vendredi 31 octobre 2008

L'histoire de Chicago May, de Nuala O'Faolain






(The Story of Chicago May, 2005) Sabine Wespieser Éditeur, 2006, 443 p.

C'est un peu par hasard que l'écrivaine Irlandaise Nuala O'Faolain a appris l'existence, au début du siècle dernier, d'une certaine May Duigan, jeune campagnarde irlandaise, mieux connue sous le nom de Chicago May par les autorités. Mue par un sentiment indescriptible, l'écrivaine se lance sur les traces de celle qui fut l'une des plus grandes criminelles de l'époque. Seulement, très peu de documents existent sur cette femme, mise à part sa propre autobiographie, « Chicago May, Son Histoire » dont l'une des seules copies disponibles se trouve dans une bibliothèque de New York. O'Faolain fera le voyage outremer pour en faire la lecture, sans trop savoir dans quoi elle s'embarque. Cette biographie se trouve à être plutôt factuelle qu'émotionnelle. L'époque préférait, dans les biographies de criminels, voir une succession d'évènements puis, à la fin, une morale pour montrer à quel point cette vie a été mauvaise.

C'est avec le désir de trouver des émotions à cette femme que Nuala O'Faolain s'est lancée dans l'entreprise de réécrire la vie de Chicago May, mais en s'interrogeant sur ce que la criminelle cache dans son autobiographie : l'amour, la peur, les confidences, et parfois même, la vérité.

Chicago May est partie d'Edenmore en Irlande rurale à l'âge de 19 ans après avoir volé toutes les économies de ses parents, qui accueillaient tout juste leur deuxième enfant. Elle s'embarqua pour les Etats-Unis avec pour seul atout son charme indéniable et une volonté de fer. Elle se retrouve rapidement dans les maisons de passe où elle arnaque ses clients en leur volant tout leur argent. De fil en aiguille, elle devient la redoutable Chicago May, une femme rusée, violente et crainte, qui se fait les dents dans les monde du crime avec une attitude presque naïve, inconséquente. Alors que les grandes villes naissent à peine, tout le monde en est à l'apprentissage.

« Du temps où elle vivait à Manhattan, les copains escrocs de May mettaient toute leur énergie à monter une arnaque et étaient relativement indifférents à la réussite du coup, c'est-à-dire au bénéfice. Ils négligeaient tellement d'effacer leurs traces qu'ils semblaient se moquer, au fond, d'être pris ou non. La passivité était-elle une sorte de désespoir? Les criminels, alors, n'étaient-ils pas tant anitsociaux que non socialisés ou socialement incompétents? J'ai toujours considéré comme normal qu'ils ne puissent pas comprendre les autres. »

C'est probablement des échos de ces négligences qui feront prendre May, son conjoint Eddie Guérin et leur acolyte lors du vol de la Banque de l'American express de Paris en 1903.

Le premier passage en prison de Chicago May n'a pas été des plus faciles. Emprisonnée au pénitencier de Montpellier pendant trois ans, elle découvre la solitude, étant totalement étrangère à la langue qui y est parlée. Guérin, lui, est emprisonné sur l'Île du Diable, d'où il réussira invraisemblablement à s'évader. Entre temps, May retourne pour la première fois voir sa famille. Je ne sais pas à quoi elle s'attendait, mais une femme reconnue comme étant l'une des plus grandes criminelles qui retourne voir sa famille qu'elle a volée et ce, dans un petit village pieux et religieux ne peut guère y rencontrer la sympathie.

Elle se retrouvera encore en prison pour tentative de meurtre (accompagnée de son amant Charley Smith) sur la personne de Guérin. Mais cette fois, c'est dans une prison anglaise qu'elle purgera ses dix années de détention. Être Irlandaise et emprisonnée en Angleterre avant l'indépendance ne devait pas être des plus évidents. Elle y adoptera une attitude solennelle et posée (en cour, elle s'est toujours présentée forte et souriante et la plupart du temps, la mieux habillée de toute l'assistance). Elle y fera la rencontre de la comtesse Markievicz, instigatrice et seule survivante de l'insurrection des Pâques sanglantes.

Les évènements se suivent, de maladie en nouveaux délits, parce que quelles que soient ses intentions, May n'a jamais rien fait d'autre que ce que bon lui semblait tout en se moquant de la justice. Comment pourrait-elle faire autrement? Elle revient à New York mais « ce qui avait été une métropole vertigineusement irresponsable et chaotique quand elle l'avait quittée en 1900 était désormais la plus grande ville de la nation en guerre, et une ville sur le point de tenter de se réformer grâce à la prohibition. » La voiture et le téléphone ont déplacé la prostitution hors des maisons closes et c'est une Chicago May vieillissante qui se retrouve sur le trottoir à faire ce qu'elle fait le mieux, exhiber sa beauté et arnaquer les « pigeons ».

Son salut lui vient par la personne d'August Vollmer, l'homme qui a probablement fait le plus évoluer la police moderne par une pensée clémente et compréhensive du comportement criminel. Plutôt que de ne voir aucun salut dans cette femme qui cumulait quante années de vie criminelle, il parvint à croire en elle, au point de lui suggérer d'écrire sa vie. Ce moment dut être difficile pour elle, d'être confrontée ainsi à la rétrospective de sa vie. Peut-être est-ce là une raison pour laquelle elle ne laisse paraître que très peu d'émotion.

Quand son vieil amant Charley Smith sort de prison, May est encore alitée à l'hôpital. Ils se retrouvent, vieillis, et reprennent leur amour où ils l'avaient laissé, maintenant sans l'encombre de la vie criminelle. Peut-être la première fois de sa vie que May aimera réellement. Ils décidèrent de se marier et,.comme dans un film, May décèdera le jour du mariage. Escroc jusqu'au bout, Charley Smith ne paiera jamais la note des funérailles.



En dépouillant la vie de cette criminelle mal connue, Nuala O'Faolain plonge aussi dans sa propre vie, dans ses souvenirs et dans les nombreuses comparaisons qu'elle peut émettre entre elle et Chicago May. Au fil de la lecture, nous voyons un auteur qui parle de son sujet avec de plus en plus de sensibilité. La recherche de l'inconnu qui mène à soi, rien de moins. Mais l'écrivaine est loin de louanger la vie de cette femme. Elle n'a fait qu'essayer de comprendre le mythe et la femme derrière le mythe. Une criminelle qui ne s'enrichit pas. Qui ne fait rien de tout ça pour l'argent. Qui ne fait qu'être, tout court, de la seule façon qu'elle connaît. « C'était une femme intéressée par ce qu'elle pouvait toucher sur le champ. Elle n'éprouvait aucun intérêt pour ce qu'elle pourrait toucher un jour. (…) Mais elle ne déplore pas l'échec de son projet car elle n'a jamais eu aucun projet. Elle a embrassé le hasard, la contingence, le chaos. »

« L'Histoire de Chicago May » est une grande recherche, un grand investissement, bourré d'informations pertinentes sur l'histoire, de photos et de témoignages. Un livre passionnant, et fort riste.

Je vous dis ça de même, mais le livre coûte à peu près cinquante piasses. Attendez qu'il sorte en poche. S'il sort un jour.


(Originalement publié le 24 avril 2007)

Aucun commentaire: