samedi 1 novembre 2008

La malédiction d'Edgar, de Marc Dugain




Gallimard, 2005, 332 p.

Il m'est difficile d'aborder ce commentaire de lecture autrement qu'en soulevant le débat sur les romans à teneur historique. Étant davantage lecteur de romans (je ne me plonge que trop rarement dans les ouvrages historique et les essais), je me dis qu'apprendre une tranche de l'Histoire à travers une histoire romancée est une superbe façon de joindre l'utile à l'agréable. Mais il y a toujours cette dénomination « roman » qui occupe la page couverture, comme une ultime mise en garde de l'auteur que ce que l'on trouvera dans le livre est peut-être vrai, mais peut-être pas.

Ainsi, peut-on réellement se targuer de connaître une partie déterminée de l'Histoire alors que l'on n'a lu qu'un roman qui traitait du sujet?

Jamais je ne m'étais penché sur la période dont il est question dans ce roman, à savoir le règne de J. Edgar Hoover à la tête du FBI, de 1924 à 1972. Les anciens présidents américains se mêlaient dans ma tête au travers de quelques images d'archives et préjugés de tout acabit. Je crois même n'avoir jamais vu le vidéo de l'assassinat de John Kennedy. Pas plus que je ne m'étais penché sur les diverses théories sur le dit assassinat, ou encore sur la disparition de Marilyn Monroe. J'étais donc le public parfait pour croire tout ce qui est dit dans ce roman.

Le narrateur est Clyde Tolson qui nous livre ses mémoires. Tolson a été le numéro 2 du FBI durant tout le règne de Hoover. Mais plus encore, Tolson était son amant. La relation amoureuse n'est effleurée par le narrateur que vers la fin du livre, après la mort d'Hoover. Autrement, en aucun cas cette relation secrète n'avait-elle de point commun avec tous ceux qui, au cours des années, furent étiquettés par le FBI comme communistes à cause de leur sexualité déviante. Et là se trouve tout le paradoxe de la rigueur de Hoover. Difficile de ne pas voir en lui une vieille tante frustrée qui se rabat sur les autres grâce au pouvoir indélogeable dont il bénéficie. Attendez de lire le passage où Hoover conscent finalement à rencontrer un psychologue. Quand ce dernier en vient à lui dire qu'il est probablement homosexuel, Hoover le couvre de menaces, lui ordonne de lui rendre tous les documents le concernant, l'informe qu'il a enregistré toutes leurs rencontres et le fait mettre sur écoutes.

Tolson relate avec froideur et chronologie la croisade de son patron chéri pour une Amérique morale et droite. Nous assistons à la folie anti-communiste qui s'empara de Hoover, qui l'emmena à mettre sur écoutes une quantité impressionnante de personnes, aussitôt qu'apparaissait un doute sur les activités du sujet, aussi faible ce doute soit-il. Avec une vague autorisation de Roosevelt, Hoover perça en toute illégalité la vie privée de qui bon lui semblait et ce, vingt ans avant le scandale du Watergate.

Nous voyons Hoover nier l'existence au pays de bandes de crime organisé, sous prétexte que le fait d'admettre leur existence sans pouvoir les éradiquer reviendrait à une défaite. Préférant se battre contre l'ennemi de l'intérieur, Hoover fait infiltrer Hollywood, un bassin de communistes, et tente ainsi de faire dévier son refus de reconnaître la Mafia par sa croisade contre les rouges, sans jamais n'avoir eu à définir ce qu'était le communisme. Remplacez ce mot par Terrorisme, et constatez que nos voisins d'en-dessous n'ont pas progressé d'un pouce depuis.

Une grande partie du livre est consacrée aux Kennedy, de l'ascension du père jusqu'à la mort de Bob. Ceux qui connaissent bien l'histoire de la famille n'apprendront probablement rien. Pour ma part, je m'y suis laissé prendre comme dans un mauvais téléroman. Seulement, comme le point de vue du narrateur est rempli de haine envers la famille, je me garderai de me faire une idée définie avant d'avoir lu autre chose.

Marc Dugain affirme avoir basé son écriture sur des faits réels. Si certains dialogues sont imaginaires, d'autres retranscrivent ce qu'aurait pu être la réalité. Cependant, nous pourrions espérer une bibliographie plus complète que celle à douze entrées qui nous est proposée en fin d'ouvrage. J'ai déjà perdu des points à l'école au cause de bibliographies à quinze entrées sur un travail de vingt pages. Bien sûr, je n'avais pas, comme Dugain, accès aux archives du FBI sur Kennedy, par exemple. Mais disons quand même que terminer le livre avec une si petite liste emmène à douter de la véracité de ce que l'on vient de lire.

Mais si l'on prend ce livre pour ce qu'il est, un roman, après quelques chapitres pour se mettre dans le bain, le plaisir est garanti. Pas de pirouettes stylistiques d'écrivain fatigant, mais des faits rapportés avec une froideur tellement à droite que ça fait peur. Et ne serait-ce que pour le chapitre 34, très certainement la partie la plus fictive de tout l'ouvrage, la lecture en vaut le coup. Après avoir entendu qu'un communiste se réclâmait de Camus, Tolson décide de prendre les choses en main et de voir qui c'est, ce Camus. Loin de lui l'idée de se plonger dans la lecture de L'homme Révolté, Tolson fait trouver un spécialiste de Camus qui lui expliquera sa doctrine, histoire de voir s'il est dangeureux, même s'il est mort depuis huit ans. Il trouve son spécialiste et va le renconter à son chalet (nous sommes durant les vacances scolaires), certain de foutre une chienne pas possible à un pauvre professeur à qui l'on a appris que le numéro deux du FBI venait lui rendre visite. Il finit par rencontrer un homme barbu en chemise à carreaux qui n'est nullement impressionné. Et le professeur explique le concept de l'existentialisme à un homme qui n'y entend bien que ce qu'il veut. Et Tolson de rapporter à Hoover son résumé de la rencontre, dans des mots qui, il le sait, plairont à son patron : La pensée de Camus, c'est comme le Nouveau Testament du Communisme. Et voilà.

Un roman historique, donc. Peut-être pas une somme d'informations. Si tel est votre désir, vous aurez peut-être avantage à vous lancer dans American Tabloïd, de James Ellroy. Un roman aussi, mais beaucoup plus étoffé, et très certainement plus fiable. Mais La Malédiction d'Edgar est une très belle façon de s'initier à l'âge d'or du FBI, sans se taper un ouvrage trop sérieux.

(Originalement publié le 7 janvier 2008)

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