samedi 1 novembre 2008

L'épopée du buveur d'eau, de John Irving




(The Water-Method Man, 1972)
Seuil, Points, 1988, 426 p.

On dirait que j'ai de la difficulté à rendre compte de ce livre pour la raison, je crois, qu'il est toujours ouvert, qu'il ne terminera jamais. C'est du moins ce que je souhaitais alors que sur la route qui me menait de Saint-Georges de Beauce à Drummondville, les kilomètres restants s'évaporaient au rythme des pages qu'il me restait à lire. Et pile en rentrant dans Drummondville, je refermais le livre, somme toute heureux que ça se termine bien pour le pauvre Trumper, le personnage principal, mais soudainement laissé à moi-même, comme si je venais de perdre cinq ou six amis d'un coup. En sortant de la voiture, je ne parlais pas. « Ça va, Gasse? »
« Ouins, ça va. Je viens de finir mon livre… »
Il m'a pris par l'épaule. « Je t'aime, son Gasse. »
« Ha! Moi aussi. »

Et là me rattrapait dans sa version la plus concrète possible la morale de ce livre. De l'importance d'être bien entouré. Qu'au-delà des réussites professionnelles, des accomplissements, il n'y avait pour rater sa vie que de ne rien représenter de bien aux yeux de personne. Que tant qu'on aime et qu'on est aimé, le reste on peut s'en passer. C'est pas ça qui met de la bière dans le frigidaire, me direz-vous, mais dans le cadre d'un roman, c'est tout à fait possible, et ça fait du bien.

L'épopée… est le tout premier John Irving que je lis, même si je possède certains de ses livres depuis des années. Une raison inconnue m'en tenait à distance, probablement l'ampleur. Sans doute. À 426 pages, l'Épopée…, son deuxième, est l'un des plus brefs romans de John Irving. Et maintenant que j'y ai goûté, je n'hésiterai pas à me lancer dans ses pavés, probablement plus achevés que celui-ci encore. Y'a des livres de 200 pages qui sont plus longs et ardus à lire, j'en suis convaincu.

Y a-t-il vraiment lieu de faire un résumé de l'histoire? J'en ai plus ou moins envie, et pour ce que ça donnerait…J'en ai déduit (et des lecteurs fidèles d'Irving me l'ont confirmé), ses romans sont surtout des romans de personnages que des romans à intrigue. Ici, on suit Fred Bogus Trumper, un garçon de vingt-huit ans à travers cette vie qui lui semble plutôt difficile à mettre en ordre. Déshérité par son père médecin pour cause de déceptions continues, Trumper a eu un enfant et s'est marié avec une skieuse professionnelle, Biggie qu'on l'appelle, brisant du coup la carrière de cette dernière. On suit l'histoire de cette relation, en parallèle avec sa « nouvelle vie », quelques années plus tard, alors qu'il vit avec la charmante Tulpen, et qu'il se fait diagnostiquer une malformation du méat urinaire, d'où l'obligation de boire beaucoup d'eau.

L'histoire s'envole dans tous les sens, la narration ne suit aucune rigueur formelle et change de mode régulièrement, souvent à l'intérieur d'un même chapitre. Certaines idées, comme cette obligation de boire l'eau, ne sont pas maintenues et on les perd de vue. Les premiers chapitres sont ardus à lire et on a peine à voir où l'auteur veut en venir. Quoiqu'il révèle un talent indiscutable, ce roman est le produit d'un jeune homme qui avait une tonne de choses en tête et qui voulait tout dire en même temps.

Mais rien de tout ça n'empêche le fait que ce roman est vivant. Les personnages nous habitent, ont le parfait dosage de réalisme et de caricature pour qu'on y croie et qu'on en veuille encore. Les scènes d'intimité entre Trumper et ses amoureuses sont désarmantes. Irving a réussi à faire un roman sur un raté, comme il y en a tant, sans pour autant le rendre vraiment raté à nos yeux. Un raté sympathique.

Et ça me brûle de vous en raconter tout plein, n'ayez crainte je n'en ferai rien, mais ce roman comporte des scènes d'anthologie, des moments de malaise hilarants, des situations pas possibles, mettant en scène, par exemple, un condom oublié et un canard déplumé.

J'ai hâte à mon prochain.

(Originalement publié le 29 janvier 2008)

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