samedi 1 novembre 2008

Jolie Holland au Cabaret, 30 octobre 2008

Hier c’était ma fête, encore. J’ai officiellement fêté mon anniversaire au début du mois, en toute simplicité, installé dans le divan avec Mélie à regarder des films. Pas de problème avec ça, je n’avais aucune envie de faire la fête de toute façon. Dans la journée, ma mère est passée avec mon frère, on a jasé, on a niaisé, et j’ai déballé mon cadeau, un Casse-noisette qui joue du violoncelle. Mélie, elle, m’a offert un trousse de voyage assez grande pour mettre un tube de pâte à dents et un déodorant grands formats sans aucune difficulté, des culottes de pyjama avec des poches parfaites pour les vieux mouchoirs, ainsi qu’une paire de billets pour le spectacle de Jolie Holland, qui aurait lieu à la fin du mois. « De même, me dit-elle, ça va faire durer ta fête plus longtemps. »

Comme j’ai le cœur sur la main et que je suis près de mon public, j’ai cru bon offrir à Mélie le billet qui complétait la paire. Et ainsi donc hier soir, on fêtait ma fête en rappel. « T’as même pas l’air content, m’a-t-elle lancé à quelques reprises.
⎯ Pourquoi tu penses que je suis pas content? Je suis content.
⎯ Mais t’es même pas excité…
⎯ C’est toi qui est excitée, dans’ vie. Pas moi.
⎯ Je l’sais ben…
⎯ Ben c’est ça. Je suis content. Pas excité, mais content. Mais si t’arrêtes pas, je vais arrêter d’être content. On s’en va avoir du fun, là.

Il y a des soirs comme ça où tout l’amour du monde ne pourra rien y faire. On a l’impression que quoi que l’on fasse, ça ne lèvera tout simplement pas. Mais le problème réside sûrement dans le fait de ne pas avoir envie de faire quoi que ce soit pour changer la situation. Se dire que ça va passer tout seul, à force de penser à autre chose.

C’est peut-être comme ça qu’on développe des cancers.

Nous attendions l’autobus au coin de la rue fermée par un périmètre policier. L’échelle d’un camion de pompier était levée au maximum et on semblait inspecter la toiture d’un édifice. Une ambulance est passée en trombe en foutant le bordel dans la circulation. Une fois les trois services d’interventions passés, nous sommes montés dans l’autobus pour arriver au cabaret avec une avance confortable, mais traître. En rentrant dans la salle, nous avons trouvé la section du balcon fermée et nous sommes descendus au parterre rempli, pour y trouver Francis et Valérie avec qui nous avons jasé un temps. « Je sais pas si vous voulez des places assises ⎯ c’était le cas ⎯ mais ils ouvrent le balcon, là, dit Valérie.»

Le balcon se remplit dans le temps que nous montions les marches. Mélie bougonnait. Elle avait passé une longue journée et comptait bien se la jouer tranquille en écoutant un bon spectacle, avec une ou deux ou trois bières. « Francis savait pas que tu venais voir le show?
⎯ Visiblement pas, non, pourquoi?
⎯ Tu lui avais pas dit?
⎯ Ça a pas l’air.
⎯ T’es pas content. Tu lui a pas dit parce que tu t’en fous. »

En frais de chicane, je suis un désastre. Je suis conscient qu’il n’y a rien comme une bonne altercation pour remettre les choses en place, mais le fait est que je suis incapable de me chicaner. Je suis meilleur à me cultiver des cancers. Pour toute réponse, je pris une gorgée de ma bière en regardant les instruments sur la scène. C’était ma fête, après tout.

Ce qui avait de beau, avec ce spectacle de Jolie Holland, c’était que nous aimions aussi beaucoup Herman Düne, la première partie. C’est Mélie qui les a découverts via son ancient amant, tellement fan qu’il avait fait des copies du cd à tout plein d’amis. Il a même été assez con pour le dire au chanteur du band le mois dernier, lors de leur visite à Pop Montréal. « Tout mes chums qui sont là, dit-il, c’est parce que je leur ai tout gravé ton cd, c’est cool pareil? » Le gars du band l’avait laissé là sans dire un mot.

