samedi 1 novembre 2008

Débandade avec Bambi

Je savais que barrer la porte était l’une des meilleures décisions que j’aie pu prendre cette soirée-là. À peine expiais-je mes premières gouttes que j’entendis Bambi cogner, forcer la poignée. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle se mesurait à une impasse. « Enwèye, ouvre-donc!
⎯ Je pisse, là…
⎯ Viens m’ouvrir pareil! »
J’avais bu pas mal à date et je m’enlignais pour pisser longtemps. Mais j’aurais bientôt usé du subterfuge, et force m’était d’admettre que je n’avais aucune envie de rester terré dans la salle de bain de mon ami alors que la fête battait son plein. Bambi était saoûle, et en rut. La porte subissait ses ruades, et ce n’était-là rien que l’on pouvait souhaiter à une porte, car Bambi en menait plus large que n’importe quel homme dans la place ce soir-là. Je décidai de miser sur la vitesse, l’option maîtresse de toute petite personne. J’attendis une nouvelle charge de Bambi et ouvris la porte en me cachant derrière. Elle entra débalancée dans la pièce alors que je me glissais à l’extérieur, mais elle m’attrappa à temps et claqua la porte avant de m’y rentrer dedans. « Tu pensais t’en sortir, mon beau?
⎯ T’es folle, câlisse…
⎯ C’est toi qui est fou de pas me laisser entrer.
⎯ J’étais occupé.
⎯ Y’a toujours moyen de trouver le temps pareil.
⎯ Y’a toujours moyen de comprendre que l’autre, ça y tente pas, aussi.
⎯ Kess-tu veux dire par là?» Elle me relâcha et me regarda comme si j’avais insulté sa mère. Ce que je craignais plus que tout était lancé. Nous étions maintenant à pieds joints dans un Bambi Powerplay, ces moments incompréhensibles où son attitude vous amenait à douter de votre propre cohérence. En un rien de temps, elle pouvait vous faire dévier une conversation, une ambiance, une situation, et causait un malaise tel que l’on se sentait forcé de se justifier. Et ça pouvait arriver sans avertir. Mais ce soir, Bambi voulait un homme, même si ça devait être moi. « Coudonc Bambi, t’as ben la mémoire courte? »

C’est qu’en d’autres temps, ce genre d’attitude coq-à-l’âne avait pu surprendre agréablement. Comme cette fois où nous étions une dizaine attablés dans le Yer Mad enfûmé, et qu’au beau milieu de rien, elle s’était penchée à mon oreille pour me dire : « Je pense qu’on devrait coucher ensemble. » Alors que Landry, assis à la droite de Bambi, hurlait à tue-tête « CROSSE-TOTONS!!! » j’en était presque à me féliciter de l’avoir eu aussi facile. Ça compensera, me disais-je, pour les autres fois où j’ai eu à travailler d’arrache-pied pour un résultat souvent décevant. On se connaissait encore peu, Bambi et moi, et de tous les échos qui m’étaient venus à son sujet, je ne gardais en tête que cette fois où Bob, notre ami commun, avait passé une nuit complète au lit avec sa blonde et Bambi. Et le matin, alors que sa blonde était partie à l’épicerie chercher à déjeuner, Bob s’était retapé Bambi. Puis, quand Bob fût parti au travail, ce fût au tour de sa blonde de baiser Bambi tout l’après-midi. Le soir, ils s’avouèrent leurs écarts et rebaisèrent, une dernière fois pour Bambi. Cette histoire résonnait en moi avec beaucoup de chaleur, et même si, aux dires de Bob, le corps de Bambi avait depuis le temps subi une expansion non-négligeable, les yeux plongés dans son décolleté qui révélait des seins d’une ampleur que je n’avais encore côtoyée qu’en rêves, j’avais répondu « Je pense que c’est une très bonne idée ».

La soirée avait continué à battre son plein entre les pichets, les calls grivois de Landry et les sorties occasionnelles pour aller fumer dans la ruelle. La tension était palpable, et n’eussent été certains concepts de bonne conduite en société, j’aurais débarassé la table pour y étendre Bambi. Mais nous avons été bons et fait comme si de rien n’était. Jusqu’à ce qu’elle prenne ses affaires et dise « Bon, on y vas-tu?
⎯ J’vas au moins finir ma bière…
⎯ Moi j’en reprendrai pas une autre certain. Je m’en irais tout de suite.
⎯ Bon, ben, va m’attendre au Couche-Tard, d’abord. C’est 24h pis y’a un café pis des tables. Je finis ma bière pis je vas te rejoindre. Pis de même, ça éveillera pas de soupçons, on fera pas exprès…
⎯ T’as-tu honte?
⎯ Pantoute. On est juste pas obligés d’avertir tout le monde.
⎯ Ok. Mais grouille-toi. »
Nous nous fîmes la bise, puis d’une façon générale, elle salua tout le monde, prétextant qu’elle était fatiguée. Aussitôt la place libérée, Landry glissa vers moi. « Heille, tu t’en vas pas avec Bambi? » Je pris une lente gorgée de bière pour tout réponse. « Stie que tu m’énerves, man, réponds!
⎯ Elle m’attend au dépanneur.
⎯ CROSSE-TOTONS!!! » Au bout de la table, Bob qui avait tout compris, souriait derrière sa pinte. Je terminai ma bière puis nous allâmes fumer un dernier joint. Par la vitrine du dépanneur 24 heures, j’aperçus une Bambi avachie sur une chaise, accoudée à une table vide. Je m’y rendis et cognai deux coups sur la vitre.


