vendredi 31 octobre 2008

Tirez sur le pianiste! de David Goodis


(Down There, 1956) Gallimard, Série Noire, 1957, 219 p.

Après avoir lu sur l'auteur à plusieurs endroit comme quoi il est l'un des auteurs de roman noir des plus influents (consacré en France, mais ignoré aux Etats-Unis sauf en tant que scénariste pour Warner à la fin des années 40), j'ai cru bon me lancer à sa découverte avec ce roman, dont l'adaptation cinématographique par Truffaut mettant en vedette Charles Aznavour a contribué à le faire connaître.

Une des raisons pour lesquelles on soupçonne Goodis (de qui l'on tient très peu d'informations biographiques) de cette popularité à l'extérieur de son pays natal serait son acharnement à représenter dans ses histoires des personnages de paumés, de solitaires, d'alcooliques. Alors que les américains préfèrent mettre en valeur des héros gagnants et plus forts que le reste monde, Goodis a, dit Philippe Garnier, « Tout pour plaire aux français (…) eux et leur sainte manie d'idolâtrer les perdeurs et les petits. »

Il me semble avoir déjà entendu quelque chose du genre concernant leurs colonisés de l'autre côté de l'océan…

Quoiqu'il en soit, le paumé dont il est question ici est absolument attachant, d'autant plus lorsqu'on se le représente sous les traits d'Aznavour. (Je sais que j'ai pu chiâler précédemment sur cette pratique, mais bon, que voulez-vous, avec Aznavour, ça marche).

Eddie Lynn est pianiste au Harriet's Hut, un petit bar perdu dans Philadelphie, depuis trois ans. Trois ans qu'il s'y présente à tous les soirs pour trente dollars semaine. Il s'asseoit au piano et laisse aller ses doigts, histoire de fournir un fond sonore aux ouvrirers venus y dépenser leur paye. Trois ans qu'il est là et personne ne sait rien à son sujet, qu'il a été, entre autres, concertiste acclamé au Carneighe Hall. Il joue du piano, et même qu'il passe le balai après la fermeture, ne conteste rien, n'a pas d'opinion arrêtée, et discute très peu. Seulement, l'histoire prend une autre tournure alors que débarque au bar un homme ensanglanté et visiblement sonné par le coup qu'il a reçu à la tête. C'est Turley, un des deux frères d'Eddie, qui surgit après une absence de sept ans, et qui, sans aucun doute, a besoin d'aide. Cette visite rappelle à Eddie son passé trouble duquel il s'était tenu à distance depuis longtemps en se gardant de quelconque implication dans quoi que ce soit d'autre que le fait de jouer du piano.

Mais Turley est suivi, et malgré son refus catégorique de s'impliquer dans les affaires douteuses de son grand frère, Eddie réagit alors que les deux homme qui suivent Turley pénètrent dans le bar et jouent du coude pour arriver au piano où sont assis les deux hommes. Ainsi, Eddie se retrouve dans le bain et la première chose qu'on sait, c'est que le événement le mèneront plus tard à être agenouillé dans la neige à côté d'un cadavre, un couteau dans les mains.

Recherché par la police et par les deux hommes qui cherchent son frère (on n'apprendra la raison qu'à la fin du livre), Eddie trouvera malgré lui assistance en la peronne de Lena, serveuse au bar, à qui il n'avait encore jamais parlé.

Tirez sur le Pianiste! (encore une traduction douteuse des années cinquante, encore un maudit point d'exclamation) est un excellent roman noir ponctué au rythme du monologue intérieur et du passé triste et violent qui hante le personnage. Sans aucun doute, j'approfondirai ma connaissance de cet auteur. Et le film, je m'en vais le louer pas plus tard que ce soir.

Extrait :
« Eddie avait son habituel sourire, agréable et un peu absent; le regard fixe, il tirait de petite bouffées de sa cigarette. Son pardessus était déboutonné comme s'il était insensible au vent et à la neige. Les deux hommes le considéraient, attendant un mot, une réaction.
Feather finit par dire :
-- Bon, on va s'y prendre par l'autre bout. (il parlait d'un ton amical.) Écoute, Eddie, voilà ce qui se passe. On voudrait lui causer, c'est tout. On lui fera pas de mal.
-- À qui?
Feather fit claquer ses doigts.
-- Allez, te défile pas. On joue franco. Tu sais de qui on parle. De ton frangin Turley.
Eddie ne changea pas d'expression, il ne broncha pas. Mais en lui-même, il pensait « Ça y est! Ils savent que c'est ton frère. Te voilà dans la mélasse jusqu'au cou. Comment tu vas faire pour t'en tirer? »
Cependant, Feather poursuivait :
-- On voudrait l'emmener dans un coin peinard et discuter le coup. Toi, tout ce qu'on te demande, c'est de nous dire où il est.
-- Je peux pas, dit Eddie. J'en sais rien.
-- T'es sûr? Intervint Morris. T'essaies pas de le couvrir, par hasard?
-- Moi? (Eddie haussa les épaules.) C'est mon frère, et après? Je crache pas sur cinq cents dollars, j'suis pas cinglé à ce point-là. Vous me faites rigoler avec ces histoire de frère! Pour moi, un frère, ça n'existe pas.
-- Le v'là qui recommence, soupira Feather.
-- Un frère, une mère, un père, continua Eddie en haussant les épaules, ça rime à rien. C'est quelque chose qu'on prend ou qu'on laisse. Évidemment (il baissa un peu la voix), tout le monde pense pas pareil. »

(Originalement publié le 11 mai 2007)

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