Leur entrée en scène fut désarmante de simplicité. La musique du bar jouait encore et ils arrivèrent tous deux comme s’ils allaient chercher leur courrier au coin de la rue. Une grande perche juive de 6’5’’, costaud comme un plant de tomates qui manque de soleil, avec une imposante barbe et fort probablement de la saleté sous les ongles, accompagé à la batterie d’un moustachu-chic qui ressemblait à Steven Vallée. « Hi, we are Herman Düne, Bejou’, nous sonme Herman Düne. It’s a pleasure to be here in Montreal, Nous sonmes tré contents d’étre ici à Montreal. » Il faut respecter la démarche. Pas que ce soit une obligation pour les artistes étrangers de s’adresser en français au public montréalais, mais disons que c’est un extra qui ne peut que faire plaisir. Le spectacle, beaucoup trop court (c’était une première partie, après tout) fut des plus sympathiques. La grande perche se tortillait dans tous les sens et, à défaut d’appuyer sur une pédale de distortion, montait directement en pleine chanson le volume de son petit ampli pour avoir un son sale. Des chansons d’apparence anodines où défilait une quantité impressionnante de mots racontaient pour la plupart des histoires débridées avec de nombreuses parenthèses. Comble d’ouverture culturelle, le grand juif allait même jusqu’à traduire les titres de ses chansons (The next song is called My best kiss, la prochain chanson s’appelle Mon meilleu’ baiser). À la pause, Mélie et moi avions le cœur léger, et c’est en nouveaux fans confirmés que nous sommes sortis fumer deux cigarettes et un joint, nous faisant immédatement voler nos places debout.

Assis dans les marches d’à côté, nous finissions le joint quand arriva Lil’Andy et son frère Will. Après avoir jasé, ils sont rentrés, et Will est presque aussitôt ressorti en se battant avec son paquet de cigarettes d’où il a fini par extraire un joint de haschich afgan. Tout en restant sceptique quant à la réele provenance moyen-orientale de son shit, il nous demanda, sérieux comme un Quaker « How do you say Hasch, in french? »
« Hasch. Facile, hein? »
Puis il nous raconta, de but en blanc, une histoire sur quand il travaillait à Toronto pour le spectacle que les Sadies ont enregistré avec des invités (In concert Vol.1). Son travail consistait, comme il n’avait pas de dossier criminel, lui, à aller chercher un invité à Détroit. Finalement, ils trouvèrent un américain qui passerait plus facilement les douanes, et il se retrouva à s’occuper de Garth Hudson, le légendaire claviériste de The Band, ainsi que de sa femme, qui se promenait avec un bâton de magicien. Puis, sans trop savoir pourquoi, il enchaîna sur Neko Case, avec qui il semblait mener des relations houleuses. « The last time I saw her, she said to me « Could you please get out of my way? » Lovely girl, totally. » Après cette aventure torontoise en bifurquant par l’Afghanistan, nous sommes retournés à l’intérieur, bien déterminés à vivre le cœur de mon anniversaire. La bonne humeur revenait tandis que je titubais pour aller nous chercher deux bières.

Fidèle à mon habitude, je me suis fait dépasser au bar par un homme rempli d’assurance qui demanda « two Jacks on the rocks, with two glasses of water as well. » Moi qui ne voulait que deux bières, et voilà le spectacle qui commençait. Une fois arrivé au balcon, j’en étais certain, la musique de Jolie Holland serait le baume qui couvrirait les plaies de mauvaise humeur qui hantaient notre soirée, à Mélie et moi. Je nous voyais sortir du Cabaret, amoureux comme jamais, en riant de nos altercation de début de soirée. Je me voyais compléter ma discographie et recommander la Jolie à tous mes amis. Je me voyais même prendre la place de son bassiste au talent douteux et partir en tournée avec elle, devenant du coup son musicien favori. Ce morceau d’ouverture rempli d’espoir et de nostalgie, était bâti sur une forme évolutive qui donnait envie de pleurer. Tous mes rêves étaient réunis dans cette chanson qui prenait fin. Mélie et moi applaudîme à tout rompre. J’étais content.