« Merci de t’être dépêché, me dit-elle alors que je levais la main pour un taxi.
⎯ Ben là, je t’ai dit que je finissais ma bière, non?
⎯ C’est pas une raison pour faire une dégustation.
⎯ Je me disais que t’aurais le temps de prendre un café, je sais pas.
⎯ Tu t’es dit que je pourrais prendre un peu de temps pour moi, à boire un petit café dans un dépanneur à deux heures du matin? T’es ben trop fin. » Nous montâmes dans le taxi, et devant les yeux interrogateurs du chauffeur, je me retournai vers Bambi. Nous n’avions pas encore déterminé de destination. « T’habites où? lui demandais-je.
⎯ On va chez vous.
⎯ Ok. Je laissai mon adresse au chauffeur et aussitôt le véhicule en marche, elle décida de clarifier certains points.
⎯ Ça te dérangerais-tu qu’à partir de maintenant, t’arrêtes de fumer?
⎯ Hein?
⎯ Pour la soirée, je veux dire.
⎯ La cigarette ou les joints?
⎯ Les deux.
⎯ Ben non, c’est correct… j’avais pus envie de toute façon.
⎯ Je trouve ça vraiment con.
⎯ De quoi?
⎯ Fumer, je trouve ça con.
⎯ Moi aussi Bambi y’a des affaires que je trouve con, tu sais…
⎯ Peut-être parce que je suis chanteuse, je sais pas. Me semble que ça va de soi de faire attention à son corps pis à sa santé.
⎯ Si t’étais vraiment chanteuse pis que tu faisais vraiment attention, t’aurais pas passé la soirée au fond d’un bar emboucané. Pis ça ferait longtemps que tu serais couchée.
⎯ Kess-tu veux dire par « vraiment chanteuse »?
Le Powerplay était entâmé.
⎯ Come on, là, je veux pas dire que t’es pas chanteuse.
⎯ Mais que je le suis pas « vraiment ».
⎯ Dans le sens que t’es pas une cantatrice, je sais pas, là…
⎯ Ben tu changeras d’idée quand tu gagneras ta vie avec ta voix.
⎯ M’a te dire, Bambi, je suis pas loin de ça, pis même que là, je pense que je fais plus d’argent en faisant des back-vocals que toi en leadant ton band de jazz.
⎯ T’es ben baveux toi câlisse? Pour qui tu te prends? Sur quoi tu te bases, coudonc? T’as comme l’air d’oublier que je reviens de passer quatre mois sur les bateaux en Asie. T’as-tu idée de ce que ça prend comme discipline, de chanter trois heures par soir? Pis t’as-tu idée de tout l’argent que j’ai fait pendant ce temps-là? Tu sauras que j’ai le droit de prendre un break de temps en temps, moi aussi. Pis que tes petits back-vocals dans ton band de rock, c’est loin de ce que moi j’ai à faire dans un show. »

Le chauffeur avait allumé la radio. Je ne fis pas à Bambi le cadeau de répondre à son envolée. Je savais qu’elle revenait de son voyage sur les bateaux et j’avais jusque-là évité le sujet, bien qu’elle ait été à mes côtés toute la soirée. C’est que de se faire raconter un voyage est déjà assez impliquant, s’il faut en plus qu’il soit question de jazz-cocktail pour les bourgeois en croisière, je suis prêt à déployer beaucoup d’énergie afin de dévier la conversation. Je payai en tentant de ne pas ironiser sur le « Bonne soirée monsieur » lancé par le chauffeur et rejoignis Bambi qui m’attendait sur le trottoir. Plus pour faire bouger les choses que par réel désir, je l’embrassai doucement une fois arrivé à sa hauteur. Elle collabora parcimonieusement, avant de m’avouer qu’elle n’était plus trop en état d’assurer la suggestion qu’elle m’avait faite plus tôt. « Préfères-tu t’en retourner? lui demandais-je.
⎯ Ben non, c’correct, on est rendus, là.
⎯ Tu sais que j’aimerais mieux que ça se passe dans le plaisir, c’t’affaire-là.
⎯ Ben oui, c’est bon. Ça va se placer.
⎯ Dans longtemps?
⎯ Heille toi pis tes questions…
⎯ Toi pis tes propositions… Je sortis mes clés et me dirigeai vers l’entrée.
⎯ T’habites en haut? demanda-t-elle. Son soupir me fît damner.

