jeudi 9 avril 2009

Suite et fin du chat


(première partie plus bas)


Il fallait bien que ça se fasse un moment donné. Ce matin, après avoir fait tout ce que j'avais à faire et bien plus, j'ai fourré Jimmy dans la cage pour emporter. J'ai essayé de couper court sur les adieux. «Tu me laisseras nettoyer toutes ses affaires, ok?» a sangloté Mélie ce matin avant de partir pour l'école. Elle a dû changer dix fois d'idée, à savoir si elle m'accompagnait ou non chez le vétérinaire. J'aimais mieux m'en occuper tout seul. 

À quelques reprises hier soir, le chat a demandé pour la porte. On l'a laissé sortir. C'était plus le temps de lui refuser quoi que ce soit. Et Mélie et moi d'espérer secrètement qu'il prenne la fuite et gère son destin par lui-même. Mais il ne fallait pas se faire d'idées, le chat était un pissou, incapable d'aller plus loin que la cour du voisin. Encore qu'il fallait aller le chercher par la suite, miaulant parce qu'il avait oublié comment il s'était rendu là.

«Tout va bien aller, mon beau Jimmy, tu vas juste aller faire petit dodo, tu vas voir, tu sentiras rien.» C'est sous les recommandations de notre amie Carla que Mélie s'est mise à lui expliquer qu'est-ce qui allait se passer. Rendu-là, n'importe quelle technique est bonne pour faire du bien à l'un ou l'autre des partis.

Et c'est aussi ce qu'a dit le vétérinaire, que ça se ferait sans douleur, une toute petite piqûre et hop, au dodo. J'ai été assez con pour vouloir assister au processus de mise à mort. J'avais d'abord dit non à l'assistante au comptoir, que je préférais ne pas m'en mêler. Elle même semblait affectée par la raison de ma visite. Puis, alors que je passais un doigt au travers de la grille pour essayer de toucher mon chat, elle m'a dit «c'est quand vous voudrez», j'ai flanché et dit que je préférais y assister.

Mauvaise réponse.

Je me suis avancé dans la salle, où le vétérinaire et l'assistante m'attendaient. Juste une toute petite piqûre. Je contenais ma tristesse en caressant le chat alors que l'assistante le tenait en place et que le vétérinaire rasait sa  patte pour y faire la piqûre. «Tu le serres bien? Tu fais le garot?
- Oui oui, je serre fort.
- Il manque sérieusement d'hydratation, on voit pas la veine.»

Seringue dans la patte de mon chat. Léger juron du vétérinaire. Retrait de la seringue. «Va falloir aller sur l'autre patte, voir la veine.»

C'est pas sensé être simple, cette opération?

Le vétérinaire a repris le rasoir, l'a mis en marche et c'est là que Jimmy a pété sa coche, révélant du coup une énergie que je ne lui connaissait pas. Assez pour se défaire de l'emprise de l'assistante et venir planter ses dents dans mon doigt qui traînait par là. J'ai crié. Hurlé en empoignant la tête de mon chat qui n'en démordait pas. J'y suis parvenu en lançant à bout de bras. Mon petit chat.

Le sang s'est mis à couler dans ma main, j'avais peine à le croire. Le vétérinaire m'a désinfecté, fait un bandage puis suggéré d'aller à la clinique au plus vite. On niaise pas avec ça. L'assistante est revenue avec de gros gants et une muselière. Qui t'a dit que ça se ferait sans peine, mon Jimmy? Soudainement amorphe, il restait là en attendant son sort. La tête enfouie dans un machin qui lui donnait d'être dans le clip de «One» de Metallica.

Puis la dose fût administrée et c'est vrai, trente secondes plus tard il n'était plus qu'un souvenir endormi. J'ai braillé,  le nez enfoui dans le poil dru de mon chat maintenant tout mou. «Voulez-vous que je vous laisse seul?
- Non merci, ça va aller»
Je ne voulais m'étendre là. Avec l'idée malsaine qu'un virus était peut-être déjà en train de me ronger. Hey, le chat était malade, après tout.

Je suis sorti de là les yeux rouges en éternuant, à cause des allergies. Avec une voix frêle que je n'arrivais pas à contenir, j'ai demandé à l'assistante où était la clinique la plus proche. je suis sorti puis me suis effondré en pleurs sur le premier banc, avec la cage maintenant vide qui partait au vent.

L'indication la plus claire que j'ai eu, pour la clinique, c'était Papineau/de Lorimier. Allez comprendre. J'ai marché puis demandé à une passante pour me rendre compte que j'étais juste à côté. Je n'ai pas eu à attendre longtemps. Juste assez pour lire, dans la revue Alibis que je venais de recevoir ce matin même, ma toute première nouvelle publiée. Un grand moment, s'il en est, que j'attendais depuis longtemps. Un rêve, pour ainsi dire. Je l'ai lue, constaté qu'il n'y avait pas de faute, puis je l'ai refermée. Moi qui pensait passer ce moment-là noyé dans le champagne.

L'infirmière a retiré le pansement avec peine. Mon doigt était ridiculement enflé et quatre points mauves me rappelaient le dernier soubresaut de vie de mon chat. J'ai tenté de ne pas y interpréter de message. Comme j'ai préféré ne pas voir de message dans le fait que ce chat était un cadeau à mon amoureuse. Cadeau qui expirait avant la première année d'utilisation.

On m'a fait un vaccin contre le tétanos. Puis suggéré d'aller consulter un médecin. L'infirmière était bien en mal de me dire quoi que ce soit de précis, le nez enfoui dans son guide de premiers soins. Même pas foutue de bien plier une feuille en trois.

Je suis sorti de là avec un stock de bandages pour une semaine et le doigt comme un bâton de base-ball enrobé de ouate. Je suis reparti porter la cage vide à sa propriétaire, mon amie Aurélie qui habite juste à côté.

Avec cette journée de marde dans le corps, je gardais en tête mon projet d'aller me faire faire la totale chez le barbier. Barbier trop occupé, la totale rien qu'à moitié, je suis revenu chez nous avec une barbe faite au clipper, des cheveux maintenant présentable et des favoris beaucoup trop courts.

Mélie est revenue, m'a à peine reconnu, a vu mon bandage, a dit «ben voyons, kessé ça?», s'est agenouillée, m'a dit «raconte-moi tout».

Ce que j'ai fait.

J'aurais peut-être pas dû.

Non, j'aurais vraiment pas dû.

1 commentaire:

Igo20 a dit…

Pour avoir assisté à la mort de deux jeunots chats, je ne peux que saluer ce texte où le pathos est superbement et réalistement rendu...