vendredi 31 octobre 2008

Rage Noire, de Jim Thompson






Je n'avais lu de Thompson que 1275 âmes, qui quoiqu'excellent, n'est pas représentatif de son oeuvre, je crois. Le ton de Rage Noire est à mon avis plus fidèle à ce qui a pu le distinguer comme auteur phare, dans le genre.

Allen Smith est un jeune noir de dix-huit ans, né d'une mère prostituée blanche. Allen ne tarde pas à s'auto-proclâmer Fils de Pute de Première Classe et de ce fait, déteste chaque personne qui compose son entourage. Détester reste cependant un bien faible mot. Allen est habité d'une rage qui, bien qu'elle semble contrôlée (il est un jeune beaucoup plus intelligent que la moyenne) se met à sortir, une fois le plan élaboré, sous des formes d'une violence inouïe et fort malsaine.

Noirs, blancs, bourgeois, militants, figures d'autorité diverses, Allen Smith s'en prend à tous selon des stratagèmes ingénieux. Prétextant qu'il "remplace Dieu, le temps qu'il retrouve toute sa tête", il inflige et corrige la bêtise qui l'entoure en les charmant tous, pour les monter ensuite les uns contre les autres. Non pas qu'il n'ait rien à se reprocher lui-même, même qu'il conscent être le pire de tous. Mais étant un fils noir de pute blanche, c'est tout comme s'il bénéficiait de l'amnistie. Étant au bas de l'échelle, étant lui-même la pire bassesse qui puisse exister, il va de soi qu'il redistribue sa haine sans trop de remords.

Et si tout prenait naissance ailleurs? Si la cause de toute cette histoire, c'était qu'Allen Smith était incapable de bander? Incapable de bander, hormis en présence de sa mère? Parce que oui, Allen Smith se voit infliger depuis sa jeunesse (il a pour ainsi dire été sevré au clitoris de sa mère jeune et écervelée) le fardeau de satisfaire sa mère Mary, mère de Dieu, pute spécialiste en Afro-Américain.

Ce n'est qu'une des possibilités.

Rage Noire est un livre dur, horrible et vulgaire. Certainement pas recommandable mais combien fascinant. Je ne sais pas si tout l'oeuvre de Thompson va aussi loin (j'en ai bien peur), mais j'ai l'impression que je n'en suis pas à mes derniers frissons de dédain avec cet homme.

Prenez le risque, si ça vous dit, mais ne tenez pas compte de la quatrième de couverture, probablement le résumé le plus mal écrit de toute mon histoire de lecteur. Surprenant, de la part de Rivages/Noir.

Quelques extraits:

"-- Pour qui tu te prends, mec?
-- Pour Dieu, j'ai dit, je tiens sa boutique, le temps qu'il retrouve toute sa tête.
-- Me cherche pas, Al.
-- Tu veux dire que t'as rien remarqué? j'ai dit. Tu crois vraiment qu'il est en possession de toutes ses facultés, ces temps-ci?"

"Je ne te pisserai pas au cul même si t'avais le feu aux tripes."

"J'ai pris la direction d'East Village, le plus pouilleux des quartiers de New York (...). Plus pouilleux même qu'Harlem, je crois bien, dans un certain sens. L'héroïne, c'est une sucrerie pour les gosses, là-bas. On s'y éclate la tête aux amphéts, qui te plient de rire en quatre pendant que tes neurones explosent, l'un derrière l'autre. On y boit du soit-disant vin -- quelque chose comme de l'encre en suspension dans un alcool dénaturé -- si frelaté que, quand les petits gars de la morgue te dépiautent les boyaux, ils y trouvent des taches violettes. Et quand t'as envie de tringler ta môme, tu tires ta crampe recta, là où t'es, sans façon: dans un porte cochère, dans un ruisseau, où ça tombe.
Et, une fois soulagé, tu peux avoir la fantasisie de lui fracasser la tête contre une brique, ou vice-versa. Qu'est-ce qui t'en empêche?"

"Nous avions touché au port, à notre petit enfer intime, dont nul ange n'ose passer le seuil et, bientôt, ils obtiendraient ce pour quoi leurs coeurs languissaient: une titillation éternelle du trou de balle, une tourduculation illimitée."

"Une fois -- nous avions tous les deux bu plus que de raison -- elle m'a confié qu'elle était la Vierge Marie et que son fils était Jésus-Christ.
-- C'est pour cette raison que je le garde pur, immaculé, m'a-t-elle déclaré sans sourciller. C'est pour cette raison qu'il lui faut souffrir, car seules ses souffrances pourront rédimer l'espèce humaine!"

(Originalement publié le 28 mars 2007)

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