samedi 1 novembre 2008

Doggy Bag saison 3, de Philippe Djian




Julliard, 2006, 248 p.

Avec Doggy Bag, le projet de Phillippe Djian était de créer en littérature un équivalent des séries télé majeures responsables du nouvel engouement de ces dernières années, en plus de redéfinir le genre. S'appuyant ouvertement sur les Sopranos et Six Feet Under, Djian a imaginé une famille (disfonctionnelle, est-il nécessaire de préciser) qui a déjà de la difficulté à se gérer par elle-même, alors les drames, ils pourraient bien s'en passer. Mais sous la plume d'un des écrivains français les plus malsains qui soient, la famille Sollens en a pour un bon bout de temps à ronger son frein.

David et Marc Sollens sont deux frères dans la quarantaine qui partagent la direction du garage Mercedes que leur père Victor leur a légué. Quand ils voient Édith débarquer sur leur lieu de travail sans avertissement, leur monde s'écroule et ils voient se pointer les problèmes, en plus d'un désir certain qui renaît. C'est qu'il y a vingt ans de cela, les deux frères se sont pour ainsi dire entretués pour l'amour d'Édith. Indécise, elle est restée au milieu du carnage un bout de temps, pour finalement s'éprendre d'un autre et sortir du décor. On n'a encore aucune idée de ce qui a bien pu se passer, mais à voir la réaction d'Irène, la mère des deux hommes, alcoolique et dépressive, on s'imagine que personne ne veut revivre une pareille époque. Sans compter que les parents d'Édith sont déménagés loin de Lyons en affirmant qu'ils ne voulaient plus jamais entendre parler des Sollens, sous aucun prétexte, fussent-ils morts, ou repentis ou quoi encore.

Alors de voir Édith débarquer comme ça vingt ans plus tard, et d'apprendre en plus qu'elle est mère d'une fille de vingt ans n'est pas sans laisser les deux frères indifférents. Là, je ne fais que vous exposer la prémisse d'ouverture de la série. Mais Djian est loin de se limiter à cette seule situation. Nous auront droit aux misères et déboires de toute une galerie de personnages en lien avec la famille. Sonia, la fille d'Édith, son copain Joël, Roberto, l'ami des deux frère, qui rappelle étrangement Artie Bucco des Sopranos, les amis et relations de tout un chacun, tous s'y mettent pour faire une belle fresque de dégénérés. Ajoutez à cela que Djian n'a peur de rien (ou se fout de tout?) et n'hésite aucunement à faire intervenir tremblements de terre, innondations, viols et même quelques phénomènes paranormaux et vous avez du matériel pour remplir de suspense et de rebondissements les sept saisons que Djian s'est promis de livrer.

Un peu gros, direz-vous? Peut-être. Mais ceux qui connaissent Djian seront d'accord avec moi, on en redemande toujours lorsqu'il se met à surprendre. C'est que ses personnages, il les connaît comme de vieux amis, sous toutes les coutures, chaque défaut, chaque qualité, il nous les présente à la fois tout nus et déguisés de leur costume de citoyens fonctionnels et n'a absolument aucun remord à leur cracher au visage, à les détruire et les foutre dans des situations pas possibles pour ensuite les regarder se relever en rigolant un peu.

Mais y'a que Djian est ce qu'il est. Le plus américain des écrivains français. Boudé par l'académie pour cause de succès immédiat. Un ermite, un asocial, sans aucun doute profondément désagréable. Connaissez-vous un auteur qui a refusé de rencontrer son éditeur jusqu'à son troisième livre? Djian, c'est un peu ça. Un écrivain qui ne cherche pas à plaire, mais néanmoins populaire. En soi, je crois qu'il faut vouloir aimer Djian. Mais ce n'est pas lui qui vous en convaincra. Et une fois que vous aurez ouvert la porte et que vous aurez accepté, par exemple, de ne pas tout comprendre du premier coup et de vous laisser débouler dans l'histoire, vous verrez qu'il peut y avoir des ravages. Si vous voulez vous initier, allez-y avec une histoire comme Zone Érogène,Frictions, ou 37,2 le Matin. Et si vous vous lancez dans Doggy Bag, y'a pas à dire, commencez par la saison 1.

(Originalement publié le 17 novembre 2007)

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