Après mes applaudissements, j’accrochai ma bouteille en voulant prendre un gorgée, bouteille qui versa une part de houblon sur le foulard de ma voisine d’en face. L’Afghanistan me rend maladroit. Je m’excusai et concentrai mon attention sur la Jolie qui n’avait encore pas dit un mot. Ses premières paroles furent quelque chose comme « I can’t hear the guitar » et tournée vers la console des moniteurs, « I’d like to have more of these thing here. »
These things? Voyons ma Jolie, ça fait assez longtemps que tu fais de la musique pour savoir que ça s’appelle des moniteurs, non? Ça ressemble à de la candeur calculée, ce genre de réplique.

Je me retournai vers Mélie. « J’espère qu’à sera pas chiante, quand même… »
« Ben ouin, c’est bizarre. »
La Jolie démarra sa deuxième chanson sans autre avertissement que le compte à ses musiciens. Old Fashionned Morphine, version plus rock, longue et prenante J’étais encore à la place du bassiste, mais un peu moins impliqué. Je faillis à nouveau renverser ma bière. Mélie me conseilla de la garder dans mes mains, ainsi, je saurais toujours où elle est.

Une fois la chanson terminée, la Jolie parla de l’éclairage. « It would be nice if those two spots over there weren’t that bright, I can’t see anything here. » Mais la Jolie ne s’adressait pas à l’éclairagiste. Elle parlait à tout le monde, en espérant que l’éclairagiste comprenne. Il a compris. La Jolie a continué son spectacle dans une obscurité subite. Maintenant c’est nous qui voyons rien, poupée.

À la troisième chanson, j’arrivais presque à la fin de ma bière, à force de la tenir dans mes mains. La musique était toujours excellente, même si, au balcon, les basses fréquences nous arrivaient en vrac, même pas dans un sac. « Si le bassiste jouait comme du monde, dit Mélie, ça serait peut-être moins boiteux. » Bon point, chérie, mais je pense que c’est plus à cause qu’on est au balcon, au fond, que ça sonne croche de même. Le base-drum aussi fait le même effet. Mais quoiqu’il en soit, mon amour, t’as raison. Tu vois l’importance d’avoir une bonne attaque à la basse? C’est dans la main droite que ça se passe. Ça fait (je lui tapai l’épaule de cinq coups secs et brefs avec deux doigts) au lieu de (je lui frottai vaguement l’épaule avec la paume de ma main.) C’est ça qui te donne envie ou non de danser, bébé.

« Pis comment t’appelles ça?
⎯ De quoi?
⎯ Ben, que ce soit Tak-Tak-Tak, ou Bou-wou-wou?
⎯ On dit que c’est tight, ou ben que c’est sloppy. »
Visiblement déçue par le manque de rigueur technique de mes définitions, elle se retourna vers la Jolie, que nous avions momentanément oubliée. Elle en était maintenant à essayer d’inciter les gens à danser. « I was just over there dancing during Herman Düne? I was dancing and I was alone and I felt like, so stupid? Anyway, you get the point. » Puis elle prit une gorgée dans sa bouteille de vin remplie d’eau. You so bad, baby.

Rendus-là, Mélie et moi avions de la difficulté à prendre cette petite princesse au sérieux. Aussi envirante sa voix puisse-t-elle être, nous avions l’impression d’assister à un spectacle de bar, du genre la musique est bonne, mais ça ne t’empêche pas de jaser pendant les chansons. Chaque intervention parlée de la texane venait minimiser l’impact déjà décroissant de sa musique. Un simple « It’s great to be here in Montreal », même non sincère, aurait totalement changé la donne. Surtout en considérant le taux de sympathie que les gars d’Hermann Düne avaient suscité plus tôt. Une ou deux chansons plus tard, nous décidâmes d’aller fumer une nouvelle cigarette, en nous disant que la Jolie serait peut-être plus d’adon à notre retour.

Nos ciragettes étaient à peine entâmées que surgirent en riant Lil’Andy et Will. Will défendait la Jolie en disant que c’était là la moins bonne performance d’elle qu’il avait vue à date. Andy se faisait plus conciliant en nous expliquant dans un français touchant que plusieurs artistes américains débarquaient à Montréal avec l’impression que personne ne comprendrait un mot de ce qu’ils diraient, préférant du coup se limiter à « Hi » et « Thank You ». Soit. Ça n’empêche pas qu’en tant que spectateur qui se déplace et qui paye, nous n’avons pas besoin d’être mis au courant du malaise du performeur. Nous pouvons déceler que quelque chose ne vas pas, mais de là à avoir l’impression de faire partie du problème, il y a un sérieux pas. Quand le performeur est rendu à jouer à des miliers de kilomètres de chez lui et ce, devant une salle pleine, nous sommes en mesure de parler d’un métier. Et qui dit métier dit agir en professionnel, bordel.

