vendredi 31 octobre 2008

Les compagnons de la grappe, de John Fante







(Brotherhood of the Grape, 1977), 10/18, 1988, 248 p.

Pour ceux qui ne seraient pas au courant, John Fante est un remède, un baume sur vos plaies, de la mayonnaise dans votre sandwich au poulet. Chaque fois que je lis un livre un peu éprouvant, je lis Fante juste après et je me rappelle c'est quoi la vie. Après celui-ci, il ne m'en reste qu'un seul à lire. Après, je vais recommencer.

Entièrement autobiographique, l'oeuvre de Fante repose sur les aventures de deux différents alter egos, Arturo Bandini et Henry Molise, sur presque l'étendue de leur vie. Mais plus encore que les simples aventures d'un homme, c'est la famille au complet qui débarque et prend toute la place. La famille, et surtout son patriarche, qu'il se nomme Svevo Bandini ou bien Nicolas Molise.

La paternité hante chacun des livres de Fante comme un fantôme fatigant. Et les principaux intéressés essaient de s'en sauver et croient dur comme fer qu'ils pourront y arriver. Le père Molise est maçon, vit pour les pierres et par le travail assidû. La ville de San Elmo, il l'a bâtie de ses propres mains et se voit au travers de son oeuvre immortelle. Dans toutes ces pierres et ces briques posées, c'est lui-même qui survit, inébranlable, inaltérable. Le père Molise ne voulait pas d'enfants. Il voulait des maçons. Molise et fils. Le père Molise a eu une fille, un banquier, un joueur de baseball déchu et un écrivain. Aussi bien noyer tout ça dans le vin.

La paternité ne sied pas plus à Molise fils. « J'étais moi-même père. Je ne voulais pas de ce rôle. Je voulais retrouver l'époque oùj'avais été tout petit, où mon père, ce colosse bruyant, avait occupé la maison. Au diable la paternité. Je n'étais pas fait pour ça. J'étais fait pour être fils. » Peut-être est-ce à cause de ce mauvais modèle de père qu'il refuse de s'y plier. Un père qui déteste ses enfants, les méprise, qui ignore sa femme et qui passe son temps au Café Roma avec ses amis piliers de taverne. Pas un mauvais père pour autant. Seulement un vieil italien grincheux, dictateur, ivrogne et infidèle. « Personne ne l'agaçait impunément. Il détestait presque tout, surtout son épouse, ses enfants, ses voisins, son église, son prêtre, sa ville, son État, son pays et celui d'où il avait émigré. Il se contrefichait aussi du monde, du soleil et des étoiles, du paradis et de l'enfer. Mais il aimait les femmes. »

Comme dans presque chacune des histoires, le fils commence par le détester et lui souhaiter le pire. Ce père est une plaie dont il est impossible de tirer quelque reconnaissance. « Qui donc m'avait mis des oeillères, qui m'avait écarté des livres, qui les ignorait et les méprisait? Mon paternel. Son ignorance crasse, la vie abrutissante sous son toit, ses beuglantes, ses menaces, sa cupidité, sa violence, sa passion pour le jeu. Les Noëls sans le sou. Un costume pour l'examen final au Lycée. Et des dettes, des dettes sans fin. Nous avons cessé de nous parler. Un jour nous nous sommes croisés alors que nous traversions la voie de chemin de fer. Il a encore fait quelques pas, puis il s'est figé et mis à rire. Je me suis retourné. Il me montrait du doigt en rigolant. Il faisait semblant de lire un livre et il riait. Mais il n'y avait aucune joie dans son rire. Seulement de la rage, de la déception et du mépris. »

Puis le miroir prend place en même temps que la sensibilité de l'écrivain s'aiguise. Cet homme-là, celui qui l'a mis au monde, qui l'a élevé à sa manière, brutale, mais à sa manière quand même, lui ressemble étrangement. On dira ce qu'on voudra, mais ça reste quand même son père. « Comment un homme peut-il vivre sans son père? Comment peut-il se réveiller et se dire : Mon père a disparu à tout jamais? »

Chaque fois, c'est le même combat qui recommence. Les personne que l'on déteste sont souvent plus proches de nous que celles que nous aimons. La haine est un sentiment rare et exclusif et c'est pas n'importe qui qui peut en bénificier.

Les romans de Fante sont comme ça. Simples, directs, attachants, à fleur de peau. Ils vous mettent en face de ces problèmes de la vie qui ne se règlent jamais, avec lesquels il vaut mieux apprendre à vivre et faire des concessions.

« Les compagnons de la Grappe » se situe à la fin du cycle de Molise/Bandini. Lisez celui-là ou un autre, ça ne gâchera pas votre plaisir. Mais lisez-en un. Vous verrez bien ce que je voulais dire.


(Originalement publié le 4 avril 2007)

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