vendredi 31 octobre 2008

Body, de Harry Crews






(Body, 1990) Gallimard, Folio, 1994, 306 p.

Définitivement, Harry Crews est un auteur qui me touche là où ça fait mal et de façon à ce que j'aie envie qu'il recommence.

Dans Body, nous retrouvons un personnage de La Malédiction du Gitan (voir article plus tôt), Russell « Muscle » Morgan qui se retrouve en tant qu'entraîneur au Cosmos, la plus prestigieuse compétition de culturisme au monde. Il y accompagne Shereel Dupont, la femme parfaite qu'il a parti de rien, qu'il sculpte depuis des années à grands coups de discipline et de privations. Seulement, Shereel Dupont avant de connaître Russell Muscle vivait en Georgie, avec sa famille, sous son nom original, Dorothy Turnipseed (graine de navet). Comme il est impossible de devenir championne du monde avec un nom pareil, Russell Muscle a tout simplement fait changer le nom, sans tenir compte qu'il existait tout un code d'honneur relatif à ce nom.

Mais voilà que la famille débarque au grand complet à la compétition, histoire d'encourager la petite. Ont fait le voyage en camion de la Georgie à Miami : Fonse Turnipseed, le père, Earnestine Turnipseed, la mère, Moteur et Turner Tunipseed, les deux frères, Earline Turnipseed, la soeur, et Harry Barnes, ou Tête de clou, ou Clou, ou Tête, c'est selon, le fiancé de Dorothy. Si seulement ces derniers avaient de la classe, le livre aurait probablement eu une cinquantaine de pages. Mais un personnage de Crews n'aurait aucun intérêt à être ordinaire, alors tout commence à se cochonner dès leur arrivée au Blue Flamingo, le plus prestigieux hôtel de Miami où se tient la compétition.

Fonse est un fumeur compulsif, Earline et Earnestine sont gigantesques, Moteur est excessivement poilu, et Clou est un alcoolique vétéran du Viet-nam désaxé qu'il ne faut surtout pas contrarier. Alors que Russell Muscle tente du mieux qu'il peut de faire garder le focus de la compétition à sa pouliche boostée, Earnestine tombera amoureuse de La Chauve-souris, un bodybuilder reconnu pour avoir le dos le plus spectaculaire du monde qui en quelque sorte est prisonnier de son corps. Billy, de son vrai nom, adore se gaver de sucre et de gras à un point tel qu'il est devenu maître gerbeur. Ainsi, il voit en l'imposante personne de Earline toute la liberté dont il pourrait rêver. Toute cette peau, tous ces plis sont autant d'expressions réalisées de ses privations qui durent depuis des années.

Un roman où se rencontrent les extrêmes de l'entretient corporel, dans une prose envoûtante et hilarante.

Extrait :
« Du lit, elle pouvait voir que tout dans le chambre avait forme de c--ur et que reignait le velours rouge vermillon. (…) Elle était contente d'avoir l'occasion d'habiter un espace pareil, qui ne ressemblait à rien de ce qu'elle avait vu ou imaginé et qui, tout en l'enchantant, lui faisait peur aussi. C'était un nid pour mariés de fraîche date, et non seulement elle n'était pas mariée mais doutait-elle de sa fraîcheur. (…)
Elle traversa la chambre, entra dans le salon meublé, comme de bien entendu, avec des c--urs de toutes sortes. Dans un mimétisme inconscient et mue par un besoin de se rassurer, elle porta la main à son propre organe qu'elle sentit battre avec autant de précipitation que si elle avait grimpé les étages ou couru jusqu'à perdre haleine.

Il lui vint à l'esprit qu'aucune femme ne pouvait séjourner ici, au c--ur de cet hôtel, sans un homme, et cette pensée lui parut la plus affolante de toutes, car elle n'avait jamais eu de contact intime avec un mâle. Sa corpulence l'avait jusque-là préservée de toute étreinte mais elle n'en éprouvait pas d'amertume ni de ressentiment. Cela lui semblait juste et normal. Elle se savait jolie, mais grosse, très grosse. Ainsi, jamais main d'homme – main compagne de ses rêves nocturnes et de ses rêveries diurnes – n'avait parcouru les douces collines et les profonds vallons de sa généreuse géographie et – elle l'admettait bien volontiers, forte de son bon sens et de son acceptation des lois universelles de l'existence – palpé ses monstrueuses rondeurs, monstrueuses certes, mais qu'habillait la crème des peaux – couleur de lait entier, finesse du grain et souplesse. Quelle merveilleuse peau la nature lui avait accordée! Mais diable, en si grande quantité! »


(Originalement publié le 5 mai 2007)

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