Assis à la cuisine, je pris une bière et elle un verre d’eau alors qu’elle me parlait à nouveau de son voyage en Asie. Elle y était tombée en amour avec le contrebassiste du groupe qui lui avait été attribué là-bas. Mike, un grand noir de New York qui parcourait le monde à l’année longue avec divers projets, avait eu ⎯ à mon avis ⎯ la chance de passer quatre mois à baiser une fille pendue à son cou et qui plus est, affublée de gigantesques seins. Mike, contrairement à Bambi, n’en était pas à sa première tournée et devait certainement connaître en profondeur les rudiments de ce genre de relation. Au diable les promesses, la main dans la main, les échanges d’adresses et de téléphones. Au moment-même où Bambi en était à prendre cette gorgée d’eau qui mouillait ses lèvres, pensais-je, le grand Mike était peut-être en Amérique du Sud à se faire faire les beaux yeux par une petite chanteuse de Vancouver qui aurait, histoire de faire changement, de très petits seins.

Bien sûr, je ne dis rien de tout cela à Bambi. La bombe à retardement était déjà fébrile et je n’avais aucune envie d’aggraver la situation. Elle avait bien le droit de rêver. Mais de rêver ainsi, devant moi? « S’cuse-moi, dit-elle, c’est juste que c’est encore tout frais, tsé?
⎯ Cool. Mais pourquoi t’es ici, d’abord, si c’est si frais que ça?
⎯ Je sais pas. Ça me tentait.
⎯ Pis là ça te tente pus…
⎯ Ben c’pas ça, c’est… c’est… oui, c’t’un peu ça. Mais tsé, prend-le pas personnel, là…
⎯ C’est juste de toi qu’on est en train de parler, Bambi.
⎯ Tu t’en crisse, c’est ça?
⎯ J’suis sûr qu’il est ben fin, ton Mike. Mais oui, je m’en crisse un peu, de lui. Je pris une gorgée. Et je brulais d’envie de fumer une cigarette. Fait que tu fais quoi?
⎯ …Ça te dérange-tu que je reste? Y’est un peu tard…
⎯ Mais tu vas être fine?
⎯ Hu-hum.

Elle avait gardé son soutien-gorge, ses culottes et une camisole. Elle avait froid, disait-elle. « On a juste à se réchauffer, répondis-je.
⎯ C’est à toi la contrebasse? dit-elle en avisant l’instrument qui reposait dans un coin de la chambre. Je soupirai.
⎯ Oui, c’est la mienne.
⎯ Elle est petite.
⎯ C’est une trois quarts, là. Pas mal standard.
⎯ Celle à Mike est plus grosse.
⎯ J’espère que t’en as bien profité. » Elle continua à discourir sur l’Asie. Je me retournai en lui souhaitant bonne nuit.

C’est à ce moment, peut-être, qu’elle comprit le ridicule de la situation et changea son fusil d’épaule. Elle se retourna vers moi en faisant considérablement craquer le lit, et s’excusa et commença à m’embrasser dans le cou et à me caresser. Ses seins écrasés contre mes omoplates faisaient office de zone-tampon. Ils deviendraient peut-être les sauveurs de la soirée, pensais-je. Avec un peu de chance, elle resterait cachée derrière, et moi je n’irais pas au-delà. Tant qu’à ne pas avoir envie d’être là, aussi bien miser sur deux gigantesques seins pour créer une diversion.

Elle devait avoir vraiment froid, me dis-je alors que je sentais ses mamelons me piquer à travers les deux couches de tissus. Je la laissai se faire pardonner un temps, puis vint un moment où je ne n’arrivai plus à me retenir. Malgré toute l’incompréhension qui avait flotté sur notre soirée, cette masse de chair qui pesait sur mon dos eut raison de mon orgueil. Je me retournai et me lançai aussitôt sur le linge en trop. Je retirai camisole, soutien-gorge et culotte et plongeai directement au beau milieu du territoire de ses deux gros seins très très gros. Il y en avait beaucoup trop, un seul aurait suffi à ma bouche et mes petites mains. J’eus presqu’envie de rire tellement cette abondance m’était inconnue. Tout le reste m’importait peu. Je palpais, mordais, suçais ces mamelons dressés et étrangement longs. Je pinçais, grognais et enfonçais mes doigts au plus profond de ces gros ballons en peau de bébé. Jamais je n’avais pétri de chair aussi ferme et malléable en même temps. Pour la première fois dans ma vie, l’idée derrière le mot « dodu » se présentait à moi dans son incarnation la plus pure.

