mercredi 8 avril 2009

En attendant la mort du chat



Clair qu'on aurait pu être plus pro-actifs. Du genre, se rendre chez le vétérinaire aux premiers signes de maladie. Mais la maladie, chez Jimmy Beaulieu (oui, c'est le nom du chat) s'est développée sournoisement, dans ce que l'on pourrait tristement appeler la moitié de sa vie. Beaulieu s'éteindra demain sous les mains du vétérinaire avant d'avoir passé au travers de sa première année.

Ça a commencé par cette attitude amorphe, ce clair refus de jouer, ne serait-ce que de se défendre lorsqu'on lui fout une dizaine de tapes de file derrière la tête, histoire de le faire réagir. On a mis ça sur la faute de l'hiver. Parce que comme des sauvages, on ne lui a permis de sortir dehors que vers la fin septembre. Un gros mois à tripper dans le gazon et la ruelle, puis cinq autres à regarder la porte sans rien comprendre.

Fin Juin passé, après un déjeuner au restaurant, un matin de solide chicane. Le déjeuner n'avait rien réglé en soi, ce n'était que la moindre des choses pour me faire pardonner, disait Mélie, d'aller passer le jour de sa fête (et la semaine qui va avec) avec deux groupes de musique pour faire des spectacles en Gaspésie. Aucun doute que si elle avait pu choisir, Mélie ne se serait pas jetée sur le 25 juin comme date de fête. Et il fallait qu'elle tombe sur un musicien, invariablement occupé la fin de semaine de la Saint-Jean. Excusez-moi, la fin de semaine de sa fête. Ce cas-là, il est pas encore réglé.

Quoiqu'il en soit, ce matin de juin passé, après le déjeuner, j'avais dirigé Mélie à son insu vers l'animalerie. Arrivée devant la porte que je tenais ouverte, elle s'était arrêtée, confuse. «Qu'est-ce qu'on fait là?
- Je sais ben pas. Entre, on verra.
- Mais là... mais là...»

Le petit gris avait été repêché en première ronde, avec personne d'autre pour se mettre dans son chemin et lui ravir sa position. Dans la demi-heure, il était dans notre salon et le bonheur était revenu à la maison.

Y'a pas à dire, j'avais scoré solide. Un beau but top-net pas d'ouverture, à la Kovalev quand il est en forme. Et le lendemain, j'étais parti pour la semaine en gaspésie, l'esprit un peu plus tranquille, me semblait-il, me disant qu'au moins, Mélie aurait loisir de passer du temps avec un être qui ne lui aurait pas encore causé de tort.

Pas de tort, jusqu'à ce qu'on se mette à prendre personnel le fait qu'il refuse de manger quoi que ce soit. D'abord la bouffe sèche qui avait jusqu'à maintenant constitué son unique régime. Puis le mou, qu'il s'est mis à ne même pas considérer. Et ensuite le thon, le fromage, le lait et toutes ces choses qu'on ne doit pas donner à un chat et qui fait habituellement son bonheur.

Clair qu'on aurait pu être plus pro-actifs. Mais on s'est dit que ça passerait, avec le soleil qui revient et les overdoses d'amour dont on l'affublait, malgré son inertie totale.

Mais il y avait aussi un autre point. Notre peur du bill du vétérinaire.

C'est ce matin que j'y ai fait face. Au bill, et au diagnostic. Ou bien c'est un corps étranger qui bloque la circulation intestinale, ou bien un virus attrapé à l'extérieur qu'on associera non sans remords au rappel de vaccin que nous avons préféré ignorer. D'une manière ou d'une autre, une jaunisse qui se développe, de l'anémie, sous-hydratation, fièvre. Sans compter le poids-santé, perdu dans la brume depuis longtemps.

Dans un premier cas, c'est l'opération pour rétablir la circulation dans les intestins. Entre 700 et 1000$. Sinon, l'hospitalisation, avec le chat branché sur les fluides regénérateurs sans pour autant avoir de confirmation que le problème serait réglé en bout de compte. 400 à 500$.

Avoir été un citoyen normal, j'aurais bien pu me dire qu'au pire, je paye ça avec le retour d'impôts. Mais, étant, comme stipulé plus tôt, musicien, je suis de ceux qui PAYENT des impôts, alors ça marche pas du tout.

Revenant de la consultation à pieds pour décanter, j'attendais un feu vert à l'intersection de la mort (Iberville, St-Joseph) et je me suis mis à penser à tout plein de façons pour tuer le chat. Des options qui s'avéraient toutes malsaines, sans exception. Et si je le laissais là, sur le trottoir? Et si je le lançais à l'eau (de l'eau? où ça?)? Et si je le prenais par la tête et que je lui faisais faire un petit tour? Et qu'est-ce que je ferais du corps après coup?

Et le chat qui miaule parce qu'il se fait brasser dans sa cage, parce qu'il fait froid, parce qu'il sait que j'ai la tête ailleurs. Et les gens que je croise sur la rue qui s'attendrissent devant le museau et les petites pattes qui dépassent de la grille. Merde. Et Mélie qui va arriver de l'école et qui n'était déjà pas d'humeur ce matin. J'ai envie de pleurer mais n'y arrive pas. Si, j'y arrive. Ou c'est peut-être juste le vent qui fait que j'essuie des larmes avec les manches de mon manteau. C'est pas très clair, tout ça.

Mélie est passée à travers divers stades de tristesse extrême et d'acceptation depuis la nouvelle, et il y en aura certainement d'autres d'ici demain matin.

Demain matin.

Je ne sais pas comment ça se passe, une euthanasie. Paraît que ça marche au poids. Merde, on y a pensé les deux, au fait que ça nous coûterait pas cher. 4, 6 livres de mort s'il-vous-plaît. Pour emporter? Non merci, pour consommation immédiate.

Demain matin, j'irai chez le vétérinaire et je reviendrai les mains vides. Et tant qu'à faire, je vais aller me consoler chez mon barbier, qui est juste à côté. Mes cheveux ont l'air d'un cul, et ma barbe d'hiver encombre mon clavier de plein de corps morts. Demain matin, j'éradiquerai de ma vie une forte quantité de poils.

Présentement, le chat est juste à mes côtés, bien calé dans le fauteuil. Ne se doutant de rien. Ou rêvant que ça finisse au plus vite.

J'aimerais bien te faire un dernier repas débile, mon Jimmy, quelque chose que tu pourrais emporter avec toi. Mais je sais que ça donnera rien. Mais bon, on a loué le dernier Woody Allen, j'espère que tu vas au moins rester dans le divan avec nous autres ce soir. 

Sinon, je peux comprendre aussi.

T'auras même pas eu le temps de te la couler douce. Juste de découvrir le monde, de virer malade et un peu débile et drette bang, ça finit là. Tu  nous excuseras pour tout ça.

On a merdé solide. 

1 commentaire:

MAUDE LEFEBVRE a dit…

J'aime même pas les chats pis j'ai eu une boule dans la gorge en lisant ça.
Ça doit être parce que c'est ben écrit.
Lâchez pas.