. Un Bukowski qui se rend bien compte qu’il est rendu vieux et, contre toute attente, célèbre, ce qui n’est pas sans le troubler. Mais y’a pas à dire qu’il se plaît, dans sa belle maison, avec son spa et sa voiture et sa Linda et les neuf chats.

La mort est le sujet principal du livre. Mais l’auteur n’en a pas pas peur. Au contraire. Après avoir passé cinquante ans à brasser de la merde, les vieux jours de Bukowski auront été ses meilleurs. Et pas seulement à cause de la célébrité et de l’aisance financière.

« Being near death is energizing. I have all the advantages. I can see and feel things that are hidden from the young. I have gone from the power of youth to the power of age. There will be no decline. Uh uh. Now, pardon me, I must go to bed, it’s 12 :55 a.m. Talking the night off. Have your laugh while you can…»

S’il ne parle pas de la mort, de l’écriture, des autres qui sont cons ou du courrier qu’il reçoit (ce qui revient aux autres qui sont cons), il nous parle des courses de chevaux. C’est pas la première fois. Mais c’est la première fois que ça ne m’énerve pas. Moins technique, Bukowski parle des courses de chevaux sans réelle passion. Un peu par obligation. Il reçoit des cadeaux de fans, des livres sur les courses, des choses comme ça. Comme s’il était passionné. Les courses de chevaux ne sont que son échappatoire pour la journée. Sinon, il ferat quoi, aller aux jardins municipaux? Come on. Bukowski va aux chevaux, gagne perd, boit et rencontre une grande quantité d’imbéciles. Il attend que passe la journée, c’est le mieux qu’il ait trouvé, avant d’aller s’asseoir devant son Macintosh.

« I go there to sacrifice myself, to mutilate the hours, to murder them. The hours must be killed. While you are waiting. The perfect hours are the ones at this machine. But you must have imperfect hours to get perfect hours. You must kill ten hours to make two hours live. What you must be careful of is not to kill ALL the hours, ALL the years.»

Bukowski est fidèle à lui-même. Il chiâle, bougonne et trouve le monde con, la musique mauvaise. Mais il ne vous fera chier avec ça que si vous allez vers lui, en vrai ou par écrit. Sinon, il le rumine pour se rappeler qu’il est en vie. Et c’est un peu pour ça qu’on va vers lui et qu’on y retourne.

1 commentaire:

Jones a dit…

Bukowski c'est mon père spirituel. Chaque fois que la vie me sacre une volée, c'est en pensant à lui que je trinque.
Bukowski est la liberté même.
T'as du goût Mo!
Luv your blog
(& most of all your music)