J’aurais bien aimé, mais je ne pus m’empêcher de m’enfouir le nez dans la vallée et de souffler avec ma bouche, pour sentir cette peau vibrer contre mes oreilles. « Ben là, crisse, r’viens-en. » Je levai les yeux et le prit à la blague. Je descendis pour embrasser son ventre. J’y restai un temps, puis je pensai à Landry bien malgré moi. J’étais pris d’une érection ferme et considérable, et je m’empoignai en grimpant sur le corps de Bambi. Je plaçai mon membre au creux de ses gigantesques seins, puis elle les ramassa d’un geste machinal pour m’y emprisonner. Son regard vers le haut me confirma que la pratique du crosse-totons n’avait plus rien de magique pour elle.

La suite ne fut qu’un enchaînement d’essais et erreurs qui firent qu’en bout de compte, nous nous retrouvâmes côte à côte, Bambi endormie dans les trois quarts du lit, et moi, coincé insomniaque en survie dans sa propre maison. Je me rendis vite compte qu’il m’était possible de la pousser pas mal sans la réveiller. J’y pris un certain plaisir un bout de temps, mais je me retrouvais toujours perdant. Elle déroulait sur moi à chaque fois, et au dernier essai, je ne pus m’empêcher de crier alors qu’elle attaqua un ronflement brusque et caverneux. Les rugissements suivants se sont enchaînés sans aucune constance. Elle ronflait sans cette habituelle cadence, ce rythme qui permet au moins à l’autre de confirmer que le ronfleur est toujours bien vivant. Bambi attaquait sans prévenir et gardait ainsi son spectateur dans un état de constante surprise. Il était près de quatre heures et demi du matin, et le sommeil se foutait toujours de ma gueule. Je tentai de garder espoir, mais quand Bambi se mit à péter sous les draps, je lui laissai le lit et me dirigeai au salon.

Je me pris une bière et ramassai mon exemplaire du Faucon de Malte avec la ferme intention de le terminer. Sous la mauvaise influence de Sam Spade, je fumai de nombreuses cigarettes, et me versai plusieurs verres de Glenmorangie. La fumée et son odeur eurent finalement raison du sommeil de Bambi vers sept heures quinze. Elle sortit de la chambre toute habillée, mit ses bottes et son manteau, ramassa son sac, me traita de con et claqua la porte.

Ce qui nous ramenait, trois ou quatre mois plus tard, tous deux coincés dans cette salle de bain. « Comment ça, la mémoire courte?
⎯ Je répondrai pas à cette question-là, Bambi.
⎯ C’t’à cause de l’autre fois, c’est ça?
⎯ ...
⎯ Mais tsé, fit-elle doucement en appuyant ses seins contre mon torse, c’est correct, là, j’suis pus avec Mike.
Je ne pus retenir mon rire.
⎯ Ah bon? Vous avez cassé? »
Elle se détacha de moi comme si je venais de lui tousser en pleine face puis me gifla. J’accusai le coup du mieux que je pus, sans toutefois arriver à feindre l’indifférence. Elle m’avait solidement sonné. Puis on cogna à la porte. « Hellooo? Y’a quelqu’un? J’envie d’pipi! »

Bambi replaça ses cheveux sans m’adresser un regard. Elle ouvrit la porte. « S’cuse-moi » dit-elle à LaLune qui s’agitait frénétiquement dans le cadre et qui dût s’écarter d’un bon pas pour la laisser passer. Je sortis derrière Bambi en faisant signe à LaLune de ne pas tenir compte de cette réunion improbable dans les chiottes. Je me pris une bière au frigo et sortis rejoindre Bob sur le balcon alors que Bambi allait au salon se venger. Il riait. « T’en es-tu sorti?
⎯ Quoi, t’as vu? demandais-je en collant ma bière froide sur ma joue.
⎯ Bambi qui cogne dans une porte en criant de la laisser entrer, c’est dur à manquer.
⎯ Fuck.
⎯ À t’as-tu fessé, coudonc?
⎯ Pas pire, ouais.
⎯ Calvaire. Imagine-toi qu’à s’est même essayé sur moi, tantôt. Avec ma blonde juste à côté. Comme si ça nous tentait encore de se la taper. Quatre ans pis trente livres plus tard. »

Un temps passa. Puis nous vîmes Bambi sortir accompagnée. « C’est qui, lui?
⎯ Euh, un ami du voisin à Pat, je pense. » Je versai une lampée de bière par-dessus bord. Ils se retrournèrent vers nous. « Y va en manger une maudite, le cochon » dis-je à Bob en leur envoyant la main.

Michel-Olivier Gasse© 2007

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