Ma Jolie, je me fous complètement que tu aies une mauvaise soirée, que le son soit mauvais, que tu t’ennuies de ton chat. On se connaît pas assez pour que tu me fasses part de ces sentiments. Ces choses-là, tu en parleras plus tard avec tes musiciens en buvant une local beer sur laquelle tu trouveras certainement quelque chose à dire. Je veux bien glorifier ta musique, mais ça, je peux le faire tout seul dans mon salon en écoutant tes albums. Si je viens assister à ton spectacle, c’est que je m’attends à plus. C’est que je désire rencontrer l’être humain derrière cette musique que j’aime tant, et c’est surtout que j’ose espérer qu’à quelque part, toi et moi on aie des choses en commun. Mais tout ce que nous avons eu en commun hier soir, ma Jolie, c’est que j’aimais ta musique, et toi aussi. Je peux pardonner à Bob Dylan d’avoir été plate à mort en spectacle et continuer à écouter sa musique avec passion, mais avant d’en arriver là avec moi, il te reste des croutes à manger, bébé.

Nous sommes sortis alors que la Jolie revenait finalement faire un autre rappel, une fois les lumières allumées et la musique d’ambiance repartie. Visiblement, certains avaient apprécié. Je me garde quand même une part de doute et j’assénerai une punition pour cabotinage à tous ceux qui refusent de voir que le performeur qu’ils aiment tant se trouve à être chiant, en bout de compte. Il faut pas oublier de se respecter, dans ces affaires-là. Je me suis fait faire le coup une fois, en allant voir les White Stripes, que j’avais trouvés navrants et insipides. La musique, elle, livrait bien sûr la marchandise, mais comme j’ai dit plus tôt, il n’y a pas que ça, dans un spectacle. J’avais après coup crié haut et fort mon propos, mais je n’ai bien sûr trouvé personne pour aller dire du mal des White Stripes. Quand même. Des vedettes internationales.

Mélie et moi avons fumé une cigarette devant le cabaret en attendant un taxi. Un garçon et une fille chambranlante sortirent après nous. Le garçon fit s’asseoir la fille, et j’aperçus une flaque de vomi sur sa robe. Mélie leur fit dos et je continuai à fumer cette dernière cigarette inutile qui me faisait décidément tanguer.

Dans le taxi, je gardai les bras croisée pour gérer les hauts le cœur qui me possédaient. Et Mélie qui parlait de la fille qui s’est gerbé dessus. J’essayais de roter une bulle d’air qui ne voulait pas sortir tout en gardant en tête la possibilité que tout ça sorte en gerbe, je me suis déjà fait faire le coup. Mélie me demanda si ça allait, je lui chuchotai que je me sentais un peu étourdi. Immédiatement concernée, elle me prit la main et se félicitait de chaque feu vert que nous attrapions. Nous serions vite à la maison.

Puis j’appris à la radio la victoire du Canadien et me sentis soudainement mieux. Une défaite m’aurait rendu coupable d’avoir manqué le match et Mélie l’aurait senti et ça aurait peut-être mal tourné. Perdre deux fois dans la même soirée, c’est trop.

Arrivés à la maison, nous avons essayé nos déguisements pour le lendemain. Mélie s’est fait un plaisir de me beurrer le visage de Zincofax et de rouge à lèvre pour me déguiser en clown pissed-off. J’essayais de garder un air sérieux, mais j’étais incapable de m’empêcher de rire et mon nez rouge tombait sans cesse.

Après un mois, ma fête se terminait enfin pour laisser la place à l’halloween, et y’a pas à dire, finalement, j’étais bien content.

Michel-Olivier Gasse©2008

1 commentaire:

Anna a dit…

c'est un bonheur de savoir que tu écris, ici.

keep on going.