vendredi 31 octobre 2008

Le Fucking, les Français pis la marde qui sort pas

Encore un après-midi de lassitude à la librairie. Le boulot qui devait être fait a été fait, les étalages sont relativement en ordre (y'a toujours des limites au ménage) et je termine dans une heure. Aussi bien dire que pour le temps qui reste, je ne sortirai de derrière le comptoir que pour servir un client.

Or, de client, il n'y en a pas.

Mon visage se déforme dans son appui sur la paume de ma main, j'ai faim et je suis à bout de grignoter, je n'en peux plus, ces putains de galettes de riz - que je croyais être le petit lunch de plancher parfait entre les repas - me donnent de violentes constipations. De temps à autre, je fais un petit détour dans le fond, près des biographies, histoire d'y péter en paix, mais j'en reviens toujours bredouille. Même si je me penche pour forcer et feins d'attacher mon soulier, y'a rien qui se passe. Ça bloque. Il est vraiment temps que ça finisse. Il y a peut-être du psycho-sommatique là-dedans, parce que je sais qu'une fois arrivé chez nous, je vais arrêter de penser à mon cul. De temps en temps, Thériault - qui travaille dans le jeunesse au premier - me lâche un coup de fil.

- Crisse man, tu te le pognes-tu autant que moi?

- C'est dolle en hostie, fucking T.

Fucking T, pour « Fucking Thériault ». On peut aussi dire L'T ou L'fucking tout court, il se retourne quand même.

- Être payés de même à se pogner le cul, faut le faire, pareil.

- Me semble que mon cul mérite un meilleur salaire que ça.

Il part à rire.

- Heille man! j'ai quand même été nommé troisième dans le palmarès des gays du magasin. Côté cul, ça doit ben valoir une augmentation..

- Grosse pute sale.

- Yep, I dee-de-lee am!

Je raccroche, satisfait d'avoir le fucking pour briser la monotonie. Je donne un petit coup - toujours rien qui sort - puis il y a ce raz-de-marée français qui arrive. Ils sont tous blonds. Le père, la mère, et trois enfants. Je les vois arriver de loin, et les enfants se confondent en un nuage de poussière qui évolue aux pas des parents. Je vois deux têtes et un tourbillon. Et soudain, je les ...entend.

C'est une fois arrivés près de mon comptoir que je me mets à penser à ce qu'il ne faut pas, à savoir, les imaginer en train de baiser. Je sais qu'il ne faut pas se lancer là-dedans, mais je regarde leur trois chiards, et je ne peux m'enlever de la tête qu'il a fallu que ces deux-là baisent au moins trois fois. Ouache.

Au moment où me vient cette pensée qu'accompagne une nouvelle poussée d'intestins, le père est tout près de moi, devant le palmarès des ventes et il est absolument ravi de découvrir le nouveau Lucky Luke qui se passe dans la Belle-Province. Il a les yeux d'un gamin et la bouche grande ouverte. Il est content et oublie les tourments de sa femme qui suit le tourbillon de ses enfants et ramasse les dégats.

- Doriane! Doriane! Regarde, un nouveau Lucky! Et qui se passe au Canada en plus!

Mais Doriane, elle est trop occupée, moi, j'ai le visage crispé par mes problèmes personnels et y'a un des petits qui met un livre dans sa bouche.

Les deux parents et deux des enfants ont des lunettes et ils sont tous habillés selon les règles relatives au mauvais goût vestimentaire Français. Rien ne me plaît chez eux. Je suis même incapable de m'attendrir devant aucun des morveux. Ces cinq-là sont un chaos en vacances. Chacun des partis tire de son bord, la seule unité de ce groupe se trouve dans les cheveux. Et dans leurs voix insupportables de petites pies gossantes. Le vertige soudain me prend alors que j'imagine cette situation à chaque moment de leur vie. Le matin au réveil, au dîner, au souper, en week-end chez mamie, à l'épicerie, à la compétition de patinage artistique de la petite, dans l'auto, en vacances, au Québec, devant moi, dans mon magasin, il est impossible que cette famille soit calme des fois. Même pas un peu. Il est évident qu'il y en aura toujours au moin un qui parle. Et à voir l'allure du père, je me permets de douter de l'efficacité de la discipline qu'il impose.

- Excusez-moi, euhhh, c'est bien c'livre? Je veux dire, le Québec et tout, là, Lucky Luke, c'est crédible? C'est intéressant? V-Vous l'avez lu?

- C'est drôle. Très drôle.

- Hé dis papa! Je peux l'avoir ce livre? Hein papa?

- Non papa! Cédric il a toujours tout, c'est mon tour!

- Meuh c'est pô vrai!

- Si! C'est vrai!

- PAPA!

- Alors-là, Jules c'est assez. Tu me les casses. Tu laisses ton frère tranquille et tu arrêtes de m'embêter, hein? Je cause avec le monsieur. Alors tu t'asseois avec ta mère et tu la fermes. J'en ai marre à la fin.

- Jean, tu gères Jules.

- Meuh non.

- Si. Tu gères Jules. Rappelle-toi ce qu'on s'est dit, hein?

- Mais je gère pas Jules, chérie.

- Si, tu gères Jules et tu sais ce que j'en pense.

J'aimerais bien arriver à péter un coup. Juste un tout petit. Allez. Tout doux.

- Excusez-moi, me dit la mère comme si je n'avais pas été témoin de leur petite scène, vous avez des livres pour enfant?

- Oh! Oui madame. C'est au premier étage. Vous prenez les escaliers, juste ici.

C'est alors que je mets la main sur le combiné du téléphone, et aussitôt que Jean-tu-gères-Jules est assez loin, je compose le 412. Thériault répond à la deuxième sonnerie.

- Yap.

- T'es-tu occupé, man?

- Nope.

- Trouve-toi de quoi à faire, n'importe quoi, mais pas dans le jeunesse, ok? Vas-t'en, man.

- Tu parles des petits français blonds qui montent l'escalier, là?

- Oui oui.

- Ah, thanks du tuyau, dude.

Il a réglé ça facile, Thériault. Il est descendu me voir. En passant, il a souri à Jean-tu-gères-Jules qui se dirigeait vers le reste de sa famille. De loin, il me pose muettement la question si celui-là est avec le reste, je lui réponds que oui. Il arrive à mon comptoir.

- Crisse, mon gars, ça fait-tu longtemps que tu te clenches ça?

- Un petit boutte, ouins.

- Y'en aura pas de facile, hein?

- Crisse que non.

- Heille coudonc, ça sent ben donc la marde, icitte? T'as-tu chié?

- Hmmm. Sais pas, man, ça doit être un des petits Français.

Michel-Olivier Gasse © 2006

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